Contenu du sommaire : L'argent en famille

Revue Terrain Mir@bel
Numéro no 45, septembre 2005
Titre du numéro L'argent en famille
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Revue de presse du numéro 45 accès libre
  • L'argent en famille

    • L'argent en famille - Nicolas Journet p. 5-12 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La famille est une structure légale, morale et affective gouvernée par la mise en commun des biens, le partage des ressources, le devoir d'assistance et l'héritage du patrimoine. L'argent est un moyen d'échange dont le pouvoir dissolvant des relations affectives et personnelles est souvent souligné. Comment ces deux réalités cohabitent-elles? D'un côté, les faits montrent que le contenu des relations familiales n'est pas allergique à l'échange comptable et à la monétarisation des soins, des affects et des devoirs de solidarité. De l'autre, l'observation fine des raisons des acteurs fait apparaître que la définition même des liens familiaux exige la mise à distance de la logique des intérêts. Les exemples développés dans ce dossier laissent transparaître en tout cas que s'il existe bien une économie des liens familiaux, sa maxime n'est – même pour les moins confiants d'entre eux (couples séparés) – pas celle du marché et de l'équilibre des intérêts. Les rapports d'argent y sont gouvernés par des normes d'équité dont l'établissement fait appel à des valeurs morales et affectives.
      Money in the familyThe family is a legal, moral and affective unit based on the pooling of goods, the sharing of incomes, the obligation to provide support and an inheritance. Attention is often drawn to the power of money, a means of exchange, to break up affective and personal relationships. But how do these two facts of life coexist? On the one hand, we observe that families do not forgo bookkeeping in relationships, nor the monetization of care, affects and the duties stemming from solidarity. On the other hand, a fine analysis of family members' reasons reveals that the very definition of family ties requires putting aside any rationale based on interests alone. The examples examined in this special issue illustrate that an “economy” of family ties does exist but that it is (even for those with the least “confidence”, namely separated couples) not based on the marketplace or a balancing of interests. In the family, relations involving money are governed by norms of fairness that appeal to moral values and affects.
    • Intimité et économie - Viviana Zelizer p. 13-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'interférence entre transactions économiques et relations sociales intimes peut être analysée de trois façons différentes : sous l'angle de « sphères séparées » ou de « mondes hostiles » que contamine mutuellement tout contact entre eux ; comme n'étant « rien d'autre que » des échanges commerciaux, des constructions culturelles ou des contraintes ; ou encore en tant que liens différenciés caractérisés chacun par un ensemble spécifique de transferts économiques. À partir du cas concret des litiges portant sur l'indemnisation des décès causés par les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, cet article plaide pour la troisième approche
      Intimacy and economyThe interference between economic transactions and private social relationships can be analyzed in three different ways: from the angle of separate spheres or “hostile worlds”, which are mutually contaminated when they come into contact; in terms of being “nothing other than business”, cultural constructs or expedients; or as being differentiated bonds, each characterized by transfers. An argument is presented for this third approach by drawing information from lawsuits having to do with compensation for the deaths caused by the 11 September 2001 terrorist attacks in New York and Washington, DC
    • Quand intérêts et sentiments se mêlent - Thiphaine Barthelemy p. 29-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'étude de correspondances échangées entre les membres de parentèles bourgeoises ou nobiliaires aux xviiie et au xixe siècles témoigne de la place centrale des affaires d'argent au sein de certaines familles et des négociations auxquelles elles donnent lieu. En quoi et comment l'expression des intérêts se mêle ou s'oppose à celle des sentiments et dans quelles configurations sociales s'inscrivent-elles ? On tentera d'interpréter ces correspondances dans une perspective à la fois structurale et temporelle, pour s'interroger tant sur le jeu des contraintes collectives et des aspirations individuelles qu'elles manifestent que sur l'évolution des « économies affectives » qu'elles seraient susceptibles de traduire
      When interests and feelings mix: Family correspondence during the 18th and 19th centuriesThe letters exchanged between the members of bourgeois or aristocratic families during the 18th and 19th centuries provide evidence of the key place of money matters and negotiations about them in certain families. How were interests expressed with, or despite, feelings? What social arrangements were they part of? This correspondence is interpreted from a structural and temporal perspective so as to shed light on the collective requirements and individual aspirations, and to inquire into the evolution of an “affective economics”
    • « Tout ce qui est à moi est à toi ? » - Delphine Roy p. 41-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le couple n'est pas une unité indivisible au sein de laquelle les revenus de l'un ou de l'autre seraient parfaitement fongibles. L'étude de la mise en commun et de la circulation de l'argent entre les conjoints fait apparaître trois logiques, qui se distinguent par une définition plus ou moins extensive de la « communauté » et par la présence ou non d'une norme d'égalité qui suppose que soient explicitement quantifiés les montants. De plus, dans les calculs indigènes, ce sont les dépenses qui sont premières : la répartition des ressources se fait une fois définis les tâches de chacun et le périmètre des dépenses communes. Enfin, la dimension temporelle, à travers l'histoire des deux conjoints et la façon dont ils se projettent dans l'avenir, est essentielle pour comprendre les arrangements mis en place et la possibilité de leur renégociation lorsque les dépenses ou les revenus changent (déménagement, arrivée ou départ d'enfants, cessation ou reprise d'activité, etc.)
