Contenu du sommaire : Enfant et apprentissage

Revue Terrain Mir@bel
Numéro no 40, mars 2003
Titre du numéro Enfant et apprentissage
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Revue de presse du numéro 40 accès libre
  • Enfant et apprentissage

    • Apprentissage culturel et nature humaine - Gérard Lenclud p. 5-20 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Selon une conception répandue en sciences sociales, et notamment en anthropologie, l'enfant apprendrait tout ce qu'il sait des adultes et de l'environnement culturel qui est le sien à sa naissance. Les recherches menées dans le domaine de la cognition remettent en cause ce point de vue en montrant que le succès de l'apprentissage repose largement sur la contribution qu'y apporte l'enfant. D'une part, pour apprendre, il faut savoir apprendre et donc disposer de certaines capacités ; d'autre part, tout ce qui est su n'est pas nécessairement enseigné.
      Cultural learning and human natureAccording to a widespread conception in the social sciences, especially in anthropology, children learn all they know from adults and the cultural environment where they were born. Research studies in cognition take issue with this point of view by showing that successful learning mainly depends on what children bring to this process. For one thing, in order to learn, it is necessary to know how to learn and, therefore, to have certain aptitudes. For another, all of what is known is not something that has necessarily been taught.
    • Pourquoi les anthropologues n'aiment-ils pas les enfants ? - Lawrence A. Hirschfeld p. 21-48 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Très peu de travaux majeurs en anthropologie s'intéressent prioritairement aux enfants. On peut s'en étonner étant donné que presque toute l'anthropologie contemporaine est fondée sur la présupposition selon laquelle la culture est acquise et non innée. Cet essai examine les raisons de cette regrettable lacune et propose des motifs, à la fois théoriques et empiriques, pour y remédier. Selon l'auteur, la réticence à donner la première place aux enfants dans la recherche résulte de la conjonction de deux erreurs : d'une part, une conception appauvrie de l'apprentissage culturel qui surestime le rôle joué par les adultes et sous-estime la contribution des enfants dans la reproduction culturelle ; d'autre part, un manque d'appréciation de l'étendue et de la force de la culture des enfants, particulièrement dans le façonnage de la culture des adultes. L'auteur souhaite mettre en évidence le fait que cette marginalisation des enfants et de l'enfance empêche de comprendre l'émergence et la continuité des formes culturelles. Deux études de cas, qui explorent les croyances des enfants nord-américains en matière de contamination sociale, serviront à illustrer ce propos.
      Why don't anthropologists like children?Few major works in anthropology concentrate on children, a curious state of affairs given that virtually all contemporary anthropology is based on the premise that culture is learned not inherited. Although children have a remarkable and undisputed aptitude for learning in general and for learning culture in particular, anthropology has shown little interest in them and their lives. What are the reasons for this lamentable lacuna? What theoretical and empirical arguments can fill it in? Resistance to child-focused learning stems from two errors: 1)an impoverished view of cultural learning that overestimates the role adults play and underestimates the contribution children make to cultural reproduction: 2) a lack of appreciation of the scope and force of children's culture, particularly in shaping adult culture. This “marginalization” of children and childhood keeps us from understanding how cultural forms emerge and are maintained. Two case studies of North American children's beliefs about social contamination illustrate these points.
    • Etre enfant à Rome - Emmanuelle Valette-Cagnac p. 49-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'enfance est à Rome le temps du jeu et des apprentissages. Etre sauvage et informe, caractérisé par une faiblesse tant physique que morale, l'enfant romain ne pourra accéder à l'humanité et à la culture qu'avec l'aide d'éducateurs – la nourrice, le père de famille, le maître d'école – qui vont à la fois par un façonnage du corps et du caractère et par un enseignement par l'exemple contribuer à faire de lui un homme libre et un parfait citoyen. Dans ce long apprentissage, l'écriture, la lecture et la mémorisation des grands textes jouent un rôle central.
      Being a child in Ancient Rome: Hard lessons in civicsIn Ancient Rome, childhood was the time for playing and learning. As an uneducated savage, both physically and morally weak, a child could become human and cultivated only with the help of teachers, wet-nurses and the father, all of whom shaped the child's body and character. The child could turn into a free man and perfect citizen through being taught by example. Reading, writing and memorizing important texts were central to this long learning process.
    • Langage et apprentissage des nombres en Chine et à Taïwan - Charles Stafford p. 65-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article décrit le développement des savoirs relatifs aux nombres en Chine et à Taïwan. Les enfants des communautés rurales y sont rapidement immergés dans une « culture numérique » comparativement complexe. Cette complexité même soulève des questions fondamentales sur les significations (extrêmement variables) attachées aux nombres – tant en Chine qu'ailleurs – et sur le processus par lequel les enfants commencent à acquérir les différents types de savoirs numériques. Le rôle joué, dans l'apprentissage numérique, par certaines caractéristiques du langage chinois fait l'objet d'une attention particulière. Dans la seconde partie de l'article, les transactions commerciales sont décrites comme un cas spécifique d'apprentissage numérique (par l'expérience précoce du marchandage). On y suggère que les usages arithmétiques des nombres sont inextricablement mêlés à leurs usages moraux et « fatidiques ».
