Contenu du sommaire : Le corps, territoire politique

Revue Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique Mir@bel
Numéro no 118, 2012
Titre du numéro Le corps, territoire politique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Le mot de la rédaction - Anne Jollet p. 3-8 accès libre
  • DOSSIER

    • Introduction - Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin p. 11-19 accès libre
    • L'idiotie contre la folie. - Pierre-Henri Ortiz p. 21-39 accès libre avec résumé
      Dans l'Antiquité, la « folie » représente un outil récurrent de la réflexion des auteurs chrétiens sur l'homme et son rapport à Dieu. Dans la controverse qui oppose Augustin aux pélagiens apparaît une nouvelle forme d'anomalie de l'esprit : l'« idiotie ». Le désaccord entre les deux parties porte avant tout sur le problème de la liberté de l'homme, soumis à des conceptions divergentes du corps conditionnant l'exercice de cette liberté. Il engage dès lors une lutte des savoirs sur l'homme, son corps, son âme, leur origine et leurs souffrances. Dans cette perspective, l'« idiotie », envisagée comme cas limite, est investie par Augustin d'une force d'exemplarité, au prix du déploiement de conceptions à première vue difficilement compatibles avec le discours chrétien sur la « folie ». Dans un cas comme dans l'autre, quoique de manière différenciée, l'enjeu pratique est pourtant le même : l'exercice du contrôle des corps, territoires de l'esprit.
    • « Le trône des plaisirs et des voluptés » : anatomie politique du clitoris, de l'Antiquité à la fin du XIXe siècle - Sylvie Chaperon p. 41-60 accès libre avec résumé
      Ce texte présente une brève histoire anatomique du clitoris telle qu'elle peut être reconstituée à partir des ouvrages médicaux de l'Antiquité jusqu'au xixe siècle. Il rappelle le faible nombre de descriptions existantes dans le corpus antique connu, la multiplicité des termes introduits par les traductions gréco-latines ou arabo-latines ainsi que les récits récurrents des opérations génitales. Il s'attarde ensuite sur les investigations anatomiques menées par les anatomistes de la Renaissance, de la période moderne ou du xixe siècle. Il se termine par la brutale dévaluation médicale du clitoris à la fin du xixe siècle. L'article s'interroge aussi sur les raisons expliquant l'évolution de ces conceptions.
    • Le corps criminel au xixe siècle : du trouble des facultés de l'âme à la dégénérescence - Laurence Guignard p. 61-73 accès libre avec résumé
      Si les éléments subjectifs du crime que sont la volonté et l'intention criminelles sont traditionnellement au cœur des investigations judiciaires, le corps des criminels y trouve une place nouvelle au xixe siècle, autour du lancinant problème de la « folie criminelle » et de l'idée d'un ancrage biologique des penchants et des comportements. La maladie mentale qui, depuis l'Antiquité, constitue une limite à l'exercice de la justice, est une thématique renouvelée au xixe siècle. Le principe en est formalisé avec l'article 64 du Code pénal sur la démence, mais surtout s'ouvre alors un dialogue, parfois conflictuel mais également productif, entre droit et médecine. C'est en réalité le sujet classique qui se transforme, sous l'impulsion de la médecine morale qui étend le champ de l'aliénation mentale et multiplie les formes et les degrés des troubles de l'esprit, sous