Contenu du sommaire : Dossier : Sahara en mouvement

Revue L'année du Maghreb Mir@bel
Numéro Vol. VII, 2011
Titre du numéro Dossier : Sahara en mouvement
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Avant-propos

  • Dossier de recherche : Sahara en mouvement

    • Sahara en mouvement - Dominique Casajus p. 5-23 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On peut dire du Sahara ce que Fernand Braudel disait naguère de la Méditerranée : lui assigner des bornages est une tâche malaisée. Des géographes s'y sont cependant essayés, et leurs tentatives participent de ce qu'on peut appeler l'« invention » du Sahara. La présente introduction évoque quelques figures marquantes de cette invention (Léon l'Africain, Eugène Daumas, Émile Carette, Henri Duveyrier, Robert Capot-Rey…) puis présente brièvement les diverses contributions du dossier, en les replaçant dans une perspective historique. Ainsi, les rêves que le Sahara inspire aujourd'hui aux ingénieurs du solaire n'ont rien à envier aux utopies techniciennes de l'époque coloniale. De même, les rumeurs que la presse entretient à propos d'AQMI ne sont pas très différentes de celles que suscita jadis la confrérie senoussiste. De même encore, les réflexions politiques des Touaregs maliens et nigériens ne sont pas sans un lointain rapport avec les réflexions des lettrés maures du XVIIe au XIXe siècle. De même enfin, les actuelles migrations sahariennes ont eu un précédent, sous la forme des migrations, forcées celles-là, que provoquait la traite des esclaves. Non que le Sahara soit resté identique à lui-même depuis des siècles, mais les mouvements et idées qui le parcourent ne sont pas nés d'hier.
      What Fernand Braudel once said of the Mediterranean sea can be said of the Sahara desert: drawing up boundaries is a difficult task. However, some geographers attempted to do so, and their endeavors were part of what may be termed the “invention” of the Sahara. In our introduction we pointed out some key figures of this invention (Leo Africanus, Eugene Daumas, Emile Carette, Henri Duveyrier, Robert Capot-Rey ...) then briefly presented the various contributions to the project, from a historical perspective. Indeed the Sahara-inspired dreams of today's solar engineers are every bit as wild as the utopias of technicians from the colonial era. Similarly, the rumors fueled by media about AQIM are not very different from those once spread about the Senussi brotherhood. In the same way, the political thinking of the Tuareg in Mali and Niger is not so far remote from the thinking of the Moorish scholars of the seventeenth through nineteenth centuries. And again, the current migrations in the Sahara desert were preceded by other migrations, even if those took place under the duress of the slave trade. We cannot say that the Sahara has remained unchanged for centuries, but the movements and ideas that travel through it were not born yesterday.
    • Le Sahara dans l'histoire
      • Les réseaux transsahariens de la traite de l'or et des esclaves au haut Moyen Âge : VIIIe-XIe siècle - Roger Botte p. 27-59 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Du VIIIe au XIe siècle, sous l'impulsion des Berbères ibâdites, le commerce transsaharien de l'or et des esclaves prend son essor. Les Berbères mettent en place un vaste « écran schismatique » grâce à la création de grandes cités commerciales : Zawîla, Wârgla, Tâhert, Sijilmâsa, etc. Ils détiennent le monopole sur les trois grands faisceaux de routes transsahariennes nord-sud reliant le Maghreb à l'Afrique. Simultanément, une chaîne ininterrompue de communautés juives épouse presque parfaitement l'arc schismatique ibâdite. L'organisation des flux commerciaux impliquait l'existence d'États ou de villes marchandes aux débouchés nord et sud de chaque axe transsaharien et une complémentarité mutuelle irremplaçable entre produits du Nord et du Sud. Les problèmes logistiques auraient sans doute compromis ce commerce s'il n'y avait eu des oasis-relais entre le Soudan et le Maghreb. Des indices convergents dessinent une traite déjà bien affirmée dès le milieu du VIIIe siècle, mais les sources restent discrètes sur le nombre d'esclaves déportés et leur utilisation.
