Contenu du sommaire : Usages politiques de l'anthropologie

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 22, juin 2006
Titre du numéro Usages politiques de l'anthropologie
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Varia

    • Fascisme, totalitarisme et religion politique : Définitions et réflexions critiques sur les critiques d'une interprétation - Emilio Gentile p. 119-173 accès libre avec résumé
      Cet article présente un résumé synthétique de l'interprétation que l'auteur a donné du fascisme en tant que phénomène moderne, nationaliste, révolutionnaire, anti-libéral et anti-marxiste ; une interprétation élaborée sur la base à la fois d'une recherche originale et d'une redéfinition innovante des concepts de totalitarisme et de religion politique et de leur inter-relation. Après avoir démontré l'incohérence de certaines critiques négatives qui ont rendu compte de cette théorie de manière déformée, l'auteur aborde les principales critiques constructives qui en ont été faites, ce qui aboutit à une conception plus claire et plus fine de la thèse selon laquelle le totalitarisme constitue une, mais pas l'unique, expression de la sacralisation de la politique à l'âge de la modernité.
    • Pourquoi Mussolini fit-il volte-face contre les Juifs ? - Franklin Hugh Adler p. 175-194 accès libre avec résumé
      La volte-face abrupte de Mussolini en faveur du racisme, particulièrement la législation antisémite de 1938, est conventionnellement attribuée à des préoccupations de politique étrangère, notamment l'alliance stratégique de l'Italie fasciste avec l'Allemagne nazie. Ce type d'explication externe, toutefois, ne réussit pas à rendre compte du degré de ce retournement raciste qui était aussi une conséquence du développement fasciste italien lui-même, surtout pendant sa dernière phase radicale. Franklin Adler situe ce volte-face raciste dans le contexte des aspirations totalitaires de Mussolini élaborées pendant la deuxième moitié des années 1930. Parmi celles-ci se trouvait le projet d'une révolution anthropologique à travers laquelle une nouvelle société et un nouveau sujet historique (Le Nouvel Homme Fasciste) devaient être formés par l'État : obéissant, agressif et prolétarien. Les Juifs étaient des obstacles à ce projet dans la mesure où ils étaient considérés comme inexorablement « bourgeois » et liés historiquement à cet ordre libéral, très corrompu, décadent, que le fascisme avait pour but d'entièrement surpasser.
  • Parcours de recherche

    • Les études postcoloniales : entretien avec Jean-Loup Amselle - Étienne Smith p. 195-202 accès libre avec résumé
      Cette introduction retrace brièvement le parcours de recherche de l'anthropologue Jean-Loup Amselle caractérisé depuis les premiers terrains maliens par une entreprise critique de déconstruction de certaines des catégories et dichotomies classiques de la discipline au profit d'une anthropologie des identités et des pouvoirs donnant toute sa place à l'histoire et au politique, ainsi qu'aux branchements entre le local et le global. Nouvelle étape de ce parcours, la réflexion entamée à partir d'un « terrain » tricontinental sur le postcolonialisme et le subalternisme fait l'objet de la discussion dans l'entretien qui suit.
    • Entretien avec Jean-Loup Amselle - Étienne Smith p. 203-212 accès libre
  • Lectures critiques

    • Lectures critiques - Marc Sadoun, Benoît Pepolidas, Stéphanie Novak, Alice Le Goff p. 213-230 accès libre
  • Éditorial