      Language and numerical learning in China and TaiwanThe development of number-related knowledge in rural China and Taiwan is examined from several perspectives. Children growing up in rural Chinese and Taiwanese communities are soon immersed in a comparatively complex “numerical culture”. Indeed, its very complexity raises fundamental questions both about the highly variable meanings attached to numbers in China and elsewhere, and about the processes whereby children start to acquire different types of numerical knowledge. Attention is given to features of the Chinese language related to learning numbers. Market transactions are discussed as a special case in which numerical learning takes place (e.g., through an early experience of price-negotiations). Here it is suggested that the arithmetical uses of numbers merge with moral and ”fateful” ones.
    • Les dieux, les ancêtres et les enfants - Paul L. Harris p. 81-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'approche orthodoxe du développement cognitif postule que les enfants acquièrent progressivement une conception du monde de plus en plus objective. Or cette idée s'applique mal à l'étude des concepts religieux chez les enfants, car il n'existe pas de mesure évidente qui permette de déterminer ce qui est plus ou moins objectif dans le domaine religieux. Les anthropologues cognitifs se sont donné un programme différent. Ils se sont demandé si le mélange des éléments familiers et contre-intuitifs qui caractérise un grand nombre des concepts religieux les rendait plus facilement transmissibles d'une génération à l'autre. Des travaux récents dans le domaine de la psychologie cognitive ont fortement confirmé cette hypothèse. Même les enfants de 5 ans semblent réaliser que Dieu, tout en possédant certaines qualités humaines, n'en est pas moins un être extraordinaire. Pourquoi les enfants acceptent-ils de telles propositions contre-intuitives ? Aussi peu compatibles que soient ces propositions avec la réalité quotidienne telle qu'ils la perçoivent, leur acceptation permet aux enfants de donner un sens à certaines paroles ou pratiques rituelles des adultes qui les entourent. Forcés de faire un choix délicat entre la possibilité de considérer les adultes comme les victimes d'une illusion et celle de placer leur foi dans une ontologie contre-intuitive, les enfants optent typiquement pour la seconde possibilité.
      Gods, ancestors and childrenThe orthodox approach to cognitive development typically assumes that children slowly acquire a more objective conception of the world. This approach is ill-suited to children's religious concepts given the lack of an evident means for measuring what is more or less objective in religion. Cognitive anthropologists have tackled this problem from a different angle, by asking whether the combination of familiar and counter-intuitive elements characteristic of many religious concepts may not facilitate their transmission from one generation to the next. Surprisingly, recent research in developmental psychology strongly supports this claim. Even 5-year-olds seem to realize that God possesses many human-like characteristics (for example, a living being who sees and knows) and is immune to various mortal constraints (being eternal and omniscient). Why do children accept such counter-intuitive claims? However inconsistent the latter may be with children's knowledge of the everyday perceptible world, accepting claims of this sort allows children to make sense of adult's ritual words and practices. Young children conclude that adults pray to an all-knowing but invisible being because this being actually exists. Faced with the unenviable choice of regarding adults as deluded or of believing in a counterintuitive ontology, children opt for the latter.
    • Culture enfantine et règles de vie - Julie Delalande p. 99-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Apprendre est une nécessité pour devenir un adulte compétent. Au jour le jour, chaque enfant doit acquérir et maîtriser un savoir enfantin pour s'intégrer au groupe de ses pairs. L'observation de cours de récréation, à l'école maternelle et élémentaire, laisse apparaître une culture enfantine, ensemble de savoirs et savoir-faire, qui s'apprend au sein du groupe d'âge grâce à une complicité permettant l'initiation.Cet apprentissage de savoirs ludiques et de règles entre pairs est vécu dans une égalité de statut, loin de toute intention éducative, fournissant aux enfants l'occasion de s'approprier les enjeux sociaux et culturels propres à toute vie collective.
      Children's culture and the rules of life: Learning the rules on the school playgroundLearning is necessary in order to become a competent adult. From day to day, each child has to acquire and control knowledge so as to become part of the peer group. Observing playgrounds in kindergartens and primary schools gives us a glimpse of a “children's culture”, a set of knowledge and know-how learned within the age-group via an initiation based on mutual understanding. The experience of learning play and rules among age-mates is grounded in an equality of status, far from any intention to educate. It provides children with the opportunity to appropriate what is socially and culturally important for participation in a group.
