Contenu du sommaire : Penser la politique par le film

Revue Quaderni Mir@bel
Numéro no 86, hiver 2014-2015
Titre du numéro Penser la politique par le film
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • ‪Avant-propos : penser le politique par le film‪ - Laurent Godmer, David Smadja p. 5-8 accès libre
    • ‪Un défi à la loi ? Les controverses autour de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard‪ - Boris Gobille p. 9-21 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À sa sortie en 1965, Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, est interdit aux moins de 18 ans pour « anarchie morale et intellectuelle » et suscite une controverse, dont les termes sont analysés ici à partir de la presse spécialisée et généraliste et des courriers des lecteurs de la revue populaire Cinémonde. À travers une esthétique de l'instant et la figure de la cavale délinquante et amoureuse incarnée par Ferdinand et Marianne, le film paraît opposer deux formes de vie : l'une, correspon­dant au stade éthique de la vie, est associée à la légalité, à la responsabilité, aux engagements et aux attachements sociaux (métier, sociabilité, vie maritale et familiale) ; l'autre, correspondant au stade esthétique, a trait à l'illégalité, la disponi­bilité à l'événement, l'amour fou, le défi à la loi symbolique. Ce propos suscite une controverse éthique, surtout parmi les cinéphiles amateurs : peut-on et doit-on vivre ainsi en dehors, sinon contre, les normes sociales ? Il suscite égale­ment une controverse politique, surtout parmi les critiques professionnels. Certains défendent la manière godardienne de faire de la politique par les moyens propres du cinéma – une forme d'engagement –, quand d'autres dénoncent sa désinvolture et son irresponsabilité d'esthète porté à traiter de façon détachée de ce qui est grave – une forme de dégagement. La réception de Pierrot le fou dessine ainsi une affaire publique qui donne à voir comment se problématisent et dans une certaine mesure se recomposent non seulement le rapport aux normes, mais aussi les relations entre esthétique, éthique et politique à la veille de Mai 68.
      ‪Presented at the Venice Film Festival in Septem­ber 1965 and released in France in November 1965, Jean-Luc Godard's film Pierrot le fou was forbidden to people under 18 because of its “moral and intellectual anarchy”. It aroused a huge controversy among film critics and cinema-lovers, which we analyze through specialized publications as well as the correspondence col­umns of the general public magazine Cinémonde. The poetic aesthetics and “amoral ethics” of the movie give rise to a contrast between two “forms of life” : on the one hand, responsibility, social commitments and attachments (job, sociability, conjugal relationship, family) ; on the other hand, living outside the law, receptiveness to events, mad love, transgression of the symbolic order, which are clearly at the heart of the film and embodied by the two main characters, Ferdinand and Marianne. This way of life is closely ques­tioned from an ethical point of view, especially by cinema-lovers : is it possible, let alone desirable, to challenge social norms ? The controversy is also political and divides film critics : some de­fend Godard's cinema viewed as an expression of political commitment, while others disapprove of an aesthete's irresponsible and casual way to deal with a serious subject, namely politics. Therefore, the reception of Pierrot le fou shows us how so­cial norms as well as relations between aesthetics, ethics and politics, were thought, discussed and maybe transformed on the eve of May 68. ‪
    • ‪Temporalité de la politique alternative dans les séries‪ - Antoine Faure, Emmanuel Taieb p. 23-37 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir du constat d'un saut qualitatif dans la fabrication des séries télévisées contemporaines, ce texte questionne l'autonomisation du matériau filmique des drama, à travers l'organisation de leur temporalité. Ces séries offrent en effet une réflexion politique qui porte sur le sens du temps collectif. L'hypothèse est que le temps mis en scène dans les séries est celui d'une politique alternative, un temps autre, fait d'anticipations et de propositions capables de refonder la communauté. À partir de trois mouvements : l'opération de mise en série qui joue sur une narration complexe et lente ; la vraisemblance d'une pluralité de présents, et de figures nouvelles capables de les incarner ; et un certain nombre de propositions utopiques, qui se conjuguent au futur dans l'écart entre les séries et le monde réel.
      ‪Based on the observation of a qualitative leap in the production of contemporary television series, this article questions the increasing autonomy of dramas' film material, through the organization of their temporality. These TV shows offer a political analysis on the meaning of collective time. The assumption is that time as it is staged in TV shows is a time of a political alternative ; which is composed of anticipations and proposals able to rebuild the community. This alternate time originates in three movements : the serialization operation that builds a complex and slow narration ; the likelihood of a plurality of present times and new characters able to embody them ; and utopian proposals, which expose the gap between the series and the actual world.‪
    • ‪Entre revendication artiste et gramscisme de droite : le cinéma de Clint Eastwood comme apologie du libertarianisme américain‪ - Gwendal Châton p. 39-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article défend une lecture hétérodoxe du cinéma de Clint Eastwood, conçu comme étant un vecteur aussi discret qu'efficace d'une philosophie politique radicale : le libertarianisme. Cette thèse s'oppose aux deux interprétations dominantes de l'œuvre du réalisateur. D'un côté, la critique mainstream qui trouve dans ses films une promotion et une légitimation habiles des valeurs du néoconservatisme américain. De l'autre, la lecture esthète qui, prolongeant le discours du réalisateur lui-même, met en avant une pure œuvre artistique dénuée de portée politique. Après un retour sur l'itinéraire politique atypique d'Eastwood, on montre que son cinéma est hanté par une interrogation sur la violence et sur le destin de l'Amérique fortement teintée par l'anarchisme individualiste. Son œuvre doit alors être analysée comme une contribution libertaire à la relance du credo américain dans un contexte de désappointement idéologique, auquel elle entend répondre en proposant un horizon mêlant utopies communautaires et individualisme altruiste. 
