Contenu du sommaire : La Preisfrage de 1763 de l'Académie de Berlin : certitude mathématique, certitude métaphysique, certitude morale

Revue Astérion Mir@bel
Numéro no 9, 2011
Titre du numéro La Preisfrage de 1763 de l'Académie de Berlin : certitude mathématique, certitude métaphysique, certitude morale
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Présentation - Jean-Paul Paccioni accès libre
    • Deutlichkeit, évidence et certitude dans les réponses anonymes - Paola Basso accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans la formulation de la question du concours de l'Académie de Berlin de 1763, le texte français utilise le mot « évidence » là où le texte allemand mentionne des deutliche Beweisen. Que manifeste cette différence ? Quelles en sont les conséquences ? Les termes « évidence », Deutlichkeit, « certitude » apparaissent de manières très différentes dans les réponses. La multiplication terminologique et conceptuelle correspond à une profonde ambiguïté épistémologique. Au sein des réponses rédigées en allemand, la notion de Deutlichkeit n'est pas centrale, tandis que l'est celle de Gewißheit. Les réponses rédigées en français font, quant à elles, toutes référence à l'« évidence », mais ce terme apparaît peu défini et trop ample. Ainsi, c'est l'esprit plutôt que la lettre de la question qui a été en jeu. La plupart des réponses se rejoignent cependant sur une analyse de la « nécessité de croire » à l'œuvre à la fois dans l'évidence, la certitude et la Deutlichkeit et sur la force coercitive de la démonstration.
      In the French version of the question set by the Berlin Academy in 1763, the word évidence is used whereas the German document mentions deutliche Beweisen. What is this difference the sign of? What are its consequences? The terms évidence, Deutlichkeit, certitude occur in very different ways in the answers provided. The various terminological and conceptual meanings reflect a deep epistemological ambiguity. Among German-language answers, the notion of Deutlichkeit is not central unlike that of Gewißheit. French-language answers all refer to évidence but this term is little defined and too broad. As a result, it was the spirit rather than the letter of the question that prevailed. However, most answers converge on the “need to believe” found both in évidence, certitude, Deutlichkeit and the constraining force of demonstration.
    • Le mythe de la démonstrabilité résiste-t-il encore ? Remarques sur l'orientation des réponses anonymes - Paola Basso accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Preisfrage de 1763 était, à l'époque, incroyablement actuelle. En effet, autour de 1761, à l'Académie de Berlin et en dehors d'elle, une somme de facteurs vint menacer la supériorité incontestée de la méthode démonstrative. Même si l'optimisme suscité par les mathématiques était encore victorieux, le paradigme de la certitude absolue était imperceptiblement en train de se transformer. On se distanciait d'un certain cartésianisme et, pour utiliser le mot de Voltaire, au « compas de la mathématique » on ajoutait « le flambeau de l'expérience ». On jugeait le réquisit pur de la déduction logique trop élevé pour l'entendement humain, et l'on avait tendance à souligner les traits sensibles du plan syntaxique des figures géométriques ou des preuves des faits. Cette circonspection concernant la rhétorique de la démonstration est bien visible dans les pages anonymes des réponses à cette Preisfrage : la plupart sont favorables à l'évidence géométrique en métaphysique, mais le scepticisme vis à vis des démonstrations mathématiques inflexibles est palpable. Le pruritus demonstrandi contenait-il déjà en lui-même, par son outrance, le germe du futur dédain pour les démonstrations en philosophie ?
      It was an incredibly topical question that the Berlin Academy set in 1763. Indeed, a number of factors came to threaten the undisputed superiority of the demonstrative method at and around the Berlin Academy in 1761. Even if the optimism raised by mathematics still prevailed, the paradigm of absolute certainty was changing imperceptibly. Cartesianism was becoming less popular and, to use Voltaire's word, “the torch of experience” was added to “the compass of mathematics”. The pure requisite of logical deduction was deemed too demanding for human understanding. The circumspection concerning the rhetoric of demonstration is obvious in the anonymous pages of the answers to this Preisfrage: most of them are favourable to geometric evidence in metaphysics but scepticism towards inflexible mathematical demonstrations is manifest. Was pruritus demonstrandi containing the germ of the future disdain for demonstrations in philosophy?
