Contenu du sommaire : Le quotidien du communisme
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 68, no 2, avril 2013 |
Titre du numéro | Le quotidien du communisme |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le quotidien du communisme : pratiques et objets - Larissa Zakharova p. 305-314
Misère et enrichissement
- La perte, le don, le butin : Civilisation stalinienne, aide étrangère et biens trophées dans l'Union soviétique des années 1940 - Nathalie Moine p. 317-355 Cet article s'intéresse à l'afflux et à la circulation d'objets venus de l'étranger dans l'Union soviétique des années 1940, pour s'interroger sur cette variante soviétique de l'édification des objets en enjeu de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Il montre comment les enjeux de la distribution d'une aide humanitaire recoupent celui de la (non) reconnaissance du génocide des juifs soviétiques sous l'occupation nazie, mais aussi celui des hiérarchies sociales staliniennes. Il explicite les raisons pour lesquelles l'occultation de l'origine et des circonstances exactes qui présidèrent à l'entrée de ces objets dans les foyers soviétiques sert à maintenir dans l'ombre les exactions commises par les troupes de l'Armée rouge à l'égard des vaincu(e)s. Il corrige enfin l'image d'une société soviétique qui découvre pour la première fois le luxe et la modernité occidentale à la faveur de la guerre, en revenant sur la place et le sort de ce type d'objets dans la civilisation matérielle stalinienne de l'entre-deux-guerres.Loss, Gift and Plurder : Stalin-Era Culture, Foreign Aid, and Trophy Goods in the Soviet Union during the 1940s This article focuses on the influx and circulation of foreign objects in the Soviet Union during the 1940s in order to investigate the specific role of these objects during World War II. It reveals how the distribution of humanitarian aid intersected with both the (non) acknowledgement of the genocide of Soviet Jews during the Nazi occupation and Stalinist social hierarchies. It explains why effacing the origins and precise circumstances through which these objects entered Soviet homes served to hide the abuse the Red Army perpetrated against their defeated enemies. This article revises the image of a Soviet society that discovered luxury and Western modernity for the first time during the war by reconsidering the place and trajectory of these objects in Stalinist material culture of the interwar period.
- Les exclus : Le phénomène de la mendicité dans l'Union soviétique d'après-guerre - Elena Zubkova, Larissa Zakharova, Grégory Dufaud p. 357-388 Dans quelle mesure l'État soviétique a-t-il été capable de contrôler les phénomènes d'exclusion sociale (et de les empêcher) et à quel point la société réintégrait-elle les exclus ? Examiner le phénomène de la mendicité en URSS des années 1940 aux années 1960 contribue à répondre à ces questions. Le phénomène de la mendicité est envisagé comme une réaction à la pauvreté : la mendicité était une stratégie de survie des groupes sociaux exclus de la société à cause de leur faible niveau de vie. Dans un premier temps, une brève rétrospective historique de la lutte contre la mendicité en URSS de la révolution d'Octobre 1917 jusqu'au milieu des années 1950 montre les continuités et les ruptures dans les politiques d'État concernant ce phénomène. Ensuite, la mendicité – importante dans le quotidien en Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale – est analysée à travers la reconstruction des « histoires de vie » de certains mendiants. La dernière partie de l'article est consacrée au discours public sur la mendicité dans les années 1950 jusqu'au début des années 1960, discours qui reflète les opinions des dirigeants et de la société.Outcasts : Begging in the Postwar Soviet Union To what extent was the Soviet state able to control (and oppose) the process of social exclusion and to what extent was Soviet society ready to integrate social outcasts ? This article attempts to answer these questions by analyzing the phenomenon of begging in the Soviet Union between the 1940s and the 1960s. The article begins by studying the phenomenon of begging as a reaction to poverty, serving as a survival strategy for the lower social classes who were excluded from society due poor standards of living. A brief historical overview of the campaign to combat begging in the the USSR from the Revolution of 1917 until the mid-1950s shows both the continuity and shifting perspectives of state reaction to this social problem. This article also analyzes begging, which was an important social phenomenon in the USSR after World War II, through the specific biographies of actual beggars. The article concludes with an examination of the public discourse on poverty in the 1950s and early 1960s, which reveals how both society and the state viewed the issue.
