Contenu du sommaire : La Guerre en perspective : histoire et culture militaire en Chine

Revue Extrême-Orient, Extrême-Occident Mir@bel
Numéro no 38, 2015
Titre du numéro La Guerre en perspective : histoire et culture militaire en Chine
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • ‪Polémiques polémologiques‪ - Albert Galvany, Romain Graziani p. 5-20 accès libre
  • I. La guerre assiégée : la place de l'histoire militaire

    • ‪Discovering War in Chinese History‪ - Peter Lorge p. 21-46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La perspective actuelle sur la Chine donne presque l'illusion que la guerre n'a joué aucun rôle significatif dans l'histoire chinoise. Cet article s'emploie à redonner à la guerre sa juste place dans l'histoire chinoise en replaçant les études consacrées à l'histoire militaire chinoise dans le contexte des débats actuels sur l'histoire chinoise d'une part, sur l'histoire militaire de l'autre. La faiblesse de la Chine d'un point de vue politique, économique, technique et militaire aux XIXe et XXe siècles a été comme rétro-projetée sur toutes les périodes antérieures de l'histoire chinoise et son retard sur ces deux derniers aspects en particulier a été compris par les historiens comme un aspect constitutif de sa culture.Si le savant Joseph Needham a réalisé un travail pionnier dès le milieu du siècle dernier en explorant le riche passé scientifique et technique de la civilisation chinoise, l'histoire militaire de la Chine en revanche n'a quant à elle mobilisé l'attention des chercheurs que plus tardivement, à partir des années 1990.
      From the modern perspective, both in the West and China, it often appears as if war had no place in Chinese history. This paper will attempt to reinsert war into China's history by situating the study of Chinese military history within current debates in the broader forum of military history and Chinese history. China's political, economic, technological and military weakness in the 19th and 20th centuries was projected back onto the entire sweep of Chinese history and backwardness in the latter two aspects was viewed by historians as a fundamental element. Joseph Needham began to excavate China's scientific and technological history in the middle of the 20th century, but China's military history only received the same serious attention starting in the 1990s.
    • ‪Brain over Brawn: Shared Beliefs and Presumptions in Chinese and Western Strategemata‪ - David A. Graff p. 47-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Selon une idée répandue la « Voie de la guerre » en occident aurait quelque chose d'unique et d'exclusif, qui la distinguerait fondamentalement des théories et pratiques militaires de la Chine ou d'autres sociétés non occidentales. À cette opinion, prépondérante parmi les membres de l'élite militaire aux États-Unis, semblent répondre en écho les déclarations de nombreux intellectuels chinois qui affirment haut et fort la supériorité et le caractère absolument unique de leur tradition militaire et stratégique. Un examen rigoureux des arguments avancés ne manque toutefois pas de révéler le caractère très exagéré de ces déclarations sur le clivage radical qui opposerait les traditions occidentale et orientale. Le présent article se concentre sur un aspect particulier de cette problématique en procédant à une comparaison entre la tradition des stratagèmes, tels qu'ils sont répertoriés et discutés pour l'essentiel dans les œuvres de Frontin, Onasandre et Polyen (1er et 2e siècles de notre ère), en prenant pour vis-à-vis dans la tradition chinoise les anciens traités militaires, les premières histoires dynastiques et d'importantes œuvres encyclopédiques telles que le Tongdian de Du You. De cette comparaison critique on peut déduire que l'efficacité des stratagèmes n'est en aucune façon universelle, mais est au contraire fonction de structures institutionnelles et sociales qui elles-mêmes n'ont rien de permanent. En fin de compte, il appert que la distinction primordiale à opérer entre les différents conceptions militaires tient moins à la spécificité des cultures qu'à la différence des époques envisagées.
      Whether or not there exists a distinctive “Western Way of War” that differs fundamentally from the military thought and practice of China and other non-Western societies has been much debated in recent years. This article concentrates on a single aspect of the larger problem by comparing the Western classical tradition of strategemata, found mainly in the works of Frontinus, Onasander, and Polyaenus dating from the first and second centuries CE, with the corresponding Chinese tradition found in the ancient military treatises, the early dynastic histories, and important encyclopedic works such as Du You's Tongdian. It finds that for all practical intents and purposes the two corpora form a single corpus – that is, they include essentially the same range of stratagems that appear to be derived from common or shared assumptions about human psychology. Although similarity is the dominant theme, this study also finds some evidence of change over time and subtle differences between the two traditions. This evidence suggests that the efficacy of particular stratagems is by no means universal but rather is rooted in material conditions and social and institutional structures that are themselves impermanent.
