Contenu du sommaire : Le social en proie à l'Etat soviétique

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 196, juillet-septembre 2001
Titre du numéro Le social en proie à l'Etat soviétique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Pour une histoire sociale de la dictature soviétique - Jean-Paul Depretto p. 3-19 accès libre
  • La société contre l'État, la société conduisant l'État : la société cultivée et le pouvoir d'État en Russie, 1914-1921 - Peter Holquist p. 21-40 accès libre avec résumé
    L'idéologie bolchevique contribua de façon importante à la forme définitive prise par l'État soviétique. Mais les bolcheviks n'existaient pas en dehors de la société russe; c'est d'elle qu'ils émergèrent. C'est pourquoi la relation précédemment nourrie par la classe politique russe à l'égard à la fois du pouvoir d'État et du peuple constitua un cadre essentiel des aspirations des bolcheviks. Cet article examine la façon dont l'action de l'État soviétique recomposa les aspirations existantes, à travers deux domaines de l'activité de l'État tout au long de la Première Guerre mondiale et de la Révolution : le ravitaillement et les mesures en faveur de l'éducation populaire. Plutôt que de poser 1917 comme une rupture radicale, cet article soutient que la période 1914-1921 constitua un tournant crucial, qui doit être vu comme faisant partie d'un continuum. Cette période correspond à deux phases téléscopées de développement pour la classe politique russe. Premièrement, la guerre permit une émergence plus libre d'organisations publiques. Mais, du fait même que ces organisations émergèrent pendant la mobilisation pour une guerre totale et sous l'égide de l'État, elles ne donnèrent pas naissance à une sphère publique classique, mais plutôt à un « complexe paraétatique » consacré à la mobilisation pour l'État. Deuxièmement, la période révolutionnaire comprise entre Février et Octobre 1917, avant la prise de pouvoir par les bolcheviks, vit les efforts de la classe politique russe pour imposer son idéal sur la situation révolutionnaire. L'échec de cette tentative les conduisit progressivement à se tourner vers les instruments de la mobilisation au service de l'État propre au temps de guerre, afin de réaliser leurs aspirations politiques datant de la période pré-révolutionnaire. Ces deux phases de développement télescopé procurèrent au pouvoir soviétique les instruments dont il allait user pour réaliser ses propres aspirations.
  • Les conflits du travail en Russie soviétique pendant le « communisme de guerre » et la N.E.P. - A.J. Andreev, Leonid L. Borodkin, Juri L. Kir'Janov p. 41-62 accès libre avec résumé
    Cet article traite des protestations ouvrières dans les premières années de la Russie soviétique (1918-1929) ? un phénomène presque inconnu des spécialistes d'histoire sociale soviétique. Il va sans dire que les études historiques sur les grèves et autres formes de protestations ouvrières massives étaient interdites en Union Soviétique depuis 1930. Dans les années 1990, quand les fonds « fermés » des archives soviétiques furent ouverts, il devint possible d'avoir accès à des matériaux jusqu'alors secrets sur la dynamique et la structure des conflits du travail dans l'industrie soviétique, leur dimension régionale et leur répartition par branche. Les publications des années 1920 enrichissent ce tableau. Il était inattendu de découvrir que le niveau des protestations ouvrières était comparable à ceux des années 1890-1910 (révolutions exlues). La plupart des grèves et autres conflits du travail avaient pour cause principale des revendications salariales (comme dans les années « calmes » d'avant 1917). Ainsi, nous pouvons conclure qu'il n'y a pas eu de rupture substantielle dans l'activité gréviste en 1917 (bien que le contexte des grèves fût tout à fait différent).
  • Une lutte pour l'autonomie professionnelle : être statisticien dans une région au début des années 1920 - Martine Mespoulet p. 63-88 accès libre avec résumé
    Dans la perspective d'une contribution à l'histoire sociale de la construction de l'État soviétique pendant la Nouvelle Politique économique, cet article se propose d'analyser la manière concrète dont les membres d'une profession intellectuelle issue de l'Ancien régime tsariste se sont efforcés de préserver certaines formes d'expression de leur autonomie professionnelle au sein d'une administration de l'État bolchevik au début des années 1920, au moment même de la mise en place du nouveau régime. L'attitude des statisticiens de la Direction centrale de la statistique offre un cas intéressant à étudier de ce point de vue. En effet, les responsables de cette administration et de ses bureaux régionaux qui étaient des anciens statisticiens des institutions locales des zemstva avaient toujours placé le principe de l'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique au c?ur de leur pratique professionnelle. Dès lors, comment ont-ils réagi face aux différentes formes de contrainte et de contrôle dont ils ont été l'objet de la part des représentants du nouveau pouvoir après Octobre 1917 ? En s'appuyant sur l'étude d'un cas, celui du bureau régional de statistique de Saratov, cet article s'efforce de mettre en évidence le jeu de l'activité de négociation et la part de la continuité dans les pratiques mises en ?uvre par les statisticiens de ce bureau pour sauvegarder les deux principes qu'ils jugeaient fondamentaux dans leur pratique professionnelle, la qualification du personnel et l'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. L'étude de cette confrontation entre les logiques professionnelles d'un corps de spécialistes et les logiques des représentants du pouvoir politique éclaire certains aspects du processus social et politique qui conduisit, à la fin des années 1920, à la lutte contre les « spécialistes bourgeois ».
