Contenu du sommaire : Iran : une nouvelle donne ?
Revue | Confluences Méditerranée |
---|---|
Numéro | no 88, hiver 2013-2014 |
Titre du numéro | Iran : une nouvelle donne ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Préface - François Nicoullaud p. 9-10
- L'Iran en 2014 : une Révolution normalisée ? - Clément Therme p. 11-18 « Qui dirige l'Iran ? » Cette question est posée de manière récurrente par les chercheurs en science politique qui analysent la République islamique d'Iran1. Selon la réponse apportée à la question, on évaluera les conséquences stratégiques de l'élection d'un président de la République islamique « modéré » de manière opposée.
- Politique étrangère de la République islamique : le rôle du président - Mohammad-Reza Djalili p. 19-34 En République islamique, le président de la république est plus chef de gouvernement que chef d'Etat. Toutes les structures de l'Etat fonctionnent sous la direction du Guide suprême dont le pouvoir a une prééminence sur tous les autres pouvoirs. En ce qui concerne la sécurité du régime ainsi que la politique étrangère, le Guide établit les lignes directrices de la politique. Cela étant, depuis la disparition de l'ayatollah Khomeyni, les présidents qui se sont succédés ont essayé de profiter de la marge de manœuvre limitée dont ils disposaient en matière de questions internationales afin de gérer la politique extérieure du pays selon leur tempérament et conformément aux circonstances du moment.
- La Révolution islamique de 1979 : mutation de l'opposition politique - Farhad Khosrokhavar p. 35-46 La Révolution islamique de 1979 a induit des transformations profondes dans la nature même de l'opposition au régime. L'écrasante majorité de l'opposition externe contre le régime du chah a été plus ou moins neutralisée par le retour des opposants en Iran dont les jeunes islamistes sont devenus les membres de la nouvelle élite politique et militaire. Pour ce qui est de l'opposition interne, c'est dans l'espace ouvert par la théocratie islamique qu'elle s'est constituée, au nom de la réforme interne au régime plutôt qu'en rupture avec elle. Cette « docilité » de l'opposition et l'incapacité de l'opposition externe à s'agréger ont assuré la longévité du régime théocratique, les « réformistes » se comportant avec une large docilité à l'égard du pouvoir, même lorsqu'ils l'ont contesté dans ses excès.
- La présidentielle iranienne de juin 2013 : enjeux et décryptages - Marie Ladier-Fouladi p. 47-62 L'élection surprenante de Hassan Rohani, dès le premiertour de la présidentielle de juin 2013, a satisfait tout le monde, à tel point que les forces politiques internes tout comme les pays occidentaux ont reconnu implicitement et unanimement la régularité du suffrage. Mais faut-il croire que cette élection, contrairement aux précédentes, a été régulière et que ni le Conseil des gardiens ni le ministère de l'Intérieur, ne sont pas intervenus dans le décompte des votes ? L'absence des statistiques appropriées, l'omission assez étrange des résultats des élections municipales, qui ont pourtant eu lieu le même jour, et qui se sont révélés à l'opposé de ceux de la présidentielle et enfin la configuration de la compétition – six candidats en lice -, qui semblait rendre logiquement nécessaire un second tour pour sceller le sort du scrutin, mènent à croire que les résultats de ce scrutin sont entachés de manœuvre frauduleuse. Pour autant que l'on puisse le savoir, des négociations auraient été engagées entre le Guide suprême et Hachemi Rafsandjani après le troisième débat télévisé et au cours de la seconde semaine d'une campagne électorale sans relief. Le Guide a dû faire des concessions pour soutenir finalement le candidat de Hachemi Rafsandjani et d'une partie des réformateurs, Hassan Rohani. Un choix qui, en l'état actuel des enjeux intérieurs et extérieurs, a surtout arrangé le Guide, lui permettant de regagner sa légitimité et celle du régime islamique auprès de l'opinion publique nationale et internationale.
- L'économie iranienne après l'élection de Hassan Rohani - Thierry Coville p. 63-73 Les sanctions internationales ont conduit à une situationde crise économique en Iran en 2012. Le commerce extérieur s'est adapté à travers une réorientation des échanges vers l'Asie et le Moyen-Orient. Néanmoins, l'accélération de l'inflation à près de 50 % et la montée du chômage qui serait supérieur à 20 % ont aggravé les tensions sociales. L'amorce d'un règlement de la crise du nucléaire a déjà permis d'enregistrer une réappréciation de la monnaie nationale, ce qui a permis une légère décélération de l'inflation. A plus long terme, l'objectif des autorités est de mener une politique « classique » de libéralisation de l'économie.
