Contenu du sommaire : Consentement sexuel
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 46, mai 2012 |
Titre du numéro | Consentement sexuel |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- L'enjeu du consentement - Alexandre Jaunait, Frédérique Matonti p. 5-11
Dossier
- Les mots pour (ne pas) le dire : Viol, consentement, harcèlement : les médias face aux affaires Strauss-Kahn - Frédérique Matonti p. 13-45 L'affaire Strauss-Kahn est une sorte de tremblement de terre. En France, il s'agit de la première arrestation d'un professionnel de la politique de premier plan pour crime sexuel. Plus encore, Dominique Strauss-Kahn aurait dû être le candidat des socialistes à l'élection présidentielle de 2012. L'affaire elle-même oppose un homme, blanc, riche et puissant à une femme noire et pauvre. Elle se déroule dans la société américaine dont les valeurs sont supposées profondément différentes des valeurs françaises quant à la sexualité et aux rapports genres. C'est pourquoi étudier les médias français du début de l'affaire du Sofitel jusqu'aux derniers développements de l'affaire du Carlton permet d'étudier les représentations françaises du viol, du harcèlement, du consentement et de la séduction. L'article s'appuie plus précisément sur trois types de récit (presse d'opinion ; presse people et presse féminine ; humoristes et imitateurs) sur des entretiens avec des journalistes et des directeurs de rédaction. Il montre avant tout la difficulté pour la plupart des médias à parler de viol ou de harcèlement pour qualifier le comportement présumé passé ou présent de Strauss-Kahn et en propose des explications autour des contraintes économiques, de la socialisation des journalistes et de leurs connaissances sur les études de genre et de race.How to (not) say. Rape, Consent and Harassment. The medias faced to the DSK affairs In France, The DSK affair is like an earthquake. It is the first arrestation of a first rank politician for a sexual crime. And the more to come (Dominique Strauss-Kahn was supposed to be the (future) socialist candidate at the April 22d and May 6th french presidential election). The affair itself frontally opposes a white, powerful and rich man, to a black and poor woman. It takes place in the american society whose values are supposed to be far away from french ones about sexuality and gender relationships. So studying french medias from the very beginning of the Sofitel affair to the last developments of the Carlton affair allows to study french representations of rape, harassement, consent and seduction. This paper is grounded more particurly on three mediatic schemes (newsmagazines and newspapers ; gossip and women's magazines ; satirical shows) and its analysis is also built upon interviews with journalists and editors-in-chief. Its principal assumption is the difficulty for a lot of medias to openly speak of rape or harassement to qualify past and present Strauss-Kahn's suspected actions. And it tries to explain these difficulties by the economic requirements, the journalists' socialisation and knowledge about gender and race studies.
- Au-delà du consentement : pour une théorie féministe de la séduction - Éric Fassin p. 47-66 En France, l'affaire DSK a été l'occasion en 2011 d'une prise de conscience des enjeux liés aux violences sexuelles, mais aussi, paradoxalement, d'une controverse sur la séduction. C'était au nom d'un supposé « féminisme à la française », qu'on oppose depuis les années 1990 à un féminisme américain accusé de confondre violence et séduction. En réaction, le féminisme doit-il abandonner celle-ci à ses adversaires ? On fait ici le pari inverse : penser la séduction, c'est déplacer la question du consentement pour penser, non pas l'individu, libre ou contraint, mais le sujet (au sens de Foucault) qui se constitue dans une relation de pouvoir. Loin de faire abstraction de la domination, il convient au contraire de fonder l'érotique sur l'exploration de ce « problème ». Ainsi, politiquement, une théorie féministe de la séduction ne pourrait que rendre le féminisme plus séduisant.Beyond Consent: Towards a Feminist Theory of Seduction In France, the DSK scandal made possible in 2011 a new awareness of sexual violence, but also, paradoxically, a controversy regarding seduction – launched in the name of a so-called “feminism à la française”, which has been presented since the 1990s as a countermodel to American feminism, accused of conflating violence and seduction. Should feminism, in reaction, abandon seduction to antifeminists ? This text explores the opposite approach : thinking about seduction implies moving beyond consent. It is not about the individual, whether free or not, but rather about the subject (in Foucault's sense) constituted through a power relation. Far from denying domination, we must develop erotics exploring this “problem”. Politically, a feminist theory of seduction could only make feminism more desirable.