  • II. Stratégies et idéologie : les fondements militaires de la culture classique

    • ‪Le stratège comme maître des signes : art de la guerre et art sémiotique en Chine ancienne‪ - Albert Galvany p. 65-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'examiner la figure du stratège dans diverses sources textuelles de Chine ancienne de nature politique, philosophique, militaire ou historique. Le stratège y est vu, et loué, comme un individu capable d'anticiper les événements, de dévoiler la condition réelle de l'adversaire, de prévoir ses plans, manœuvres et intentions. Le succès de toute action est supposé dépendre de la conformation des protagonistes à la conjoncture spatiale et temporelle ainsi que de la capacité à prévoir le déroulement d'une situation depuis son stade inchoatif : le sage et le général des armées convergent sur ce point, définis qu'ils sont par leur clairvoyante anticipation des événements et leur perception de la réalité interne des êtres grâce à la prise en compte des indices les plus tenus qui affleurent dans le champ du visible. De ce point de vue, le général à la tête des armées peut être considéré comme un maître des signes convertissant l'art de la guerre en arsenal de techniques « sémiotiques » garantissant la juste prévision des événements. À partir d'épisodes militaires et de récits biographiques de quelques stratèges célèbres de l'époque antique, cet article s'emploiera à montrer les bénéfices et les risques liés à l'anticipation par le biais d'indices et de traces qui peuvent s'avérer aussi bien symptômes probants que leurres fatals.
      This article offers an examination of the role of the strategist as seen through different ancient Chinese textual sources concerning politics, philosophy, history or military affairs. The strategist appears, and is praised, as an individual who can anticipate events, reveal the real condition of the adversary and foresee his plans, manoeuvres and intentions. The success of all action is considered to depend on how the protagonists conform to the spatial and temporal conjuncture, as well as their capacity to foresee how a situation will develop from its inchoate stage: the sage and the commander agree at this point, being defined by their clairvoyant anticipation of events and their perception of the internal reality of beings, through indications so slight as to be scarcely perceptible. From this point of view the commander leading his armies is considered a master of signs. He converts the art of war into an arsenal of “semiotic” techniques guaranteeing a correct preview of events. Using episodes from military history and from biographical accounts of celebrated strategists in early times, this article describes the advantages and the risks involved in anticipation of events using indications and signs that can prove to be either relevant symptoms or fatal decoys.
    • ‪Morale de la stratégie, stratégie de la morale : le débat chinois sur la guerre juste‪ - Jean Levi p. 99-127 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour beaucoup de peuples la guerre est avant tout une fête, cruelle certes, mais fête tout de même. En Chine même, à l'époque des Shang et sous les Zhou occidentaux, la guerre constituait, avec la chasse, la principale activité de l'élite de la société. Pourtant, tous les traités militaires de l'époque ultérieure ont à cœur de stigmatiser la guerre : il faut écouter le concert de lamentations des généraux et stratèges sur le caractère destructeur de leur activité. Le caractère jugé néfaste de la guerre est l'expression, sur le plan de la pensée, de la mutation de la nature de la guerre et du statut du guerrier. Il témoigne du passage d'une société guerrière, ayant développé une mentalité héroïque, à un ordre militarisé véhiculant des valeurs civiles, lesquelles ne pouvaient coexister avec lui qu'en en travestissant sa véritable nature par le discours, alors même que toutes les institutions étaient conçues pour soutenir l'effort de guerre. Si la guerre traduit une défaillance de la vertu civilisatrice du chef, elle s'avère aussi l'unique moyen d'assurer le retour à l'ordre et de garantir la justice. C'est ainsi que l'on voit s'esquisser dans les écrits politico-militaires une légitimation de la guerre juste (yi bing), qui, précisons-le, se doit de l'être doublement, dans ses buts comme dans ses moyens. Cette notion de guerre juste devient elle-même polémique quand les penseurs en précisent les modalités et les moyens. À compter qu'il existe une guerre juste et des objectifs justifiant le recours aux armes, on peut se demander si les moyens que celle-ci doit mettre en œuvre pour emporter la victoire, dans une certaine pratique stratégique élaborée à partir de l'expérience historique des Ve-IIIe siècles av. J.-C., n'en sapent pas d'entrée de jeu la légitimité.
      For many peoples in the world, war is above all a festivity, a cruel one needless to say, but a festivity all the same. In China, during the Shang era and under the Western Zhou, the main activity of the elite, apart from hunting, was war. However, military treatises from later periods stigmatize war, as is clear from the lamentations of generals and strategists on its disastrous effects. The negative prevalent opinion on war, an activity deemed to be nefarious, reflected the profound change in the nature of war and in the status of warriors. The demise of a warrior culture that had forged a heroic mentality had been replaced by a militarised order conveying civil values that could only exist alongside the new order by betraying its true nature through discourse, while in fact the role of all its institutions was to support the war effort. While the event of war was seen as revealing a fault in the civilising virtue of the leader, it was also considered to be the only way to restore order and to guarantee justice. So the outline of the legitimization of the just war (yi bing) began to appear in politico-military writings, with the war needing to be doubly just, both in its aims and in its means. The notion of the just war becomes polemical in itself when its methods and means are clearly stated by the thinkers. Given the existence of a just war and of objectives justifying the call to arms, one may ask whether such means as required to ensure victory, using the kind of strategy developed through experience from history in the 5th to 3rd centuries BCE, undermine the legitimacy of war before it even begins.
