Contenu du sommaire : La première Théorie critique
Revue | Astérion |
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Numéro | no 7, 2010 |
Titre du numéro | La première Théorie critique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Présentation - Alexandre Dupeyrix, Stéphane Haber, Emmanuel Renault
- Sous le signe de l'allégorie. Benjamin aux sources de la Théorie critique ? - Jacques-Olivier Bégot Prenant pour point de départ les références que Theodor W. Adorno fait à l'Origine du drame baroque allemand (1928) de Walter Benjamin dans ses deux conférences programmatiques, « L'Actualité de la philosophie » (1931) et « L'Idée d'histoire de la nature » (1932), l'article se concentre sur la portée de la théorie novatrice de l'allégorie qui, à côté de la philosophie du langage et de la théorie de la connaissance exposées dans la « Préface épistémo-critique » du livre de Benjamin, fournit l'armature de l'argumentation d'Adorno. Pour quelles raisons et dans quelle mesure peut-on faire de l'allégorie l'une des sources majeures du programme philosophique qui prendra, quelques années plus tard, le nom de « théorie critique » ?
- La vedette et le dictateur : sur une note de bas de page de L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin - Lambert Dousson La genèse de la vedette de cinéma qu'effectue Walter Benjamin au chapitre 10 de L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (dernière version, 1939) trouve une résonance politique dans une note de bas de page du même chapitre où la star acquiert un statut analogue au dictateur, quand la technique (de reproduction) de l'œuvre d'art devient elle-même, à travers le cinéma, œuvre d'art. Si les démocraties bourgeoises contiennent, dans leur rapport aux médias de masse, la possibilité de leur basculement dans le fascisme, c'est parce que leurs gouvernants, au même titre que l'acteur de cinéma, deviennent des marchandises, soumises à la loi de la forme équivalente (de la marchandise). L'« esthétisation de la politique » doit dès lors être comprise comme la restitution de l'« aura » et de la « valeur cultuelle » qui l'accompagne, dans et par les conditions qui par définition en constituent la liquidation, à savoir la technique, qui sont l'attribut du pouvoir. Sublimer la marchandise en la présentant sous les espèces de l'œuvre d'art quand celle-ci devient marchandise – ainsi s'institue la star –, et identifier l'homme politique à une œuvre d'art – à une star –, revient à faire de lui l'incarnation du pouvoir : un dictateur.
- Nietzsche : les Lumières et la cruauté. De l'interprétation de Nietzsche par la Théorie critique - Agnès Gayraud En 1983, dans Le Discours philosophique de la modernité, la critique habermassienne de l'irrationalisme et du poststructuralisme fait basculer sans équivoque l'auteur de La Volonté de puissance dans le camp des ennemis de la Théorie critique. Toutefois, à la faveur peut-être d'une lecture qui se voulait celle de happy few, les fondateurs de la Théorie critique, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, n'avaient jusque-là pas fait de Friedrich Nietzsche une figure aussi menaçante. Lors d'un entretien radiophonique consacré au philosophe, enregistré à Francfort-sur-le-Main le 31 juillet 1950 en célébration du cinquantième anniversaire de sa mort, ils dénoncèrent l'« horrible mécompréhension » dont Nietzsche avait surtout fait l'objet. Par leur attention à l'ironie de Nietzsche, à la négativité de son discours, ils avaient toujours décelé dans sa pensée de la cruauté le nerf d'une pensée des Lumières telle qu'elle devait être encore affirmée au xxe siècle. Aurait-il existé une alliance paradoxale de la Théorie critique avec le théoricien du Surhomme et de l'Éternel retour, avant qu'avec Habermas la guerre ne lui soit déclarée, ainsi qu'à ses héritiers ? L'article tente de faire apparaître comment, avant cette guerre – et n'en déplaise également aux ennemis nietzschéens de la dialectique –, existait entre Nietzsche et la Théorie critique plus et mieux qu'un statu quo.