- L'ayatollah Mesbah Yazdi et le Front de la persistance, ou le radicalisme en République islamique - Thomas Fourquet p. 75-89 L'élection de Hassan Rohani et les premiers mois de saprésidence ont été marqué par un consensus relatif qui tranche avec les deux mandats précédents, marqués par des scissions successives. Est-ce le nouveau cours de la politique iranienne, voire une évolution du régime vers une plus grande modération ? Quoi qu'il en soit, la tendance radicale regroupée autour de l'ayatollah Mohammad-Taqi Mesbah Yazdi se trouve marginalisée après l'échec de son candidat, Said Jalili. Il nous a cependant paru utile de revenir sur l'histoire d'un courant dont l'intransigeance, voire la violence, rappellent les premières années de la Révolution. Philosophe ayant fait une entrée fracassante en politique à la fin des années 90, directeur d'un institut d'enseignement très richement doté, l'institut Emam Khomeini, et d'un séminaire qui a formé de nombreux cadres des services de renseignement, Mesbah reste néanmoins une figure isolée, qui suscite la méfiance jusque dans son propre camp. La raison en est qu'en défendant une version radicalement anti-démocratique de la velayate faqih, il met la République islamique face à ses propres contradictions.
- Etats-Unis-Iran : du Grand Satan au Grand Bargain - Denis Bauchard p. 91-112 Les relations entre l'Iran et les Etats-Unis, si elles remontenthistoriquement à 1856, ne sont devenues véritablement actives qu'en 1943. Si les rapports avec le Shah sont bons, le renversement de Mossadegh en 1953 organisé par la CIA ternit leur image. La mise en place en 1979 de la République islamique s'organise sur fond de forte hostilité, les Etats-Unis étant qualifiés par l'ayatollah Khomeiny de Grand Satan. L'assaut donné à l'ambassade américaine à Téhéran par des « étudiants » et la détention en otages de 52 diplomates pendant 444 jours sont vécus comme une humiliation par l'opinion publique américaine. Les conditions d'installation au pouvoir, comme la volonté d'exporter la révolution et se mettre à la tête du « Front du refus », conduisent les Etats-Unis à développer une politique mêlant containment et sanctions, non sans parfois certaines incohérences. Le développement, à partir de 2005, d'un programme nucléaire suspecté d'avoir une finalité militaire renforce les Etats-Unis dans leur volonté de durcir leur position. Cependant quelques occasions de réconciliation sont manquées. L'élection de Rohani apporte une nouvelle donne et une opportunité pour régler les contentieux en cours, notamment le nucléaire. L'accord intérimaire du 24 novembre 2013 confirme cette évolution, même s'il ne règle aucun problème de fond. Mais une dynamique est créée. S'achemine-t-on vers une normalisation des relations, voire un Grand bargain ? Il existe certes une volonté politique aussi bien du côté d'Obama que de Rohani. Mais des obstacles demeurent : la défiance reste grande entre les deux pays ; la marge de manœuvre est étroite en termes de politique intérieure ; la négociation nucléaire qui s'ouvre est complexe et majeure en termes d'enjeu pour les deux parties ; de nombreux points de crispation existent, notamment l'appui donné par l'Iran au Hezbollah. En toute hypothèse un Grand bargain ne peut être que le fruit de négociations longues et laborieuses qui peut déboucher sur un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient.
- La nouvelle « guerre froide » entre l'Iran et l'Arabie saoudite au Moyen-Orient - Clément Therme p. 113-125 Cet article vise à déconstruire les lectures des enjeux géopolitiques au Moyen-Orient se concentrant exclusivement sur le facteur sectaire. Aussi, la notion de « croissant chiite », apparue au lendemain de la guerre américaine contre l'Irak, en 2003, ne peut être un outil conceptuel pour les chercheurs en sciences sociales travaillant sur l'histoire contemporaine du Moyen-Orient. En effet, les relations entre l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban ne se limitent pas à des considérations religieuses. L'invention de la notion de « croissant chiite » n'empêche pas la réalité de la montée des tensions sectaires dans les sociétés arabes. Il s'agit de distinguer ici la poussée « par le bas » des tensions sectaires des enjeux liés à la rivalité géopolitique entre l'Iran et l'Arabie Saoudite pour le rôle de première puissance régionale. En ce sens, l'arrivée au pouvoir d'un président « modéré » en Iran augure d'un rééquilibrage de la diplomatie iranienne vers un dialogue approfondi avec les pétromonarchies de la péninsule arabique, en particulier avec le sultanat d'Oman et Dubaï.