    • L'acquisition du langage - Harriet Jisa p. 115-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'acquisition du langage est une étape majeure de la vie des enfants. Partout dans le monde, tout enfant apprenant à parler doit se construire, pendant la petite enfance, par lui-même et pour lui-même, ses propres connaissances de la langue afin d'être à même de communiquer. La relation entre les aspects universels de ce processus d'acquisition et les aspects spécifiques d'une langue et d'une culture données est au centre des recherches sur le langage des enfants. Tous les enfants ont accès à un flux continu de paroles comme facteur d'apprentissage d'une langue. Je décris d'abord ici les caractéristiques de ce signal continu, en portant une attention particulière aux différences transculturelles dans les discours adressés par les adultes aux enfants. Puis j'aborde la manière dont les enfants acquérant différents langages segmentent en unités significatives le flux du discours. Enfin, je m'intéresse à la relation entre les développements conceptuel et linguistique. L'acquisition du langage structure fortement l'appartenance à une communauté humaine.
      Acquiring language: What children teach us about peopleDeveloping the ability to use language is a milestone in every child's life. All normally developing children who are acquiring language construct their own linguistic knowledge in order be become engaged in the very human necessity to communicate. A major issue in language research among children concerns the relationship between universal aspects in the process of language-acquisition and the aspects specific to a language and culture. All children have access to an ongoing stream of speech as input to language learning. This continuous signal is described, with special attention being given to crosscultural differences in how adults talk to children. Attention is then turned to how children acquiring different languages, segment the speech stream into meaningful units. Although all languages are equally expressive, grammars capture meaning differently. The relationship between conceptual and language development is then addressed. Language-learning strongly shapes how a child becomes a member of society.
  • Repères

    • Quand les filles ne se taisent plus - Christine Salomon p. 133-150 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis les années 1990, l'explosion des dénonciations et le recours au droit français des femmes kanakes pour pénaliser les violences sexuelles et domestiques dont elles sont victimes apparaît en Nouvelle-Calédonie comme un indicateur d'une renégociation des rapports sociaux de sexe qui, au-delà d'une élite éduquée et urbaine, touche aussi les femmes de milieux ruraux. Les transformations induites par la revendication indépendantiste et le tournant politique des accords de Matignon permettent de comprendre le changement rapide dans le seuil des violences tolérées et la mise en cause de leur légitimation dans le droit coutumier. Que les femmes kanakes soient de plus en plus nombreuses à revendiquer la nécessité du consentement dans les relations sexuelles, à affirmer le droit des victimes de viol, à contester l'indissolubilité du mariage et à dénoncer les brutalités des conjoints, constitue un fait social qui exprime la progression d'un nouvel idéal relationnel d'égalité.
      When girls no longer keep their mouths shut: An aspect of post-colonial changes in New CaledoniaSince the 1990s, the number of cases of Kanak women having recourse to French law to punish sexual and domestic violence has exploded. This is evidence that social relations between the sexes are being renegotiated, a phenomenon reaching beyond the educated, urban elite out among women in rural areas. The transformations set off by the movement for independence and the political turning point marked by the Matignon Agreement help us understand why the threshold of tolerated violence has changed so fast and why objections are being raised to the legitimation of this violence under customary law. More and more Kanak women are advocating the need for consent in sexual relations, defending the rights of rape victims, protesting the indissolubility of marriage and denouncing the brutality of spouses. This provides evidence that a new ideal of relations and equality is progressing.
    • Quand la jeunesse devient une compétence - Sophie Divay p. 151-162 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le dispositif « emploi jeune » a été mis en place pour lutter contre le chômage des jeunes qui se voient attribuer un titre ou une étiquette en apparence anodine, mais au fond source de complexité. En se penchant ici sur le domaine de la médiation sociale, il apparaît que la prédominance accordée à la jeunesse entrave en partie l'atteinte des objectifs fixés par la législation. En effet, les termes de la loi de 1997 sur les emplois jeunes incitent à la création de nouveaux métiers et à la professionnalisation de ces activités. Mais comment satisfaire à ces exigences quand il est fait appel à des compétences « naturelles » telles que l'âge ou la familiarité avec un milieu social ou ethnique dans le cadre de la pratique professionnelle ? L'examen du cas des médiateurs tente d'amener des éléments de réponse à cette question et met en lumière des facteurs qui nuisent à leur reconnaissance en tant que professionnels.
      When youth becomes a job qualificationIn France, the Young Employment Program was set up to fight against joblessness among young people, who are thus attributed a title or label that, though seemingly harmless, is in fact a source of complexity. Looking at “social mediators”, we see that the predominance granted to young people has partly hindered the reaching of the objectives set in legislation. The 1997 law on this program provides for creating and professionalizing new occupations. How to meet up to these standards when “natural” qualifications, such as age or familiarity with a social or ethnic environment, are the practical basis for the occupations in question? This study of these “mediators” provides answers to this question and brings to light the factors that work against these young people being recognized as professionals.