Contenu du sommaire : La sociologie rurale en questions
Revue | Etudes rurales |
---|---|
Numéro | no 183, 2009 |
Titre du numéro | La sociologie rurale en questions |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Retour sur la sociologie rurale : Introduction - Pierre Alphandéry, Jean-Paul Billaud p. 9
- L'émergence de la sociologie rurale en France (1945-1967) - Pierre Alphandéry, Yannick Sencébé p. 23-40 Ce « retour aux origines » éclaire les conditions d'émergence des principales notions qui ont contribué à la formation de la sociologie rurale en France. Il s'inscrit dans le contexte de la modernisation des campagnes à laquelle la sociologie a été confrontée et qui a orienté ses choix théoriques et méthodologiques. Nous traiterons ici de la période 1945-1967, qui va de la reconstruction d'après-guerre à la publication de La fin des paysans d'Henri Mendras, ouvrage qui marque un aboutissement dans la constitution du corpus de la sociologie rurale. Ce corpus associe en effet une analyse de l'existence et des spécificités d'un monde rural distinct de la « société englobante » et une analyse du changement social dans les campagnes. Nous distinguerons deux phases successives. La première correspond à l'émergence de ce champ disciplinaire né du volontarisme modernisateur d'après-guerre et de logiques académiques encore largement inscrites dans la division ville/campagne chère aux agrariens et à la IIIe République. La seconde phase voit la sociologie rurale, gagnée par les approches culturalistes, élargir ses perspectives en s'investissant, aux côtés de l'ethnologie et de la géographie, dans le travail d'inventaire des sociétés rurales, avec pour objectif d'en construire une typologie.
- Robert redfield et l'invention des « sociétés paysannes » - Christian Deverre p. 41-50 Souvent présenté comme le premier théoricien des « sociétés paysannes », Robert Redfield a été un chercheur de terrain dynamique avant d'élaborer une modélisation évolutionniste du passage inéluctable de la folk society à la société urbaine. Dans ce cadre, les sociétés paysannes ne représentent qu'une phase de transition, une part society entre deux modèles de sociétés globales. Cette théorie, mise en pratique un certain temps par l'indigénisme mexicain, et dont l'influence sur la sociologie rurale naissante est incontestable, a été l'objet de nombreuses critiques portant notamment sur le fait que la domination de la paysannerie par les groupes urbains a été sous-estimée. Cependant, ces critiques ne tiennent pas compte du contexte dans lequel évoluait l'auteur, qui voyait dans la désintégration de la paysannerie l'avènement de civilisations porteuses d'émancipation et d'égalité.
- Filiations intellectuelles et espérance sociale : Figure et oeuvre de Placide Rambaud - Rose Marie Lagrave p. 51-66 Cet article procède à une relecture de l'oeuvre de Placide Rambaud à la lumière des aspects paradoxaux de sa trajectoire intellectuelle et sociale. Réinsérés dans le double mouvement d'autonomisation et de spécialisation thématique de la sociologie, les travaux de ce chercheur ont participé de façon singulière à la genèse de la sociologie rurale. Cette originalité est moins à chercher dans le contraste qu'offre l'oeuvre de Placide Rambaud avec celle d'Henri Mendras que dans des réaffiliations sociologiques s'inspirant tout autant de Frédéric Le Play que des courants du catholicisme social, sans jamais toutefois renoncer à l'approche durkheimienne. Au nom de la justice sociale qu'il appelait de ses voeux, Placide Rambaud a donné aux entrepreneurs agricoles une fonction centrale dans l'accès à la parité sociale, dans l'invention de solidarités et dans la construction de la Communauté européenne.
- Un temps fort de la sociologie rurale française - Marcel Jollivet p. 67-82 En 1962, sous la direction d'Henri Mendras, le Groupe de sociologie rurale lance un grand programme de recherche intitulé « Inventaire et typologie des sociétés rurales françaises ». Ce programme donne lieu à un débat opposant deux démarches sociologiques, l'une d'inspiration fonctionnaliste, l'autre d'inspiration marxiste. La restitution de ce débat donne à l'auteur l'occasion de revenir sur un épisode majeur de l'histoire de la sociologie rurale française, qui invite à réfléchir plus généralement sur les fondements de la démarche sociologique. Une réflexion dont on peut penser qu'elle est plus opportune que jamais.