      “What is mine is yours?” Pooling income and transferring money within the coupleThe couple is not an indivisible unit where both parties have fully fungible incomes. Three rationales emerge in the circulation of money and pooling of incomes between spouses. They are based on a more or less extensive definition of the communal estate and on whether or not a norm of equality comes into play for clearly quantifying the amount of money involved. In household calculations, expenditures are reckoned first; and the pooling of income only comes up once the schedule of joint expenses has set each person's part. The dimension of time, as glimpsed through the spouses' history and their future projections, is essential for understanding the arrangements made as well as the possibility of renegotiating them when expenditures or incomes increase or decrease (changing residence, children moving in or out, losing or finding a job, etc.)
    • Dire la dette à travers l'argent ou la taire à travers le don - Evelyne Ribert p. 53-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans la famille, les aides monétaires régulières sont beaucoup moins fréquentes que les aides irrégulières et le soutien en nature. Pourquoi ? Est-ce, comme on le dit, parce que l'argent, plus que l'aide en nature, instaure une dépendance ? Une enquête par entretiens menée auprès d'allocataires du rmi et de certains de leurs apparentés montre que ce n'est pas la raison principale. Si l'aide monétaire régulière est exclue, c'est parce qu'elle rend visible l'assistance. Surtout, obligeant fortement, elle compromet la réversibilité des positions de donateur et de donataire, nécessaire à la préservation du lien familial. Dans ce contexte, l'introduction de l'argent, signe de relations familiales conflictuelles, vise à redéfinir les places de chacun au sein de la parenté
      A telling debt due to money or a debt disguised as a gift: Monetary assistance and the beneficiaries of income support programsWhy do families provide regular assistance in cash much less frequently than irregular help and support in kind? Because, as is often said, money creates a greater dependency? This is not the main reason according to interviews with beneficiaries of the french income support program and their kin. Regular cash payments are avoided because they make assistance too visible. By strongly obliging the receiver, they endanger the reversibility of the giver's and receiver's positions, which is necessary for family bonds to be preserved. The intention, when money — a sign of tension in family relationships — is brought into play, is to redefine each person's place in the kin network
    • Comment rester liés ? - Agnès Martial p. 67-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment interpréter, dans les familles recomposées, les transactions économiques qui continuent de lier un couple de parents désunis et leurs nouveaux foyers autour de l'entretien de l'enfant commun ? À partir d'un ensemble d'études de cas, on s'intéresse ici à la manière dont l'argent et sa circulation traduisent, entre logique de dette et principe d'équivalence, la persistance de liens quasi familiaux entre les deux entités qui composent la constellation, marqués selon les cas par l'obligation, le conflit ou la solidarité. Témoin et signe de l'évolution progressive des relations en jeu au sein de la recomposition, l'argent ne traduit pas simplement la pluralité des liens noués entre les foyers de la constellation recomposée et leur caractère temporaire. Dans bien des cas, il les fait tout simplement exister.
