Contenu du sommaire : Justice spatiale
Revue | Annales de géographie |
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Numéro | no 665-666, 2009/1-2 |
Titre du numéro | Justice spatiale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Justice... spatiale ! - Philippe Gervais-Lambony, Frédéric Dufaux p. 3-15 La notion de justice spatiale n'est pas nouvelle en géographie, elle apparaît dès les années 1970 dans le monde anglophone et est aujourd'hui remobilisée dans différents contextes thématiques, sans doute plus notablement dans le champ des études urbaines. Néanmoins l'argument central de ce texte est qu'il s'agit d'une notion qui, revisitée, peut fédérer et faire débattre l'ensemble des approches géographiques contemporaines, et cela à toutes les échelles spatiales. Après un rappel de l'arrière-plan théorique de philosophie politique sur la définition de la justice, l'article expose l'application de la notion en géographie pour déboucher sur l'exposé de son utilisation pour analyser les politiques d'aménagement de l'espace et les questions de gouvernance territoriale.The notion of spatial justice was developed by Anglo-Saxon radical geography in the 1970's. Today it is often used in different contexts, mostly within the field of urban studies. The central idea in this paper is to demonstrate that a revisited form of the concept of « spatial justice » may be used to promote interaction between the very diverse contemporary approaches of geography at every scale. The theoretical background of political philosophy is presented first, we then elaborate on the use of this concept in geography. Finally, we explore the application of spatial justice to the field of spatial planning and territorial governance.
- Interpréter les inégalités socio-spatiales à la lumière de la Théorie de la Justice de John Rawls - Bernard Bret p. 16-34 L'article présente la Théorie de la Justice du philosophe John Rawls et expose le profit que peut en tirer la géographie pour analyser sur des bases rationnelles les inégalités socio-spatiales. L'idée majeure consiste en l'optimisation des inégalités, c'est-à-dire la conformité de ces dernières au principe du maximin. Le principe de maximiser le minimum — assurer le maximum possible à ceux qui ont le moins — permet de qualifier rationnellement les situations au regard de la justice, que ce soit dans le temps ou dans l'espace. La philosophie rawlsienne alimente ainsi l'analyse de l'organisation présente des territoires et doit inspirer la politique d'aménagement conçue comme l'application du principe de réparation.This paper presents the Theory of Justice, by the philosopher John Rawls. It explains how geography could use Rawls' theory to rationally analyse socio-spatial inequalities. The core idea is based on “the optimization of inequalities”, or the application of the “maximin” principle to inequalities. This principle — maximizing benefit for those who have the minimum — permits a rational assessment of social situations, in their specific dimensions of time and space, with regards to the concept of justice. In this way, Rawls' philosophy can participate in regional organization analysis, and influence planning policies, conceptualized as the implementation of the compensation principle.
- Comprendre et construire la justice environnementale - Sophie Moreau, Yvette Veyret p. 35-60 Cet article examine l'émergence de la notion de justice environnementale au niveau local et son articulation avec les politiques globales s'inspirant du développement durable. Ce rapide tour d'horizon montre que les acteurs qui se réclament de la justice environnementale n'emploient pas les mêmes mots, ou alors n'y mettent pas le même sens, et de manière générale s'abstiennent de les définir avec précision. Il s'agit en effet d'une notion plurielle, qui peut être éclairée par les penseurs qui se sont intéressés à l'environnement ou à la nature pour y fonder une éthique, et les théoriciens de la justice sociale. L'application des politiques environnementales « justes » pose un certain nombre de problèmes d'ordre géographique, tels l'identification et la cartographie des injustices, l'articulation des différentes échelles et des acteurs impliqués, et la définition des espaces concernés.Environmental Justice (EJ) has been a highly discussed topic in the United States and English speaking countries for at least twenty years, but discussions about ecological inequalities emerged in France just a few years ago. The aim of this paper, after a brief overview of EJ's grass-root movements is to understand the theoretical background of EJ, using both environmental and social justice academic thought. On this basis, this paper underlines geographical issues created by environmental policy based on EJ theory, such as the problematic identification and cartography of injustice, the overlapping and often contradictory “scales of justice” and finally the difficult definition of the right spaces in order to make EJ effective.
- La justice au risque de la différence : faire une « juste place » à l'Autre - Claire Hancock p. 61-75 Cet article tente de montrer en quoi les efforts pour acclimater en France des théories de la justice telle que celle d'I. M. Young rencontrent des réticences spécifiques, liées au statut de la « différence », qui diverge dans notre société et dans les pays anglophones. Mettant en parallèle particulièrement le cas britannique et le cas français, il illustre, par le biais des débats autour des « statistiques ethniques » et du « foulard islamique », comment la question de la « juste place » accordée à l'Autre (minorités « ethniques » ou religieuses) se pose différemment de part et d'autre de la Manche.Drawing on I. M. Young's conceptualisation of justice, this paper addresses the different ways in which France and Anglophone countries (Britain in particular) have dealt with minority groups, with particular reference to Muslim minorities. The « headscarf affair » which developed in France, and the legal framework to which it gave rise, are analysed in spatial terms, with emphasis on the very specific part attributed to the space of public schools. France's traditional refusal to acknowledge « ethnic » difference or to incorporate it into national statistics is discussed, as are the implications of racial discrimination being seen as incidental, and not as a form of institutional, « systemic » violence : the geographies of racial discrimination remain piecemeal and we are deprived of the means to describe them more generally. British multiculturalism was shaken by the aftermath of the July 2005 bombings in London but a couple of conflicts which arose in 2006 about a pupil or an instructor wearing the niqab (or full veil) in school failed to escalate to a full-blown crisis, as local and flexible responses were found to be more adequate than a nation-wide policy. Finally, both ways of addressing difference may be edging closer together, but still differ widely.