  • Dossier

    • Les orientalistes, conseillers du prince colonial ? Expertise savante et « politique musulmane » aux Indes Néerlandaises (c. 1880-1920) - Romain Bertrand p. 95-117 accès libre avec résumé
      Dès les années 1880, les pionniers de l'ethnologie et de l'islamologie jouent un rôle-clef dans l'élaboration d'une nouvelle grammaire idéologique du projet impérial néerlandais. Ils sont en effet intégrés, au titre de « conseillers », dans les circuits de la prise de décision coloniale. L'université de Leyde devient l'un des hauts-lieux de la formation des fonctionnaires coloniaux des Indes Orientales. C. Snouck Hurgronje y dispense des cours d'« Indologie » dans lesquels il développe une vision spécifique des processus d'islamisation de Java : pour lui, l'islam n'a jamais vraiment « fait souche » dans le terreau mystique, « hindou-bouddhiste », de la société javanaise, et reste donc une religion « superficielle ». À compter de la naissance officielle, en 1901, de la « Politique coloniale éthique » ? qui entend accélérer la « réforme morale » de la pratique coloniale et promouvoir le « bien-être de l'Indigène » ?, la vision orientaliste de l'islam insulindien s'impose comme discours de justification d'une politique visant à mettre fin à la montée en puissance des grandes organisations réformistes musulmanes, qui, comme la Sarekat Islam, évoluent vers la mobilisation anticoloniale. De façon consciente ou à leur corps défendant, de nombreux orientalistes renforcent alors une vision aristocratique et « non-musulmane » de Java, qui servira de point d'étai aux tentatives autoritaires post-coloniales de disqualification des paroles politiques populaires.
    • Voir ailleurs, pouvoir ici - Georges Balandier p. 15-22 accès libre avec résumé
      Même si les figures du pouvoir ont toujours été perçues par les anthropologues, l'étude du politique en tant que tel a été tardive dans la discipline. Cela s'explique sans doute par la domination d'une conception du politique longtemps trop dépendante des notions occidentales. Ce sont les circonstances liées à la situation coloniale qui ont permis à l'anthropologie de s'approprier progressivement le champ politique non seulement dans ses configurations traditionnelles mais aussi dans les formes qui se sont révélées à la lumière de ces circonstances nouvelles. La rencontre sera ensuite possible entre l'anthropologie et la science politique débouchant sur un inventaire des formes et des composantes du politique ainsi soustrait au confinement occidental. L'anthropologie qui naît alors peut être qualifiée de dynamiste en ce qu'elle s'ouvre à la reconnaissance des processus historiques actifs en toute société. C'est notamment à la reconnaissance des formes politiques et étatiques multiples que conduit cette ouverture tout en permettant une réflexion de fond sur l'essence du politique qui bouscule la construction canonique de cet objet. L'anthropologie a aujourd'hui à devenir autrement exploratrice en étudiant les Nouveaux mondes qui naissent aujourd'hui sans que les acteurs qui les pratiquent en aperçoivent cependant le devenir.
    • Anthropologie et science(s) politique(s) - Luc de Heusch p. 23-48 accès libre avec résumé
      Au-delà des sociétés fondées sur l'ordre familial, les Africains ont formé traditionnellement des groupes politiques plus vastes, chefferies ou royaumes que l'on a abusivement qualifiés de « divines ». L'auteur propose de les appeler « sacrées » : une initiation transforme le nouveau souverain en une espèce de fétiche contrôlant aussi les rites naturels. Les traits de cette royauté sacrée, donnés en ordre dispersé, forment une structure symbolique singulièrement constante. Elle insiste sur la séparation nécessaire des fonctions rituelles et des fonctions guerrières.
    • Une anthropologie politiste ? - Yves Schemeil p. 49-72 accès libre avec résumé
      Entre anthropologie politique et anthropologie politiste la filiation est évidente, les nuances aussi. L'article passe en revue l'héritage incontournable de la première, et les usages parfois réducteurs, parfois novateurs, qu'en fait la seconde. Trop peu familière des mécanismes de parenté ou de l'analyse symbolique, la science politique a surtout bénéficié de l'ethnologie dans deux directions : la quête d'une ontologie politique (mettant en évidence l'universalité des préoccupations humaines dans le domaine de la coordination, de la coopération, de l'évitement de la violence) ; et l'étude de formes de sociabilité apparemment très éloignées de l'autorité et du pouvoir propres à la sphère politique mais en réalité très imbriquées dans son fonctionnement (comme la cuisine, la musique, la fête, les rituels). Dans leur recours à l'anthropologie politique, ethnologues et politistes croisent ainsi leur regard : les uns vont du particulier vers le général et du privé vers le public ; les autres font l'inverse, consolidant de plus en plus par le bas le socle de de pratiques culturelles sur lesquelles repose tout en haut de la société l'analyse des régimes, des idées, et des faits politiques.
    • Anthropologie et gestion des nationalités en Russie - Alexandra Goujon p. 73-94 accès libre avec résumé
      Valery Tishkov est directeur de l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie de l'Académie des sciences de Russie depuis 1989. Spécialiste des peuples du Nord du Canada, sa critique de la théorie de l'etnos, dominante dans l'anthropologie soviétique à partir des années 1960, lui vaut le label de constructiviste. Valery Tishkov est aussi un praticien : il a été ministre aux nationalités en 1992 et il a contribué à faire de l'Institut d'ethnologie un lieu d'expertise pour les pouvoirs publics. Dans les années 2000, il a rejoint le camp de ceux qui défendent l'idée d'une situation post-conflictuelle et normalisée en Tchétchénie et qui portent ainsi allégeance à la politique menée par Vladimir Poutine. Dans l'entretien qu'il a accordé à Raisons politiques, Valery Tishkov examine les relations entre anthropologie et politique dans son pays et laisse apparaître le décalage qui peut exister entre modernité conceptuelle et libéralisme politique dans la Russie contemporaine.