Contenu du sommaire : Quand la médecine fait le genre
Revue | Clio : Histoires, femmes et société |
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Numéro | no 37, 2013 |
Titre du numéro | Quand la médecine fait le genre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- À nos lectrices et lecteurs - p. 7-8
- Éditorial - Nicole Edelman p. 9-20
- Corps masculin et corps féminin chez les médecins grecs - Jean-Baptiste Bonnard p. 21-39 L'article, en prenant en compte la littérature médicale des Présocratiques à Galien, présente la façon dont les textes biologiques et médicaux grecs ont construit les corps masculin et féminin. Selon ces biologistes et médecins grecs, cette construction s'opère dès l'embryogenèse et au cours du développement du fœtus. Dans une pensée médicale où prédomine la physiologie, les corps masculin et féminin sont nettement opposés selon des critères connotés : en particulier, le corps de la femme est plus humide et moins chaud que celui de l'homme ; il est, en outre, marqué par une particularité anatomique, l'existence de l'utérus pensé comme un être vivant. La différence entre corps masculin et féminin, qu'elle soit donnée pour radicale (différence de nature) ou relative (plus ou moins grand degré de perfection), est toujours présentée à partir d'un corps de référence, celui de l'homme, par rapport auquel celui de la femme est pensé en termes d'incomplétude ou d'inversion. Elle est par ailleurs porteuse de hiérarchie.
- Cerveaux fous et sexes faibles (Grande-Bretagne, 1860-1900) - Aude Fauvel p. 41-64 La psychiatrie est souvent présentée comme la science sexiste par excellence, les experts du psychisme ayant non seulement nourri les discours sur l'infériorité du « sexe faible », mais aussi très concrètement contribué à l'exclusion des femmes en acceptant « d'hospitaliser » celles qui refusaient de se conformer aux désirs masculins. Sans pour autant mettre en cause ce constat du rôle détestable joué par les psychiatres dans la répression des femmes, cet article propose de voir cette histoire sous un autre angle en réfléchissant aux répercussions de cette prise de position sexiste sur l'agencement du savoir médical et, inversement, sur celui des représentations des patientes. L'exemple britannique montre en effet que les théories sur l'infériorité mentale des femmes n'ont pas été partagées par l'ensemble du corps médical et ont, en outre, parfois été fortement combattues par les malades – poussant ainsi à nuancer l'image d'un « pouvoir psychiatrique » univoque et tout-puissant. En retraçant les débats qui ont entouré l'émergence de la thèse du « cerveau faible » dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle, il s'agit donc de jeter un autre regard sur la construction (et la déconstruction) des catégories du savoir psychiatrique et de comprendre comment les sujets de ce savoir – les patientes – ont pu, par « en bas », influencer leur évolution.
- Le genre du cancer - Ilana Löwy, Geneviève Knibiehler p. 65-83 Le cancer est perçu aujourd'hui comme une maladie qui affecte à peu près autant d'hommes que de femmes. C'est cependant une conception relativement récente. Jusqu'au milieu du xxe siècle, le cancer était considéré comme une pathologie principalement féminine, les tumeurs malignes produisant des symptômes typiques faciles à détecter. Au xxe siècle, les cancers féminins – du sein et de l'utérus – sont les principales cibles des campagnes publiques pour la détection précoce des tumeurs malignes. Depuis les années 1950, le développement de méthodes efficaces de diagnostic et l'augmentation des cancers du poumon, plus fréquents chez les hommes, met fin à l'image du cancer comme une pathologie féminine. Dans les discours publics et les medias, les cancers des organes reproducteurs féminins continuent cependant d'être plus visibles que ceux des organes reproducteurs masculins, et les femmes à risques sont plus souvent sujettes à une chirurgie de prévention mutilante.