- Deux critiques du consentement - Bertrand Guillarme p. 67-78 La plupart des critiques du consentement admettent que le déterminisme causal ne remet pas en cause toute idée de liberté de choix. Au lieu de se focaliser sur le processus de délibération des agents, elles mettent l'accent sur deux caractéristiques du choix, dont l'absence fragilise son caractère libre, c'est-à-dire moralement valide. Certaines insistent sur l'importance des conditions du choix, en explorant la nuance que le langage ordinaire reconnaît entre « faire un choix » et « avoir le choix ». D'autres s'intéressent au contenu ou au résultat du choix, en faisant valoir que certaines options sont contradictoires avec la liberté « véritable » des personnes.Two critiques of consent Most critiques of consent acknowledge that causal determinism does not by itself undermine the idea of liberty of choice. Rather than focusing on agents' deliberation, they insist on two features of choice, whose absence impairs its free character and its moral value. Some hold that conditions of choice have an autonomous value, exploring thereby the difference that common sense recognizes between “making a choice” and “having choice”. Others are more interested by the content or the outcome of choice, and they hold that some options are incompatible with people's “true” liberty.
- Du droit au consentement. Sur quelques figures contemporaines du paternalisme, des sadomasochistes aux Témoins de Jéhovah - Pierre-Yves Quiviger p. 79-94 La place désormais accordée au consentement dans la saisie par la jurisprudence des pratiques SM va dans le sens d'une diminution de l'importance du paternalisme sexuel. On compare ici cette question avec la persistance d'un paternalisme médical qui devrait pourtant être rendu impossible par le jeu des lois consacrées aux droits des malades (loi du 4 mars 2002, loi du 22 avril 2005). Les « victimes » des pratiques SM sont bien plus informées que les patients ne le sont par les médecins, le formalisme contractuel des « contrats » érotiques est plus marqué que celui des consentements à l'action médicale. Néanmoins, les magistrats continuent à craindre le surgissement de la violence dans le monde très codifié du SM alors qu'ils peinent à admettre, comme dans le cas des Témoins de Jéhovah transfusés contre leur volonté, qu'il puisse y avoir un mauvais traitement des patients, dès lors qu'on les a sauvés, y compris en méprisant leur refus de soin et leur absence de consentement. Il s'agit de démontrer que la question du consentement ne peut pas être appréhendée sans inscrire celui-ci dans le contexte qui le détermine et le borne, à savoir un paternalisme, soit médical, soit sexuel, dont l'importance est souvent inaperçue.The right to consent. On a few cases of contemporary paternalism, from sadomasochists to Jehovah's Witnesses The emphasis that is put today on consent in the way judges consider sadomasochist practices, goes into the direction of the diminishing importance of sexual paternalism. We compare here this topic with the persistence of medical paternalism, which should though be now made impossible thanks to the set of laws dedicated to the rights of sick people (March 4th 2002 and April 22th 2005 laws). The “victims” of sadomasochist practices are much more informed than patients, the contractual formalism of “erotic” contracts is much stronger than those of consent to medical activities. Nevertheless, magistrates still fear the outbreak of violence in the very codified sadomasochist world whereas they are reluctant to admit, as in case of Jehovah witnesses transfused against their will, that there could be a mistreatment of patients saved in spite of their refusing medical care. The aim is to show that the question of consent cannot be apprehended without taking into account the context which determines and set its limits, that is to say either medical or sexual paternalism which importance is often unnoticed.