      How to maintain ties? Keeping the books in the new families formed by separated parentsHow to interpret, in the new families formed following separations, the economic transactions that still join the disunited parents, now in their new households, around the problems related to support for the children they had in common? Several case studies are used to examine how money and its circulation expresses, between a debt-based rationale and a principle of equivalence, the persistence of quasi family ties between the two units comprising the new constellation. These ties might involve obligations, conflicts or solidarity. As evidence of a gradual change in relationships as new arrangements are made, money does not just reflect the plurality or temporariness of the bonds woven between the two households. In many cases, it quite simply brings them into existence
    • « C'est quand même mon père ! » - Sylvie Cadolle p. 83-96 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La famille de l'enfant de parents séparés est un réseau scindé en deux et augmenté par les recompositions, le côté de la mère et le côté du père. La grande majorité des enfants résidant principalement chez leur mère, le côté maternel apporte une aide importante à l'enfant au moment de son passage à l'âge adulte. Les pères préfèrent apporter une aide directe à leur enfant plutôt qu'une pension qui transite par la mère, mais le soutien qu'ils envisagent d'apporter au jeune adulte est souvent freiné par la belle-mère. Certains pères aident donc leurs enfants clandestinement. Bien que nombre de pères aient perdu contact avec leurs enfants, les grands-parents paternels et surtout les grand-mères cherchent à aider ces petits-enfants, quitte à ne pas passer par leurs fils. Entre demi-frères / sœurs, on constate une asymétrie entre les « utérins » qui, ayant souvent été élevés au même foyer, se sentent totalement frères et les « consanguins » dont certains se connaissent peu. Le sentiment de solidarité ascendante semble ne concerner qu'un petit nombre de belles-mères, les autres en étant exclues. C'est la logique des places familiales qui domine encore la solidarité intergénérationnelle
      “He is my father”: Solidarity between the divorced father, the father's line and adult childrenThe family of a child whose parents have separated is a network split in two that might expand due to additions on the mother's or father's side. The large majority of the children who live mainly with their mother receive major support from the mother's side of the family when they enter adulthood. The father prefers helping his child directly instead of giving an allowance that would transit via the mother. However the mother-in-law often stands in the way of the support the father imagines providing to the young adult. For this reason, some fathers help their children in secret. Although many fathers lose contact with their children, the paternal grandparents (in particular the grandmother) try to help their grandchildren, even if this means not going through their son. Between half-brothers and ‑sisters, an asymmetry can be observed between the “uterines” (who, raised in the same household, feel as though they are full siblings) and the “consanguines” (who might not know each other very well). Very few mother-in-laws seem moved by a feeling of solidarity based on common forebears. The “place” in the family still prevails over intergenerational solidarity in France
    • « Les enfants ne se paient pas » - Patrick Ténoudji p. 97-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Différents modes de circulation et de marquage de l'argent ressortent de l'observation d'un ensemble de familles appartenant à la bourgeoisie cultivée au Vomero, « beau quartier » surplombant Naples. L'argent permet d'analyser le rapport entre la famille et l'État, la distribution des statuts et des rôles entre les sexes, l'habitat et sa transmission, les rapports entre générations, les modes d'appartenance et ceux permettant la continuité de l'appartenance familiale. Une comparaison avec la France est esquissée
      “Children don't cover their costs”: Family and money in NaplesVarious ways of circulating money and “keeping tabs” were observed in families belonging to the educated bourgeoisie in Vomero, a well-do-do neighborhood overlooking Naples. Money can be used to analyze: the relation between family and state; the distribution of statuses and roles between the sexes; housing and its conveyance; relations between generations; and forms of belonging and maintaining a continuity in family ties. A comparison with France is suggested
    • Faire ses partages - Sybille Gollac p. 113-124 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur une monographie de famille par entretiens et observations, effectuée auprès d'une boulangère à la retraite et de ses enfants dans une commune rurale de Gironde. On analyse les différentes étapes de la transmission du patrimoine familial (notamment de la boulangerie, reprise par le fils), les donations simples puis la donation-partage finale, et les récits dont elles font l'objet. On montre ainsi que le partage du patrimoine entre les enfants n'est pas simplement structuré par des contraintes juridiques, mais aussi par des logiques familiales : une logique de maisonnée (les donations de biens immobiliers ont permis un rapprochement résidentiel nécessaire à une production domestique et professionnelle collectivisée), mais aussi une logique de groupe de descendance (les membres de la famille partagent le souci de reproduire et de transmettre un patrimoine commun). On reviendra en détail sur la définition de la notion de « groupe de descendance » adoptée ici pour analyser le règlement d'une succession et sa mise en récits dans le contexte français contemporain
      “Making shares”: business and the descent groupA family case study of a retired baker and her children in a rural commune in Gironde, France, serves to analyze stages in the conveyance of an estate (in particular of the bakery to the son), ranging from a “simple” to the final “shared” gift. Sharing an estate between children is not shaped by legal requirements alone; it also follows family rationales based on residence (gifts of real estate can serve to bring the residences of family members closer together in line with occupational and household demands) and, too, on “descent group” (family members have an interest in maintaining and conveying a joint estate). This notion of a descent group is worked out by examining how a succession is settled and what is said about the settlement in the contemporary French context