- Hormones et reconfiguration des identités sexuelles au Brésil - Emilia Sanabria p. 85-104 Les hormones sexuelles sont des objets hybrides et complexes à la frontière du sexe et du genre. Dès lors qu'elles sont synthétisées sous forme pharmaceutique, elles peuvent attribuer des caractéristiques sexuelles au corps de manière partiellement exogène à celui-ci. Il s'en suit que l'utilisation clinique qui en est faite est socialement réglementée. À travers une analyse de divers contextes d'utilisation des hormones observés à Bahia, au Brésil, cet article montre que le dualisme sexuel est le produit de pratiques de régulation biomédicales qui visent à encadrer la circulation des hormones. Le sens du terme local « hormônio » n'est pas pleinement recoupé par celui d'hormone, qu'il excède. L'emploi commun qui est fait au Brésil du singulier procure au terme « hormônio » une qualité fluide et homogène. Dans ce contexte, les hormones sont comprises comme une sorte de substance qui peut circuler entre les corps. Cette conceptualisation des hormones comme une substance a des implications pour le statut ontologique des corps et révèle la relative plasticité de la relation sexe/genre.
- Andropause et ménopause : la sexualité sur ordonnance - Véronique Moulinié p. 105-121 L'invention de la ménopause au XIXe siècle puis celle de l'andropause dans la seconde moitié du XXe siècle ont eu pour effet d'accroître la surveillance des médecins sur les corps féminins et masculins vieillissants et, plus spécialement, sur la sexualité de cette période de la vie. Or, si ce coup d'état médical a si bien réussi, c'est qu'il a tout autant bénéficié du soutien très actif des femmes que de l'incapacité des hommes à lui résister. C'est aussi qu'il s'inscrivait dans le prolongement de très anciennes pratiques sociales qu'il légitimait. Et qu'on ne s'y trompe pas. Loin de se desserrer, l'étau s'est définitivement refermé. En effet, les hommes, qui ont longtemps tenté d'échapper maladroitement à cette surveillance, ont, aujourd'hui, fini par s'y soumettre, acceptant, de fait, tout le discours silencieux sur les défaillances de leur puissance virile qu'elle suppose.
Actualité de la recherche
- Médecine et sexualité, aperçus sur une rencontre historiographique (Recherches francophones, époques moderne et contemporaine) - Sylvie Chaperon, Nahema Hanafi p. 123-142
- Comment écrire l'histoire des relations corps, genre, médecine au XXe siècle ? - Delphine Gardey p. 143-162 Rendant compte des travaux récents dans le champ de l'étude sociales des sciences (Social Studies of Knowledge), de la critique féministe des sciences et des cultural studies, cet article revient sur leurs apports et sur la façon dont ils lisent l'histoire des transformations biomédicales (très) contemporaines, notamment dans les domaines de la reproduction et de la sexualité. Les SSK, en particulier, proposent une lecture complexe et riche des relations humains/techniques et de la façon dont les relations sociales et de genre s'y trouvent engagées. S'interrogeant sur la coïncidence de certaines de ces approches (participant du « tournant descriptif » dans les sciences sociales) avec des transformations économiques et sociales plus vastes (la reconfiguration de soi via les biotechnologies comme promesse individuelle en contexte néolibéral), l'article propose de mettre en évidence ce qu'un renouveau de l'approche historienne pourrait apporter en propre : redonner à voir l'épaisseur des contextes scientifiques et sociaux de production de certaines technologies, dire l'historicité des enjeux sociaux et de genre, produire de nouveaux récits attentifs aux enjeux normatifs, politiques et économiques.
Témoignage
- L'anthropologue, les médecins et l'expérience transgenre - Sylvie Steinberg p. 163-176
Varia
- Reconfiguration des rapports de genre et discours féministe syro-américain dans l'espace transnational du second XIXe siècle - Dominique Cadinot p. 177-196 La condition diasporique implique une confrontation culturelle qui oblige les populations exogènes à redéfinir les composantes symboliques de leur identité. Le cas des Syro-Américaines au XIXe siècle montre en particulier que cette transplantation peut être l'occasion de réélaborer les frontières de l'identité et de négocier une restructuration des rapports de genres. Encouragées et inspirées par leurs homologues proche-orientales, les féministes syro-américaines ont ainsi enrichi leurs aspirations nationalistes d'une nouvelle réflexion sur le statut et le rôle des femmes en territoire d'accueil.
