Contenu du sommaire : Défendre l'ennemi public

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 240, juillet-septembre 2012
Titre du numéro Défendre l'ennemi public
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • La défense à l'épreuve. Se faire l'avocat de causes illégitimes au XXe siècle - Liora Israël, Maria Malatesta p. 3-7 accès libre
  • « Le juridique, c'est le moyen ; le politique, c'est la fin » : les avocats communistes français dans la « lutte contre la répression » de guerre froide - Vanessa Codaccioni p. 9-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article s'attache à saisir, à travers le cas des avocats du PCF de la guerre froide, les modalités d'entrée dans le cause lawyering communiste et l'apprentissage, théorique et militant, que sa mise en œuvre nécessite. Il vise aussi à restituer, à partir des cas de sabotage, l'affrontement politico-légal entre les membres de l'organisation partisane et les agents de l'État, en particulier au sein du prétoire où les avocats du Parti mettent en œuvre de multiples stratégies de politisation des procès, du droit et de la répression.
    “The judiciary as means, politics as ends” : communist lawyers in the “fight against repression” during the Cold War. This article seeks to examine the terms of entry in “communist cause lawyering”, as well as the theoretical and activist apprenticeship it required, through the study of French Communist Party lawyers during the Cold War. It also aims at accounting, through a study of sabotage cases, the political and legal battles between the Party members and State agents. This particularly happened in the courtroom where Party lawyers implemented several strategies to politicize trials, law and repression.
  • Le procès des Huit de Chicago (1969-1970) : déconstruire l'image des ennemis publics - Marianne Debouzy p. 29-47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le procès des « Huit de Chicago » (septembre 1969-février 1970) concerne huit personnes inculpées de « complot » (conspiracy), à la suite des émeutes qui ont éclaté à Chicago à l'été 1969 à l'occasion de la Convention démocrate, dans le contexte d'une contestation de plus en plus forte de la guerre menée par les États-Unis au Vietnam. Au cours de ce procès, les avocats William Kunstler et Leonard Weinglass durent mener de front plusieurs batailles. Tout en assumant leur rôle d'experts en droit, attentifs au respect des procédures régulières malgré les abus de pouvoir du juge, ils soulignèrent, avec leurs clients, le caractère politique du procès comme des actions qui avaient justifié les inculpations. Il leur fallait déconstruire l'image de criminels, celle d'ennemis publics, créée et propagée par l'accusation et les medias et du même coup requalifier le procès criminel en procès politique. Ils ancrèrent notamment l'action des accusés dans une tradition de révolte remontant à la fondation des États-Unis. La conception qu'avait W. Kunstler de son rôle en tant qu' « avocat du mouvement de contestation », sa mise en cause du système judiciaire, étaient loin de faire l'unanimité au sein de la profession. Les avocats menèrent aussi une lutte incessante contre les pratiques douteuses de l'accusation qui allaient à l'encontre des règles les plus fondamentales de l'institution judiciaire (manipulation du jury par exemple). De plusieurs manières, le procès fit évoluer en cours de route la pratique professionnelle des avocats, qui ne furent pas épargnés par les sanctions du juge.
    The Chicago ight Etrial : deconstructing the image of public enemies
    The Chicago Eight trial (September 1969-February 1970) concerns eight people accused of conspiracy after the summer 1969 riots that broke out during the Democratic National Convention in a context of increasing unrest due to the war led by the United States in Vietnam. Attorneys William Kustler and Leonard Weinglass had to fight on several fronts throughout the trial. Whilst having to assume their roles as law experts and making sure that legal proceedings should be respected in spite of several instances of power abuse by Judge Julius Hoffman, they stressed the political character of justice and of their clients' actions. They needed to deconstruct the criminal image and public enemy portrait brushed of their clients by the prosecution and media alike whilst at the same time attempting to requalify a criminal trial as a political trial. Several means were used to establish the political character of the trial. The attorneys notably anchored their clients' actions in a tradition of riot that stemmed from the very foundations of the United States. The way W. Kustler conceived his role as “lawyer of the antiwar movement” and his questioning of the judicial system were far from popular within legal circles however. Both attorneys also led a constant fight against the suspicious means used by the prosecution, which went against the most elementary laws of the judicial system (such as manipulating the jury for example). In several ways, the trial contributed to the evolution of the attorneys' practise of the law, the latter being liable to suffer from the judge's sanctions.