  • III. Dans les tranchées de la modernité : guerre, histoire et identité

    • The Samurai Next Door: Chinese Examinations of the Japanese Martial Spirit - Oleg Benesch p. 129-168 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      ‪Un Japon martial face à une Chine éprise des vertus de la civilité: voilà en résumé le paradigme qui a dominé les esprits pendant des siècles dans les deux pays en question. Si l'éthique samurai a été perçue comme le facteur principal de la réussite économique et des avancées technologiques qui ont marqué le Japon, il a également été identifié comme l'une des sources de son impérialisme militaire. Cette vision de fond d'un Japon martial par nature a persisté jusqu'à l'époque moderne, où elle s'est vue confortée par le discours naissant sur le bushido, ou « la voie du guerrier » qui commence à connaître une certaine popularité dès la fin du XIXe siècle. En Chine, traduite sous le nom de wushidao, cette attitude martiale est entrée de façon prépondérante dans l'imaginaire des Chinois qui tournaient leurs regards vers le Japon, puis s'est répandue et diffusée par le truchement des nombreux Chinois venus séjourner au royaume du Levant, qu'ils fussent étudiants, réformateurs politiques ou bien exilés. Les intellectuels chinois ont attribué au bushido le mérite d'avoir su mener la Restauration Meiji à son terme, tandis que les Chinois qui étudiaient au Japon dans des écoles civiles ou des académies militaires se montrèrent réceptifs à cette idéologie en passe de dominer les esprits. Le présent article situe la pensée du bushido dans une perspective historique élargie qui permet de mieux observer les discours sur la Voie du Guerrier à leur échelle transnationale, nous mettant ainsi en mesure de cerner l'importance de ce phénomène dans la constitution des identités modernes du Japon et de la Chine au XXe siècle.‪
      ‪Characterization of Japan as martial, as opposed to a China emphasizing civil virtues, has colored views of both societies for centuries. The Samurai spirit has at times been credited for Japan's economic success and technological progress, but is also associated with militaristic imperialism. The underlying conception of a martial Japan carried into the modern age, where it flowed into the emerging discourse on bushido, or “the way of the warrior” which began to be popularized in the late nineteenth century. In China, bushido, or wushidao, played an important role in shaping views of Japan from then on; expansion and popularization of bushido coinciding with a huge influx of Chinese students, reformers, and exiles to Japan. Chinese intellectuals credited bushido with driving the Meiji Restoration and subsequent reforms, while students at Japanese civilian and military schools were exposed to the then-pervasive bushido ideology. This study places its examination of Chinese bushido thought into the broader historical context of transnational bushido discourses in order to consider how bushido developed in China, and how it continues to influence popular understandings of both Chinese and Japanese identity in the twenty-first century.‪
    • Écrire l'histoire vis-à-vis de la guerre : postures historiennes, conceptions et récits de l'histoire sous la République de Chine (1912-1949) - Damien Morier-Genoud p. 170-206 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      ‪Dans sa visée générale, cet article se propose d'explorer le travail d'écriture de l'histoire en temps de guerre, ou plutôt la posture que les historiens adoptent vis-à-vis de la guerre, à la fois celle qu'ils étudient a posteriori et celle qu'ils vivent dans le moment du présent. En jetant l'éclairage sur le parcours et l'œuvre de certains historiens de l'ère républicaine en Chine (1912-1949), un moment de l'histoire chinoise dont le conflit sino-japonais (1937-1945) nous rappelle combien il fut violent, nous tentons d'examiner la manière dont la guerre infléchit la pratique historienne et les possibles mises en récit de l'expérience humaine qui lui sont sous-jacentes. Dans un regard inverse, il s'agit aussi de voir comment, dans le déploiement de la guerre, l'histoire peut, à sa manière, être enrôlée comme instrument de mobilisation sociale, comme récit de positionnement individuel et collectif, ou encore comme outil de légitimation de l'action politique dans le présent.‪
      ‪The aim of this article is to explore the writing of history in times of war; or rather, the positions adopted by historians concerning war, be it studied after the events or experienced at the time of writing. By shedding light on the background and the work of some Chinese historians of the republican era (1912-1949), a period of particular violence in China, as the Sino-Japanese conflict (1937-1945) reminds us, we examine in this paper the different ways in which war affects historical research, and the narratives of human experience that may possibly underlie it. Conversely, we also try to observe how, as war spreads, history itself may be “enlisted” by historians as an instrument for social mobilization, a narrative for individual and collective self-positioning, and a tool to legitimize political action in the present.‪
  • IV. Regards extérieurs