- « Quelque longue que soit l'absence » : procurations et pouvoir féminin à Québec au XVIIIe siècle - Benoît Grenier, Catherine Ferland p. 197-225 Dans les sociétés préindustrielles, l'exercice du pouvoir au sein de la famille est étroitement lié aux contingences juridiques et aux normes patriarcales. La connaissance du rôle joué par les femmes dans les activités économiques de la famille, en particulier les femmes mariées, échappe le plus souvent aux historiens. L'étude des procuratrices à Québec, capitale de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle, permet de mieux comprendre le fonctionnement du couple dans un contexte colonial marqué par l'absentéisme masculin. L'analyse des actes de procurations octroyés aux femmes, combinée à une étude prosopographique de nature sociodémographique, révèle les enjeux et les circonstances de ce transfert circonstanciel de pouvoir. Cette voie montre qu'il est possible de contourner partiellement le silence entourant les activités des épouses pour éclairer la délicate question de la complémentarité et de la confiance au sein du couple.
- Reconfiguration des rapports de genre et discours féministe syro-américain dans l'espace transnational du second XIXe siècle - Dominique Cadinot p. 177-196
Clio a lu
- Maud Gleason, Mascarades masculines. Genre, corps et voix dans l'Antiquité gréco-romaine : Traduit de l'anglais par Sandra Boehringer et Nadine Picard, Paris, EPEL, 2012, 327 p. - Jean-Noël Allard p. 227-229
- Cathy McClive & Nicole Pellegrin (dir.), Femmes en fleurs, femmes en corps. Sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux Lumières : Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2010, 368 p. - Didier Lett p. 230-233
- Monica H. Green, Making Women's Medicine Masculine: The Rise of Male Authority in Pre-Modern Gynaecology : Oxford, Oxford University Press, 2008, 409 p. - Gabriella Zuccolin, Didier Lett p. 233-236 Monica H. Green, Making Women's Medicine Masculine: The Rise of Male Authority in Pre-Modern Gynaecology, Oxford, Oxford University Press, 2008, 409 p.
- Patrice Bret & Brigitte Van Tiggelen (dir.), Madame d'Arconville. Une femme de lettres et de sciences au siècle des Lumières : Paris, Hermann, 2011, 198 p. - Nahema Hanafi p. 236-239
- Mary McAlpin, Female Sexuality and Cultural Degradation in Enlightenment France. Medicine and Literature : Farnam/Burlington, Ashgate, 2012, 208 p. - Alexandre Wenger p. 240-242
- Leslie J. Reagan, Dangerous Pregnancies: Mothers, Disabilities, and Abortion in Modern America, Berkeley : Los Angeles, University of California Press, 2010, 392 p. - Katrin Schultheiss, Christiane Klapisch-Zuber p. 242-245
- Ilana Löwy, L'Emprise du genre. Masculinité, féminité, inégalité : Paris, La Dispute, collection « Le genre du monde », 2006, 277 p. - Grégory Quin p. 246-248
- Sandrine Garcia, Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants : Paris, Éditions la Découverte, 2011, coll. Genre & sexualité, 383 p. - Michelle Zancarini-Fournel p. 248-250
- Anne Fausto-Sterling, Corps en tous genres. La Dualité des sexes à l'épreuve de la science : Traduction d'Oristelle Bonis et Françoise Bouillot, Paris, La Découverte / Institut Émilie du Châtelet, 2012, 391 p. - Anne-Claire Rebreyend p. 251-254
- Laure Murat, La Loi du genre. Une Histoire culturelle du « troisième sexe » : Paris, Fayard, 2006, 459 p. - Aude Fauvel p. 254-257
