Contenu du sommaire : Politique en Grèce ancienne
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 69, no 3, juin 2014 |
Titre du numéro | Politique en Grèce ancienne |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Jacques Le Goff (1924-2014) - p. 599-601
- Repenser le politique en Grèce ancienne - Vincent Azoulay p. 605-626
Construire la communauté
- Les prétendues classes censitaires soloniennes : À propos de la citoyenneté athénienne archaïque - Alain Duplouy p. 629-658 La mise en place par Solon de quatre classes censitaires dans l'Athènes du début du VIe siècle av. J.-C. est d'ordinaire perçue comme une étape majeure dans la structuration politique de l'État athénien. S'intéressant à la manière dont s'était élaborée l'image d'un Solon « père fondateur de la démocratie athénienne », Claude Mossé montrait, il y a près de trente-cinq ans, combien cette présentation devait en fait à l'historiographie du IVe siècle, mettant dès lors en doute l'existence d'un système censitaire solonien. Poursuivant cette démarche, bien que souvent tenue pour « post-moderne » et aux résultats qualifiés de « pessimistes », cet article envisage les telè soloniens comme des groupes fonctionnels parmi bien d'autres, insistant sur leur rôle dans la structuration de la cité athénienne et dans la définition d'une citoyenneté proprement archaïque fondée sur les comportements et les modes de vie.The So-Called Solonian Property Classes: On Citizenship in Archaic Athens It is commonly accepted that the definition of four property classes by Solon in early sixth-century BCE Athens marked a major step in the political construction of the Athenian state. However, as Claude Mossé argued 35 years ago, this reconstruction is mainly the result of a fourth-century BCE historiography that installed Solon as the founding father of Athenian democracy—casting doubt on the early existence of the so-called Solonian system. Although such an approach has often been considered as “post-modern” or “pessimistic,” I propose to follow Mossé's path by considering the Solonian telè as occupational groups involved, among many others, in the construction of the Athenian polis. This analysis results in the definition of an explicitly archaic citizenship conceived as a performance linked to specific behaviors and lifestyles.
- Deux formes du commun en Grèce ancienne - Arnaud Macé p. 659-688 Le présent article avance l'idée qu'il existait en Grèce archaïque deux conceptions fondamentales du commun et que celles-ci gagnent à être explicitées à partir du contexte des pratiques distributives qui y avaient cours, comme celles qui président à la répartition des parts de butin après une expédition guerrière. C'est dans ce contexte qu'une distinction peut être faite entre le commun qui ne se distribue pas – la part qu'une communauté met à part avant de diviser les parts individuelles – et celui qui résulte au contraire de la façon dont on répartit les parts individuelles, par exemple en vertu d'une égalité qui devient, pour tous, synonyme de communauté du partage. On propose d'appeler ces deux formes « commun exclusif » et « commun inclusif », et d'en explorer les propriétés. On suit aussi les conséquences du fait que les anciens Grecs en soient venus à appliquer à la cité elle-même ce schéma distributif, en se représentant l'ordre politique comme le résultat d'une procédure de distribution des biens et des prérogatives : la dualité du commun exclusif et du commun inclusif devrait aussi se retrouver au sein de l'expérience et de la pensée politique des anciens Grecs, comme l'un de ses principes structurants.Two Types of Common Property in Ancient Greece This paper argues that there were two fundamental conceptions of common property in archaic Greece. This distinction is worth teasing from contemporary practices of distribution, such as the division of bounty between warriors after a military expedition. Within this context we can observe a difference between common property which is not distributed—the part that a community sets aside before portioning out individual shares—and a more abstract “common good” that results from the way in which the remainder is parceled out: for instance a division according to equal measures gives individuals the sense of belonging to a sharing community. Identifying these two forms as “exclusive commons” and “inclusive commons,” this article provides an analysis of their properties. It also outlines the consequences of the fact that ancient Greeks came to apply this distributive schema to the polis itself and to conceive its political structure as the result of a global distribution of goods and prerogatives. The duality outlined here should thus be understood as one of the core structuring principles of ancient Greek political practice and thought.
- Les prétendues classes censitaires soloniennes : À propos de la citoyenneté athénienne archaïque - Alain Duplouy p. 629-658
Construire la communauté
- Repolitiser la cité grecque, trente ans après - Vincent Azoulay p. 689-719 Trente ans après l'article de Nicole Loraux paru dans L'Homme en 1986, cette étude entend revenir sur l'expérience politique dans le monde grec ancien. L'objectif est de montrer qu'il est nécessaire d'articuler les deux définitions du terme politique inventé par les Grecs : d'une part, le politique compris comme un ensemble d'activités sans substance ni incarnation institutionnelle spécifique, un champ d'actions qui ne s'identifie pas dans les formes de l'État moderne, mais dans des expériences et des pratiques très variées, en contexte conflictuel, et, d'autre part, la politique, entendue non pas seulement comme l'accès réglé à différentes institutions, mais aussi comme auto-institution de la communauté par elle-même. À travers l'étude d'un cas précis, la crise de 404 à Athènes et, en particulier, le discours de Cléocritos transmis par les Helléniques de Xénophon, l'article propose une nouvelle manière de penser ces deux niveaux d'expression de la vie collective. Loin de la lecture réconciliatrice qu'en avait proposée N. Loraux, l'appel à la concorde de Cléocritos témoigne, dans l'effervescence et la tension des événements, de l'oubli de la politique, au sens institutionnel du terme, au profit exclusif du politique et des pratiques collectives qui y sont associées. Pour finir, cette étude de cas débouche sur une interrogation plus générale sur le sens de l'événement et sa portée épistémologique. En proposant de penser la crise de 404 au sein des différents régimes d'historicité qui ont caractérisé l'histoire d'Athènes entre le Ve et le IVe siècle, l'article vise à mieux réarticuler les moments instituants et le fonctionnement institué de la démocratie grecque.Repoliticizing the City, Thirty Years Later Thirty years after Nicole Loraux published her 1986 article in L'Homme, this study revisits the question of political experience in the Ancient Greek world. Its aim is to demonstrate the importance of distinguishing between the two definitions of the term “politics” as conceived by the Ancient Greeks. On the one hand, the political (le politique) was conceived as an ensemble of activities with no specific institutional substance or form, a sphere of action which has no direct equivalent in the modern state, but rather relates to very varied experiences and practices undertaken in the context of conflict. On the other hand, politics (la politique) was understood not only as organized access to different institutions, but also as the way in which a community structured and defined itself. Taking the Athenian crisis of 404 BCE as a case study, and, in particular, the speech of Cleocritus preserved in Xenophon's Hellenica, this paper proposes a new way of thinking about this dual expression of collective life. Far from the reconciliatory reading of Cleocritus' speech proposed by Loraux, his appeal for harmony bears witness, in the turmoil and tension of events, to the way that politics (in the institutional sense) was sidelined—to the exclusive benefit of the political and the collective practices associated with it. In conclusion, this case study opens up a more general consideration of the meaning of the “event” and its epistemological significance. By considering the crisis of 404 BCE at the heart of the “regimes of historicity” which characterized the history of Athens between the fifth and fourth centuries BCE, this article aims to provide a clearer articulation of the foundational moments and established functioning of Greek democracy.