    • Héritage oblige - Florence Weber p. 125-138 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On analyse ici en détail la chronologie de la prise en charge d'une vieille dame sans enfant atteinte de troubles du comportement. Le cas présente trois caractéristiques exceptionnelles : liberté testamentaire catalane, accusations portées contre la gouvernante rémunérée, liens d'affection entre la vieille dame et certains collatéraux de sa compagne décédée. Deux nièces prennent ensemble les responsabilités pendant six ans : du côté de ses collatéraux propres, Carmen, cadre à la Sécurité sociale, qui habite le même immeuble que la dernière belle-sœur, unique héritière réservataire ; du côté des collatéraux de sa compagne, Anita, sa propre filleule, une psychologue hospitalière, qui hérite seule d'un des deux appartements dont se compose le patrimoine. L'analyse du cas opère un effet de grossissement sur des processus à l'œuvre dans des situations plus ordinaires : la place du patrimoine dans les décisions de prise en charge, différente selon qu'il s'agit de patrimoine immobilier ou d'épargne mobilisable ; le poids des compétences professionnelles ; l'institution d'un(e) responsable et les accusations croisées sur la gestion des dépenses ; les jalousies entre groupes de dévolution patrimoniale
      Obliged by inheritance: A childless elderly lady in BarcelonaThe chronology of taking a childless elderly lady with a behavioral disorder into custody is analyzed in detail. This case has three special characteristics: the freedom in making a will in Catalonia, the accusations brought against the hired home helper, and the bonds of affection between the elderly lady and certain collateral kin of her deceased companion. For six years, two nieces assumed responsibility together. Carmen, an actual collateral niece, held a white-collar job in the social security administration; she lived in the same building as the last sister-in-law, the only remaining rightful heir. Anita, a goddaughter and collateral through the deceased companion, was a hospital psychologist; she inherited alone one of the two apartments in the estate. This case is a magnifying glass of the processes at work in more ordinary situations: the place of the estate (depending on whether it is real estate or available savings) in decisions about custody; the importance of occupational qualifications; the designation of someone as being “responsible”; mutual accusations about how expenses are managed; and the jealousy between “groups of devolution”
  • Repères

    • Le triomphe des croyances - Emma Gobin p. 139-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La sépulture d'Allan Kardec, fondateur du spiritisme, fait l'objet d'un culte tout à fait singulier. Cet article se propose d'en restituer la spécificité à partir de l'analyse conjointe des échanges entre fidèles, des formes de dévotion et de leurs mécanismes d'intégration aux parcours individuels. Celle-ci révèle, d'une part, que les pratiques envisagées possèdent deux dimensions, l'une catholique et l'autre proprement spirite, et que, d'autre part, l'élaboration d'une relation privilégiée avec la figure du défunt constitue le principal élément permettant aux fidèles de les articuler progressivement. En ultime instance, ce double travail de mise en relation dépend étroitement de processus d'adhésion mettant en scène les notions de croyance et de foi, et dans lesquels les interactions entre fidèles jouent un rôle central
      The triumph of belief: Catholics and spirits around Allan Kardec's tombThe tomb of Allan Kardec, the founder of Spiritism, is a place of worship in Paris. These practices are examined by analyzing exchanges between the faithful, forms of devotion and the way the latter become part of individuals' lives. These practices have two dimensions, the one Catholic and the other Spiritist. The working out of a special relation with the deceased is the principal means whereby the faithful gradually bring these two dimensions together. Ultimately, this double work of establishing relations closely depends on a process of adherence where belief and faith are enacted, a process where interactions between the faithful play a key role
    • Mourir et renaître en Grèce : quand les femmes cuisinent les Kolliva - Katerina Seraïdari p. 153-166 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La fabrication des kolliva en Grèce marque autant le temps de deuil pour un mort récent que les jours qui, selon le calendrier ecclésiastique, sont dédiés aux commémorations collectives des défunts. En transformant les cuisinières en médiatrices entre ce monde-ci et l'au-delà, ce rituel funéraire leur permet de créer des liens entre elles et de réinterpréter la doctrine ecclésiastique de la résurrection. Acte de charité pour l'Église et intégrée dans la liturgie, la confection des kolliva constitue un geste d'amour ou de sociabilité pour celles qui s'en chargent. Cet article examine la manière dont les femmes orchestrent le partage d'une même nourriture entre vivants et morts, afin de réintégrer ces derniers dans l'espace domestique
      Dying and being reborn in Greece: When women make kollivaThe making of kolliva in Greece marks the period of bereavement for a recent death, as much as the days in the ecclesiastical calendar that are dedicated to the collective remembrance of the deceased. This funeral ceremony, by making these women go-betweens with the beyond, creates ties between them and enables them to reinterpret the orthodox doctrine of resurrection. Making this memorial dish is a charitable action for the Church and part of the liturgy; it is an expression of love or sociability for the women who do the cooking. How do these women share this food between the living and the dead so as to reintegrate the latter in the household?