- Anaïs Bohuon, Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ? : Paris, éditions iXe, 2012, 192 p. - Michal Raz p. 257-259
- Chikako Takeshita, The Global Biopolitics of the IUD. How Science Constructs Contraceptive Users and Women's Bodies : Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2011, 254 p. - Cinzia Greco p. 259-262
Clio a reçu
- Clio a reçu - p. 263-266
Compléments en ligne : Clio a lu
- Lydie Bodiou & Véronique Mehl (dir.), La religion des femmes en Grèce ancienne. Mythes, cultes et société : Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, 281 p. - Irini Papaikonomou
- Sandra Boehringer & Violaine Sebillotte Cuchet (dir.), Hommes et femmes dans l'Antiquité grecque et romaine. Le Genre : méthode et documents : Paris, Colin, 2011, 192 p. - Anna Chiaiese
- Françoise Collin, Evelyne Pisier & Eleni Varikas, Les femmes de Platon à Derrida. Anthologie critique : Dalloz, Paris, 2011, 566 p. - Bérengère Kolly
- Ghislain Baury, Les religieuses de Castille. Patronage aristocratique et ordre cistercien, xiie-xiiie siècle, préface d'Adeline Rucquoi : Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 332 p. - Constance H. Berman
- Emily Lynn Osborn, Our New Husbands Are Here. Households, Gender, and Politics in a West African State from the Slave Trade to Colonial Rule : Athens, The Ohio University Press, New African Histories Series, 2011, 273 p. - Aïssatou Mbodj-Pouye
- Muriel Plana, Théâtre et féminin. Identité, sexualité, politique/ Agnès Graceffa (dir.), Vivre de son art. Histoire du statut de l'artiste, XVe-XXIe siècle - Catherine Bernard
- Sarah Nancy, La voix féminine et le plaisir de l'écoute en France aux XVIIe et XVIIIe siècles : Paris, Classiques Garnier, 2012, 402 p. - Cécile Dauphin
- Sarah A. Curtis, Civilizing Habits. Women Missionaries and the Revival of French Empire/ « L'autre visage de la mission : les femmes » - Bruno Dumons
- Susan Foley & Charles Sowerwine, A Political Romance: Léon Gambetta, Léonie Léon, and the Making of the French Republic. 1872-1882 : Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012, 315 p. - Siân Reynolds
- Margaret Fuller, Des femmes en Amérique/ Claudette Fillard, Elizabeth Cady Stanton. Naissance du féminisme américain à Seneca Falls - Isabelle Lacoue-Labarthe
- France Grenaudier-Klijn, Elizabeth-Christine Muelsch & Jean Anderson (dir.), Écrire les hommes. Personnages masculins et masculinité dans l'œuvre des écrivaines de la Belle Époque : Vincennes, Presses Universitaires de Vincennes, 2012, 315 p. - Venita Datta
- Priscille Touraille, Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force sélective de l'évolution biologique : Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2008, 441 p. - Irene Barbiera, Christiane Klapisch-Zuber
- Nelly Chabrol Gagne, Filles d'album. Les représentations du féminin dans l'album : Le Puy-en-Velay, L'atelier du poisson soluble, 2011, 238 p. - Anne-Marie Mercier
- Françoise Picq, Libération des femmes, quarante ans de mouvement : Brest, Éditions-dialogues, 2011, 529 p. - Bibia Pavard
- Mariette Sineau, Femmes et pouvoir sous la Ve République. De l'exclusion à l'entrée dans la course présidentielle : Paris, Les Presses de Sciences Po, 2011, 324 p. (2e édition remaniée et augmentée) - Mathilde Dubesset
- Anna Bellavitis & Nicole Edelman (dir.), Genre, femmes, histoire en Europe : Nanterre, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2011, 408 p. - Rebecca Rogers