    • Notions directrices et architectonique de la métaphysique. La critique kantienne de Wolff en 1763 - Stefanie Buchenau accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article cherche à reconstituer la thèse de Christian Wolff sur l'évidence (Deutlichkeit) des principes métaphysiques, dans un article de 1729 sur les « Notions directrices et le véritable usage de la première science », qui offre une référence centrale (et méconnue aujourd'hui) aux répondants du concours de 1762-1763, dont Kant. Wolff affirme en effet que la métaphysique est susceptible d'une certitude égale voire supérieure à celle des mathématiques et qu'elle diffuse cette certitude à travers toutes les autres disciplines ; c'est cette thèse forte qu'il s'agira précisément de questionner en 1763. Une lecture plus attentive de l'article de Wolff permet d'en dégager certaines prémisses. La thèse de Wolff sur la certitude mathématique de la métaphysique est fondée sur un renversement de l'ordre de priorité entre métaphysique (ontologie) et mathématiques. Selon Wolff qui, dans son débat avec les mathématiques, s'appuie notamment sur la géométrie euclidienne, ce sont des notions métaphysiques qui fondent la validité des règles mathématiques et logiques. Des notions comme « identité », « chose », « possibilité », etc., possèdent en effet un statut « directeur » ou méthodique, dirigeant l'esprit sur le chemin de la connaissance et, sous une forme systématisée, composent une ontologie moderne et « architectonique ». La restitution de ce cadre permet de mieux voir la continuité méthodologique entre Wolff et Kant. En effet, même si Kant conteste la validité de quelques-uns de ces concepts, les modalités de leur systématisation et l'équation entre science architectonique et ontologie, sa Recherche sur l'évidence des principes s'inscrit à l'intérieur du programme, esquissé par Wolff, de la fondation d'une métaphysique architectonique contenant un tableau de concepts directeurs. De ce point de vue, Kant s'avère plus tributaire de la méthode wolffienne qu'il n'est supposé communément, et leur débat gagne en profondeur.
      This paper presents Christian Wolff's argument on the evidence of metaphysical principles as expounded in his article Directive notions and the true use of the first science (1729). This article was a central and yet forgotten reference for those who responded to the 1762/1763 academy questions such as Kant. Wolff here asserts that metaphysics has a kind of certainty that is equal or even superior to mathematics and that it communicates such certainty to the remaining sciences. It is this Wolffian thesis that Kant attacked in 1763. A closer reading allows to acknowledge more philosophical premises of Wolff's argument. Wolff's thesis on the mathematical certainty of metaphysics inverts the former order of priorities between metaphysics (ontology) and mathematics. According to Wolff (who here seemed to be influenced by Euclides' geometry), metaphysical notions are at the foundation of mathematical and logical rules. Notions such as “identity”, “thing”, “possibility” etc. have a “directive” or methodical status : they direct the mind searching the truth. Together, these notions constitute a modern and “architectonic” ontology. This framework shows the methodological continuity between Wolff and Kant. Even though Kant contested the form of Wolff's system, his response still formed part of the general program sketched by Wolff. Kant still attempted to found some kind of architectonic metaphysics containing a table of directive concepts. From this viewpoint, Kant owes more to Wolff than what has been commonly assumed, and the deep and complex debate between the two thinkers calls for more attention.
    • Crusius et la certitude métaphysique en 1762 - Tinca Prunea-Bretonnet accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article se propose d'analyser le rôle joué par la pensée de Christian August Crusius dans la genèse et l'articulation de la Preisschrift kantienne de 1762. Décidément anti-wolffien, Kant opte pour la méthode analytique comme seule capable d'assurer la scientificité de la philosophie. Dans un double mouvement de rapprochement et de prise de distance par rapport à certaines thèses crusiennes centrales, il entend démontrer que la certitude atteignable en métaphysique est suffisante pour la conviction, qu'elle est toute aussi « sûre » et « complète » que la certitude mathématique. Ne pouvant fonder cette certitude sur une simple conviction subjective, selon le principe de Crusius, Kant s'éloignera définitivement de ce dernier, non sans avoir intégré dans sa propre doctrine des éléments crusiens fondamentaux.
