Contenu du sommaire : (Contre-)pouvoirs du numérique
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 79, automne 2014 |
Titre du numéro | (Contre-)pouvoirs du numérique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
(Contre-)pouvoirs du numérique
- Éditorial : Le « Mai 68 numérique » est-il (vraiment) devenu un « grille-pain fasciste » ? - Nicolas Auray, Simon Cottin-Marx, Noé Le Blanc, Samira Ouardi, Vincent Bourdeau p. 7-11
- Numérique et émancipation : De la politique du code au renouvellement des élites - Nicolas Auray, Samira Ouardi p. 13-27 Les liens entre mouvements militants du numérique libre et luttes politiques et sociales progressistes, travaillent le déploiement d'Internet depuis sa création. Mais ils se structurent à partir du moment où, à la fois le marché et l'État, décident de réguler et de centraliser le réseau pour assurer leur main mise politique et économique sur ce dernier.C'est ce qui se passe à la fin des années 1980 avec la généralisation massive des scripts anticopie puis celle de l'offensive capitaliste sur toutes les formes de créativité par l'intermédiaire de la législation sur le copyright. Ce mouvement prend ensuite de l'ampleur au début des années 2000 avec le déploiement d'un nouveau régime de surveillance étatique post-attentat du 11 septembre. Dès lors les mouvements militants nés sur le Net entrent dans un processus de politisation qui va les rapprocher de certaines luttes sociales et reconfigurer leurs idéologies autour d'un projet de renouvellement des élites, alors qu'elles étaient jusque-là organisées autour d'une « politique du code » (c'est-à-dire d'une croyance dans le potentiel émancipateur de l'informatique). Cet article propose un tour d'horizon historique de ces transformations.
- Numérisation et soulèvement : Une enquête en Tunisie - Jean-Marc Salmon p. 28-37 Les révolutions arabes ont entraîné des commentaires enthousiastes sur le rôle des réseaux sociaux de la part des médias occidentaux. Les Facebook et autres Twitter ont-ils été déterminants lors de ces révoltes ? Jean-Marc Salmon est allé enquêter1 dans la Tunisie de l'après Ben Ali. L'analyse qu'il livre du rôle des technologies numériques au cours du soulèvement souligne la capacité de la population à déjouer les appareils de contrôle mis en place par le régime en dépit de leur puissance et de leur réactivité notoires.
- La souveraineté technologique - Alex Haché p. 38-48 L'un des problèmes les plus graves posés par les technologies numériques telles qu'elles se développent depuis la fin des années 1980 est sans conteste la concentration des technologies les plus utilisées entre les mains de quelques entreprises – Google, Apple, Microsoft pour citer les plus grosses – lesquelles ne se contentent pas de drainer et d'organiser la majeure partie des usages mais se servent de leur hégémonie, qu'ils verrouillent soigneusement juridiquement et techniquement, pour emmagasiner informations et données sur les utilisateurs. Face à cette centralisation capitaliste, le développement de technologies libres pouvant garantir une souveraineté technologique (ST) aux populations est un enjeu de taille pour la démocratie numérique. Dans le présent article Alex Haché, revient sur les principes directeurs de la ST et propose un tour d'horizon théorique et pratique de quelques initiatives de développement de technologies libres pour mieux esquisser les limites et les défis qui se dressent aujourd'hui dans la lutte pour la souveraineté technologique.
- Hacklabs et hackerspaces : ateliers partagés de mécanique - p. 49-56 Hackerspaces, hacklabs, voire fablabs, qui n'a pas entendu parler ces derniers temps de ces espaces « hacker », vitrines tout à la fois d'une éthique numérique du partage et de formes expérimentales de l'invention technologique et de la transmission de savoirs en dehors des sentiers capitalistes et étatiques. Le présent texte propose quelques éléments de définition et d'histoire de ces espaces en Europe.
- Les hackerspaces comme politisation d'espaces de production technique. Une perspective critique et féministe - Anne Goldenberg p. 57-62 Espaces emblématiques d'une reconfiguration critique des rapports entre humains et technologies, les hackerspaces se popularisent et font l'objet d'une attention croissante. Cet article, issu d'une série d'études portant sur les technologies comme bien commun, suggère de regarder les hackerspaces comme des invitations à réinstaurer une convivialité technique. Anne Goldenrberg explore les formes de politisation engagées par les acteurs, et explique l'émergence de formes connexes (hacklab, makerspace, fablab). L'auteure s'interroge aussi sur les formes d'exclusion qui créent des frontières, genrées notamment, malgré les revendications d'ouverture.