l'impulsion aussi, dans un second temps, d'une médecine anatomo-pathologique qui veut ancrer la maladie mentale dans le corps, mais aussi parce que l'enquête judiciaire prétend décrypter de plus en plus précisément l'intériorité morale des inculpés. Dans cet effort, le corps, devenu siège de la subjectivité en des formes de plus en plus déterministes, détient une place fondamentale. Le corps des inculpés, devenus délinquants, forme ainsi un nouveau territoire politique qui voit la « dangerosité » se substituer à la « perversité de l'âme ».
    • Archives du corps, archive de la biopolitique - Philippe Artières p. 75-90 accès libre avec résumé
      Le concept de biopolitique proposé par Foucault a non seulement suscité certains malentendus chez les historiens, mais il n'a en outre jamais été confronté à la question des archives susceptibles de lui donner corps. L'article s'appuie donc sur trois archives mineures, en marge des grands corpus de quadrillage et de surveillance classiquement étudiés. La première de ces archives est une liste de pratiques auto-érotiques d'un jeune allemand inverti, au début du xxe siècle. La confession écrite participe d'une économie générale des savoirs homosexuels qui se met en place autour d'une double instance du pouvoir, à la fois prise de contrôle médicale et potentiel foyer de résistance. La deuxième archive du biopolitique est un fragment de peau tatouée. Relevée sur le corps d'un soldat ou d'un bagnard, elle engage une recherche plus vaste encore des signes distinctifs, des marques reconnaissables. Ici la politique d'identification s'affronte aux pratiques de soi dans une ambiguïté renouvelée. Enfin, la troisième archive biopolitique présentée est une lettre de dénonciation des pratiques de prostitution dans une rue parisienne. L'anonymisation progressive de ces missives délatrices banalise un mode de surveillance policier qui intègre le dispositif de cartographie des mœurs en place dès la fin du xixe siècle.
    • La fabrique politique du corps : historiographie sélective des héritages foucaldiens - Jérôme Lamy p. 91-114 accès libre avec résumé
      Les travaux de Michel Foucault sur le corps ont suscité une abondante historiographie, que cet article se propose de cerner. Trois grandes lignes sont repérables. La première, dans la lignée de Surveiller et punir, explore les pratiques d'asservissement et de contrôle des corps. L'éclatement de la scène de punition, les dispositifs concrets d'exposition et l'attention aux formes négociées de jugement viennent densifier les propositions foucaldiennes, tout en réduisant la place faite au corps. La deuxième ligne historiographique repérable poursuit les réflexions sur le pouvoir biopolitique. Appliquée aux pratiques de gouvernementalité, aux réflexions bioéthiques et à la critique du néolibéralisme, la biopolitique fait également l'objet d'un approfondissement conceptuel, notamment chez Agamben, qui étend son champ d'exercice mais réduit sa cohérence. Enfin, la troisième ligne des héritages foucaldiens court sur le territoire de la sexualité : les béances sur la sexualité féminine et la question du genre jouent de la plasticité de l'Histoire de la sexualité. Surtout, les analyses de Judith Butler sur la notion de queer ont renouvelé le champ théorique des discours subversifs et des modes de contestation incorporés.
  • CHANTIERS