        The trans-Saharan gold and slave trade developed between the eighth and eleventh centuries, under the leadership of Ibadi Berbers. Berbers set up a large “schismatic screen” by creating large commercial cities: such as Zawîla, Wârgla, Tâhert, Sijilmâsa etc. They had a monopoly over the three main North-South trans-Saharan routes linking the Maghreb to Africa. Simultaneously, an unbroken chain of Jewish communities settled almost exactly along the Ibadi schismatic arch-shaped path. The organization of trade flows required the existence of States or market towns at the north and south ends of each trans-Saharan axis as well as irreplaceable mutual complementarity between products from the North and those from the South. Logistical problems may have compromised the trade if it hadn't been for the existence of oases between Sudan and the Maghreb. Signs converge to reveal that a slave trade was already in place by the mid-eighth century, but sources are discrete as to the number of slaves deported and their use.
      • Théologie du désordre. Islam, ordre et désordre au Sahara - Abdel Wedoud Ould Cheikh p. 61-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cette contribution se propose d'évoquer quelques aspects des rapports entre (dés)ordre et (il)légalité au Sahara, à la lumière des débats et des prises de position qui ont nourri la réflexion et les écrits des fuqahâ' maures confrontés à l'absence d'un pouvoir jugé pleinement légitime, d'un point de vue islamique, dans l'espace saharien occidental d'avant les colonisations française et espagnole. Certains de ces théologiens s'affirmaient partisans d'un jihâd pour faire advenir un tel pouvoir ; d'autres, au contraire, s'y opposaient avec fermeté. Le retour sur cette controverse d'une autre époque permet de montrer l'historicité de la question du jihâd qui agite aujourd'hui à nouveau ces contrées, en étroite relation avec un regain notable d'insécurité, associé à toutes sortes d'activités délictuelles (enlèvements, assassinats, trafics divers, etc.) parfois justifiées par des mobiles jihâdistes.
        This contribution deals with some aspects of the interrelations between (dis)order and (il)legality in the Sahara, in light of the debates and positions informing the thoughts and writings of the Moorish fuqahâ' confronted with the lack of a fully legitimate power, from an Islamic viewpoint, in the pre-colonial Western Sahara. Some of these theologians declared themselves in favour of a jihâd aiming at the coming of such a power; others, to the contrary, firmly opposed this idea. Turning back to this old controversy helps to show the historicity of the problem of the jihâd which arose recently in the Saharan areas, in close connection with a noticed growth of insecurity in these mentioned areas, associated with all kinds of illegal activities (kidnappings, assassinations, diverse trafficking, etc.), sometimes legitimized by jihâdist motives.
    • L'invention du Sahara : découvertes et utopies
      • Henri Duveyrier et Cheikh ‘Othmân, cartographes du Sahara - Dominique Casajus p. 81-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Le livre que Henri Duveyrier a publié en 1864 sous le titre Les Touareg du Nord comportait une carte au 1/3 000 000 qui, durant plusieurs décennies, fut considérée comme la carte de référence du Sahara. Il l'avait composée à partir de trois sources : ses propres itinéraires, méticuleusement relevés ; les itinéraires de ses devanciers, notamment l'explorateur Heinrich Barth ; enfin, les renseignements fournis sur place par les informateurs rencontrés, touaregs ou arabes. Le présent article vise à détailler, à partir d'une relecture des carnets du voyageur, le cheminement qui a conduit de ses différentes sources – observations ou témoignages – jusqu'à l'objet finalement publié. Ce qui conduira à relever la dette de l'auteur envers ses informateurs locaux, et notamment le lettré Cheikh ‘Othmân, qui fut un peu son mentor lors de son séjour en pays touareg. On relèvera également la trace laissée dans ses notes par ses interactions dialogiques avec ses informateurs locaux.
        The book published by Henri Duveyrier in 1864 under the title Tuaregs of the North included a 1/3000000 scale map which was considered for decades as the reference map of the Sahara. He had drawn it up based on three sources: his own itineraries, meticulously noted down, the routes of his predecessors, including the explorer Heinrich Barth; finally, the information provided on site by the Tuaregs and Arabs he met. The purpose of this article is to describe, through a reinterpretation of the traveler's logs, the journey that led from his various sources – observations and testimonies – to the book that was finally published. This shows how much the author owed to local informants for their contribution, including scholar Sheikh 'Othman, who, in a way, acted as his mentor during his stay in Tuareg country. We shall also point out the signs emerging from his notes of his dialogic interactions with local informants.