  • Les droits de l'homme au service de la lutte politique. Les avocats dans le conflit nord-irlandais (1970-2000) - Paolo Gheda p. 49-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Pendant les années 1970, l'escalade du conflit ethnico-religieux entre les communautés catholique-républicaine et protestante-unioniste a marqué profondément l'Irlande du Nord. Après le Bloody Sunday de Derry en 1972, l'éclatement de la violence civile et l'introduction dans le pays du gouvernement direct (Direct Rule) de Londres, associés à des mesures spéciales, véritable législation « de temps de guerre », ont pour conséquence l'emprisonnement de membres de groupes paramilitaires revendiquant un statut de prisonniers politiques.Fortement impliqué dans le bras de fer qui oppose ces prisonniers aux autorités britanniques, le monde du droit se montre particulièrement attentif à leur traitement pénitentiaire et tente de donner à leur action une large couverture internationale, avec des relais dans les institutions humanitaires, religieuses et culturelles. Cet article cherche à préciser le rôle joué par les avocats dans la défense des républicains emprisonnés. Il met l'accent sur les pressions qu'eux-mêmes ont subies dans l'exercice de leur profession et sur les répercussions que ces pressions, aux conséquences parfois dramatiques (assassinats), ont eues sur l'organisation de la justice et de la police en Ulster.
    Human rights as a means to political fight : lawyers during the Northern Irish Troubles (1970-2000)During the 1970s, the growth of an ethno-religious conflict opposing Catholic-republicans to Protestant-unionists profoundly marked Ulster (Northern Ireland). After the Bloody Sunday tragedy in Derry (1972), the explosion of civil violence and the introduction in the counties of Direct Rule by Westminster, as well as a series of special measures akin to wartime legislation, have caused the detention of many paramilitary group members claiming political prisoner status. The legal world was strongly involved in the fight which opposed these prisoners to the British authorities, with particular attention paid to jailing conditions and an attempt to give their action a wide international coverage, with links to humanitarian, religious or cultural institutions. This article seeks to specify the role played by the lawyers in the defense of the imprisoned republicans, stressing the pressures that they themselves underwent in their practice of the law and how these pressures, with sometimes dramatic consequences (murders), had repercussions on the organization of justice and police in Ulster.
  • Défendre le défenseur de l'ennemi public. L'affaire Croissant - Liora Israël p. 67-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'affaire Croissant constitue un moment décisif, bien qu'aujourd'hui largement méconnu, de l'histoire politique des années 1970. Avocat à Stuttgart, Klaus Croissant avait une clientèle composée majoritairement de militants, notamment des membres de la Fraction Armée Rouge d'Andreas Baader. Croissant fut accusé par les autorités allemandes d'être le complice des activités terroristes de ses clients, à la fois en mettant à leur disposition depuis son cabinet certaines facilités matérielles et surtout en organisant en prison des formes d'échange et de communication leur ayant en particulier permis de mener des grèves de la faim coordonnées. En butte à des poursuites, puis à différentes sanctions professionnelles (dont l'interdiction de représenter ses clients lors du procès de Stammheim), Klaus Croissant choisit en juillet 1977 de quitter son pays et de demander l'asile politique en France. C'est à ce moment de l'affaire que nous choisirons de nous intéresser, en centrant l'attention sur la mobilisation qui s'est alors développée contre la demande d'extradition formulée par la RFA, finalement satisfaite le 16 novembre 1977. Révélateur à la fois des relations complexes de la gauche à l'histoire contemporaine allemande et des enjeux pour les juristes de la « défense de la défense », l'affaire Croissant est un exemple qui permet de mettre en lumière les enjeux et les tensions propres à l'assimilation, en démocratie, de la défense de terroristes à celle du terrorisme.
    Defending the defender of the public enemy. The Croissant case
    The Croissant affair can be considered as a turning point – albeit largely forgotten today – in the political history of 1970s Europe. Klaus Croissant was a lawyer in Stuttgart ; his clientele at the time was mainly composed of political activists, including members of Andreas Baader's Red Army Fraction. Croissant was accused by the German authorities of being the accomplice of his clients' political activities, providing them with organizational resources and means of communication, therefore making it possible for them to organize a joint hunger strike. Confronted with judicial prosecution and professional sanctions, including the forced dismissal of the defense in the Stammheim trial, Croissant chose to flee his country in July 1977 and to ask for political asylum in France. This particular episode as well as the subsequent political and legal mobilization in France on behalf of Croissant's case – against the extradition procedure launched by the Federal Republic of Germany and finally carried out on November, 16, 1977 – will provide the main focus of the article. As it reveals the complex relationship of the French left with Germany as well as the stakes of the defense of defense for lawyers, the case provides a good example of the tensions inherent to the assimilation of the defense of terrorists with the defense of terrorism in a democratic state.
