Contenu du sommaire : Le Diable

Revue Terrain Mir@bel
Numéro no 50, mars 2008
Titre du numéro Le Diable
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Revue de presse du numéro 50 accès libre
  • Le Diable

    • Le Diable - Birgit Meyer p. 4-13 accès libre
    • Le mal et ses complots imaginaires - David Frankfurter p. 14-31 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les récits d'abus rituels sataniques que les médias ont largement diffusés, aux États-Unis et au Royaume-Uni, entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, soutenaient le parallèle avec les allégations avancées, durant l'Antiquité et au début des Temps modernes, contre les chrétiens, les hérétiques, les juifs ou les sorcières. Quelle est la nature de ces parallèles ? Cet article examine plusieurs types de modèles convoqués lors de diverses occurrences historiques des peurs paniques provoquées par les cultes maléfiques : modèle religieux (le phénomène des atrocités rituelles), modèle sociologique (le rôle des experts dans la définition du mal), modèle psychologique (le développement de la perversité dans l'acte d'imaginer le mal) et modèle historique (la construction du mal comme un aspect de la modernité). Le mal, enfin, est décrit comme un type de discours qui objective et réifie la malchance, dans le but de l'expier.
      Imagining Evil conspiracy From early Christian cannibalism to recent satanic ritual abuseStories of Satanic Ritual Abuse that were broadcast throughout the United States and United Kingdom in the late 1980s / early 1990s bore remarkable parallels to ancient and early modern allegations against Christians, heretics, Jews, and witches. But they also presented a theoretical problem: what is the nature of these parallels? This essay examines several types of patterns that run across the diverse historical occurrences of panics about evil cults: religious (e.g., focus on ritual atrocities), sociological (e.g., the roles of experts in discerning evil), psychological (e.g., the elaboration of perversity in imagining evil), and historical (e.g., the construction of evil as an aspect of modernity). Evil, finally, is described as a type of discourse that objectifies and reifies misfortune in order to expel it.
    • Images du mal ou images maléfiques ? - Birgit Meyer p. 32-43 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article, qui se concentre sur les images du mal, explore l'écart entre les modes de vision induits d'une part par l'exposition « All About Evil » au Royal Tropical Museum d'Amsterdam, et d'autre part par le cadre chrétien dans lequel apparaissent d'ordinaire les objets ainsi exposés. Tandis que les images du mal, dans le contexte de l'exposition, se donnaient comme des représentations plus ou moins inoffensives, elles sont susceptibles, dans leur contexte ghanéen, de rendre réellement présente la puissance qu'elles décrivent. L'article, qui retrace la genèse des attitudes chrétiennes, au Ghana, à l'égard des images du mal, se concentre particulièrement sur l'importance continue de l'image de Satan dans le christianisme populaire ghanéen. On défend l'idée que le christianisme propose une esthétique religieuse laissant place à des « actes visuels » et à des attitudes par lesquels les images du mal atteignent une réalité en elles-mêmes.
      Images of evil or evil images ?Popular images of Devil in Ghanaian ChristianityFocusing on images of evil, this paper explores differences between the modes of looking induced by the exposition All About Evil in the Royal Tropical Museum in Amsterdam, on the one hand, and the Christian setting in which the items on display feature in Ghana, on the other. While images of evil are more or less harmless depictions in the context of the exposition, in the Ghanaian setting they may easily slip into evil images that render present the very force that they depict. Tracing the genesis of Christian attitudes towards images of evil in Ghana, the paper focuses on the continued importance of the image of Satan in popular Ghanaian Christianity. It is argued that Christianity propounds a religious aesthetics that induces particular “looking acts” and attitudes towards evil through which images of evil achieve a reality of themselves.