      • L'imagerie touarègue entre littérature savante et littérature populaire - Paul Pandolfi p. 101-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Une série de clichés continue encore aujourd'hui à oblitérer l'appréhension des sociétés touarègues. Avec quelques nuances et ajustements, ces clichés se retrouvent dans la littérature de voyage, la presse, le cinéma, la publicité, et parfois dans les publications universitaires. Le présent article se fonde pour l'essentiel sur une analyse de la représentation stéréotypée des Touaregs dans la littérature « savante » de l'époque coloniale, et se réfère notamment à deux auteurs qui ont joué un rôle fondamental dans son élaboration : Henri Duveyrier et Émile-Félix Gautier. L'article examine ensuite quelques romans coloniaux qui se sont directement inspirés de cette littérature savante. Dans ces clichés, le Touareg apparaît comme un autre, mais un autre proche dont on se fait une image plutôt positive, et sa relative proximité fait d'autant mieux ressortir l'irrémédiable altérité de ses voisins, auxquels on applique par contre des clichés négatifs.
        To this day, a number of clichés continue to hinder our understanding of the Tuareg society. With different degrees and some adjustments, such clichés usually emerge in travel literature, media, movies, advertising, and sometimes in academic publications. This article is primarily based on the analysis of the stereotypical representation of Tuaregs in the “scholarly” literature of the colonial era, with particular references to two authors who have been instrumental in its development: Henri Duveyrier and Emile-Felix Gautier. The article then examines a number of colonial novels that were directly inspired by scholarly literature. In these clichés, the Tuareg appears as an “other”, but an “other” close enough to project a rather positive image, and his relative proximity makes all the more obvious the irremediable otherness of his neighbors, who in turn are given negative stereotypes.
      • Développer le désert : anciennes et nouvelles utopies - Jean-Robert Henry, Jean-Louis Marçot, Jean-Yves Moisseron p. 115-147 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Désert et développement : deux termes en apparence antinomiques, mais qui ont souvent été associés étroitement dans les imaginaires et les pratiques. Aussi bien dans les traditions religieuses méditerranéennes que sous les habits successifs de « progrès », de « développement » et de « mondialisation », l'idée de civilisation a maintes fois trouvé dans la référence au désert son contraire, son révélateur et son complément : quand la civilisation échoue à conquérir le désert, c'est à celui-ci qu'elle retourne. Cette interaction des représentations autour des variantes contemporaines du rapport culture/nature n'a cessé d'inspirer depuis deux siècles une abondante littérature sur le désert, dans laquelle la relation de celui-ci avec l'espace développé n'est pas seulement confrontation entre deux espaces, mais aussi entre deux temps mythiques du monde, deux visions du destin humain. Cet imaginaire se projette aussi dans les utopies pratiques – anciennes et nouvelles – de mise en valeur du désert. La présente contribution a choisi de porter l'accent sur deux d'entre elles, sensiblement différentes dans leur moment, leur esprit et leurs effets : les projets d'irrigation du désert et ceux d'exploitation de l'énergie solaire. Les premiers qui visaient à mobiliser les ressources hydriques du désert pour le « faire reverdir » et élargir l'espace cultivé ont suscité, à la fin du XIXe siècle, l'intérêt très vif de scientifiques et d'hommes politiques, mais n'ont été finalisés, comme le transsaharien, que dans les romans. Il a fallu attendre les indépendances pour que des États postcoloniaux les reprennent en partie à leur compte. Pour le solaire, il s'agit moins de développer le désert que de mettre l'énergie stérilisante du soleil au service du développement durable de toute la région euro-méditerranéenne. Le Plan solaire méditerranéen, projet-phare de l'Union pour la Méditerranée, suscite l'intérêt financier et technologique de grandes entreprises qui s'investissent dans les énergies renouvelables et rêvent de faire du Sahara la future centrale énergétique de l'Europe. Mais, en rattachant trop étroitement ce désert au développement européen, il fait bon marché des attentes plus modestes des sociétés sahariennes en matière de mise en valeur de leur espace de vie et risque de se heurter à des déconvenues politiques et techniques considérables.