- Fuites d'information liquide : Sur la stratégie politique de Julian Assange - Nathan Jurgenson, P.J. Rey, Nicolas Auray p. 63-73 L'expérience WikiLeaks est sans doute l'une des expériences hacker qui a fait le plus parler d'elle cette dernière décennie ; sa notoriété allant croissant lorsque Julian Assange, le visage du site, a été l'objet de diverses poursuites judiciaires émanant de plusieurs pays (États-Unis et Suède). Le présent article se penche sur la stratégie politique du site et de son représentant à la lumière des travaux sur le caractère « liquide » du monde contemporain proposés par le sociologue polonais, Zygmunt Bauman. WikiLeaks s'appuierait sur la « liquidité » du réel et en particulier de l'information, et donc à sa tendance naturelle à la circulation, pour obliger les États à dévoiler, dans un mouvement de « transparence involontaire » leur nature contrôlante et répressive. L'analyse est l'occasion pour les auteurs de rapporter le mouvement à une idéologie, le cyber-anarchisme, qu'il se propose de décrire dans ses principes pour mieux la différencier d'autres idéologies numériques telles que le cyber-libertarianisme et le cyber-collectivisme, proposant ainsi une lecture des divers projets d'économie politique qui parcourent le Net.
- Le data journalisme : entre retour du journalisme d'investigation et fétichisation de la donnée : Entretien avec Sylvain Lapoix - Samira Ouardi p. 74-80 Ancien collaborateur d'Owni, laboratoire de journalisme numérique sans but lucratif1, Sylvain Lapoix est l'un des journalistes français qui pratiquent le « data journalisme » ou journalisme de données2. C'est dans le cadre de cette nouvelle pratique qu'il a notamment couvert les luttes entourant l'émergence des gaz de schiste. Plus récemment, durant la campagne présidentielle française de 2012, il cofonde le « Véritomètre, » projet de factchecking des candidats à l'élection3. Pour comprendre les enjeux de ce qui est régulièrement présenté comme l'avenir du journalisme d'enquête, voire une véritable « révolution » pour le journalisme et une opportunité démocratique pour l'espace public, Mouvements a voulu en savoir plus, avec lui, sur ce qu'était véritablement le data journalisme, ses spécificités pratiques et politiques mais aussi mieux comprendre les liens entre data journalisme, data visualisation, factchecking voire aussi open data, toutes pratiques qui semblent faire de la « donnée » la pierre de Rosette d'un espace public critique.
- L'open data peut-il (encore) servir les citoyens ? - Samuel Goëta, Clément Mabi p. 81-91 L'interconnexion avec le réseau Internet d'un grand nombre de bases de données administratives a rendu possible, dès les années 1990, l'accès aux données publiques. Ces pratiques sont défendues par des « militants de la transparence ». Toutefois, le discours militant sur l'open data doit probablement sortir d'une ornière qui l'associe mécaniquement à l'idée d'empowerment. À quelles conditions ces pratiques d'ouverture peuvent-elles aboutir à une augmentation de la puissance d'agir collective des citoyens, voire à des transformations sociales ? L'article de Samuel Goëta et Clément Mabi tente de répondre à ces questions. Les auteurs analysent la manière dont se sont articulées, dans les dix dernières années, les nouvelles formes de transparence administrative arrachées par des militants avec l'essor d'un nouveau capitalisme industriel autour des Big Data. Ils analysent également la manière dont la « libération » des données publiques a entraîné une transformation des pratiques administratives. L'open data va de pair avec une modification des relations que les organisations publiques entretiennent avec les usagers.
- L'accélération de la finance : Entretien avec Alexandre Laumonier - Nicolas Auray, Vincent Bourdeau, Simon Cottin-Marx, Samira Ouardi p. 92-99 Depuis une dizaine d'années le monde de la finance fait face à une forte technologisation, le développement du numérique a entraîné une extraordinaire accélération des échanges boursiers. Les instances régulatrices sont dépassées, ce sont les algorithmes qui font la loi, qui structurent et manipulent les marchés financiers. Alexandre Laumonier, qui étudie les transactions à haute fréquence, répond aux questions de Mouvements. Il nous décrit un univers mal connu qui brasse des milliards et participe à la modernisation du réseau.
- Droit d'auteur et création dans l'environnement numérique : Des conditions d'émancipation à repenser d'urgence - Lionel Maurel p. 100-108 L'avènement d'Internet aurait dû permettre de mettre dans les mains du plus grand nombre des moyens de création et de publication sans précédent. Mais à cause des tensions autour du respect du droit d'auteur sur Internet, on constate au contraire un effritement graduel des droits culturels des individus, ainsi qu'une dégradation de la condition des auteurs. Pour exprimer le plein potentiel d'émancipation porté par le numérique, il importe de reconfigurer le droit d'auteur dans le sens d'un meilleur équilibre, ainsi que d'aborder de front les questions de financement de la création dans un contexte nouveau d'abondance des auteurs.