- La perte, le don, le butin : Civilisation stalinienne, aide étrangère et biens trophées dans l'Union soviétique des années 1940 - Nathalie Moine p. 317-355
Transformations culturelles
- La culture habitée aux frontières du socialisme (Gorna Džumaja, 1944-1948) - Antonela Capelle-Pog?cean, Nadège Ragaru p. 391-427 Cet article se propose de construire en objet historique le rapport entre le fait urbain et les spectacles filmiques et théâtraux dans une ville-frontière de Macédoine du Pirin, une région où se heurtèrent les projets nationaux bulgare, macédonien et grec. La période retenue (1944-1948) voit l'instauration du socialisme coïncider avec une ingénierie nationale et sociale d'autant plus intense que l'avenir territorial de cet espace demeure incertain. Tenus par les nouveaux pouvoirs pour être des vecteurs prioritaires du façonnage des individus, le théâtre et le cinéma sont ici envisagés dans leur inscription spatiale, leurs assignations toponymiques, leurs matérialités agissantes afin de cerner les articulations entre périodes ante communiste et communiste. La « mise en objets » de spectacles, lieux de renégociation des hiérarchies sociales et de pouvoir, offre par ailleurs une perspective oblique sur la fabrique de la ville socialiste, négociée au fil de tournées et de caravanes cinématographiques, dans la comparaison avec d'autres entités urbaines et rurales. Le socialisme s'y dessine finalement en des circulations internationales ne se réduisant pas à une simple soviétisation.Theater and Cinema on the Border : Inhabiting Socialist Culture (Gorna Džumaja, 1944-1948) This article examines the cultural shaping (through film and theater) of urban identities in Gorna Džumaja, a border city located in Pirin Macedonia, at the dawn of socialism. In a region that was at the center of Bulgarian, Macedonian, and Greek national conflict, thus rendering its future unpredictable, the establishment of socialism between 1944-1948 coincided with intense social and national engineering. Developments in the domains of cinema and theater offer a heuristic lens through which to view these processes, notably because of the educational and political role they were attributed. Exploring changes in the cultural environment, designated toponyms, and everyday life of cultural institutions offers new insight into the complex interplay between the pre-socialist and socialist periods. It also provides an oblique view of how the socialist city was fashioned through theatrical tours and ambulant cinema. Socialism thus emerges, beyond sovietization, as a product of transnational circulation.
- Mémoire familiale et archives privées du XXe siècle soviétique - Igor Narsky, Larissa Zakharova, Grégory Dufaud p. 429-460 L'article est consacré à deux ensembles d'archives privées familiales et aux mémoires qu'elles contiennent. Les auteurs de ces mémoires parsemaient leurs textes d'objets provenant de leurs archives privées. Quel but poursuivaient-ils en insérant dans leurs textes des photos, des fragments de lettres, des documents officiels et privés ? Cette pratique permet-elle d'éclairer les mécanismes de construction et de préservation de l'identité familiale et les spécificités de la communication familiale en Union soviétique, difficilement accessibles par le biais d'autres sources ?Family Memory and Private Archives in the Twenth-Century USSR This article examines two sets of private family archives and the diaries they contain. The authors included items from their own archives throughout their texts. What was their goal in inserting photographs, fragments of letters, official documents, and private papers into these texts ? Can this practice shed light on the mechanisms of construction and preservation of family identity as well as on communication within families in the Soviet Union, a perspective that has otherwise remained inaccessible using other sources ?