        Desert and Development: Two seemingly contradictory terms, though often closely associated in practices and imaginations. In both the religious traditions of the Mediterranean and under the successive labels of "progress", "development" and "globalization", the idea of civilization has repeatedly found its opposite, its enhancer and its complement when referring to the desert: when civilization fails to conquer the desert, it reverts to desert. The interaction of representations around the contemporary variants of the Culture / Nature relation has ceaselessly fueled for two centuries an extensive literature on the desert, in which the relation between desert and developed space is not only a confrontation between two spaces, but also between two mythical eras of the world, two visions of human destiny.This vision is also projected into practical utopias – old and new – of desert enhancement. This study will focus on two of them – significantly different in time, spirit and effects: the desert irrigation projects and the plans for solar energy exploitation. The former aimed at mobilizing water resources in the desert to “make it grow green again” and expand cultivated areas; they sparked great interest among scientists and politicians in the late 19th century but were only finalized, like the trans-Saharan railway, in novels. It was not until independence that post-colonial States took over part of the projects.The solar energy project is less about developing the desert than it is about using the sun's sterilizing energy for sustainable development throughout the Euro-Mediterranean region. The Mediterranean Solar Plan, a flagship project of the Union for the Mediterranean, is backed by large financial and technology companies who invest in renewable energy and dream of the Sahara as the future powerhouse of Europe. But by associating the desert too closely to European development, little space is left to the expectations of Saharan societies for the development of their living space and the project is likely to encounter considerable technical and political setbacks.
    • Marges et centres
      • Géopolitique africaine et rébellions touarègues. Approches locales, approches globales (1960-2011) - Pierre Boilley p. 151-162 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        La situation touarègue, tout comme les rébellions qui l'ont caractérisée depuis les années 1960, a généralement été considérée comme un problème important, mais bien localisé au Sahel et au Sahara méridional. Les développements actuels que connaît cette région, entre trafics de drogues et implantation des salafistes armés d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), ont brutalement internationalisé l'intérêt qui lui est porté. Pourtant, depuis la révolte de 1963-64, les Touaregs ont toujours eu à composer avec des politiques qui les dépassaient, dans des géostratégies africaines et mondiales aux acteurs multiples et aux intérêts divergents. Analyser ainsi les faits permet de replacer ces réalités dans leurs contextes et de mieux comprendre avancées et échecs de ces luttes. Les approches locales doivent céder le pas aux approches globales.
        The Tuareg situation epitomized by rebellions since the 1960s has generally been considered as a major problem, limited however to the Sahel and southern Sahara. Current developments in the region of drug trafficking and settlement of armed Salafists of Al-Qaeda in Islamic Maghreb (AQIM), have brutally internationalized the interest shown in the issue. However, since the revolt of 1963-64, the Tuaregs have always had to deal with policies beyond their own interests and African and global geostrategies with multiple actors and interests. By analyzing the facts we were able to place these realities back in their contexts and better understand the progress and failures of these struggles. Local approaches must give way to comprehensive approaches.
      • From Friends to Enemies: Negotiating nationalism, tribal identities, and kinship in the fratricidal war of the Malian Tuareg - Georg Klute p. 163-175 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article traite de la façon dont la rébellion touarègue a utilisé la notion d'amitié. Les Touaregs qui vivaient en exil se désignaient les uns les autres comme « amis », moyen politique de renforcer l'unité d'une utopique nation touarègue encore à venir. Les choses changèrent radicalement au début des années 1990, lorsque ce qu'il est convenu d'appeler la rébellion touarègue éclata, après le retour au Mali et au Niger des Touaregs exilés en Algérie et en Libye. Aux liens d'amitié qui avaient traversé les frontières interethniques et intra-ethniques, se substitua alors l'affirmation d'identités ethniques et mêmes tribales. Dans le contexte de conflits violents comme la rébellion touarègue, les liens d'amitiés unissant certains membres de groupes devenus hostiles ont du mal à se maintenir. L'article entend montrer que l'amitié n'est pas seulement une notion relationnelle, mais aussi une notion politique. De la même manière que la parenté, la consanguinité, ou la revendication d'une ascendance commune, elle peut servir à légitimer la construction de liens politiques, d'alliances ou de relations hostiles.
        The article deals with the notion of friendship in the Tuareg resistance movement. Among Tuareg migrants, friendship terms were mainly used as a political means aiming to strengthen the unity of an imagined, but still utopian Tuareg nation. This changed dramatically in the course of the so called Tuareg rebellion that broke out after thousand of migrants had come back to Mali and Niger from Algerian and Libyan exile in the beginning of the 1990s. Friendship ties which had cut across interethnic and intraethnic boundaries were replaced by ethnic and even tribal identities during the fights. In the context of violent conflicts, like the Tuareg rebellion, friendship bonds which cut across identities of the respective warring parties seem to be rather difficult to maintain. It is argued that friendship is not only a relational term, but a political term as well. In much the same way as kinship, consanguinity, or descent, it may be used to legitimise political relation-building, alliances or hostile relationships.