- (Re)formulations des hétéronationalismes en Iran - Lucia Direnberger p. 127-139 Cet article propose une historicisation des articulationsdes catégories « Nation » et « homosociabilité » et « homosexualité » en Iran. Cette mise en perspective révèle que l'ordre sexuel qui émerge des idéologies nationales est à la fois travaillé par la domination et l'influence des puissances européennes et nord-américaines mais aussi par leur utilisation « nationale » pour réaffirmer un ordre hétéropatriarcal présenté comme « moderne » ou comme « authentique ». C'est à travers une analyse historique de ces normes nationales que sont mis en lumière l'émergence de la question LGBT dans la diaspora iranienne et la position des ultra-conservateurs sur les relations entre personne du même sexe.
- La République islamique, sur la voie du compromis ? - Ahmad Salamatian, Thomas Fourquet, Clément Therme p. 141-152
Variations
- Tamarrod (« rébellion ») : une autre lecture de l'action politique dans le processus révolutionnaire égyptien - Caroline Barbary, Maria Adib Doss p. 155-169 Après le coup d'Etat du 3 juillet 2013 qui a destitué le premier président égyptien élu dans le cadre d'élections pluralistes et la répression contre les Frères Musulmans, une partie des analystes a eu tendance à considérer que toute la mobilisation de Tamarrod avait été organisée et téléguidée par l'armée et les anciennes élites de Moubarak. En réalité la mobilisation de Tamarrod n'a attiré ces derniers acteurs, l'opposition politique traditionnelle et une partie du secteur privé que lorsque la récolte des signatures initiée par cette mobilisation a montré des signes de sa réussite. L'objectif du présent article est d'analyser ce dernier phénomène qui interroge les modalités de la politisation de la jeunesse égyptienne avant et après la révolution du 25 janvier, par-delà la question de l'instrumentalisation politique de Tamarrod.
- Mémoire de la guerre civile espagnole : reconquête d'une mémoire amputée par la moitié - Jean-François Daguzan p. 171-184 La guerre civile est un épisode déterminant de l'histoire contemporaine de l'Espagne. Depuis la fin de la dictature, cet épisode s'est plus ou moins invité au cœur de la mémoire collective selon les contextes politiques. Niée dans les années de dictature, très refroidie dans les années de transition démocratique, elle s'est réchauffée depuis le début le milieu des années 1990. C'est sur cette rupture et sur ses causes que cet article revient. Mêlant expérience personnelle et analyse distanciée, l'auteur revient sur un phénomène à la fois singulier dans son expression et assez universel dans ses mécanismes.
- Laïcité et Islam : un terrain miné ? - Robert Bistolfi p. 185-196 Pilier de l'ordre républicain, la laïcité est née d'un compromis constructif entre l'Etat et l'Eglise catholique. Ses principes universalistes la rendaient apte à un accueil ouvert des musulmans, nouvelle composante, très diverse, de la population française. Pour l'essentiel, le dispositif laïque a répondu aux attentes, mais en pratique des conflits ont surgi dans le contexte d'une profonde crise sociale qui a durci les replis identitaires. Emanant d'une « communauté » désormais plus assurée de ses droits citoyens, des demandes multiples touchant à la pratique de leur foi ont été formulées par des musulmans à la visibilité pleinement assumée. Des arrangements consensuels ont souvent permis d'y répondre. Avec une laïcité inclusive d'un côté, et une laïcité normative de l'autre, deux sensibilités laïques se sont toutefois affirmées, et parfois opposées. Au-delà, prenant appui sur les phantasmes concernant un islam conquérant, certains ont approché la laïcité comme une idéologie restrictive des libertés religieuses. Face à ces données, l'on est conduit à s'interroger sur la « bande médiane » des perceptions et des comportements où se joue concrètement l'avenir de la cohésion sociétale. Cette cohésion dépendra certes, fondamentalement, de l'issue de la crise d'ensemble qui sape les fondements du modèle social ; mais les questions proprement identitaires devraient sans attendre être mieux affrontées car, s'agissant de la relation à l'islam, elles se posent avec une acuité lourde de dérives. La frontière entre espaces publics et espace privé, le champ exact de la neutralité laïque, la nature des flexibilités qu'en pratique elle pourrait tolérer... : autant de domaines et de zones « grises » où croissent les tensions. Face à cela, devrait s'imposer la « morale de la retenue » que réclamait Claude Lévi-Strauss pour approcher l'autre : elle devrait permettre de mieux articuler « accommodements raisonnables » (de la société dans son ensemble) et « acculturations raisonnables » (dans la mouvance musulmane).
- Tamarrod (« rébellion ») : une autre lecture de l'action politique dans le processus révolutionnaire égyptien - Caroline Barbary, Maria Adib Doss p. 155-169
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 197-199