Contenu du sommaire : Varia
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 248, juillet-septembre 2014 |
Titre du numéro | Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Science, industrie, innovation et société au XIXe siècle - Sophie Chauveau p. 3-7
- Louis Pasteur. La science pure au service de l'industrie - Guillaume Carnino p. 9-26 La carrière de Louis Pasteur est exemplaire en cela qu'elle montre le lien étroit, intrinsèque et essentiel, entre préoccupations scientifiques et industrielles. À partir de sa correspondance manuscrite (et non de l'édition qui fut tronquée à dessein par ses héritiers), l'article souligne combien les objets et procédés de la science recoupent les enjeux de l'univers manufacturier. Plus encore, la science, revendiquée comme pure, apparaît alors comme le moyen d'une transaction sociale, entre services économiques et politiques échangés contre légitimité, position de pouvoir et récompenses, le tout constituant les fondements d'une revendication d'autonomie de la part du savant. Le propos se termine par une analyse de la constitution du mythe pastorien.Louis Pasteur: Pure science serving industry
Louis Pasteur's career shows the tight, intrinsic, and essential link between scientific and industrial interests. Through a study of his manuscript correspondence (not the published correspondence, deliberately truncated by his heirs), we show that the aims of science overlapped industrial objectives. Moreover, every time science was claimed as pure, it promoted a social transaction between economic and political services exchanged for social and financial rewards – the whole process laying the foundation for Pasteur to claim autonomy. The article ends with an analysis of the construction of the Pasteur mythology. - Les spécialités pharmaceutiques au XIXe siècle : statuts et fondements de l'innovation - Nicolas Sueur p. 27-46 Le XIXe siècle est marqué, en France, par l'essor des spécialités : sirop d'opium composé d'Aubergier, sinapisme Rigollot, extraits sous vide d'Adrian... Les spécialistes sont le plus souvent des pharmaciens, qui présentent leurs créations comme des nouveautés, fruits de longues recherches en laboratoire. Or ces produits sont en réalité des thérapeutiques qui remontent à l'Antiquité, avec des innovations marginales portant sur les dosages et la composition. Mais ils répondent à une demande croissante de la médecine du XIXe siècle, qui continue d'affectionner ces méthodes anciennes.L'invention pharmaceutique repose d'abord sur la mise au point de procédés techniques permettant de fabriquer des spécialités en grand nombre. Ce changement d'échelle se traduit par la création de sociétés et l'apport de capitaux extérieurs. La mise au point de nouvelles machines accompagne et parfois précède l'invention pharmaceutique, même si la production reste en grande partie manuelle. Le développement de ces nouveaux produits s'explique par des motivations plus commerciales que thérapeutiques, avec une concurrence acharnée des fabricants pour le contrôle de ces spécialités.Pharmaceutical specialities in the 19th century: status and foundations for pharmaceutical innovation
In France, the 19th century saw the rise in pharmaceutical specialities: Aubergier's opium syrup, Sinapisme Rigollot (a decongestant), Adrian's vacuum extracts, etc. Specialists were in most cases pharmacists and they presented their creations as being innovations, the products of lengthy laboratory research. Yet in reality, these products were therapies going back to Antiquity, with slight innovations in terms of dosage and composition. However, they responded to growing demand from 19th century medicine, which continued to appreciate these ancient methods. Pharmaceutical inventions were initially based on perfecting technical processes that enabled specialities to be produced in large quantities. This change in scale resulted in the creation of companies, bringing in external capital. Inventions of new machines coincided with, and sometimes even preceded, pharmaceutical inventions, although production was still a largely manual process. The motives for developing these new products were more commercial than therapeutic, with fierce competition among manufacturers for control of these specialities. - Coéducation et mixité : la polémique sur la gémination des écoles publiques dans le premier tiers du XXe siècle - Yves Verneuil p. 47-69 Les « lois fondamentales » des années 1880 ont maintenu la séparation des