Contenu du sommaire : Migrations - Exodes - Diasporas
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 66, no 2, avril 2011 |
Titre du numéro | Migrations - Exodes - Diasporas |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Migrations
- Migrations, souveraineté, droits sociaux : Protéger et expulser les étrangers en Europe du XIXe siècle à nos jours - Paul-André Rosental p. 335-373 La fin du XIXe siècle marque moins l'apparition d'une gestion étatique de la migration que son changement de régime. La « protection du travail national » par le développement de l'identification et des barrières aux frontières vient se substituer à une régulation ex post fondée sur l'utilitarisme et la subsidiarité (sauf à bénéficier d'une protection sociale communale, les étrangers tombant dans l'indigence étaient menacés d'expulsion). À l'avènement de cette xénophobie institutionnelle, les réformateurs sociaux, bientôt relayés par le Bureau international du Travail, opposent la signature de traités bilatéraux et de conventions internationales rapprochant les droits sociaux des migrants – chômage, retraite, contrat de travail, etc. – de ceux des nationaux. Tout en ayant permis le développement des assurances sociales et de l'État-providence, ces engagements transnationaux interrogent l'exercice de la souveraineté étatique, selon des modalités perpétuées de nos jours par le recours au traité de Gotha de 1851 pour administrer les flux de réfugiés.Migrations, sovereignty, social rights : Protecting and expelling foreigners in Europe since the early 19th century The late nineteenth century in Europe saw less the apparition of state management of migrations than a change of system. The “protection of national labor” through identification techniques and border control came to replace the older regime of ex post facto regulation based on the notions of usefulness and subsidiarity (foreigners could be expelled if destitute and ineligible for local welfare). In reaction to this new institutional xenophobia, social reformers, soon helped by the International Labour Office, pushed for bilateral treaties and international conventions guaranteeing migrants similar rights (for unemployment, old-age pensions, labour protections, and so on) as nationals. These transnational negotiations helped the emergence of the welfare state ; they also put in a new perspective the practice of state sovereignty in an area where the Treaty of Gotha of 1851 is still regularly invoked to manage refugee flows.
- Protection sociale et mobilité transatlantique : les migrants italiens au début du XXe siècle - Caroline Douki p. 375-410 La question du transbordement maritime des migrants – en transit à travers l'Atlantique – s'est constituée en problématique humanitaire internationale au début du XXe siècle. Elle fait notamment l'objet d'une mobilisation importante dans la société italienne, où les émigrants à destination de l'Amérique sont en grand nombre et se trouvent souvent piégés dans des formes graves de dépendance économique à l'égard des agents d'émigration qui les recrutent et des compagnies maritimes qui les transportent. Analyser comment l'Italie s'est efforcée d'élaborer un dispositif d'action publique pour encadrer et protéger sa population en partance pour l'Amérique, particulièrement dans l'espace-temps très spécifique qu'est la traversée maritime, permet de reconsidérer plusieurs enjeux mis au jour par les études consacrées aux migrations internationales, au gouvernement des populations et à la mondialisation marchande. Tout en rappelant le rôle très actif qu'eurent certains pays d'origine dans la protection de leur ressortissants migrants, ce cas montre que le sort de ceux-ci ne se jouait pas dans le seul face à face entre États émetteur et récepteur, mais aussi dans la nécessaire régulation du marché du transbordement, et tout autant dans l'opposition et l'arbitrage entre des acteurs et des intérêts divergents à l'intérieur même de la société italienne.The transatlantic transportation of migrants as a welfare issue : Italy, early 20th century The maritime transshipment of migrants across the Atlantic became an international humanitarian issue at the beginning of the 20th century. It inspired a widespread mobilization in Italian society, where many emigrants to America found themselves trapped in serious forms of economic dependency on the emigration agents who recruited them and the maritime companies who transported them. An analysis of the ways Italy attempted to elaborate modes of public intervention to supervise and protect its emigrating citizens, particularly in the specific space-time of maritime travel, sheds new light on several issues prominent in studies of international migrations, of population government and of commercial globalization. While recalling the very active role certain countries played in the protection of their emigrating citizens, the Italian case underlines that the fate of these migrants was played out not only in the confrontation between an issuing State and a receiving State, but also in the necessary regulation of the transshipment market as well as in the opposition (and resulting arbitration) between the parties and the diverging interests within Italian society itself.