- Surveillance électronique et contrôle de la délinquance : Le cas de la surveillance électronique des prisonniers - Camille Allaria p. 109-114 La technologie numérique s'accompagne d'une reconfiguration de l'espace social, et notamment du champ judiciaire. Le bracelet électronique sera ainsi l'un des outils privilégiés de la nouvelle stratégie pénale définie par la réforme du 10 juin 2014 adoptée à l'initiative du ministère de Christiane Taubira. Cette réforme prévoit en effet de développer fortement les aménagements de peine via la création d'une nouvelle sanction baptisée « contrainte pénale », « peine en milieu ouvert qui vise à proposer aux magistrats une alternative à l'incarcération ». Camille Allaria, qui a conduit une enquête auprès de plusieurs porteurs de bracelet, nous propose d'éclaircir la nature de cet instrument bien particulier.
- Expansion des technologies de l'information et de la communication : vers l'abîme ? - Fabrice Flipo p. 115-121 Le discours dominant tend à faire des technologies de l'information et de la communication (TIC) une solution à la catastrophe écologique vers laquelle nous nous dirigeons. Mais le déferlement technologique a un impact matériel gigantesque et croissant. L'auteur propose de regarder les grandes tendances à l'œuvre, de mesurer la face cachée du numérique, et ouvre un espace critique que même les tenants de l'écologie ont, pour le moment, oublié d'investir.
Itinéraire
- L'aire du numérique : Entretien avec la Quadrature du Net ? Philippe Aigrain, Laurent Chemla et Benjamin Sonntag - Nicolas Auray, Simon Cottin-Marx, Samira Ouardi p. 122-137 À partir du parcours de trois hacktivistes de la Quadrature du Net, cet itinéraire offre un tour d'horizon des luttes actuelles autour du numérique. Des radios libres à Internet, une même histoire se dégage : elle est faite de partages, de liberté d'expression, de biens communs, mais aussi d'une multitude d'organisations, d'initiatives, de luttes. Alors que le Web est de plus en plus l'objet d'attaques de la part des États ou des entreprises privées, Mouvements propose un tour d'horizon de l'ère du numérique avec trois militants de la neutralité du Net.
- L'aire du numérique : Entretien avec la Quadrature du Net ? Philippe Aigrain, Laurent Chemla et Benjamin Sonntag - Nicolas Auray, Simon Cottin-Marx, Samira Ouardi p. 122-137
Thèmes et Livres
- Un (anti)racisme légitime dans les médias ? - Marion Dalibert p. 139-147 La création du Mouvement des Indigènes de la République (MIR) en 2005, suite à « l'appel des indigènes », a suscité des réactions contrastées dans les médias, les milieux politiques et intellectuels. Bien que dénonçant les discriminations et s'inscrivant dans le champ de la lutte antiraciste, le registre sémantique et politique des Indigènes de la République a réveillé des clivages internes à la sphère politico-intellectuelle, clivages qui étaient déjà apparus à l'occasion du débat autour de la loi sur le voile à l'école. Marion Dalibert revient sur les critiques énoncées à l'égard du MIR et nous conduit à nous interroger sur les conditions posées à la dénonciation légitime (pour le champ politico-intellectuel dominant) des discriminations ethnoraciales.
- La politisation de l'économie solidaire par Les Verts : Une rencontre des « autrement » - Vanessa Jérome p. 148-154 Convaincus que les initiatives d'économie solidaire participent au développement soutenable et à la cohésion sociale, Les Verts ont réussi, au début des années 2000, à monopoliser la représentation politique des acteurs de ce secteur. Si ce succès tient en partie à l'inconstance de l'intérêt du Parti socialiste pour cette économie, il repose surtout sur les homologies de (prises de) positions qui lient militants verts souhaitant faire de « la politique autrement » et acteurs de « l'autre économie ».
- À propos du livre Non au temps plein subi ! Plaidoyer pour un droit au temps libéré de Samuel Michalon, Baptiste Mylondo et Lilian Robin, Bellecombes-en-Bauge, Éditions du Croquant, 2013 - Olivier Roueff p. 155-159
- À propos du livre Le fil perdu. Essais sur la fiction moderne, de Jacques Rancière, Paris, Éditions La Fabrique, 2014 - Marie-Claire Calmus p. 160-163
- À propos du livre The Wire. L'Amérique sur écoute, sous la direction de Marie-Hélène Bacqué, Amélie Flamand, Anne-Marie Paquet-Deyris et Julien Talpin, Paris, La Découverte, 2014 - Anouk Deiller p. 164-168
- Un (anti)racisme légitime dans les médias ? - Marion Dalibert p. 139-147