Contenu du sommaire : D'une illégimité à l'autre. Dans la Chine rurale contemporaine
Revue | Etudes rurales |
---|---|
Numéro | no 179, 2007 |
Titre du numéro | D'une illégimité à l'autre. Dans la Chine rurale contemporaine |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Isabelle Thireau, Hua Linshan p. 9
- On a slippery roof : Chinese farmers and the complex agenda of land reform - Gao Wangling, Liu Yang p. 19-34 La réforme agraire est souvent présentée comme le point de départ de la révolution rurale du parti communiste chinois. Une enquête menée dans un village de la province du Heilongjiang permet d'illustrer comment le parti communiste chinois s'est implanté dans les zones rurales, y renversant les anciens responsables locaux et y reconfigurant les instances du pouvoir. Les auteurs donnent la parole aux véritables victimes de ce mouvement, à savoir les propriétaires fonciers, les paysans riches et les paysans moyens riches. Ils montrent que la réforme agraire a profondément affecté les principes normatifs liés aux notions de propriété et de production. Les phénomènes observés ont ouvert la voie aux étapes ultérieures de collectivisation et de formation des communes populaires, signalant que la réforme agraire ne peut être uniquement comprise comme un mouvement visant à renverser un « système féodal » dans le cadre de la « nouvelle démocratie ».
- La parole comme arme de mobilisation politique - Isabelle Thireau, Chang Shu p. 35-58 On se propose ici d'étudier l'une des multiples campagnes politiques qui se sont succédé depuis la réforme agraire, à savoir la campagne en faveur du « système d'achat et de ravitaillement unifié » (tonggou tongxiao), qui établit le monopole de l'État sur l'acquisition et la distribution des produits agricoles, et qui date de la fin de l'année 1953. Après un bref retour sur les « récits d'amertume », précédent majeur dans l'usage de la parole accusatrice, les auteurs présentent les principaux traits de l'économie de la terreur qui se met alors en place pour que les foyers paysans adoptent les comportements requis. Cette terreur ne repose pas seulement sur le recours au principe de la lutte des classes et à la violence langagière. Elle renvoie également au rôle majeur que jouent les activistes locaux en se livrant, avec les paysans ordinaires, à des simulacres d'échanges dont les termes sont déterminés à l'avance. Ces activistes mobilisent des jugements de valeur exclusifs, permettant seuls de fonder le sens et la recevabilité des actions accomplies.
- Comment les « spoutniks » sont montés au cielles rendements record du grand bond en avant - Lu Huilin p. 59-78 À travers l'étude du lancement de « spoutniks » agricoles qui visent à obtenir des rendements record durant le grand bond en avant de 1958, l'auteur s'intéresse au rôle que les cadres ruraux de base ont joué dans ce mouvement de compétition nationale. Soumis aux pressions administratives, qui, de haut en bas, s'exercent à tous les échelons de la hiérarchie, ces cadres ont été entraînés dans une spirale de surenchère qui les a conduits à imposer aux foyers paysans d'atteindre des objectifs toujours plus irréalistes. Face à cette démesure, les protagonistes concernés n'ont pu faire autrement que de tricher. Les paysans ont été incapables de s'opposer à ces cadres villageois auxquels, pourtant, ils n'accordaient que peu de considération en raison de l'incompétence dont ils faisaient preuve.
- « Prendre » pour survivre durant la grande famine de 1958-1961 - Liu Xiaojing p. 79-94 À partir d'une enquête menée dans le district de Xiangzhong (province du Hunan), cet article décrit les vols généralisés auxquels se sont livrés les paysans pendant les trois années de la « grande famine » (1958-1961). L'auteur présente ces pratiques comme s'apparentant à une forme d'art. Il montre comment, en dépit de la répression, ces appropriations, illégitimes mais vitales, sont devenues moralement acceptables, au nom du principe fondamental selon lequel nul n'a le droit de menacer la vie, et donc la survie, d'autrui.
- Des corps qui parlent : « Travailler beaucoup, travailler dur » à Dazhai - Chang Shu, Hua Linshan p. 95 Cet article présente les grands traits d'une expérience menée dans le village de Dazhai (province du Shanxi), dont l'objet est d'inciter la population à travailler sans compter, en l'occurrence à la construction de murets destinés au développement de rizières en terrasses. Le succès de cette expérience donne lieu, à partir de 1964, à une campagne nationale intitulée « Imiter Dazhai », laquelle ne prendra fin qu'en 1979, après la mort de Mao Zedong. Les auteurs montrent que, pour mobiliser les paysans, les cadres locaux ont eu recours au principe de la lutte des classes, qui s'exprime ici à travers les « séances de grande critique » et les « séances d'études politiques ». Ces dirigeants ont, en outre, procédé à une réduction drastique du répertoire linguistique disponible pour interpréter et juger les situations, réduction qui limite par ailleurs les voies d'action possibles des paysans. La réalité sociale ainsi imposée est néanmoins mise à l'épreuve et démentie par l'épuisement physique de ceux qui sont appelés à « travailler beaucoup, travailler dur ».