- Migrations, souveraineté, droits sociaux : Protéger et expulser les étrangers en Europe du XIXe siècle à nos jours - Paul-André Rosental p. 335-373
Exodes
- Les évacuations d'enfants en France et en Grande-Bretagne (1939-1940) : Enfance en guerre - Laura Lee Downs p. 413-448 Cet article part d'une comparaison des évacuations française et britannique des enfants citadins vers les campagnes en 1939-1940 pour nourrir une réflexion plus large sur les manières très différentes de concevoir la bonne façon d'éduquer les enfants de part et d'autre de la Manche. À travers cette comparaison, il montre comment cette divergence dans les traditions d'éducation pointe des différences plus profondes dans la perception des besoins affectifs des enfants ainsi que dans la manière d'appréhender les relations famille-État-enfant dans une démocratie libérale et dans une démocratie républicaine à la fin des années 1930.Children in wartime : The evacuation of children in France and Great Britain (1939-40) This article takes a comparison of the French and British evacuations of children to the countryside in 1939-40 as a starting point for a larger reflection on the very different meanings and practices that surrounded child-rearing in twentieth-century France and Great Britain. More specifically, it argues that the educational practices characteristic of each society point to deeper differences in the way that the triangle of relationships among families, children and the state were conceptualized in a liberal versus a republican democracy at the end of the 1930s. Among other things, this meant that children's affective needs were understood very differently inside the two systems, a difference that was in part linked to divergent ways of thinking about citizenship and the place of children within the polity.
- Enfants et purification ethnique dans la Tchécoslovaquie d'après-guerre - Tara Zahra p. 449-477 À partir du cas de la Tchécoslovaquie d'après-guerre, cet article démontre la centralité des enfants dans l'histoire de la purification ethnique. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, les enfants devinrent à la fois des dépouilles de guerre et la cible de campagnes visant à créer des États-nations homogènes en Europe. Entre 1945 et 1948, trois millions d'Allemands tchécoslovaques furent expulsés de Tchécoslovaquie, alors que cet État lançait à travers le continent une recherche des « enfants perdus » kidnappés ou déportés par les nazis. Les deux processus se compliquèrent du cas des milliers d'enfants de couples tchéco-allemands, qui força les autorités à choisir entre deux buts nationalistes concurrents : l'ambition d'effacer à court terme toute trace de germanité en Tchécoslovaquie, et la volonté à plus long terme d'une croissance démographique. Alors que le populationnisme triomphait dans les ministères à Prague, il fut souvent tenu en échec dans la pratique locale. Ces débats illustrent l'importance des enfants non seulement dans l'histoire des politiques de population et de migration dans l'Europe du XXe siècle, mais aussi dans tous les processus de la reconstruction d'après-guerre.Ethnic cleansing and children in postwar Czechoslovakia This article demonstrates the centrality of children to the history of ethnic cleansing, based on the example of postwar Czechoslovakia. During and after the Second World War in Europe, children became both spoils of war and objects of campaigns to create homogenous nation-states. Between 1945-1948, three million Czechoslovak Germans were expelled from Czechoslovak territory, at the same time that Czechoslovak authorities searched Europe for so-called “lost children” who had been kidnapped or deported by the Nazis. Both processes were complicated by thousands of children of mixed Czech-German couples, who forced authorities to choose between two competing nationalist goals : a short-term ambition to cleanse Czechoslovakia of all traces of Germandom, and a long-term goal of increasing the population. While the populationist agenda triumphed in Prague's national ministries, it was often defeated in practice locally. More broadly, these debates illustrate the importance of children not only to the history of population and migration policies in twentieth century Europe, but also to the broader process of postwar reconstruction.
