Contenu du sommaire : Les sciences sociales sont-elles nationalistes ?
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 54, août 2014 |
Titre du numéro | Les sciences sociales sont-elles nationalistes ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial - Speranta Dumitru p. 5-7
Dossier
- Qu'est-ce que le nationalismeméthodologique ? : Essai de typologie - Speranta Dumitru p. 9-22 Résumé Cet article montre qu'il existe au moins trois versions différentes de nationalisme méthodologique que nous appellerons stato-centriste (la prééminence injustifiée accordée à l'État-nation dans les sciences sociales), territorialiste (penser l'espace comme découpé en territoires) et groupiste (comprendre la société comme la société de l'État-nation). Si ces trois versions sont logiquement distinctes, comme nous le montrerons, cette typologie représente un outil pour mieux évaluer le poids du nationalisme méthodologique dans les sciences sociales. Divisé en trois parties, cet article a pour objectif de montrer que : 1) les trois versions sont toutes présentes dans la littérature sur le nationalisme méthodologique, sans toujours être distinguées ; 2) le problème épistémologique que pose le nationalisme méthodologique est parfois confondu avec des questions ontologiques ou normatives concernant la mondialisation et les frontières étatiques ; 3) les trois versions de nationalisme méthodologique sont logiquement indépendantes les unes des autres, ce qui peut être illustré par quelques exemples.What is methodological nationalism? An essay of typology This article argues that there are at least three different versions of methodological nationalism: state-centrism (unjustified supremacy granted to the nation-state), territorialism (understanding space as divided in territories), and groupism (equating society with the nation-state's society). If these three versions are logically distinct, as it will be shown, the typology can serve as a tool to weight the influence of methodological nationalism in the social sciences. The paper has three sections arguing that 1) the three versions are all present in the literature on methodological nationalism without always being distinguished; 2) the epistemological problems raised by methodological nationalism are sometimes misunderstood as ontological or normative questions about globalization and national borders; 3) the three versions of methodological nationalism can be shown to be logically independent by a few examples.
- Le piège territorial : Les présupposés géographiques de la théorie des relations internationales - John Agnew, Stéphane Dufoix p. 23-51 Quand bien même le pouvoir politique serait territorial, la territorialité n'implique pas nécessairement les pratiques d'exclusion mutuelle totale que lui attribuent les conceptions dominantes de l'État moderne. Cependant, dans les théories des relations internationales, lorsqu'il est question de la territorialité d'un État, la discussion est presque toujours menée dans les termes de la persistance ou de l'obsolescence d'un État territorial compris comme une entité inchangée et non dépendante des circonstances historico-géographiques variées. Cette approche est remise en question par les évènements contemporains. La fin de la Guerre froide, la vélocité et la volatilité croissantes de l'économie mondiale et l'émergence de mouvements politiques hors du cadre des États territoriaux, suggèrent qu'il faut comprendre la territorialité des États dans un contexte historique. Les trois présupposés géographiques sur lesquels s'appuie la pensée orthodoxe (les États comme des unités fixes d'espace souverain, la polarité intérieur/étranger et les États comme des « conteneurs » des sociétés) aboutissent à un « piège territorial ».The territorial trap: The geographical assumptions of international relations theory
Even when political rule is territorial, territoriality does not necessarily entail the practices of total mutual exclusion which dominant understandings of the modem territorial state attribute to it. However, when the territoriality of the state is debated by international relations theorists the discussion is overwhelmingly in terms of the persistence or obsolescence of the territorial state as an unchanging entity rather than in terms of its significance and meaning in different historical-geographical circumstances. Contemporary events call this approach into question. The end of the Cold War, the increased velocity and volatility of the world economy, and the emergence of political movements outside the framework of territorial states, suggest the need to consider the territoriality of states in historical context. Conventional thinking relies on three geographical assumptions (states as fixed units of sovereign space, the domestic foreign polarity, and states as “containers” of societies) that have led into the “territorial trap”. - De la migration à la mobilité : comment aller au-delà du nationalisme méthodologique ? - Solange Chavel p. 53-66 L'objectif de la présente contribution est de croiser l'apport de deux types de travaux : (1) les travaux sur les migrations qui reposent sur la critique épistémologique du nationalisme méthodologique d'une part, (2) les travaux appartenant au paradigme du mobility turn d'autre part. L'enjeu est de montrer que, selon qu'on adopte le vocabulaire des « migrations » ou celui de la « mobilité », la formulation des problèmes normatifs varie de façon importante. Ce faisant, la critique du nationalisme méthodologique invite à délaisser les migrations studies pour raisonner dans le cadre des mobilities studies, et penser autrement la répartition des droits et bénéfices habituellement associés à la citoyenneté nationale.From migration to mobility: How to go beyond methodological nationalism?