    • Lutter contre l'emprise démoniaque - Philippe Gonzalez p. 44-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Prenant ici appui sur une ethnographie réalisée parmi des Églises évangéliques de la région genevoise, on montre comment le combat contre les démons, en vogue dans les milieux charismatiques, constitue une extension des pratiques habituelles d'évangélisation propres à l'évangélisme. Dans les deux cas, il s'agit de délivrer des individus ou des collectifs de l'emprise du diable. L'efficacité rituelle du charismatisme tient au fait qu'il use de la louange comme d'une arme spirituelle, ce qui lui permet d'exorciser des territoires et des institutions. Dès lors, la démonologie ordinaire de l'évangélisme est susceptible de donner lieu à une théologie politique appelant à des formes particulières d'investissement des symboles et de l'imaginaire nationaux.
      The politics of evangelical spiritual struggleBased on an ethnography undertaken among evangelical Churches of the Geneva region, we show how the struggle against demons, in vogue within charismatic circles, constitutes an extension of habitual evangelisation practices particular to evangelism. In both evangelical and charismatic worship, the objective is to deliver individuals or groups of the devil's influence. The ritual efficacy of charismatic forms of worship is tied to its use of praise as a spiritual weapon, to permit the exorcism of territories and institutions. Such practices constitute a transformation of ordinary evangelical demonology into a political theology that invokes particular forms of symbolism and of the national imaginary.
    • Exorciser le Diable (Rome, années 1990) - Adelina Talamonti p. 62-81 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'exorcisme catholique est ici analysé comme un dispositif symbolique qui, pour intervenir sur le malaise ressenti par la personne, construit rituellement la figure de la possédée du diable. Il s'agit d'un processus rituel qui se déroule à deux niveaux : lors de chaque séance prise isolément et, au fil du temps, avec la répétition des exorcismes. Le comportement stéréotypé de la possédée est induit et se manifeste dans un cadre relativement stable d'actions, de gestes, de mots, de formules et de prières, et dans l'interaction entre exorciste et exorcisée. L'efficacité symbolique du rite se fonde sur l'acceptation de ce rôle : on agit sur le malaise initial en agissant sur sa représentation diabolisée.
      Exorcising the Devil (Rome, around 1990)Catholic exorcism is analysed here as a symbolic mechanism which, by acting upon a person's state of unrest, ritually constructs the figure of the devil-possessed. This is a ritual métaprocess which unfolds at two levels, in the course of each seance taken alone and over time with the repetition of exorcisms. The stereotyped behaviour of the possessed is induced and manifests itself through a relatively stable framework of actions, gestures, words, formulae and prayers, and in the interaction between exorcist and exorcised. The symbolic efficacy of the rite is founded on the acceptance of this role: to act upon the person's underlying state of unrest by catalysing its diabolical representation.
    • Satan, agent musical - Ruy Llera Blanes p. 82-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête de terrain au sein d'un mouvement évangélique, l'Iglesia filadelfia, implantée depuis les années 1960 chez les Tsiganes du Portugal et d'Espagne, on discute ici du rôle du Diable dans les doctrines et les rhétoriques des croyants et des musiciens qui en font partie. On cherche à démontrer comment l'invocation du Diable – en tant que promoteur de territoires d'ambiguïté et d'ambivalence – permet de débattre et de négocier simultanément des notions d'identité religieuse et d'identité ethnique.
      Satan, musical agentThe ambivalent power of music among evangelical Gypsies of the Iberian peninsulaDrawing from fieldwork undertaken within a Pentecostal movement – the Iglesia Filadelfia, implanted among gypsies of Portugal and Spain in the 1960s –, the author discusses the role of the Devil in the doctrines and rhetorics of believers and musicians who are part of the movement. The author looks to demonstrate how the invocation of the Devil – generative of a field of ambiguity and ambivalence – permits the simultaneous negotiation and debate of notions of religious and ethic identity.
    • Le Diable chez les Grecs à l'époque contemporaine : cosmologie ou rhétorique ? - Charles Stewart p. 100-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si le Diable est bel et bien un personnage du christianisme orthodoxe, l'attitude populaire envers Satan, en Grèce, ne saurait se résumer à une simple « croyance ». Certaines personnes instrumentalisent l'idée du Diable pour duper leurs co-villageois ; d'autres sont sceptiques à son sujet ; beaucoup s'attachent à évaluer les histoires dans lesquelles le Diable figure pour savoir ce qui pourrait s'y cacher ; et presque tout le monde a un usage métaphorique du Diable dans le langage de tous les jours – en premier lieu pour jurer. Reprenant un mot proposé par Roland Barthes, le Diable en Grèce peut ainsi être considéré comme une « amphibologie », c'est-à-dire tout à la fois un personnage sérieux de la cosmologie et un simple élément rhétorique. Cette tension créative, ainsi que l'incertitude qu'elle engendre, font du Diable une forme culturelle essentielle dans la Grèce d'aujourd'hui.