- La culture habitée aux frontières du socialisme (Gorna Džumaja, 1944-1948) - Antonela Capelle-Pog?cean, Nadège Ragaru p. 391-427
Inégalités et justice
- Accéder aux outils de communication en Union soviétique sous Staline - Larissa Zakharova p. 463-497 Cet article vise à interroger le statut et la place des outils de communication interpersonnels, à savoir la poste, le télégraphe et le téléphone, dans la société soviétique sous Staline. Les outils de communication hiérarchisent le territoire et la société soviétiques : le téléphone est confiné essentiellement aux grandes villes, tandis que la poste peine à atteindre les campagnes. Lors de sa mise en œuvre, le projet soviétique d'une société qui communique se révèle profondément inégalitaire, centré essentiellement sur les villes et sur les élites. Le schéma radial des réseaux favorise les communications entre la capitale et les provinces, tandis que la proximité géographique des régions ne facilite pas la communication entre leurs habitants. La construction des réseaux de sociabilité à distance se trouve tributaire des dimensions territoriales du pays, de la disponibilité inégale des outils de communication, de leur faible développement technologique et des dysfonctionnements bureaucratiques.Accessing Tools of Communication Under Stalin. This article examines the status and the place of such means of interpersonal communication asmail, thetelegraph, and thetelephone in Soviet societyunder Stalin. Accessto tools of communication created a certain hierarchy in the Soviet Union : the telephone was only accessible in large cities, whereas postal services remained limited across the countryside. As it was being implemented, the Soviet project of a communicating society proved to be full of disparities, ultimately centered on the city-dwelling elite. While the radial scheme of communications networks favored contact between the capital and the provinces, the geographical proximity of the regions did not facilitate communications between their inhabitants. The construction of long-distance networks of sociability was affected by the territorial dimensions of the country, varying access to tools of communication, weak technological development, and bureaucratic malfunctioning.
- Morales de la consommation en Pologne (1918-1989) - Małgorzata Mazurek, Aurore Clavier p. 499-527 Cet article s'inscrit dans l'histoire de la mobilisation des consommateurs en faveur de régimes égalitaires de consommation. Il prend le cas de la Pologne au XXe siècle pour montrer comment les morales égalitaires de la consommation ont changé de sens. Il montre l'importance de la question de justice sociale dans les tentatives pour imposer un régime de redistribution et de régulation sociales contre un système orienté sur le profit, depuis l'entre-deux-guerres jusqu'à la chute du communisme. Pendant toute cette période, la notion de « profiteur », d'argent gagné de façon immorale en abusant de la détresse d'autrui, évolue considérablement. Pendant l'entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, les conflits autour de l'accès à la nourriture s'organisent sur une base ethnique. Après-guerre, l'idéal d'une Pologne communiste et ethniquement homogène reconfigure ces conflits autour d'une catégorie autant fondée sur la classe que l'ethnie : l'intermédiaire profiteur. Dans les années 1950 et 1960, on remarque que les discours contre les profiteurs prennent une dimension genrée, alors que la croisade contre le commerce privé cède la place aux confrontations quotidiennes entre consommateurs et vendeuses des magasins. Enfin, la crise du bloc soviétique à partir des années 1970 voit un retour à l'entraide familiale et informelle, qui s'avérera un puissant facteur de démantèlement de l'État-providence communiste.Moralities of Consumption in Postwar Poland Participating in the broader history of consumer mobilization for egalitarian regimes of consumption, this article unpacks the shifting meanings of egalitarian moralities of consumption in the specific case of Poland during the twentieth century. It reveals the important role of social justice in attempts to impose state-centered social welfare over profit-oriented self-welfare between the interwar period and the demise of communism. During this time, the meaning of profiteering changed significantly. While food conflicts during the interwar period and World War II were organized predominantly along ethnic lines, by the beginning of the postwar era, the notion of the profit-oriented middleman relied on the categories of class and ethnicity in order to support a vision of Poland as a communist, ethnically homogenized nation-state. In the 1950s and 1960s, anti-profiteering rhetoric became increasingly gendered, as the food conflicts moved from an ideological crusade against private trade to everyday confrontations between consumers and female shop assistants. When the Soviet Bloc experienced crisis in the 1970s and 1980s, self-welfare and family-centered resourcefulness resurfaced as legitimate norms of distributive justice, which contributed to dismantling the socialist welfare-state altogether.
- Accéder aux outils de communication en Union soviétique sous Staline - Larissa Zakharova p. 463-497
Comptes rendus
- Comptes rendus. Europe centrale et orientale - p. 531-579
- Comptes rendus. Communisme - p. 583-652