This paper aims to show that our awareness and framing of normative problems varies considerably, when seen through the lens and vocabulary of “migration” or through that of “mobility”. In order to do this I use two sets of studies: (1) on the one hand, studies focusing on the criticism of methodological nationalism; (2) on the other hand, studies developed in the wake of the “mobility turn”. The epistemological criticism of methodological nationalism leads us to switch from “migration studies” towards “mobilities studies”, and to propose other ways of allocating the rights and advantages usually associated with national citizenship. - États-nations, mobilité et citoyenneté dans le discours international sur les migrations - Antoine Pécoud p. 67-85 Les migrations ont fait l'objet, depuis une quinzaine d'années, d'un processus d'internationalisation, qui voit les États débattre de façon accrue des enjeux soulevés par la mobilité transnationale des personnes. Cet article analyse la manière dont différentes instances internationales (organisations internationales, forums mondiaux, commissions internationales) tentent de penser les migrations comme un processus transnational qui appellerait des politiques concertées ou des formes de « gouvernance mondiale ». Il montre que cette construction internationale des migrations oscille entre un paradigme transnational, selon lequel la mobilité interétatique est une caractéristique d'une planète mondialisée, et un paradigme national, dans lequel l'appartenance nationale reste indépassable, non seulement pour élaborer des mécanismes de « gouvernance » des migrations, mais aussi pour penser l'identité des migrants et la nature même des migrations. La persistance de ce cadre de pensée national est dû à la fois à des facteurs politiques (liés au contexte intergouvernemental dans lequel travaillent ces instances internationales) et à la difficulté intellectuelle de concevoir les migrations hors de tout schéma stato-centré.Nation-states, mobility and citizenship in international migration narratives
In the past fifteen years, migrations have been subject to an internationalization process with states increasingly debating issues raised by the transnational mobility of people. This article focuses on how different international forums (international organizations, global forums, international committees) attempt to conceive of migration as a transnational process which calls for coordinated policies and forms of “global governance”. The international construction of migration constantly vacillates, as will be shown, between a transnational paradigm of interstate mobility understood as a normal feature of a globalized world, and a national paradigm which assumes national belonging to be crucial not only in developing the “governance” of migration but also in understanding migrants' identity and the very nature of migration. The persistence of national frame is explained by both political factors (a working framework which is mainly intergovernmental) and intellectual factors (an inability to understand migration beyond state-centered schemes). - Cosmopolitisme ou internationalisme méthodologique - Isabelle Delpla p. 87-102 Critiquer le nationalisme méthodologique c'est d'abord s'attaquer à un mythe de l'intériorité politique qui laisserait croire que c'est en soi et par soi que l'Etat se constitue indépendamment de l'étranger et des étrangers. Mettre en évidence les phénomènes transnationaux de mondialisation, à l'instar du cosmopolitisme méthodologique, contribue à contrer de telles illusions solipsistes. Toutefois, la critique du nationalisme méthodologique est insuffisante lorsqu'elle reconduit un tel mythe par une ignorance ou une négligence des normes de droit international. C'est manifeste dans les recherches sur les migrations de populations. Coupant à travers nationalisme et cosmopolitisme méthodologique, cet article propose donc un internationalisme méthodologique qui, contre ce mythe de l'intériorité, prend en compte l'immanence de l'international dans le national. Cette proposition méthodologique, ici limitée à sa dimension critique du nationalisme méthodologique, est ensuite développée en une expérience de pensée montrant la possible coextensivité du national avec l'international et les relations étrangères. La critique du nationalisme méthodologique est donc d'autant plus pertinente et efficace qu'elle envisage la constitution internationale des phénomènes étatiques.Methodological cosmopolitanism or internationalism
Criticizing methodological nationalism first amounts to attacking a myth of political interiority which would suggest that the state exists in itself and by itself, independently from foreign countries and foreigners. Highlightning the transnational phenomena of globalization, as the methodological cosmopolitanism does, helps to counter such solipsistic illusions. However, the critique of methodological nationalism is insufficient when it duplicates such a myth by ignorance or neglect of norms of international law. This is obvious in research on population migration. Cutting through methodological nationalism and cosmopolitanism, this paper proposes a methodological internationalism, that, against the myth of interiority, takes into account the immanence of the international in the national. This methodological proposal, here limited to its critical dimension against