      The modern Greek devil: cosmology or rhetoric?The devil may be a valid character within Orthodox Christianity, but “belief” does not adequately characterize the popular attitude toward Satan. Some people use the idea of the devil to trick co-villagers; others are sceptical of the devil; many weigh up accounts involving the devil for what they might be concealing; and nearly everyone uses the devil as an expressive figure of speech in everyday language, especially cursing. Utilizing the term suggested by Roland Barthes, the devil in Greece may be considered an “amphibology”, that is, simultaneously a serious figure of cosmology and merely a rhetorical device. This creative tension and uncertainty make the devil a vital cultural form in contemporary Greece.
    • Le Diable, une figure toujours d'actualité - Christian Chenault p. 114-123 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Semaines commerciales, vins, bières, ustensiles et produits d'usage domestique, le Diable est partout. Curieusement, c'est à celui qui est censé infester, corrompre, intoxiquer, polluer que l'on fait appel pour désinfecter, dératiser, désinsectiser, déboucher, détacher, voire guérir ou amuser. Très présent dans la littérature, notamment policière, il y est souvent associé à la danse. La diabolisation du langage, en particulier dans le discours politique est courante. Le Diable a partie liée avec les forces du mal et l'extrême droite. Satan a toujours des adeptes, comme le montrent nombre de profanations perpétrées dans des cimetières. N'est-ce pas une façon de braver la mort ? De par son ambivalence, le Diable est un mal utile et nécessaire. Personnalisation de ce qui est négatif, on lui reconnaît le pouvoir de réussir là où l'homme échoue. Il est accusé de toutes les misères du monde mais permet de catalyser peurs, angoisses et fantasmes.
      The Devil, a figure always in the presentTrading weeks, wines, beers, domestic products and utensils, the Devil is everywhere. Curiously, it is to those who the devil is thought to infest, corrupt, intoxicate or pollute that we call for disinfection, de-infestation, pest control, unblocking, detaching; in other words to cure or amuse. Ever present in literature, notably in the detective genre, the Devil is often associated with dance. Diabolical language is common, especially in political discourse. The Devil is allied to the forces of evil and the extreme right. Satan forever has his followers, as revealed by the increasing number of profanations perpetuated in cemeteries. Is this not a way of confronting death? By way of his ambivalence, the Devil is a useful and necessary evil. Personalising the negative, we recognise in the devil the power to succeed where man fails. He is accused of all the miseries of the world but permits us to catalyse our fears, anxieties and fantasies.
    • Le Diable en son royaume - Thérèse Bouysse-Cassagne p. 124-139 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les Andes, le Diable fut l'un des principaux acteurs d'une évangélisation qui postulait a priori la convergence des cultes indiens idolâtres et des intentions démoniaques. L'invasion des images du Diable ouvrait un champ nouveau à un imaginaire andin plus perméable aux formes et aux êtres fantastiques des peintures qu'il ne l'était au dogme. Ces images réinterprétées perdurent jusqu'à aujourd'hui chez les mineurs dont les rites initiatiques sont de véritables pactes avec le Diable.
      The Devil in his kingdomEvangelisation and images of the Devil in the AndesIn the Andes, the Devil was one of the principal actors in a process of evangelisation which postulated a priori the equivalence of idolatrous Indian cults and demonic intentions. The invasion of images of the Devil opened a new field to the Andean imaginary which was more easily permeated by the fantastical forms and beings of paintings than by dogma. These reinterpreted images persist up to the present among miners for whom initiation rites are veritable pacts with the Devil.