      • Ancrage au sol et (nouvelles) mobilités dans l'espace saharo-sahélien : des expériences similaires et compatibles - Charles Grémont p. 177-189 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Depuis les années 1980, les populations dites « nomades » des régions nord du Mali et du Niger ont engagé un vaste processus d'ancrage au sol. Elles habitent aujourd'hui majoritairement dans des villages ou des « sites de fixation ». Mais dans le même temps, des individus et des petits groupes parmi ces mêmes populations, ont considérablement élargi leurs espaces de mobilité et accéléré le rythme et la valeur des échanges auxquels ils participent. Ces deux phénomènes pourraient, à première vue, relever d'un paradoxe. Mais l'observation des situations empiriques montre plutôt des compatibilités, des complémentarités, voire des similitudes, entre ces deux phénomènes concomitants. À partir de réflexions novatrices menées en géographie et en sociologie, cet article soumet l'hypothèse que l'édification de villages, de même que l'intégration dans des bases et des casernes militaires, participe de logiques (sociales) de la mobilité, tout autant que la transhumance, les voyages et la migration. Bien plus qu'un simple déplacement dans l'espace, le terme de mobilité pourrait décrire un « art de faire », une manière d'être aux autres et au monde.
        Since the 1980s, the so-called ‘nomadic' populations of northern Mali and Niger have increasingly become sedentary. At the same time, individuals or small groups among these populations have considerably extended their spatial mobility. Although these two processes might at first appear contradictory, empirical investigations show instead that they are complementary and respond to similar rationales. Building on recent works in human geography and sociology, this article suggests that the creation of villages and other permanent settlements result from rationales of mobility. The notion of mobility here does not only refer to moving in space, but rather to a way of relating to others and being in the world
      • Le corporatisme territorial contre l'État-nation ? Politiques publiques et lien national au Sahara occidental - Abderrahim El Maslouhi p. 191-210 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'article a pour objet de saisir les dynamiques du lien national chez les populations du Sahara occidental. À défaut d'une solution acceptée par les protagonistes du conflit, l'État marocain mobilise ses dispositifs d'action publique pour produire du lien national et consacrer l'arrimage du Sahara à l'État-nation. De leur côté, les acteurs locaux usent avec succès de l'usure du conflit pour négocier leur rapport au pouvoir central, l'allocation des ressources étant au cœur des compromis tissés entre le local et le national. Empruntant à la théorie corporatiste et au registre des mobilisations protestataires, l'auteur rend compte de ces dynamiques par le concept de « corporatisme territorial ». Ce dernier s'entend d'une articulation spécifique entre l'État marocain et la société sahraouie où les compromis sont le produit d'une approche croisant logiques institutionnelles (top-down) et mobilisations informelles (bottom-up). Alors que la filière institutionnelle indique l'émergence de relais locaux accrédités par l'État avec comme mission la médiation territoriale des intérêts, la filière informelle serait à l'origine d'un corporatisme « par le bas » animé principalement par de nouveaux mouvements sociaux protestataires.
        The purpose of this article is to understand the dynamics of the national bond among the populations of Western Sahara. In the absence of a solution accepted by the conflict's protagonists, the Moroccan State mobilizes its public action mechanisms to create a national bond and formalize the integration of the Sahara to the nation-state. For their part, local actors successfully draw on the conflict's loss of impetus to negotiate their relationship to the central government, the allocation of resources being at the heart of the compromise forged between the local and the national. The author borrowed from the corporatist theory and the scheme of protest mobilization to give an account of these dynamics through the concept of "territorial corporatism." The latter refers to a specific articulation between the Moroccan State and Saharawi society where compromise is the product of a system mixing institutional logics (top down) and informal mobilization (bottom-up). While the institutional sector indicates the emergence of local intermediaries accredited by the State with a mission of territorial mediation of interests, the informal sector may be the cause of a “bottom up” corporatism driven mainly by new social protest movements.