methodological nationalism, is then developed into a thought experiment showing how the national can be coextensive with the international and foreign relations. The critique of methodological nationalism is all the more relevant and effective that it takes into account the international constitution of state phenomena. - Nationalisme méthodologique ? cosmopolitisme méthodologique : un changement de paradigme dans les sciences sociales - Ulrich Beck, Benjamin Boudou p. 103-120 Cet article montre que le nationalisme méthodologique est remis en question par les processus de « cosmopolitisation de la réalité » produits par la prise de conscience globale des crises et des risques qui ne sont ni confinés, ni intelligibles au niveau national. L'article clarifie la notion de cosmopolitisme méthodologique qui doit être distinguée à la fois du cosmopolitisme normatif et d'autres manières de répondre à la différence. Les processus de comsopolitisation sont décrits au travers de sept thèses qui éclaircissent les conditions de possibilité d'une société imaginée cosmopolite.Methodological Nationalism – Methodological Cosmopolitism: A paradigm shift in social sciences
This article argues that methodological nationalism is at odds with the “cosmopolitisation of reality” produced by a global awareness of crises and risks which are neither confined, nor intelligible, at a national level. The article clarifies the notion of methodological cosmopolitanism which is to be distinguished from both normative cosmopolitanism and other ways to cope with difference. The processes of cosmopolitsation are described in seven theses which untangle the conditions of possibility of a cosmopolitan imagined community. - Au-delà du nationalisme méthodologique : l'interculturel sans essentialisme - Fred Dervin p. 121-132 Cet article programmatique vise à proposer une nouvelle définition de l'interculturel capable de résister aux sirènes du nationalisme méthodologique. L'interculturel est une notion polysémique qui pose de plus en plus de problèmes pour décrire notre postmodernité. C'est notamment pour son association quasi systématique avec le nationalisme méthodologique (« culture nationale ») que la notion est critiquée. Dans cet article, nous proposons de questionner l'interculturel mais aussi d'examiner et de problématiser les nouvelles formes de « -ismes » qui sont apparus ces dernières années pour remplacer le nationalisme méthodologique. L'article propose quelques arguments pour sortir de l'impasse.Beyond methodological nationalism: The intercultural without essentialism
This article is programmatic. The “intercultural” is a polysemic notion which is increasingly problematic when it is used to describe postmodernity. Its association with the idea of methodological nationalism (“national culture”) has led to its critique. In this article, I question the “intercultural” and examine and problematise new forms of “-isms” that have appeared recently in order to replace methodological nationalism. I propose a few arguments which could help to solve some of these issues.
- Qu'est-ce que le nationalismeméthodologique ? : Essai de typologie - Speranta Dumitru p. 9-22
Varia
- Vers un retour de la philosophie politique dans la Revue française de science politique ? : Le difficile espace d'une sous-discipline de la science politique française (1951-2010) - Manuel Cervera-Marzal p. 133-151 Bien qu'elle n'ait jamais atteint l'importance de la sociologie électorale ou de l'étude des relations internationales, la philosophie politique a toujours constitué l'une des sousdisciplines de la science politique française. À partir d'une étude longitudinale de la Revue française de science politique, ce chapitre s'interroge sur l'ouverture de la science politique française à la philosophie politique anglo-saxonne. Les données obtenues viennent infirmer deux hypothèses communément admises : celle de l'existence d'une hostilité de principe entre science politique et philosophie politique et celle de la supposée herméticité de la philosophie politique française aux débats qui animent son homologue anglo-saxonne.Towards the return of Political Philosophy in the French Journal of Political Science? The difficult space of a sub-field of French political science (1951-2010)Although Political Philosophy has never reached the importance of Electoral Sociology and of International Relations, it has always been one of the sub-fields of French Political Science. Based on a longitudinal analysis of the French Journal of Political Science, this chapter is concerned about the opening of the French Political Science to the Anglo- American Political Philosophy. Our datas invalidate two commonly held assumptions: one about the existence of a fundamental hostility between political science and political philosophy, and the other about the presupposed tightness of the French political philosophy to debates in its Anglo-Saxon counterparts.
- Vers un retour de la philosophie politique dans la Revue française de science politique ? : Le difficile espace d'une sous-discipline de la science politique française (1951-2010) - Manuel Cervera-Marzal p. 133-151
Lecture critique
- Miguel Abensour, philosophe subversif - Michael Löwy p. 153-159
- Lecture critique de Bruno Karsenti, D'une philosophie à l'autre. Les sciences sociales et la politique des modernes (Paris, Gallimard, 2013) - Johann Michel p. 160-169