- Sociabilités rurales : Les agriculteurs et les autres - Jacqueline Candau, Jacques Rémy p. 83 Comment les relations sociales de proximité entre les agriculteurs et les autres groupes sociaux sont-elles présentées dans les travaux sociologiques ? La lecture intéressée et comparée de textes publiés dans les années 1960-1970 et dans les années 2000 met en évidence une dimension structurelle propre à ces relations, dont l'enjeu a néanmoins changé : s'articulant hier autour de l'économie de marché et de spécificités culturelles, cet enjeu s'articule aujourd'hui autour du rapport mobile à l'espace et de la légitimité des savoirs. Cette lecture montre que les relations de proximité ne se restreignent pas à cette dimension structurelle. Elle montre aussi que les outils analytiques ne sont plus les mêmes : pour s'adapter à ce nouvel enjeu, la notion de « collectivité locale » a été écartée au bénéfice des notions de « réseau », « lieu », « territoire » et « territorialité », qui permettent d'interroger le rôle labile de l'espace dans la composition des relations sociales.
- Le basculement du regard : La question de « l'entrepreneur rural » - Pierre Muller p. 101-112 L'expérience, en Isère, du Comité d'études et de propositions (CEP) travaillant sur le rural a permis de mettre en évidence le basculement du regard qui s'est opéré dans la sociologie rurale française au cours des années 1980. Constitué dans le cadre de l'association « Peuple et Culture », ce comité associait agriculteurs de montagne, animateurs et chercheurs en sciences sociales dans une démarche de « recherche-action ». Il a permis de faire progresser les débats sur l'identité professionnelle des paysans menacés par l'intensification et la spécialisation des exploitations agricoles en même temps qu'il faisait progresser la réflexion sur le rôle des chercheurs vis-à-vis de l'action. Avec le recul, ce basculement du regard semble pourtant inachevé dans la mesure où l'expérience n'a pas véritablement débouché sur la définition d'un nouveau référentiel professionnel.
- La sociologie rurale et la question territoriale : de l'évitement à la réhabilitation - Jean-Paul Billaud p. 113-128 During the formation of rural sociology, it was important to examine the concepts for staking out this new disciplinary field. Among them, the concept of "territory" was "repressed" because it referred to a paradigm of rural life too close to the idea of a "community" with its implications of a homology between a social group and a spatial unit. This review of a seminar devoted to "space" in the late 1970s shows how the reluctance to use this concept by researchers who, laying a claim to Marxism, were critical of the Mendrasian approach amounted to a rejection of it, the "territory" being synonymous with a closed "rural object". Nonetheless, the concept of "space" enabled these same social scientists to raise the question of nature, while starting a new research program on questions related to the environment. Confronted with this new approach, rural sociology has rehabilitated the concept of "territory", but of a territory with groups of action and no longer tainted by the idea of a "social totality".
- La conservation de la biodiversité : Vers la constitution de nouveaux territoires ? - Agnès Fortier p. 129-142 Le développement des politiques de conservation de la biodiversité assigne aux espaces ruraux et urbains une fonction de préservation des ressources naturelles qui conduit à un redécoupage du territoire. Pour autant, cette requalification de l'espace en fonction de ses qualités naturelles contribue-t-elle à faire émerger de « nouveaux territoires », au sens où s'élabore un autre mode du « vivre ensemble » qui met en jeu l'interdépendance des acteurs et des objets naturels ? L'examen de deux actions publiques, la directive européenne Habitats et la Trame verte et bleue en région Nord-Pas-de-Calais, révèle des formes d'engagement très inégales parmi les différents acteurs. Toutefois, cette gestion durable des ressources naturelles, fondée sur des dispositifs participatifs locaux, redonne une certaine consistance à la question du « territoire », tout en se démarquant des conceptions mises en avant par les sociologues ruraux dans l'analyse des sociétés paysannes ou des collectivités rurales.