- Repolitiser la cité grecque, trente ans après - Vincent Azoulay p. 689-719
Redéfinir la cité
- Le simple corps de la cité : Les esclaves publics et la question de l'État grec - Paulin Ismard p. 723-751 L'esclavage public était une institution commune à la majorité des cités grecques de l'époque classique et hellénistique. Qu'ils travaillent sur les grands chantiers de la cité, constituent les « petites mains » de son administration civique ou composent l'essentiel de ses forces armées permanentes (les célèbres archers scythes athéniens), les esclaves publics furent d'une certaine façon les premiers fonctionnaires du monde des cités. En ce sens, leur étude offre un éclairage inédit de la controverse portant sur la nature plus ou moins étatique de la polis grecque. La démocratie, du moins telle que la concevait les Athéniens de l'époque classique, impliquait en effet que l'ensemble des prérogatives politiques soit entre les mains des citoyens et non dans un quelconque appareil d'État. La décision de reléguer à des esclaves les tâches relevant de l'administration civique peut dès lors être appréhendée, selon les termes de l'anthropologie de Pierre Clastres, comme une « résistance » de la société civique à l'émergence d'un véritable appareil d'État.The Single Body of the Polis: Public Slaves in Greek Cities Public slavery was an institution common to most Greek cities during the classical and Hellenistic periods. Whether they worked on the city's major construction sites, performed minor duties in its civic administration or filled the ranks of its police force (the famous Scythian archers of classical Athens), public slaves may be said to have constituted the first public servants known to Greek cities. Studying them from this perspective can shed new light on the long-running but still lively debate about the degree to which the polis functioned as a state. Direct democracy, in the classical Athenian sense, implied that all political prerogatives be held by the citizens themselves, and not by any kind of state apparatus. The decision to delegate administrative tasks to slaves can thus be understood as a “resistance” (as defined by the French anthropologist Pierre Clastres) on the part of the civic society to the development of a such a state apparatus.
- La (dé)construction de la politeia : Citoyenneté et octroi de privilèges aux étrangers dans les démocraties hellénistiques - Christel Müller p. 753-775 L'article propose de revenir sur la notion de citoyenneté (politeia) dans le monde grec, en confrontant une conception traditionnelle fondée notamment sur la lecture d'Aristote, qui définit la citoyenneté en termes de participation politique, au témoignage des nombreux décrets gravés à l'époque hellénistique octroyant aux étrangers bienfaiteurs des privilèges légaux (comme le droit de propriété, de commercer, de contracter un mariage légitime, d'être exempté de certains impôts...). Si la tripartition statutaire classique (citoyens, étrangers résidents et esclaves) reste assurément valable durant l'époque hellénistique et constitue l'« infrastructure » des sociétés civiques, le système de privilèges mis en place par les cités pour honorer des étrangers méritants aboutit à créer une « concaténation de positions toutes différentes » qui, sans remettre en cause la hiérarchie des statuts juridiques, introduit de la fluidité sociale dans un monde inter-connecté, bien éloigné de l'idéal platonicien et aristotélicien de la cité autarcique.(De)constructing politeia: Reflections on Citizenship and the Bestowal of Privileges upon Foreigners in Hellenistic Democracies. This article revisits the notion of citizenship (politeia) in the Greek world, challenging the traditional concept, based principally on the works of Aristotle, which defines citizenship in terms of political participation. It considers the numerous decrees issued during the Hellenistic period bestowing legal privileges upon foreign benefactors (such as the right to own property, to trade, to enter into a legal marriage, to be exempted from certain taxes...). If the classical tripartite division of status (citizens, resident aliens and slaves) remained valid during the Hellenistic period and provided the “infrastructure” of civic societies, the system of privileges established by cities to honor deserving foreigners created a “concatenation of different positions,” which, without calling into question the hierarchy of legal statuses, introduced social fluidity into an interconnected world, far removed from the Platonic and Aristotelian ideals of the autarchic city.
- Méditerranée (comptes rendus) - p. 779-839
- Le simple corps de la cité : Les esclaves publics et la question de l'État grec - Paulin Ismard p. 723-751