      • Le couloir ouest-saharien : un espace gradué - Claire Cécile Mitatre p. 211-228 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Avant les années 1970, les habitants arabophones de l'Ouest saharien ne se définissaient en aucun cas comme « Sahraouis ». Ce terme a en effet été composé par des militants construisant un modèle de résistance contre la colonisation espagnole, puis entériné dans une lutte contre les prétentions de souveraineté du Maroc sur ce territoire. Depuis une vingtaine d'années, les arabophones de l'Oued Noun, région située sur le territoire marocain non contesté, à une centaine de kilomètres au nord de la frontière géopolitique du Sahara occidental, se désignent eux aussi par le terme « Sahraouis », notamment pour se distinguer de leurs voisins berbérophones. Or, l'usage de cette appellation « aux connotations quasi ethniques » par des arabophones de culture maure en territoire marocain ne saurait être ramené à des questions d'ordre strictement politique. C'est davantage en s'intéressant à la manière dont ces arabophones se positionnent, d'un point de vue linguistique et culturel, par rapport à leurs voisins plus ou moins lointains, que l'on peut comprendre les logiques sous-jacentes à l'adoption récente de cet ethnonyme au-delà des frontières géopolitiques du Sahara occidental.
        Before the 70s, the Arab speaking people of Western Sahara never defined themselves as "Sahrawi" to differentiate themselves from their more or less distant neighbors. Indeed the term was created by militants in their effort to build a model of resistance against Spanish colonization and was endorsed in the struggle against the claims of Morocco's sovereignty over the territory. For the past twenty years, the Arab speaking people of the Oued Noun area, a region located on a territory not contested by Morocco, a hundred kilometers north of the geopolitical boundary of Western Sahara, have also referred to themselves as "Sahrawi" particularly to set themselves apart from their Berber neighbors. Yet, the use of this term with “quasi-ethnic connotations” by Arabic speakers of Moorish culture on Moroccan territory cannot be reduced to a strictly political issue. Focusing our study on how these Arabic speaking people position themselves, from a linguistic and cultural point of view, vis-à-vis their more or less distant neighbors, will help us understand the logic underlying the recent adoption of this ethnonym beyond the geopolitical borders of Western Sahara.
    • Peurs européennes, réalités sahariennes
      • Dans les marges du monde, des tribus sahariennes mondialisées. Réseaux commerciaux, réseaux tribaux et connexions politiques mondialisés depuis l'Ouest saharien - Ali Bensaâd p. 231-249 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Depuis les marges sahariennes du Maghreb, en marge des cadres formels des échanges voire en infraction par rapport à eux, repliés sur des structures sociales tribales, des diasporas commerçantes maures déploient des réseaux mondialisés tissant leur toile à fine échelle au travers de vastes espaces internationaux périphériques. Depuis ces espaces, elles investissent maintenant les carrefours des échanges internationaux où elles se sont construits un poids économique vecteur d'influence sociale et politique dont les effets se font ressentir en boucle dans le pays d'origine et d'accueil et dans le jeu politique international.
        From the Saharan margins of Maghreb, on the sidelines even in breach of the formal frameworks of trade, huddled in tribal social structures, Moorish trade diasporas have spread into globalized networks who wove their fine scale webs through vast peripheral international spaces. From there, they have now taken over crossroads of international trade where they have built an economic influence vector of social and political influence whose effects are felt in both the country of origin and on the scene of international politics.
      • De quelques aspects des dimensions politiques et économiques des circulations migratoires au Sahara central - Julien Brachet p. 251-260 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article analyse les dynamiques et les récentes transformations du système migratoire saharien, et montre comment les politiques migratoires actuellement mises en œuvre dans cet espace affectent ceux qui y vivent ou y circulent. Une approche historique de ces circulations migratoires intra-africaines permet tout d'abord de mettre en évidence leurs enjeux économiques en Afrique du Nord-Ouest. Puis, la question des politiques migratoires est abordée à travers les exigences européennes de contrôle de ces circulations migratoires qui se traduisent, via différents échelons légaux et institutionnels, par une dégradation des conditions de circulation au Sahara.
        This article offers a local perspective on the nature and recent transformations of the Saharan migration system, showing how such policies affect those who live or travel through these areas. An illustration of the historical significance of intra-African migration systems for the economic development of North-West Africa is followed by an analysis of new patterns of migrations that have emerged since the 1990s throughout central Sahara. A brief outline of the externally driven legal and institutional frameworks that govern the movements of people in this area is provided, highlighting how states deal with local migration systems, and what are their possible local impacts in central Sahara.