- Les évacuations d'enfants en France et en Grande-Bretagne (1939-1940) : Enfance en guerre - Laura Lee Downs p. 413-448
Diasporas
- La terre d'origine dans les diasporas des XVIe-XVIIIe siècles : « S'attacher à des pierres comme à une religion locale... » - Natalia Muchnik p. 481-512 L'attachement au pays d'origine est bien analysé pour les diasporas contemporaines afin de démontrer leur dimension transnationale et décrire leurs rapports avec l'État-nation. Pour les XVIe-XVIIIe siècles, en revanche, cette question pourtant fondamentale est minorée au profit des liens entre communautés. Souhaitant sortir des perspectives mono-confessionnelles qui limitent l'historiographie des diasporas modernes, ce travail s'appuie sur l'étude de quatre groupes dispersés : les séfarades, les catholiques britanniques, les huguenots et les morisques. La terre d'origine, qui grave son empreinte culturelle sur la diaspora, constitue un liant structurant fondamental : lieu de l'événement-déclencheur de dispersion et du martyre, elle apparaît comme le front de la résistance qui légitime l'existence de « l'arrière », la diaspora. Territoire matriciel, souvent mythifié et mobilisé dans les visions messianiques, elle est indissociable de la notion de retour.“Attached to stones as to a local religion...” : The land of origin in early-modern diasporas (16th-18th centuries) The attachment to the country of origin is well analyzed for contemporary diasporas to demonstrate their transnational dimension and to describe their relationship with the nation-state. For the sixteenth to the eighteenth century, however, the historiography has emphasized the relationship between communities, overlooking this important issue. Putting aside mono-denominational perspectives, this article offers a new approach to early-modern diasporas by confronting four groups : the Sephardim, the British Catholics, the Huguenots and the Moriscos. The cultural imprint of the homeland was a core structure of diasporas. The locus of both martyrdom and the trigger-event of dispersion, the homeland appeared as the front line of resistance, legitimizing the existence of the “rear”, i.e. the Diaspora. Often mythologized and mobilized in messianic visions, this crucial territory was inseparable from the notion of return.
- Familles, réseaux et confiance dans l'économie de l'époque moderne : Diasporas marchandes et commerce interculturel - Guillaume Calafat p. 513-531 Comment entretenir des relations de commerce durables avec des étrangers, différents par leurs ethnies, leurs langues ou leurs religions ? Comment leur faire confiance ou s'assurer de leur honnêteté malgré la distance matérielle ? L'historiographie a coutume de mettre en avant la forte cohésion ethnique des diasporas marchandes pour expliquer leur succès dans l'économie globalisée de l'époque moderne. Dans son dernier ouvrage, Francesca Trivellato remet en question cette vision essentialiste. À travers l'étude de la correspondance d'Ergas & Silvera, une société en nom collectif sépharade basée dans le port toscan de Livourne, l'historienne montre l'hétérogénéité de leurs réseaux marchands : les juifs sépharades pouvaient coopérer tout aussi bien avec des coreligionnaires qu'avec des catholiques, voire des hindous à Goa, en fonction des perspectives de gain qu'offraient les associés potentiels. Cela ne dissolvait pas pour autant les préjugés existants entre les différents groupes. L'ouvrage incite de manière convaincante à entreprendre une analyse comparée des diasporas marchandes et offre un exemple réussi d'histoire connectée.Trading diasporas and cross-cultural trade : Family, networks and trust in the early modern economy How to build stable commercial relations with strangers, different in their ethnicity, their language and their religion ? How to trust them and to be sure of their honesty in spite of long distance ? The historiography used to put forward the supposed strong ethnic cohesion of trading diasporas to explain their success in the global economy of the early modern period. In her recent book, Francesca Trivellato challenges this essentialist vision. Through the study of the merchants' letters of Ergas & Silvera, a general partnership based in the Tuscan port of Livorno, the author shows the heterogeneity of their trading networks : the Sephardim from Livorno could cooperate with coreligionists as well as Catholics and Hindus in Goa, according to the financial perspectives offered by their potential partners. This did not lead, however, to the disappearance of existing prejudice between the different groups. A successful example of connected history, Trivellato's book is a powerful encouragement to pursue comparative studies of trading diasporas.
- La terre d'origine dans les diasporas des XVIe-XVIIIe siècles : « S'attacher à des pierres comme à une religion locale... » - Natalia Muchnik p. 481-512
Comptes rendus
- Comptes rendus. Mobilités - p. 535-574
- Comptes rendus. Révolutions - p. 579-617