    • Le « devoir de mémoire », fabrique du postcolonial ? Retour sur la genèse de la « loi Taubira » - Sébastien Ledoux p. 117-130 accès libre avec résumé
      L'expression « devoir de mémoire » s'est imposée dans le discours politique français au cours des années 1990 à la faveur de l'écriture d'un « roman postnational » comportant deux nouveaux impératifs pour l'État : commémorer des morts à cause de la France (Vichy), et reconnaître officiellement une communauté mémorielle (la communauté juive) victime d'un génocide. La fin des années 1990 voit l'affirmation par des acteurs subalternes de demandes de reconnaissance et de réparations relatives cette fois au passé colonial de la France. Lors des commémorations du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en 1998, ces acteurs contestent le discours officiel des pouvoirs publics en revendiquant un récit alternatif fondé sur la notion de crime contre l'humanité. Face aux élites politiques hexagonales engagées dans l'adoption de « lois mémorielles », la formule « devoir de mémoire » a constitué alors un instrument de négociation pour les élites ultramarines devenues ainsi auteurs, par la voix de la députée Christiane Taubira, du « roman postnational » dans sa version postcoloniale.
  • MÉTIERS

    • Aux sources de l'Histoire
      • L'inventaire des mémoires ouvrières de Poitou-Charentes - Pascale Moisdon-Pouvreau, David Hamelin p. 133-139 accès libre avec résumé
        Le Poitou-Charentes est l'une des régions les moins industrialisées de France et la figure de l'ouvrier y reste tout à fait méconnue, sinon marginale. Pour autant, ce constat n'a pas empêché le service de l'inventaire du patrimoine de cette région de mener un travail original, consistant à bâtir un inventaire des mémoires ouvrières dans le prolongement de l'inventaire du patrimoine industriel. Dans l'entretien mené ici par David Hamelin, Pascale Moisdon-Pouvreau, en charge de cet inventaire, revient pour les Cahiers d'histoire sur les étapes et les résultats de ce travail d'ampleur engagé en 2007. Elle présente également des pistes pour l'avenir, notamment la nécessité pour les chercheurs de s'emparer des sources retrouvées et parcourues à l'occasion de ce travail d'inventaire.
    • Transmettre l'Histoire
      • Chronique prononcée à La Fabrique de l'histoire, d'Emmanuel Laurentin (France Culture) dans la série « Et la France dans tout ça ? », 21 octobre 2011 - Nicolas Offenstadt p. 141-143 accès libre avec résumé
        Ce texte est une version revue par l'auteur, sans que la forme et le contenu de la prise de parole lors de cette émission en direct aient été profondément modifiés par ses soins. Nous remercions Nicolas Offenstadt d'avoir accepté la publication de cette intervention dont nous pouvons constater que les enjeux, en six mois, n'ont malheureusement rien perdu de leur pertinence.
      • Deux ou trois choses que nous savons du général Bigeard - Alain Ruscio p. 145-163 accès libre avec résumé
        Ce texte a été rédigé en réponse à la décision prise par le gouvernement français de rendre un hommage officiel au général Bigeard, en plaçant ses cendres aux Invalides. Il s'agit de dénoncer l'une des multiples formes d'instrumentalisation politique de l'histoire mise en œuvre par le pouvoir. Pour servir son dessein de reconstruction d'une mythologie nationaliste, pour séduire les nostalgiques de la colonisation, le gouvernement du président Sarkozy n'a pas reculé, au moment où les historiens/nes multiplient les travaux scientifiques sur le sujet, au moment où les sociétés repensent cette histoire à la lumière du 50e anniversaire de la fin de la guerre en Algérie, à rendre hommage à l'un des tenants des guerres coloniales et des responsables de la répression en Algérie. L'historien Alain Ruscio a souhaité rappeler combien la « gloire » du général Bigeard est une construction idéologique, orchestrée par lui-même, relayée par de nombreuses forces de pression et même par le gouvernement de la République. Le texte s'inscrit dans le mouvement de protestation contre la construction de cette légende héroïque de la colonisation. Alain Ruscio a également initié avec la journaliste Rosa Moussaoui un appel qui a été lancé dans le public pour alerter et mobiliser. Mis en ligne sur le site http://nonabigeardauxinvalides.net/appel, cet appel a recueilli plus de 10 000 signatures.
  • DÉBATS

    • Les mots de l'anthropologie visuelle - Thomas Béraud p. 169-182 accès libre avec résumé
      La multiplication des études dédiées à « l'image » et au « visuel » dans les sciences humaines et sociales amène à s'interroger sur la parenté de sens que chacune d'entre elles attribue à ces concepts. Les récentes publications en anthropologie visuelle témoignent de l'obscurcissement des effets de connaissance issus de cet encombrement sémantique, qui concernent in fine l'ensemble des chercheurs en sciences humaines et sociales. L'auteur propose de s'intéresser à l'approche du boundary-object, dont la portée heuristique permet de penser un collectif de recherche créant des opérations d'intelligibilité et de cumulativité des savoirs sur le visuel.
  • FILMS ET RÉALISATIONS AUDIOVISUELLES

  • LIVRES LUS