Contenu du sommaire : Art et politique

La question de l'efficacité politique a été pensée selon deux paradigmes que je nomme respectivement paradigme de l'« édification » et paradigme de l'« émancipation ». Deux auteurs les représentent exemplairement : Platon et Schiller. En partant de l'étude des livres II et III de la République et des Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, on dégagera les traits principaux de ces deux paradigmes et on montrera les liens étroits que chacun d'eux entretient avec une certaine manière de concevoir l'éthique et avec une certaine manière de penser l'art.

Cette étude s'intéresse à deux reconstitutions : La Prise du palais d'Hiver de Nicolaï Evreinov (1920) et The Battle of Orgreave (2001) de Jeremy Deller. Il s'agit de confronter l'analyse de ces deux œuvres aux travaux sur la mémoire d'Élizabeth Loftus, chercheuse en psychologie cognitive. À la lueur des thèses de Loftus, le re-enactment apparaît comme une pratique politique qui distord ou transforme nos souvenirs profonds des événements historiques, et ainsi notre identité collective. Dans cette mesure, le transformation de notre vision du monde par l'art, réclamée par les avant-gardes, n'est plus un idéal mais un fait avéré qu'on peut mettre en lumière.

Cet article interroge le degré de politisation du champ de la critique photographique française de l'entre-deux-guerres, à une époque où les milieux photographiques sont à la conquête d'une légitimité institutionnelle et artistique. Il s'appuie sur les écrits de quatre critiques aux sensibilités politiques variées : Georges Besson, Louis Cheronnet, Waldemar-George et Raymond Lécuyer. Est-ce que leurs idées politiques transparaissent dans leur critique photographique et leur conception de ce medium autour de ce que l'on pourrait appeler une conscience politique de l'image ?

Après une rapide mise en contexte et un rappel des principales polémiques wagnériennes (antisémitisme, compromissions...), cet article présente les différentes stratégies des musicologues modernistes pour rendre Wagner de nouveau acceptable après la Seconde Guerre mondiale et lui restituer sa place dans l'histoire de la musique. Les travaux récents sur la réécriture mythologique de Wagner, les éclaircissements sur l'usage de sa musique par le régime nazi et la prise en compte du renouveau dans les mises en scène de ses opéras depuis 1951 permettent un portait nuancé de la place de ce compositeur dans l'histoire artistique.

Le rejet du champ du « plaisir rétinien » a relégué le plaisir et la beauté au rang de la décoration, non de la création. Une forme singulière et nouvelle brise les codes, elle doit donc déranger. Mais l'utilisation de ces codes en vue de procurer du plaisir est aujourd'hui, de la part de certains artistes, un acte délibéré. Ils s'engagent ainsi dans une stratégie de séduction, qui leur permet de s'adresser à un public plus large, moins averti, et au final d'élargir leur influence et leur champ d'action.

Le cinéma de Claude Chabrol est volontiers lu à la lumière du cliché « cinéaste de la bourgeoisie ». L'article entend montrer que Chabrol est aussi, sinon plus, un cinéaste du peuple, examiné selon trois perspectives qui sont autant de figures : 1) le vulgaire, qui est distingué du grossier, à travers l'étude des Bonnes Femmes et des Noces rouges ; 2) le prolétaire, dont le presque rien (la seule famille, proles) confine au néant ; 3) le citoyen, qui permet de penser l'articulation entre représentation politique et représentation cinématographique. Les deux dernières perspectives et figures sont toutes les deux présentées à travers l'étude du Cheval d'orgueil et de La Cérémonie.

Les formes artistiques (ici visuelles) conduisent des affects politiques seulement pris en charge par des motifs sensibles en valant, à décharge de tout discours, pour énonciation implicite. Dans le cinéma de Sergueï Paradjanov, quelques incidences végétales vont ainsi se révéler vectoriser une « esthétique de la communauté », dont nul concept ni nulle verbalisation ne viendra, dans le temps du film, fixer les puissances en mots. Le présent texte s'attache à la formulation, toujours au plus près des images pour n'en pas trop trahir la singularité, de cette esthétique à la fois botanique et politique.

Peppermint Candy (2000), considéré comme le meilleur film sur l'histoire contemporaine de la Corée du Sud, remonte le temps à partir de 1999 jusqu'à 1979, date de l'assassinat du président Park. Le spectateur assiste d'abord au suicide du personnage principal puis perçoit peu à peu la portée du soulèvement de Gwangju en mai 1980. Dans un film qui joue sur plusieurs modèles de temporalité, réalité politique tragique et force de rêver se disjoignent, symptôme de l'appréhension de l'histoire coréenne par toute une génération.

La notion de conservatisme, courante dans le discours politique, est-elle applicable à l'art ? Les catégories politiques ont envahi ce domaine depuis le xixe siècle. Pourtant, le terme « conservatisme » n'y a pas prospéré. D'une part, l'art a pour principe la nouveauté, ce qui rend problématique un discours explicitement conservateur. D'autre part le conservatisme en art n'exige subjectivement que si l'idéologie prescrit un devoir d'avant-gardisme. Ce qui n'obéit pas à cet impératif est alors exclu de l'histoire. S'il existe bien un art objectivement conservateur, il est difficile de le revendiquer. La dissymétrie observable entre discours politique et discours esthétique devient ainsi compréhensible.

Au tournant des xvie et xviie siècles, le zélantisme romain ne cesse d'exprimer son effroi en France devant la doctrine impie d'esprits généralement qualifiés de « politiques ». Au lendemain de la promulgation de l'édit de Nantes (1598), le terme est courant et désigne presque toujours des catholiques qui se signalent fâcheusement par leurs inclinations antitridentines, gallicanes ou encore philoprotestantes – et souvent les trois ensemble. Plus largement, le vocable est systématiquement affecté aux tenants d'une suprématie, occasionnelle ou non, du pouvoir civil dans les affaires ecclésiastiques du royaume. Le présent article essaie de rendre compte des motifs pour lesquels les théologiens catholiques favorables à la papauté ont été déconcertés par l'éclosion d'une sensibilité doctrinale qui ne correspondait pas à leurs catégories d'analyse habituelles.

Les termes des articles 4 à 6 de la Constitution de 1793, relatifs aux conditions de la citoyenneté, ont pu donner lieu à une interprétation très extensive, qui semble néanmoins quelque peu anachronique. Tant la lettre même du texte, que son contexte, rendent en effet difficilement acceptable cette conception et conduisent au contraire à réduire aux seuls titulaires du droit de suffrage la qualité de citoyen dans la Constitution montagnarde.