- Globalisations et écologisations des campagnes - Marc Mormont p. 143-160 Les transformations des campagnes sont lues ici en termes de territorialité dans un processus historique de globalisation. La globalisation insère toujours plus les espaces ruraux dans des flux à grande échelle (déterritorialisation) mais implique aussi une recomposition des espaces locaux (reterritorialisation). L'écologisation, préoccupation centrale de la sociologie rurale contemporaine, n'est pas un mouvement inverse à celui de la globalisation, mais un mouvement réflexif qui l'accompagne. Trois composantes ? les flux, les connaissances et les représentations ? interfèrent dans la constitution des campagnes modernes. L'auteur distingue schématiquement trois phases historiques. Une phase de modernisation de l'agriculture, qui rationalise une campagne du « produire ». Une phase de première écologisation, qui recompose les campagnes autour de « l'habiter » et des conflits d'usage. Une phase d'émergence de terrritoires multiscalaires liée à la généralisation des enjeux écologiques et au développement de nouveaux concepts.
- La construction du caractère « diffus » des pollutions agricoles - Magalie Bourblanc, Hélène Brives p. 161-176 Cet article traite des pollutions agricoles que génèrent, en Bretagne, les exploitations d'élevage intensif, pollutions qui affectent les ressources en eau. Celles-ci sont désignées par un terme savant : « pollutions diffuses ». Laissant de côté la constitution originelle, d'un point de vue scientifique, de ces phénomènes, les auteures s'intéressent à la prise en compte et au traitement de ces pollutions dans la sphère sociopolitique. Elles mettent en lumière les différentes stratégies qu'autorise le jeu sur le caractère « diffus » des pollutions agricoles. L'examen du processus d'action publique montre comment « la Profession » s'emploie à entretenir le flou qui entoure cette question pour retarder l'inscription du problème sur l'agenda public, comment elle se sert de la difficulté qu'il y a à trouver des indicateurs pour déterminer les responsabilités et comment elle fait, in fine, de ce caractère « diffus » une propriété indépassable. Ainsi l'action publique institue-t-elle au moins autant les pollutions d'origine agricole en pollutions « diffuses » qu'elle hérite de cette identité préétablie.
- Pour une sociologie des mondes agricoles dans la globalisation - François Purseigle, Bertrand Hervieu p. 177-200 Partant du constat paradoxal que la population agricole mondiale est à la fois croissante et minoritaire, les auteurs se proposent de reconsidérer le modèle mendrassien de « la fin des paysans » au regard des nouvelles réalités qui se font jour. Selon eux, ce modèle ne permet plus d'appréhender des bouleversements encore impensés il y a une vingtaine d'années par la sociologie rurale. Leur entreprise repose sur l'hypothèse que c'est moins l'exode qu'un congédiement sur place qui définit les formes actuelles prises par la disparition des paysanneries. Si les fondateurs de la sociologie rurale ont pu comprendre et accompagner « l'entrée en modernité » des paysans, un nouveau modèle adossé au précédent doit permettre d'interpréter les processus de disqualification et de congédiement, pour les uns, de requalification et d'intégration à la mondialisation, pour les autres. Ces nouveaux questionnements, tout comme l'observation de la recomposition des formes du travail en agriculture, serviront de cadre à une construction idéaltypique des formes sociales que revêt aujourd'hui la production agricole.
- De la paysannerie française aux peuples de la forêt amazonienne - Florence Pinton p. 201-220 Avec le développement durable, le Nord et le Sud se sont rejoints dans la réhabilitation du paysan pour son rôle dans le maintien de la biodiversité, pour ses relations avec le territoire et pour son inscription dans la longue durée. On peut néanmoins douter de l'efficacité du terme « paysan » pour rendre compte de la réalité rurale d'un pays comme le Brésil. Pour preuve, la figure du paysan n'y est guère mobilisée quand il s'agit de répondre à des questions d'environnement. C'est à d'autres catégories sociales que l'on s'adresse, telles les « populations traditionnelles ». L'auteure établit un parallèle entre les sociétés paysannes et les peuples exotiques et explique ce qui l'a incitée à emprunter à la sociologie rurale française ses méthodes pour les appliquer à des populations amazoniennes. Deux champs disciplinaires ont eu, selon elle, un rôle pionnier dans le renouvellement de la vision classique du changement social : l'anthropologie du développement et la sociologie rurale française, parce qu'elles avaient en commun un objet qui les a rapidement amenées à transgresser les clôtures disciplinaires dans le traitement de la question de la nature et de la question sociale.
- Comptes rendus - p. 221-232