      ‪This article defends an heterodox interpretation of Clint Eastwood's cinema, perceived as a discreet and efficient vector of a radical political philosophy : libertarianism. This analysis is against the two main interpretations of the director's work. On the one hand, the mainstream criticism which finds in its movies a clever promotion and legiti­mation of American neoconservatism values. On the other hand, the aesthete interpretation which points out a pure artistic work without any political significance, in line with the director's words. After a come back on Eastwood's unusual political itinerary, we show that its cinema is haunted by a question about violence and about America's destiny heavily influenced by individu­alist anarchism. Thus, its work has to be inter­preted as a libertarian contribution to the revival of American creed in a context of ideological disappointment, to which it intends to respond by offering an horizon blending community utopia and altruistic individualism.‪
    • ‪L'Exercice de l'État : voyage dans le "back-office" de la politique‪ - Charles Bosvieux-Onyekwelu p. 55-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      « Oublions pendant une heure cinquante les questions de droite ou de gauche, et regardons le pouvoir, ses rituels et ses humeurs, la sueur, le sang, la libido », déclare le réalisateur Pierre Schœller au sujet de son film L'Exercice de l'État. Celui-ci peut être analysé par les sciences sociales comme un moyen d'accès au « hors-champ » de la politique, un instrument d'observation sui generis des coulisses des décisions politiques aussi bien que de leur effectivité. L'objet de cet article, qui se fonde à la fois sur une analyse du contenu du film, sur une revue de presse éclai­rant les conditions de réalisation de ce dernier et sur des échanges avec le réalisateur, est ainsi de présenter L'Exercice de l'État comme une enquête dont l'enjeu est d'arriver à filmer la réalité contemporaine du métier politique et sa soumission aux exigences de réactivité immédiate et de communication à tous crins. Sans confondre sciences sociales et fiction, définies comme deux espaces aux règles et aux logiques différenciées, il s'essaie à rapprocher les choix de mise en scène du film avec, entre autres, l'orientation épistémologique défendue par Pierre Bourdieu dans Sur l'État.
      ‪“For an hour and fifty minutes, let's forget ques­tions about the right and the left, and let's look at power, its rituals and its moods, sweat, blood and libido”, says film director Pierre Schœller about his work The Minister. This film can be analysed by social sciences as a means to access “off-camera” politics, a specific tool to observe the backstage of policy-making as well as its implementation. This article, which draws on the content of the film and a press-review highlight­ing the making-of and discussions with the film director, presents The Minister as an enquiry whose purpose is to put into film the present-day reality of politics and the submission of politi­cians to spin doctors as well as their constant use of communication at any cost. Without mistaking social sciences for fiction, as these two fields obey different rules and logic, this article also attempts to put together what the film chooses to display with, among others, the epistemological trend set out by Pierre Bourdieu in On the State. ‪
  • Politique

    • ‪Émergence d'un récit contradictoire du périurbain dans la métropole du Grand Paris : le cas de l'Institut du Mont Ezard à Villecresnes au sud-est du Val-de-Marne‪ - Bertrand Morvan p. 67-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Se confronter aux formes et discours accom­pagnant la formation de la métropole devient essentiel pour qui se préoccupe du politique dans le cadre d'une technique planétaire impactant l'espace urbain. Nous nous sommes intéressés à l'idée d'un récit métropolitain du périurbain émergeant, de façon contradictoire et paradoxale, à partir du site d'observation de Villecresnes et de l'institut du Mont Ezard. Nous retenons la logique d'interpellation contradictoire entre des édiles municipaux (projet du Grand Paris) et le pouvoir parisien et l'État (loi M.A.P.T.A.M. d'institutionnalisation des métropoles du 27 janvier 2014). Nous tentons de reconstituer, à l'aide des propos d'un membre de l'association d'édiles « Paris-Métropole » et conseiller muni­cipal de Villecresnes, les composantes singulières d'une décision. Mais l'enquête n'est pas encore assez étendue dans le temps pour que le surcode structural s'applique. Une autre perspective serait d'appréhender les formes urbaines métropoli­taines et les discours d'une technique planétaire avant toute autre conceptualisation du réel en science politique. Il s'agirait de « systématique ouverte » (K. Axelos, 1984). Une critique phé­noménologique et une interprétation, au sens large, des fragments d'« une totalité elle-même fragmentaire et fragmentée » (K. Axelos, 2009) s'imposeraient.
      ‪Confronting the forms and speeches accompa­nying the formation of the metropolis becomes essential for anyone concerned about the policy as part of a global technique impacting urban space. We looked at the idea of a metropolitan story of an emerging semi-urban area in a contradic­tory and paradoxical way, from the observation site of Villecresnes and the Institute of Mount Ezard. We retain the logic of contradiction be­tween municipal officials (Greater Paris project) and the parisian authorities and the State (Law M.A.P.T.A.M. on the institutionalization of the cities, January 27, 2014). We are trying to rebuild, using the words of a member of the association of concilors “Paris-Metropole” and concilor of Villecresnes, the singular components of a deci­sion. But the investigation is not yet extensive enough in time for the structural “surcode” to ap­ply. Another perspective would be to understand the metropolitan urban forms and discourses of a global technology before any conceptualization of reality in political science. This would be a question of “open systematic” (K.Axelos, 1984). A phenomenological critique and interpretation in a large sense, of fragments of “a totality itself piecemeal and fragmented” (K.Axelos, 2009) would be required. ‪
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