Contenu du sommaire : Historiens des idées politiques

Hippolyte Taine cherche à consacrer l'histoire comme une science capable de déterminer les lois de l'avenir par la compréhension du passé. Il développe à cet effet une méthode historique naturaliste et déterministe. Sa condamnation de la Révolution française et du jacobinisme l'ont fait classer parmi les penseurs contre-révolutionnaires et traditionnalistes. Toutefois, se muant en historien des idées politiques, il s'interroge sur la place de l'individu dans le corps social et face au pouvoir. Et c'est finalement en historien conservateur mais libéral que Taine tente à partir de l'histoire de fonder une science de la politique qui mette la France à l'abri des convulsions qui l'ont marqué durant le XIXe siècle.

Le socialisme de Jaurès est en grande partie façonné par sa passion de la Révolution française. Avant comme après sa rédaction des chapitres sur la Révolution pour l'Histoire socialiste (1789-1900), Jaurès enquête sur cette époque, ses hommes, ses idées. Il ne faut pas réduire son travail incessant à quelques formules, mais bien l'appréhender dans sa totalité, nuancée et complexe. En revanche, son intérêt pour les premiers socialismes ne passe pas par l'étude historique. C'est le mouvement républicain, fils de la Révolution, et plus particulièrement les deux personnalités riches et complexes de Gambetta et de Ferry que Jaurès privilégie. Il souhaite en effet apporter au socialisme le complément politique et idéal indispensable.

Au début du XXe siècle, le philosophe italien Benedetto Croce (1866-1952) a adressé de vives critiques à l'histoire des idées politiques. Croce a pourtant lui-même peu pratiqué un exercice historiographique à l'égard duquel il se montrait particulièrement exigeant, et le chapitre qu'il consacre aux idées politiques dans sa Storia dell'età barocca in Italia (1929) est resté méthodologiquement très timoré. Le présent article étudie en quoi l'historien italien Federico Chabod (1910-1960) a produit une histoire des idées politiques qui se rapproche de l'idéal crocien d'une histoire « éthico-politique » et qui a rencontré la sympathie de son contemporain français Alphonse Dupront (1905-1990).

Défenseur du républicanisme et du droit, Cassirer a interrogé la technicisation du mythe dans les régimes totalitaires ainsi que le rapport du judaïsme à la politique. Ses réflexions épistémologiques sur la manière dont les individus font et écrivent l'histoire le conduisent à réinterpréter les Lumières dans le sillage de Kant et de Hegel, mais avec certains déplacements, dus à un engagement humaniste résolument ouvert, l'opposant à Heidegger. L'intégration du politique dans une anthropologie de la culture ambitieuse lui permet d'établir des diagnostics critiques subtils, de manière en partie similaire à Foucault. Son engagement fait de lui un des grands « moralistes politiques » du XXe siècle, au même rang qu'un Sartre.

Disposant d'une connaissance exceptionnelle de l'histoire des idées philosophiques et politiques, Carl Schmitt la met au service de projets théoriques qui ne sont pas toujours explicitement formulés, ce qui fait de lui un historien très politique des idées politiques. L'article s'efforce de le montrer sur trois exemples : l'analyse de la dictature, celle des rapports entre libéralisme, parlementarisme et démocratie, et enfin la question de la « théologie politique », une notion qui demeure attachée à son nom. Faire de l'histoire des idées, c'est toujours pour Carl Schmitt se choisir des adversaires.

Les grands thèmes de la pensée de Leo Strauss sont présentés comme des étapes éclairant sa critique du rationalisme moderne. Ce point de départ aide à comprendre que la querelle entre les Anciens et les Modernes implique le rejet d'un cadre de pensée hérité du christianisme. La réouverture du problème théologico-politique permet de faire le point sur l'héritage des Lumières modernes, d'introduire la notion maïmonidienne de Loi et de souligner le message politique de la philosophie de Platon. Remettant en question la conception de l'homme sur laquelle s'appuie le libéralisme politique, Strauss propose des pistes de réflexion dont il s'agit d'apprécier l'originalité et les limites.

Le programme méthodologique élaboré par Quentin Skinner depuis le début des années 1970 pour lire l'histoire de la pensée politique se propose de remplacer un mode de lecture des textes du passé placé sous le regard des questions pérennes de la philosophie politique – avec son lot d'anachronismes et de « précurseurs » - par une approche contextuelle s'appuyant sur l'idée que le sens des concepts figurant dans les textes ne peut être élucidé et compris que par leur insertion dans le contexte d'interlocution et de discours propre à l'époque où ils ont été écrits.