- L'approche sociopsychologique de Horkheimer, entre Fromm et Adorno - Katia Genel Le cadre du programme interdisciplinaire de recherche défini par Max Horkheimer dans les années 1930 doit beaucoup à Erich Fromm, qui a introduit la psychologie sociale dans la Théorie critique de la société. Or, une décennie plus tard, Fromm est la cible privilégiée des attaques et sa théorie apparaît désormais comme incompatible avec les positions défendues par Horkheimer et Adorno. Partant de ces tensions qui ont marqué l'histoire de l'École de Francfort, le présent article vise à éclaircir le déplacement qu'elles traduisent sur le plan épistémologique. Si Horkheimer et Fromm partagent des prémisses communes, le premier, dans son travail avec Adorno, se rapproche de manière croissante de la doctrine freudienne alors que le second s'en éloigne. Nous voudrions montrer que l'accord entre Fromm et Horkheimer fut surtout négatif puisqu'il portait sur la critique de Freud : les divergences entre les deux penseurs apparaissent clairement, dès lors qu'on pose en profondeur la question de l'usage de la psychanalyse pour analyser l'un des problèmes centraux de la théorie de la société, l'antagonisme entre individu et société.
- Un éveil de la seconde nature ? La Deutung de l'histoire chez le jeune Adorno - Florian Nicodème Ce travail opère une relecture de deux textes de jeunesse de Th. W. Adorno dans l'optique d'une réévaluation de leur importance pour son œuvre ultérieure, en particulier pour sa philosophie de l'histoire. Ces deux textes, dans lesquels est défini le concept d'interprétation philosophique de l'histoire, ou Deutung, seront abordés à partir d'une question issue des philosophies de l'histoire classiques du xixe siècle, celle du lien entre cette interprétation philosophique et une expérience commune de l'histoire. Nous montrerons que, loin de pouvoir constituer un programme univoque pour la suite de la philosophie adornienne, ces textes de jeunesse sont au contraire travaillés par une ambiguïté. Fondamentale pour toute la philosophie adornienne de l'histoire, cette ambiguïté prend place entre un fondement méthodologique de la Deutung et la tentative de l'originer au contraire dans une expérience dialectique de la réalité historique.
- « Le souvenir de la nature dans le sujet ». Une actualité de La Dialectique de la raison - Gilles Moutot On se propose de montrer que le « souvenir de la nature dans le sujet », un des thèmes majeurs de La Dialectique de la raison, trouve une actualité spécifique dans certains débats et travaux contemporains. Dans la mesure où elle est pensée sous la condition de la remémoration, et donc de son intrication avec l'histoire, l'expérience que le sujet peut faire de la nature en lui apparaît nouée à une visée critique et normative qui cependant se garde de toute surcharge naturaliste (telle qu'elle s'aperçoit par exemple dans les diverses conceptions d'une nature-modèle) : contre la violence des identités socialement contraintes, il s'agit de prêter attention à ce qui atteste, à même les impulsions somatiques, le lien entre aspiration à la liberté et souci de ce dont on ne peut disposer (en termes adorniens, le « non-identique »). Une telle approche est susceptible d'éclairer les prolongements actuels de la Théorie critique, par exemple là où celle-ci s'efforce de penser les souffrances sociales.
Varia
- Sortir de la bibliothèque ? (Essai de cartographie d'un des territoires de Michel Foucault) - Jean-Louis Fournel, Jean-Claude Zancarini Dans maintes exégèses récentes des textes de Michel Foucault, sont sans doute négligés la place et les effets théoriques d'une étape particulière de sa pensée, celle qui croise ce que l'on peut appeler « les années 68 ». Le présent article tente d'aborder cette question en s'appuyant sur une attention à la chronologie précise et systématique des écrits et des différentes formes d'interventions de Foucault durant cette période (et durant les années qui suivent dès lors que les passages évoqués peuvent être analysés, tout ou partie, comme des « effets » de ces années-là). Au contraire, la philosophie définie à ce moment-là par Foucault comme une « espèce de journalisme radical » permet de refuser l'attitude des intellectuels–prophètes dans la mesure même où il n'existe pas de philosophie conservatrice ou de philosophie révolutionnaire mais des outils que la philosophie fournit et dont chacun fait l'usage qui lui semble bon. Au fil des années, un réseau de plus en plus dense se mit en place pour penser l'inscription du travail de la pensée dans le présent. Cette tâche peut même remettre en cause l'écriture ou la réorienter radicalement : on en trouve une illustration lors de la constitution du GIP (Groupe information sur les prisons), en 1971.