  • Défenses militantes. Avocats et violence politique dans l'Italie des années 1970 et 1980 - Maria Malatesta p. 85-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au cours des années 1970, l'Italie fut confrontée tour à tour à la violence de la droite néo-fasciste et à la réaction menée par des groupements armés d'extrême gauche, avant tout les Brigades rouges. Un petit nombre d'avocats de gauche se chargea de défendre les membres de cette organisation. Cet article reconstruit les dynamiques complexes à l'œuvre autour de la défense de ces inculpés : d'un côté, à partir du procès de Turin en 1976, les Brigades rouges opposent au système judiciaire un refus de la défense ; de l'autre, certains avocats sont accusés de connivence avec leurs clients, voire de participation à un groupement terroriste, une tendance qui s'intensifie avec les dénonciations des « repentis » et qui pose la question des conditions de la défense et de ses dangers.
    Militant Defenses : lawyers and political violence in Italy during the 1970s and 1980s.
    During the 1970s, Italy was hit by a surge of terrorist activities by neo-fascist groups as well as mirroring reactions by extreme left armed groups, such as the Red Brigades. A small group of left-leaning attorneys took over the defense of the members of the Red Brigades. This paper aims at assessing the complexity and dangers involved in these defense cases. On one hand, the attorneys involved were rejected by the Red Brigades as soon as their trial began (1976-1978) as a political act of rebellion against the state and the judiciary. And on the other hand, many of these same attorneys were accused of aiding and abetting their clients as well as participation in armed group activities, particularly after the beginning of the phenomenon of the “pentitismo”.
  • Défendre des « terroristes » dans la France de 1935. L'avocat des « oustachis croates » - Frédéric Monier p. 105-120 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article propose une étude des stratégies de défense des « terroristes croates », jugés en 1935 pour complicité dans l'attentat de Marseille qui coûta la vie au roi de Yougoslavie et au ministre Louis Barthou. Les mémoires de leur avocat, expulsé du tribunal par décision de justice, permettent une relecture d'un épisode exceptionnel et emblématique. Mettant à jour l'itinéraire militant d'un avocat très atypique, ces sources éclairent la part déterminante des conflits politiques dans la gestion judiciaire de cette affaire. Elle est un révélateur des tensions suscitées par la répression légale du « terrorisme politique » dans l'Europe des années 1930.
    Defending « terrorists » in France of 1935 : the lawyer of « croatian oustachis »This paper seeks to study the defense strategies adopted for the « Croatian terrorists » judged in 1935 for having collaborated in the Marseille assassination of King Alexander of Yugoslavia, and Minister Louis Barthou. The memoirs written by their attorney after having been expelled by court order during the trial are revealing of an exceptional and emblematic case. In stressing the activist background of an atypical attorney, theses sources enlighten the tensions spurred by the legal repression of « political terrorism » in Europe during the 1930s.
  • Défendre les nationalistes algériens en lutte pour l'indépendance. La « défense de rupture » en question - Sylvie Thénault p. 121-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Jacques Vergès est la figure centrale de la défense des nationalistes algériens et la « défense de rupture » qu'il incarne est considérée comme l'héritage de la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962). À partir de l'histoire de la répression judiciaire et d'entretiens avec des avocats engagés pendant cette période, cet article démontre cependant qu'une telle présentation doit être doublement nuancée. En premier lieu, en raison du caractère massif de la répression judiciaire en Algérie devant les tribunaux militaires, l'intervention des avocats engagés ne pouvait suffire à prendre en charge la défense des nationalistes. En second lieu, dans une logique révolutionnaire de solidarité avec le FLN, le collectif dit « Vergès », avait autant pour mission d'organiser une défense puisant dans les ressources du droit que d'utiliser les facilités de communication des avocats avec les prisonniers. Il fallait abattre les murs des prisons pour que les militants emprisonnés continuent de participer à la lutte pour l'indépendance. L'usage de la plaidoirie politique et de la « défense de rupture » doit ainsi être relativisé et la recherche historique devrait s'intéresser aux conditions concrètes de la défense, en Algérie, à travers l'histoire des barreaux locaux.
    Defending Algerian nationalists fighting for independence : the issue of “break defense”Jacques Vergès is the central figure of the defense system set up for Algerian nationalists and the “break defense” that he embodies is considered as part of the heritage left by the Algerian War of Independence (1954-1962). Based on the history of judicial repression and interviews with the attorneys involved at the time, this article wishes to suggest that such a presentation should be nuanced for two main reasons. First, the important character of judicial repression in Algeria in martial courts meant that the actions of the attorneys hired weren't sufficient to ensure the defense of the nationalists. Secondly, in a revolutionary logic of solidarity with the FLN, the so-called “Vergès” action group organized a defense strategy that delved into legal resources and court trials as much as it used the communication facilities that its attorneys were allowed with prisoners. Prison walls had to be knocked down to allow jailed activists to continue fighting for independence. The use of political plea and “break defense” must therefore be put in perspective and historic research should focus on the true conditions of defense in Algeria through the study of local courts history.
  • Notes de lecture - p. 137-159 accès libre
  • Informations et initiatives - p. 161-166 accès libre