Contenu du sommaire : La simulation multi-agents : principes et applications aux phénomènes sociaux

Cet article a un objectif général, permettre au lecteur un survol des principaux thèmes théoriques et méthodologiques traversant les recherches relatives à, et fondées sur, la simulation multi-agents. Il a également un objectif spécifique : aider le lecteur à mieux comprendre les contributions qui constituent le numéro thématique que la Revue française de sociologie a voulu consacrer à cette méthode. Pour ce faire, il aborde les points suivants : 1) l'originalité de la simulation multi-agents ; 2) le type d'explication que cette méthode permet de mettre en ?uvre ; 3) le substrat informatique de la méthode ; 4) ses potentialités pour traiter le problème de l'agrégation ; 5) le rapport que l'on peut établir entre une simulation multi-agents et les données empiriques ; 6) les points critiques de la méthode.

Les systèmes multi-agents sont utilisés depuis une quinzaine d'années pour simuler la dynamique des phénomènes sociaux. Ils permettent de conceptualiser les interactions entre un ensemble organisé d'agents et d'explorer les structures qui en émergent par la formalisation de situations complexes où des agents hétérogènes opèrent à des échelles multiples. Cet article présente et discute un cadre de pensée qui articule les domaines concernés (empirique, conceptuel, modèle) de manière générale et dans le cas des systèmes multi-agents ; il développe ensuite une grille d'analyse pour saisir les divers usages de ces systèmes, en explorant plus particulièrement l'opposition méthodologique entre modèles parcimonieux (KISS) et descriptifs (KIDS), laquelle reflète en réalité différents moments de l'investigation scientifique ; enfin, il applique ce cadre et cette grille à l'analyse de plusieurs exemples en sociologie, économie et géographie (ségrégation résidentielle, inégalités scolaires, émergence des normes, fonctionnement d'un marché, hiérarchisation urbaine) et se conclut par des propositions méthodologiques fondées sur une approche abductive de l'utilisation des systèmes multi-agents en sciences sociales.

Cet article présente un modèle multi-agents à partir d'un forum internet sur la santé. Si la littérature récente démontre la pertinence des approches de réseau pour comprendre les mécanismes de formation du consensus au sein des groupes de pairs en ligne, le processus dynamique d'ajustement mutuel des orientations de santé des participants a rarement été exploré. Notre modèle est fondé sur les données qualitatives collectées au moyen d'entretiens semi-directifs avec des utilisateurs d'internet atteints de troubles des conduites alimentaires, souvent stigmatisés en raison des controverses entourant les sites « pro-ana » (anorexie). Les fils de discussion qui se déroulent dans le forum, exprimant un éventail d'orientations en matière de santé allant de l'extrême « pro-pathologie » jusqu'aux postures « pro-guérison », forment un mélange de réactions conflictuelles ou de soutien pouvant déclencher des changements dans les orientations des membres au cours du temps. Nous développons une simulation informatique d'échanges de messages dans un forum, décrivant des micro-comportements par un simple mécanisme d'influence. Ensuite, nous complexifions le contexte macro pour prendre en compte les effets du renouvellement des effectifs (la possibilité de sortir et/ou d'entrer dans le forum) et du changement du taux de participation active des membres aux discussions. Notre modèle montre que, dans des conditions empiriquement plausibles, les orientations pro-guérison modérées sont plus susceptibles d'émerger que celles plus radicales, refusant la médiation médicale. Ces résultats permettent de produire des recommandations en termes de politiques publiques, afin de concevoir des campagnes efficaces d'information en matière de santé, et de signaler qu'il faut en particulier éviter les restrictions d'accès ou le filtrage de ces communautés en ligne.

L'analyse du comportement fiscal est un domaine de recherche qui suscite un intérêt croissant dans les sciences humaines et sociales. La théorie du choix rationnel a été traditionnellement mobilisée pour rendre compte de ce comportement mais elle se trouve face à l'énigme de devoir expliquer un niveau de contribution fiscale bien plus élevé que celui attendu sous les hypothèses de cette théorie. Plusieurs mécanismes d'influence sociale ont été proposés pour résoudre ce problème. Dans cet article, nous discutons la littérature interdisciplinaire sur ce sujet et soutenons que les modèles à base d'agents artificiels sont un outil prometteur pour tester des théories et des hypothèses dans ce domaine de recherche. Afin d'illustrer cette affirmation, nous présentons SIMULFIS, un modèle à base d'agents artificiels qui simule le respect de l'injonction fiscale. Il permet de combiner des mécanismes inspirés de la théorie du choix rationnel à des mécanismes d'influence sociale dans le but d'engendrer les régularités macroscopiques dérivant du comportement fiscal des acteurs. Nous présentons et discutons les résultats d'une expérience virtuelle simple afin de montrer les potentialités du modèle.

L'article propose un modèle théorique traduit dans une simulation informatique de la manière dont les acteurs communiquent au sein de forums de discussions en ligne. L'analyse du modèle montre que deux mécanismes simples peuvent rendre compte de la complexité des réseaux des échanges en ligne : d'une part, la tendance à parler avec des utilisateurs connus et, d'autre part, la tendance à se lancer dans des échanges de questions/réponses. Ces deux mécanismes permettent de reproduire des discussions longues ainsi que des interactions complexes entre des utilisateurs ayant des niveaux différents d'expertise. En particulier, quand les résultats des simulations sont comparés à des données empiriques issues de trois forums en ligne différents, l'analyse montre que le modèle est capable de distinguer quand un noyau d'utilisateurs interagissant apparaît fréquemment. Puisque l'émergence de tels noyaux constitue la première étape dans la construction du sentiment d'appartenance à une communauté, la capacité à modéliser l'émergence de ces noyaux intéresse plusieurs contextes qui vont du policy-making à l'apprentissage en ligne au marketing social.