  • Repères

    • La dette des fils - Jean-Louis Tornatore p. 140-157 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce serait un texte à deux faces. Sur la première, l'esquisse située d'une réflexion sur la mémoire au carrefour de la dette et de la reconnaissance. Commentant des photographies et des extraits d'entretiens issus d'une enquête sur « l'espace de la mémoire de la “Lorraine sidérurgique” », et qui racontent des actions de fils œuvrant à la mémoire de leurs pères, l'auteur y voit la manifestation du jeu subtil entre continuité et rupture, entre intériorité et objectivation, constitutif du double travail du deuil et du souvenir en situation de perte. Sur la seconde, le questionnement, jusqu'alors centré sur la mémoire individuelle comme mobile d'engagement public, s'étend à la mémoire collective. Commentant les couvertures des deux éditions, à vingt ans d'intervalle, de l'ouvrage de Françoise Zonabend La Mémoire longue – un classique de l'ethnologie monographique –, et soulignant une similarité avec l'une des photographies de la première face, l'auteur décèle une même tension entre intériorité et extériorité. En d'autres termes, cette similarité invite à mesurer à la même aune l'opposition formalisée par l'ethnographie entre la mémoire longue des sociétés traditionnelles et la mémoire fragmentée des sociétés de la modernité. De ces deux faces d'un même objet – la présence du passé dans le présent – surgit la permanence d'une ambivalence de la mémoire : pour faire son deuil, il faut intérioriser la perte, pour soutenir la mémoire, il faut la déposer dans des objets.
      The children's debtClass rupture and patrimonial memoryThis article will be double-sided. On the first side is a reflection upon memory at the crossroads of debt and recognition. Providing a commentary to photographs and extracts of interviews from an investigation into “the space of memory in ‘Metallurgic Lorrain'”, about the actions of children working to sustain the memory of their fathers, the author finds a subtle game between continuity and rupture, interiority and objectivation that is constitutive of the double work of bereavement and remembrance in the encompassing context of loss. On the other side, the inquiry is extended from a focus on the role of individual memory as a form of public engagement, to collective memory. Commenting upon the covers of two editions (produced at an interval of twenty years) of the work of Françoise Zonabend, The Enduring Memory – a classic ethnographic monograph – and underlining the similarity with one of the photographs treated in the first side of the article, the author detects a commensurate tension between interiority and exteriority. In other words, this similarity invites one to measure on the same scale the opposition formalised by ethnography between the long-term memory of traditional societies and the fragmented one of modern societies. These two faces of the same object – the presence of the passed in the present – reveal the permanence memory's ambivalence: in order to mourn, suffering must be interiorised; to sustain memory, it is necessary to invest it in objects.
    • La mémoire des fantômes - Stéphanie Tabois p. 158-169 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les univers domestiques, les « objets-souvenir » rapportés de voyages, au même titre que les trophées sportifs ou les photographies, représentent autant de traces matérielles des actions accomplies et des expériences passées. Examinant les rapports qu'un groupe déraciné entretient avec ses objets affectifs, cet article se donne pour objectif de montrer que la perte (temporaire ou définitive) de certains biens n'entrave toutefois pas nécessairement leur appropriation mnésique. Le fait de ne pas posséder en propre un objet ne constitue pas un obstacle rédhibitoire à l'efficace de sa portée symbolique. L'absence peut non seulement donner lieu à des pratiques mémorielles fécondes mais elle admet parfois également des effets sur le halo de souvenirs comme sur la valeur de l'artefact lui-même.
      The memory of ghostsIs it possible to derive mnestic advantage from the absence of an object?In the domestic sphere souvenirs brought back from travels, like sports trophies and photographs, represent material traces of completed actions and past experiences. Examining the relationship that a deracinated group have with affective objects, this article intends to show that the loss (temporary or definitive) of certain goods does not necessarily hamper their mnestic appropriation. The fact of not possessing an object in itself does not constitute a redhibitory obstacle to its symbolic import or efficacy. Absence potentially gives way to fecund memorialisation practices, sometimes adding a halo to memories themselves and enhancing the value of the missing artefact.