- Le « prophète des crises ». Économie politique et religion chez Clément Juglar - Muriel Dal-Pont Legrand, Ludovic Frobert Cet article étudie les évolutions significatives de la théorie des crises économiques « à retour périodique » chez Juglar entre ses premières formulations, peu avant 1860, et les toutes dernières versions quelque quarante ans plus tard. Les progrès analytiques et empiriques sont soulignés et l'article signale la montée en généralité de la vision du cycle chez Juglar qui, à la fin de sa vie, décelait dans ce phénomène régulier la « clé de tout le mouvement social ». Des raisons économiques, politique, morales, mais surtout religieuses permettent de rendre compte de cette évolution dans l'œuvre de Juglar. L'article pointe, en particulier, l'importance du jansénisme dans la vision économique du « prophète des crises ».
- Amitié, harmonie et paix politique chez Aristote et Jean Bodin - Sara Miglietti La crise politique et religieuse de la seconde moitié du xvie siècle ouvre la voie en France à un débat enflammé concernant les limites du pouvoir souverain et le rôle du peuple au sein de l'État. Dans les Six livres de la République (1576), Jean Bodin développe un programme de réforme éthico-politique envisageant l'amitié entre les citoyens comme pierre angulaire de l'État. Bien que s'inspirant largement des réflexions d'Aristote sur le même sujet (Éthique à Nicomaque, Politique), il remplace toutefois la théorie aristotélicienne de l'amitié-égalité (laquelle entraîne chez le Stagirite une vision égalitariste de la société et un net refus de la monarchie) par une nouvelle théorie de l'amitié-harmonie qui lui permet de justifier la nature hiérarchique et monarchique de sa « République bien ordonnée ».
- Empire et souveraineté populaire chez Marsile de Padoue - Nestor Capdevila Marsile de Padoue a été jugé comme un penseur médiéval ou un précurseur de la modernité en raison de sa défense de l'empire et de la thèse dite de la souveraineté populaire. Ces discussions négligent la dimension impériale de la modernité et séparent des thèses qui sont liées dans la pensée de l'auteur. L'argumentation de Marsile de Padoue permet d'analyser rétrospectivement les affinités de la logique des concepts d'empire et de souveraineté populaire en montrant la part d'imaginaire de leur objet. Elle est une condition de leur existence et un argument pour la mettre en doute.
- Sortir de la bibliothèque ? (Essai de cartographie d'un des territoires de Michel Foucault) - Jean-Louis Fournel, Jean-Claude Zancarini
Lectures et discussions
- Pierre Dockès, Hobbes. Économie, terreur et politique, Paris, Economica, 2008, 282 pages, appendice, bibliographie, 29 € - Dominique Weber
- Denis de Casabianca, Montesquieu. De l'étude des sciences à l'esprit des lois, Paris, Honoré Champion, 2008, 976 pages, 145 € - Capucine Lebreton
- Marc Parmentier, Leibniz-Locke, une intrigue philosophique. Les Nouveaux essais sur l'entendement humain, Paris, Presses universitaires Paris Sorbonne, 2008, 283 pages, 16 € - Raphaële Andrault
- Frédéric Keck, Lévy-Bruhl. Entre philosophie et anthropologie, Paris, CNRS, 2008, 274 pages, 35 € - Stéphane Haber
- Anne-Claire Husser, Bruno Barthelmé et Nicolas Piqué éd., Les sources de la morale laïque. Héritages croisés, Lyon, ENS Éditions, 2009, 130 pages, 15 € - Baptiste Morizot
- Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe - Claire Crignon-De Oliveira
- Perry Anderson, Spectrum. From Right to Left in the World of Ideas, Londres-New York, Verso, 2005. - Gabriele Pedullà