sexes dans les écoles. Cependant, au début du XXe siècle, les pouvoirs publics encouragent les géminations d'écoles rurales à une classe. En 1905, le congrès des amicales d'instituteurs et d'institutrices prône par ailleurs une politique volontariste de coéducation. Confondant volontiers les deux projets, certains milieux catholiques vont s'élever contre une politique scolaire jugée à la fois illégale et immorale. Est dénoncée une entreprise « maçonnique » dont la finalité serait d'enlever sa pudeur à la jeune fille et ainsi de l'arracher à l'Église. S'appuyant sur les prescriptions épiscopales, ce combat devient un des chevaux de bataille de l'Union des associations catholiques de chefs de famille et suscite des tensions locales. Même si des divergences finissent par apparaître dans le camp catholique, la loi de 1933 ne met pas fin à ces polémiques. Et pourtant, son but est bien plutôt d'améliorer l'efficacité pédagogique des petites écoles rurales que de remettre en cause les rapports de genre.Coeducation and mixing the sexes: The debate over age-based classes in public schools in the first three decades of the 20th century. The “fundamental laws” of the 1880s maintained gender segregation in public schools in France. However, in the early 20th century, the authorities encouraged rural single-class schools to organise classes by age. Moreover, in 1905, the Congrès des Amicales d'Instituteurs et d'Institutrices (an association for schoolteachers) called for an aggressive coeducation policy. Some Catholic groups deliberately confused the two projects, speaking out against an educational policy that they considered to be both illegal and immoral. They decried a reform allegedly inspired by “Free Masonry” and intended to rob young girls of their modesty and thus take them away from the Church. Relying on bishops' recommendations, this debate became a battle horse for the Union des Associations Catholiques de Chefs de Famille (a Catholic association for traditional families) and sparked tensions locally. Although divergences eventually arose among Catholics, the Law of 1933 did not put an end to these debates. And yet, the purpose of this reform was to improve the pedagogical efficiency of rural schools, not to challenge gender relations.
- Défendre l'enseignement secondaire pour sauver le latin : le pari perdu de la Franco-Ancienne (1946-1978) - Clémence Cardon-Quint p. 71-92 Les associations de spécialistes et les syndicats enseignants font, le plus souvent, l'objet de travaux distincts, ce qui tend à reproduire sans l'interroger la division des rôles mises en avant par ces acteurs collectifs. Le cas de la Franco-Ancienne, de sa reconstitution en 1946 jusqu'à sa transformation en Association des professeurs de lettres en 1978, révèle au contraire une confusion des genres, attestée par le rôle central d'acteurs « multipositionnels » ainsi que par les stratégies argumentatives employées pour défendre les langues anciennes. En adossant la défense des humanités à celle de l'enseignement secondaire, les dirigeants de la Franco-Ancienne ont longtemps su défendre efficacement la cause du latin. Après avoir fait la force de la Franco-Ancienne, cette conjonction la condamna à l'échec lorsque, à la faveur des réformes éducatives et des mutations du corps enseignant, cette conception traditionnelle des finalités de l'enseignement secondaire devint minoritaire.Defending secondary education to save Latin: The lost wager of the Franco-Ancienne teachers' association (1946-1978)Specialist associations and teachers' unions are usually studied separately, a fact that tends to lend credence to the assertion that these categories of groups have separate functions. The history of the Franco-Ancienne, an association of teachers of French and classical letters, from its reconstitution in 1946, until it became the “Association des Professeurs de Lettres” in 1978, reveals intricate and overlapping functions, reflecting the leading role of “multi-positional” stakeholders, as well as the strategy used to protect and promote classical studies. By claiming that humanities and traditional secondary education were inseparable, the Franco-Ancienne's leaders effectively defended the teaching of Latin for a long time. However, after being one of the Franco-Ancienne's strengths, this stance became a weakness after educational reforms and changes in the teaching corps meant that this traditional conception of secondary education was a minority viewpoint.