- Catharine MacKinnon, féministe systématique - Béatrice de Gasquet p. 95-99
- « Sexuality » - Catharine A. Mackinnon, Béatrice de Gasquet p. 101-130
- Les mots pour (ne pas) le dire : Viol, consentement, harcèlement : les médias face aux affaires Strauss-Kahn - Frédérique Matonti p. 13-45
Parcours de recherche : Gayle Rubin
- Une conversation avec Gayle Rubin - Gayle Rubin, Rostom Mesli p. 131-173
Varia
- Le concept lefortien du pouvoir comme lieu vide : Paradoxes de la société démocratique moderne - Gaëlle Demelemestre p. 175-193 Dans l'introduction qu'il fait à la traduction française de l'ouvrage de Gordon Wood, La création de la république américaine 1776-1787, Claude Lefort signale la proximité des analyses qui y sont faites avec sa propre lecture du phénomène démocratique moderne. Loin de voir dans la démocratie moderne un simple changement de gouvernement, Claude Lefort la décrit comme inventant une nouvelle forme de société dans laquelle le pouvoir ne peut plus s'incarner en un point défini. Mais ce faisant, les deux références à la loi (ou au droit) et au bien commun qui s'y trouvaient cristallisées pour constituer le triptyque monarchique s'en trouvent aussi détachées. La société démocratique moderne inaugure ainsi une vie politique dans laquelle le pouvoir, la compétence législative et la capacité à formuler l'intérêt général ne renvoient plus à une origine précisément identifiable et déterminée. En reprenant les arguments déterminants ayant conduit les Américains à choisir une Constitution fédérale, nous souhaitons illustrer concrètement, grâce aux analyses lefortiennes, la façon dont la modernité a procédé à la dématérialisation du pouvoir.The Claude Lefort's concept of power as an empty place. Paradoxes of the modern democratic society In the introduction to the French translation of The Creation of The American Republic 1776-1787 of Gordon Wood, Claude Lefort stresses the proximity of the analysis made therein with his own reading of modern democratic phenomenon. Far from seeing in the modern democracy a simple change of government, Claude Lefort is describing it as inventing a new form of society in which power can't be embodied in a defined point. But in so doing, in an opposite way to the classic monarchic government, the reference to the Law and to the common good are also detached from it. The modern democratic society thus inaugurates a politic life where the power, the legislative competence and the capacity of saying what is the general interest no longer return to stated a precise and determined origin. Repeating the strong arguments that led the Americans to choose a federal Constitution, we extend to show, through the analysis of Claude Lefort, how modernity has made of the power an empty place.
- L'ambivalence politique du « social » dans les sociétés capitalistes : Arendt avec Castel - Annette Disselkamp, Richard Sobel p. 195-215 Le présent article interroge les limites du concept de « social » chez Hannah Arendt à l'aide de la sociologie historique du salariat de Robert Castel. Il ne s'agit pas simplement de critiquer le « purisme politique » d'Arendt qui met les citoyens en apesanteur institutionnelle et stigmatise tout ce qui est « social », ce dernier se réduisant au déploiement apolitique de l'ordre domestique au sein de l'espace public. Il s'agit d'esquisser une théorie politique qui soit pertinente pour nos sociétés capitaliste-démocratiques. Or, pour ce faire, il manque à Arendt l'idée de supports institutionnel et collectif à l'exercice effectif de la démocratie par le plus grand nombre, ce sur quoi précisément ont mis l'accent les analyses historiques de Castel à travers le concept de « propriété sociale ».The political ambivalence of the “social” in capitalist societies: Arendt with Castel This article sets out to examine the limits of Hannah Arendt's notion of the "social", through a comparison with Robert Castel's historical sociology of wage labor. The issue is not to criticize Arendt's "political purism", which creates an institutional vacuum and stigmatizes the "social" in general, downgrading the latter to an apolitical deployment of the domestic order within the public space. However, in order to build a political theory relevant for capitalist-democratic societies, we need the idea of institutional and collective resources as a prerequisite for the functioning of a real democracy with majority rule. The article suggests that Castel's historical analysis, founded on the concept of "social property", offers such a frame.
- Le concept lefortien du pouvoir comme lieu vide : Paradoxes de la société démocratique moderne - Gaëlle Demelemestre p. 175-193
lectures critiques
- Énigmes et complots. Une enquête à propos d'enquêtes de Luc Boltanski - Georges Meyer p. 217-222