  • Algérie

  • Libye

    • L'année politique
    • Gros plan
      • Fin de régime et migrations en Libye. Les enseignements juridiques d'un pays en feu - Delphine Perrin p. 285-301 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        La guerre en Libye et le départ de centaines de milliers d'étrangers offrent une perspective nouvelle de la réalité migratoire libyenne et des politiques qu'elle a suscitées ces dernières années. Marché du travail gourmand d'une main d'œuvre étrangère toujours plus diverse, la Libye jouait d'une diplomatie migratoire, reflétée dans un droit tout aussi versatile et proclamatoire. Vis-à-vis de l'Europe, elle savait faire des migrants sur son sol un spectre en transit auquel l'avant-poste italien, déjà isolé, ne pouvait résister, tandis que les réformes de son droit des étrangers plongeaient la plupart de ces derniers dans l'irrégularité. Faible de sa déraison en matière migratoire, l'Union européenne a succombé à la « diplomatie pirate » libyenne et progressivement abandonné principes et garde-fous juridiques pour s'engager dans une coopération ad hoc, principalement déléguée à l'Italie, permettant de contenir la migration au Sud de la Méditerranée.
        The war in Libya and the resulting departure of hundreds of thousands of foreigners offer a new perspective of the Libyan migratory reality and the policies it has given rise to in recent years. A labor market in need of an ever more diverse foreign labor force, Libya enjoyed a migration diplomacy, reflected in a versatile and proclamatory right. In relation to Europe, Libya skillfully turned migrants on its soil into a spectrum in transit against which the – already isolated – Italian outpost could not resist, while the reform of its immigration law plunged most of them into irregularity. Weakened by its irrational migration policies, the EU has yielded to the Libyan “pirate diplomacy” and gradually given up all principles and legal safeguards to engage in ad hoc cooperation, mainly delegated to Italy, to contain the migration to the south of the Mediterranean.
  • Maroc

    • L'année politique
    • Gros plan
      • Le Maroc au temps des femmes ? La féminisation des associations locales en question - Yasmine Berriane p. 333-342 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Au Maroc, réformes et changements prennent aujourd'hui une place de choix dans l'agenda politique. La promotion de la participation des femmes à la vie publique en fait partie. À travers une étude localisée de la féminisation des associations locales, cette contribution interroge les transformations sociopolitiques qui semblent en découler. Cette recherche se base plus concrètement sur l'analyse des carrières de trente femmes qui ont réussi à s'imposer comme dirigeantes associatives dans des quartiers périphériques de la ville de Casablanca où, il y a peu de temps encore, les associations locales étaient exclusivement dirigées par des hommes. Les conclusions qui émergent de cette étude mettent l'accent sur l'ambivalence des changements qui traversent le Maroc d'aujourd'hui. Si l'affirmation de dirigeantes associatives indique une nette rupture avec la distribution traditionnelle des rôles entre hommes et femmes, l'analyse détaillée des modalités de leur entrée en scène démontre, aussi, que leur ascension verticale passe par une reproduction, voire un renforcement, de certaines des normes et pratiques qui contribuaient, auparavant, à les exclure de la sphère publique locale.
        In Morocco, reforms and changes are now among priorities on the political agenda. Promoting women's participation in public life is one of those priorities. Through the study of the feminization of local associations in a contained area, this article examines the ensuing socio-political transformations. Our research is actually based on the analysis of the careers of thirty women who have successfully established themselves as community leaders in the suburbs of the city of Casablanca where, not so long ago, local associations were exclusively run by men. The conclusions drawn from this study emphasize the ambivalence of the changes occurring in Morocco today. While the assertion of female community leaders shows a clear break from the traditional distribution of roles between men and women, a detailed analysis of their emergence also shows that their vertical ascent goes through a process of reproduction even reinforcement of certain standards and practices that once contributed to exclude them from the local public sphere.