- La crise agraire en chine : Données et réflexions - He Bochuan p. 117-132 La crise agraire à laquelle est confrontée la Chine aujourd'hui est sans précédent : 5 % de la surface des terres arables ont disparu depuis 1990. Après avoir exposé brièvement les grandes étapes de l'évolution de la propriété agraire depuis 1950, l'auteur présente les grandes lignes des différentes vagues de réquisition et de clôture des terres qui ont eu lieu depuis le début des années 1990 ainsi que leurs principales conséquences. Il passe en revue les protagonistes auxquels profitent ces réquisitions et se demande pourquoi, alors que cette crise a été qualifiée de « choquante », le gouvernement central reste impuissant à l'enrayer.
- Comment les gouvernements locaux s'enrichissent - Zhou Feizhou p. 133-154 À travers une analyse des réquisitions foncières et de leurs liens avec les finances et le fonctionnement des gouvernements locaux, cet article explore les modes d'action de ces derniers dans l'exploitation et les transactions des ressources foncières. Les finances qui proviennent des réquisitions et du développement des terres concernées constituent en effet l'une des principales sources d'accumulation de capitaux pour les gouvernements locaux. Mais les « clôtures de terres » qui en résultent sont autant de « clôtures de capitaux ». Ces actions s'accompagnent de risques financiers et sociaux importants en raison du faible taux d'indemnisation des paysans ainsi privés de leurs terres. Elles résultent en partie des directives centralisatrices du gouvernement chinois. Non seulement les tentatives du gouvernement central pour contrôler les finances locales se sont révélées impuissantes, mais elles ont, en outre, suscité la recherche, par les gouvernements locaux, de ressources extrabudgétaires.
- Les « visites » collectives des paysans auprès des autorités supérieures - Ying Xing p. 155-168 À travers l'étude du cas des sinistrés du barrage hydro-électrique de Dahe (province du Sichuan), cet article présente le dispositif des « lettres et visites » mis en place par le parti communiste chinois en 1951, dispositif par lequel les citoyens ordinaires peuvent s'adresser aux différentes autorités de l'administration pour faire valoir leurs droits bafoués. Pour faire inscrire la résolution de leurs problèmes sur l'agenda des fonctionnaires locaux, les paysans doivent user de stratégies diverses face à des instances supérieures enclines à utiliser des moyens dilatoires. L'auteur expose les procédés mis en oeuvre par les deux parties en présence pour, les unes, obtenir des indemnités compensatoires et, les autres, contenir la contestation et maintenir l'ordre social. L'analyse développée ici fait apparaître l'émergence d'un nouveau « gouvernement à deux voies » permettant aux faibles de faire entendre leur voix dans le cadre de l'organisation spécifique de la société chinoise.
- Tactical escalation in rural china - Kevin J. O'Brien, Li Lianjiang p. 169-192 « Escalade tactique » dans la Chine rurale L'archétype de la résistance légitime, c'est le dépôt d'une requête collective auprès de l'administration. Mais que se passe-t-il si la requête est ignorée ? Certains protestataires de longue date, face au peu d'alternatives qui s'offrent à eux, et trop fiers pour renoncer, adoptent des formes plus directes d'opposition : porter à la connaissance de tous les termes des mesures politiques, exiger des débats, affronter face à face les responsables locaux. Ces actions directes représentent une rupture par rapport aux formes de résistance légitimes qui passent par la médiation, dans la mesure où ceux qui mènent les protestations, loin de se contenter de rapporter les violations commises, essayent d'y mettre un terme en en appelant aux communautés locales autant qu'aux autorités supérieures. Cette « escalade tactique » résulte d'une transformation des opportunités et nous rappelle que le fait de considérer que les opportunités sont plus ou moins nombreuses dépend en réalité des tactiques adoptées.
- La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises - Wang Hansheng, Shen Jing p. 193-212 En se plaçant dans une perspective sociologique, les auteurs s'intéressent au processus de formation des droits de propriété collectifs dans une communauté rurale de la province du Sichuan. À partir d'une affaire de récupération de ferraille sur des terres ayant appartenu à une équipe de production et ayant été réquisitionnées en vue de la construction d'une ligne de chemin de fer, les auteurs montrent que le processus d'appropriation dont il est question ici donne lieu à des accords successifs entre les différents protagonistes, qui prennent appui sur une multiplicité de principes jugés valides. Ces observations nuancent la théorie de certains économistes selon laquelle, une fois établis, les droits de propriété auraient un caractère stable.
- Village elections in china: recent prospects, new challenges - Jude Howell p. 213-234 L'introduction progressive d'élections villageoises en Chine a retenu toute l'attention des politiques, chercheurs et autres analystes, en Chine comme à l'étranger. Or ce processus a conduit à une diminution de la représentation des femmes au sein des comités villageois. Après avoir décrit le déroulement des élections villageoises, l'auteur évoque les controverses qu'a fait naître l'idée de compétition, les problèmes qui en ont résulté et la manière dont ces élections ont été traitées dans la littérature. Puis elle s'intéresse à la répartition hommes/femmes dans les comités villageois tout en resituant cette question dans le contexte plus général de la participation des femmes à la vie politique chinoise. Sont ensuite examinés les principaux facteurs qui expliquent la faible représentation des femmes dans ces comités élus, et ce à partir d'enquêtes menées dans les provinces du Hunan et du Shandong. Pour finir, sont explorées quelques-unes des mesures qui, à l'avenir, pourraient permettre d'accroître cette représentation.