      This article aims to discuss the role played by Crusius' thought in the genesis and the structure of Kant's Preisschrift of 1762. Definitely opposed to Wolffian philosophy, Kant argues for the analythical method as the only method capable of ensuring a scientific status for philosophy. Simultaneously embracing and criticizing some central Crusian principles, he intends to demonstrate the possibility of a “sure” and “complete” metaphysical certainty, which would be as sufficient for conviction as the mathematical certainty. Kant refuses, however, to base metaphysical certainty on a simply subjective conviction, as Crusius suggests. That is why he ultimately rejects his predecessor's philosophy, although not without making some fundamental Crusian elements part of his own doctrine.
    • Les hasards de la variole - Jean-Marc Rohrbasser accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La nécessité d'un calcul ayant pour fin d'estimer un risque peut être révoquée en doute lorsqu'il s'agit de prendre une décision en situation d'incertitude, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une question de vie ou de mort. Dans la controverse engagée sur l'opportunité d'inoculer la variole, la position de D'Alembert constitue un cas exemplaire de scepticisme portant sur l'application des mathématiques, et en l'occurrence du calcul des probabilités, à des décisions relatives à la vie humaine. D'Alembert, en effet, conteste aux mathématiques sociales le pouvoir de rendre compte de phénomènes humains en y cherchant des régularités et des formalisations sans dissocier les dimensions mathématiques et probabilistes des dimensions philosophiques et éthiques. En suivant le débat qui, au milieu du xviiie siècle, se déroule entre le mathématicien français et son homologue suisse Daniel Bernoulli, on assiste à l'un des épisodes de la lente gestation des notions de prise de risque, de décision et de rationalité.
      The necessity of a calculation aiming to evaluate a risk can be revoked in doubt when the question is to make a decision in a situation of uncertainty, all the more when the question is about life or death. In the controversy opened on the opportunity to inoculate the smallpox, D'Alembert's position constitutes an exemplary case of scepticism concerning the application of the mathematics, and in this particular case the probability theory, to decisions relative to the human life. D'Alembert, indeed, disputes in the social mathematics the power to describe human phenomena by looking for regularities and for formalizations without separating the mathematical and probability dimensions of the philosophic and ethical ones. By following the debate which, in the middle of the 18th century, takes place between the French mathematician and his Swiss counterpart Daniel Bernoulli, we attend one of the episodes of the slow gestation of the notions of risk-taking, decision and rationality.
  • Varia

    • L'ontologie des Indivisibles et la structure du continu selon Gautier Burley - Alice Lamy accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour Aristote, sous le rapport de sa composition en parties, le continu est divisible mais sous le rapport de ses limites (point, ligne, surface et profondeur), le continu est indivisible. Walter Burley, comme ses contemporains, a commenté la coexistence problématique de la divisibilité et de l'indivisibilité dans la structure du continu. Bien plus, aux prises avec sa célèbre polémique contre son adversaire Guillaume d'Ockham à propos de l'ontologie de la catégorie de quantité, il admet une structure du continu originale qui semble contenir à la fois des intervalles ou parties divisibles et des points ou indivisibles.
      For Aristote, concerning its composition in parts, the continuous is divisible but concerning its limits (point, line, surface and depth), the continuous is indivisible. Walter Burley, as his contemporaries, commented on the problematic coexistence of the divisibility and the indivisibility in the structure of the continuous. Much more, battling against his opponent Wilhelm of Ockham about the ontology of the category of quantity, he admits an original structure of continuous who seems to contain at the same time intervals or divisible parts and indivisible points.
    • Structuralisme et néoréalisme dans le champ des relations internationales. Le cas de Kenneth Waltz - Alexis Cartonnet accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article esquisse un rapprochement entre un courant de pensée politique, le néoréalisme, et une méthode en sciences humaines, le structuralisme. Ce courant et cette méthode ont suivi des trajectoires séparées, de l'après-guerre à la fin des années soixante-dix, jusqu'à ce que Kenneth Waltz croise ces deux problématiques. Après avoir défini respectivement réalisme et structuralisme, cet article établit leur connexion et tente d'éclairer les raisons pour lesquelles ce rapprochement n'avait pas été conduit jusqu'alors.
      This article is an attempt to link the study of a political thought movement, neorealism, with a social sciences methodology, structuralism. Both currents have followed different paths, throughout the period that lasted from after the Second World War to the end of the seventies, until Kenneth Waltz made them match in 1979. After defining both neorealism and structuralism, this paper tries to connect them, and thus understand the reasons why the parallelism wasn't made until then.
  • Lectures et discussions