  • Mauritanie

  • Tunisie

    • L'année politique
    • Gros plans
      • Révolution tunisienne et Internet : le rôle des médias sociaux - Romain Lecomte p. 389-418 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Suite au mouvement de contestation populaire qui a conduit à la chute du régime de Ben Ali, médias et experts des NTIC ont beaucoup insisté sur le rôle révolutionnaire joué par Internet en Tunisie, et plus particulièrement par les « réseaux sociaux ». Dans cet article, tout en cherchant à analyser comment, concrètement, les usages d'Internet ont pu servir de catalyseur au mouvement de contestation né à Sidi Bouzid, nous mettons en garde contre certaines analyses en vogue véhiculant le mythe de l'« e-révolution », présentant les réseaux sociaux comme un facteur déclencheur et semblant oublier où et comment la révolution est née et a en grande partie été menée. Au contraire, notre contribution vise à montrer pour quelles raisons l'importance du rôle des « réseaux sociaux » s'est accrue progressivement pour devenir réellement conséquente lors des derniers jours précédant le départ de Ben Ali.
        Following the popular protest movement that led to the fall of the regime of Zine el Abidine Ben Ali, the media and ICT experts stressed the revolutionary role of the Internet in Tunisia, particularly of the “social networks”. While we attempt to analyze how the use of Internet may have been a catalyst specifically for the protest movement born in Sidi Bouzid, our article warns against certain popular analyzes promoting the myth of the “e-revolution” and social networks as the trigger, while at the same time ignoring where and how the revolution was born and led for the most part. Rather, our study shows why the role of “social networks” increased gradually to become really significant in the last days before the departure of Ben Ali.
      • Les classes moyennes tunisiennes entre mythe et réalité. Éléments pour une mise en perspective historique - Baccar Gherib p. 419-435 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        En Tunisie, les classes moyennes étaient omniprésentes dans le discours politique. Le régime déchu de Ben Ali justifiait ses politiques économiques et sociales par l'extension continue de cette classe moyenne qui rassemblerait, à le croire, 80 % des Tunisiens. Or, ce taux gagne à être interrogé. Nous constatons, d'abord, que la thématique des classes sociales est absente du champ académique. Ce que nous expliquons par un refoulement de l'approche en termes de classes sociales qui trouve ses racines dans l'histoire politique et sociale de la Tunisie moderne. Nous discutons, ensuite, différentes définitions des classes moyennes et nous montrons qu'elles s'avèrent difficilement compatibles avec le taux proclamé. De même, nous proposons une mise en perspective historique de cette thématique qui lie l'extension et la prospérité des classes moyennes aux différentes mutations du capitalisme tunisien. Nous indiquons, enfin, les principales évolutions qui participent, aujourd'hui, à la fragilisation et à la déstabilisation des classes moyennes en Tunisie.
        In Tunisia, middle classes were ever-present in the political discourse. The regime justified their economic and social policies with the continued expansion of the middle class that included, according to them, 80% of Tunisians. We believe, however, that this rate must be questioned. We observed, at first, that the theme of social class is absent from the academic field. This we explained by the repression of the approach in terms of social classes with roots in the political and social history of modern Tunisia. We then discussed different definitions of the middle class and showed that they prove difficult to match the declared rate. We also offered a historical perspective of the theme that ties the expansion and prosperity of the middle classes to the different mutations of Tunisian capitalism. Finally, we described the main changes that contribute today to the weakening and destabilization of the middle class in Tunisia.
  • Économies du Maghreb

    • Note
      • Les disparités économiques au sein du Tiers-Monde : quelques constats à propos du Maghreb et des pays de l'Asie du Sud-Est - Ibtissem Omri p. 439-445 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Les nettes disparités économiques observées aussi bien entre les pays à l'échelle internationale qu'entre les pays en développement remettent ainsi en cause les conclusions néoclassiques relatives à la convergence des nations. Une brève étude comparative entre les pays du Maghreb (Tunisie et Maroc) et le Sud-Est asiatique (Corée du Sud et Malaisie) montre clairement que les écarts de développement entre ces deux groupes tendent à s'aggraver au cours du temps.
        The purpose of our research is to highlight the sharp economic disparities observed both between major international countries and between developing countries, and thus challenge the neoclassical conclusions about the convergence of nations. We focused our study primarily on third-world disparity and tried to classify developing countries into three mixed groups, with South-East Asia as the fastest economically growing group. A brief comparative study between North Africa (Tunisia and Morocco) and South-East Asia (South Korea and Malaysia) clearly shows that the differences between these two groups tend to increase over time.