- Des militants en costume cravate. Regard socio-historique sur l'engagement des dirigeants étudiants de la MNEF (1973-1986) - Camilo Argibay p. 93-108 Cet article est centré sur l'analyse socio-historique de l'engagement militant des dirigeants étudiants de la MNEF. En s'appuyant sur un matériau archivistique, il propose de revenir sur les espaces de socialisation dans lesquels ces étudiants étaient engagés. La première partie permet de saisir leur engagement au regard de leur environnement politique et syndical. L'évolution des rapports entretenus par la mutuelle avec d'autres organisations étudiantes et des mouvements partisans à partir des années 1970 constitue une grille de lecture indispensable à la bonne compréhension de cet engagement. Ces militants étudiants sont présents dans deux espaces de socialisation entremêlés : d'abord, une socialisation qualifiée de « militante », en raison de leur insertion dans des mondes militants plus vastes ; ensuite, une socialisation « gestionnaire », spécifique à la MNEF, en raison de leur statut particulier de jeunes dirigeants d'entreprise. En s'arrêtant sur les apprentissages de savoir-faire et les intériorisations de représentations, cet article revient finalement sur une forme d'accumulation de capital militant, élément qui permet de comprendre l'entrée en politique de plusieurs de ces leaders.Activists in suit and tie: A socio-historical look at the commitment of the student directors of the MNEF (1973-1986)This article focuses on a socio-historical analysis of the activism of the student leaders of the MNEF, a French student association in charge of social security for students. Based on archival documents, it aims to understand what kind of socialisation these leaders acquired. Firstly, the article describes the activist environment that these young leaders belonged to. To understand their activist commitment, we must grasp the changing relations between the MNEF and other student organisations and political parties in the 1970s. These student activists were involved in two interconnected areas of socialisation. On the one hand, they were socialised as “militants”, due to their involvement in broader militant movements (unions and political parties). On the other hand, they were socialised as “managers”, which was specific to the MNEF given their unique status as young company directors. By focusing on how expertise was acquired and representations were internalised, this article ultimately covers a form of “capital accumulation” as activists, a factor that helps us understand why several of these young leaders later entered politics.
- « Strikingly French ». Martinique, agitation ouvrière et politique métropolitaine au tournant du siècle - Christopher Church p. 109-124 En février 1900, la colonie de la Martinique a connu sa première grève générale, exploitée à Paris par la gauche comme par la droite dans leur lutte pour le contrôle de la Chambre des députés. Les socialistes y ont cherché des arguments dans leurs débats internes face au gouvernement de défense républicaine ; les modérés et réformistes se sont appuyés sur elle pour mettre en évidence les fautes administratives commises en métropole ; et la droite a saisi l'occasion de remettre en question le programme de République sociale et discréditer le gouvernement Waldeck-Rousseau. Il s'en est fallu de peu que ces troubles civils, générés par une économie sucrière déclinante sur l'île lointaine de Martinique, ne parviennent à provoquer la chute du gouvernement, sur fond de débats très vifs au sujet des conflits de travail. Comme le montre cet article, l'ancienne colonie de la Martinique et ses préoccupations sociales ont aussi participé et aidé à façonner une France fin-de-siècle en proie aux querelles parlementaires et confrontée à une demande croissante d'égalité sociale.‘Strikingly French' : Labor Unrest, Metropolitan Politics, and Martinique at the Turn of the CenturyIn February of 1900, the colony of Martinique experienced its first general strike, which was in turn mobilized in Paris by those on the left and right as they struggled for control of the French Chamber of Deputies. Socialists sought leverage in their struggle to oust “bourgeois” elements from the government; moderates and reformists used the strike to highlight issues of administrative misconduct within the metropole; and the right took the occasion to question the social ideals of the Republic and discredit the Waldeck-Rousseau coalition government. Growing civil unrest at the hands of a failing sugar economy on the distant island of Martinique was nearly sufficient to topple the government at home, as debates readily turned toward labor unrest within the metropole. As this paper demonstrates, the old colony of Martinique and its social concerns participated in and helped shape a fin-de-siècle France riddled with parliamentary infighting and rising demands for social equality.
- Maurice Agulhon au défi des classements - Michel Pigenet p. 125-128
- Notes de lecture - p. 129-139
- Informations et initiatives - p. 141-146