  • Peut-on être pauvre sans être un prolétaire ? - Nathalie Moine p. 89-114 accès libre avec résumé
    La mesure de privation des droits civiques fut instaurée très vite par les bolcheviks. Elle consistait à éliminer du corps civique les éléments non désirés dans la nouvelle société soviétique, sur des critères complexes qui visaient à la fois les représentants de l'Ancien Régime, les anciens serviteurs du culte, mais aussi tous ceux dont le type et le montant des revenus étaient assimilés à des résidus du capitalisme. Cette politique discriminatoire connut son apogée au moment de l'abandon de la N.E.P. Cet article se fonde sur une base de données, établie par des chercheurs russes, reprenant les dossiers de personnes, habitants d'un quartier de Moscou, réclamant leur rétablissement dans leurs droits civiques. L'étude de ces cas individuels révèle l'écart entre les catégories abstraites du discours politique et les caractéristiques des personnes censées les incarner. Les lettres des plaignants montrent comment ces derniers doivent eux-mêmes utiliser les valeurs et catégories officielles pour rendre compte de leur propre expérience. Enfin, la façon dont les autorités locales réexaminent les dossiers prouve l'importance de la place qu'elles accordent à leur propre perception des situations individuelles.
  • L'opposition entre société et pouvoir pendant la crise d'approvisionnement de 1939-1941 - Elena Aleksandrovna Osokina p. 115-136 accès libre avec résumé
    La crise dans les approvisionnements de 1939-1941 illustre l'interaction entre les décisions prises en haut et celles venues d'en bas, c'est-à-dire à la fois des pouvoirs locaux et de la population. En particulier, l'article montre comment les pressions d'en bas conduisirent à un rétablissement spontané des pratiques de rationnement. Les causes de la crise doivent être recherchées avant tout dans les déséquilibres structurels de l'économie soviétique des années 1930, auxquels s'ajoutèrent les circonstances spécifiques de la fin de la décennie. Les signes précurseurs de la crise apparurent dès 1938, avec l'émergence de files d'attente devant les magasins de plus en plus spectaculaires, pouvant atteindre plusieurs milliers de personnes, s'étirant du début de la nuit à l'ouverture de magasins pris d'assaut. Cette situation est décrite tant dans des rapports officiels, notamment du N.K.V.D., que dans le courrier envoyé par de simples citoyens exaspérés et au bord de la famine. Le pouvoir central prit des mesures destinées à assurer un approvisionnement convenable pour l'armée et les personnes employées dans les activités stratégiques, en recourant au système des magasins et cantines « fermés », mais se refusa à mettre en place un système général de rationnement comparable à la première moitié des années 1930, malgré les nombreuses pressions qu'il reçut en ce sens. Il chercha également à freiner la demande, encourageant autoconsommation et production locale. Cependant, son impuissance face au développement de la crise le conduisit à recourir à des mesures purement répressives, visant à interdire les files d'attente et à empêcher l'arrivée d'acheteurs dans les grandes villes comparativement mieux approvisionnées. Face à la crise, les initiatives locales se multiplièrent pour instaurer, malgré l'opposition du pouvoir central, des pratiques de rationnement, même si l'introduction de cartes de rationnement ne fut officialisée qu'en juillet 1941.
  • L'État en proie au singulier. : Journaux personnels et discours autoritaire dans les années 1930 - Véronique Garros-Castaing p. 137-154 accès libre
  • La recherche sur le stalinisme en Allemagne - Stefan Plaggenborg p. 155-170 accès libre
  • Notes de lecture - p. 171-193 accès libre
  • Les ouvriers dans la Russie des années 1990 vus par des chercheurs russes - Karine Clément p. 195-208 accès libre