- New Urbanism, Public Space and Spatial Justice in Johannesburg : The case of 44 Stanley Ave - Teresa Dirsuweit p. 76-93 L'histoire de Johannesburg a été marquée par la ségrégation, les inégalités socio-économiques et le déclin du secteur industriel, laissant en héritage une ville post-fordiste caractérisée par la déconnection entre elles des différentes communautés culturelles. Ceci constitue un défi majeur pour les villes post-apartheid d'Afrique du Sud. L'article vise à montrer que la « ville juste » serait celle qui aurait des institutions démocratiques, dans laquelle les différences seraient nombreuses et acceptées et au sein de laquelle les solidarités et les liens entre les citadins « différents » seraient intégrées dans la vie politique autant que quotidienne. Ces éléments, complémentaires de la justice redistributice, sont les conditions au développement d'un sentiment de citoyenneté urbaine et de la justice spatiale. La littérature internationale, mais aussi les documents produits par la métropole de Johannesburg, reconnaissent à l'espace public un rôle essentiel dans cette perspective ; et les espaces publics (ou espaces d'interaction) se sont multipliés dans la ville de Johannesburg. Ils ont été conçus selon les principes du « new urbanism » c'est-à-dire, notamment, en partenariat public-privé. Le « new urbanism » (ou aménagement urbain néo-traditionnel) a été critiqué par de nombreux auteurs comme favorisant l'exclusion sociale. Une étude de cas nous permet d'entrer ici dans ce débat. Cette étude est donc à replacer dans le cadre d'une réflexion générale sur la ville, et nous pensons démontrer que ces espaces publics nouveaux sont des vitrines conçues pour les besoins de milieux d'affaires, des touristes et de l'élite sociale plus que pour les citadins pauvres. Ceci impose donc une réflexion plus approfondie sur la définition même de l'interaction citadine dans les centres urbains contemporains pour définir comment les espaces publics pourraient être mis au service d'une véritable politique favorisant interaction, engagement citadin et solidarité.Johannesburg has a history of segregation, economic inequalities and the decline of the industrial sector. The resultant post-fordist city is characterised by a sense of disconnection between different cultural communities. This is a difficult challenge for post-apartheid South African cities. In this paper I argue that the “good city” is one where socio-political institutions are democratised ; difference becomes commonplace and accepted ; and connection and solidarity between different urban residents is part of the politics of everyday life. In addition to redistributive justice, these tenets are the basis for a full sense of urban citizenship where social justice includes cultural, economic and spatial inclusion. Public space has been recognised in international literature and in the urban vision documents of the city of Johannesburg as key to the delivery of urban social justice and public spaces (or spaces of interaction) have been rapidly constructed in the city of Johannesburg. These have been developed following the principles of new urbanism as public-private partnerships. New urbanism (or neo-traditional planning) has been hotly debated with many commentators arguing that this form of planning promotes exclusionary politics. Using a case study, the potential of new urbanist development to answer the need for inclusive public spaces is explored. The case study is then situated in terms of broader development trends in the city and it is argued that these spaces are frequently constructed as showcase spaces serving the requirements of business, tourism and urban elites rather than the urban poor. This requires a closer examination of what interaction in public space means in urban centres and the ways in which public space can answer the needs for an everyday politics of interaction, engagement and solidarity are more closely examined.
- La ségrégation : une injustice spatiale ? Questions de recherche - Sonia Lehman-Frisch p. 94-115 Depuis plusieurs décennies, la ségrégation est un thème abondamment investi par les sciences sociales en général et par la géographie en particulier. Or quelles que soient les orientations adoptées (portant sur la question de la mesure du phénomène, ou celle des mécanismes, etc.), presque toutes ces recherches assimilent la ségrégation à une injustice spatiale. C'est cette implicite corrélation ségrégation/injustice que cet article examinera de plus près, à travers une revue de la littérature de différents champs disciplinaires (géographie, sociologie, histoire, urbanisme, sciences politiques, philosophie) : la ville ségréguée est-elle injuste par essence ? Toute division socio spatiale de l'espace — urbain en particulier — est-elle injuste ? Sinon, quand doit-elle être considérée comme injuste ? Et inversement, la ville mixte est-elle le modèle de la ville juste, vers lequel on doit tendre ? Autant de questions qui invitent à réinterroger les présupposés sur lesquels reposent de nombreux discours sur la ségrégation aujourd'hui...These past several decades, segregation has been widely discussed by social scientists and especially by geographers. But whatever the focus of their research (how to measure segregation, how to explain the development of this phenomenon, etc.), almost all of them consider segregation as a form of spatial injustice. This paper closely examines this implicit relationship between segregation and injustice by reviewing the existing literature from different fields (geography, sociology, history, urban studies, political science, philosophy, etc.) : is the segregated city unjust by essence ? Is any social-spatial division of space — of urban space in particular — unjust ? If not, when is it to be considered unjust ? Conversely, is the diverse city the model of a just city ? All these questions imply the need to carefully question the underlying assumptions that most contemporary discourses make when dealing with segregation...
- León/Sutiaba (Nicaragua) : frontière ethnique et justice spatiale - Alain Musset p. 116-137 Le couple formé par la ville espagnole de León et la communauté indigène de Sutiaba est une conséquence du déplacement de la capitale provinciale opéré en 1610 après un tremblement de terre. Depuis cette époque, les relations interethniques sont restées difficiles. L'annexion des terres de San Juan Bautista Subtiava par le municipe « espagnol » en 1902, n'a pas contribué à réduire les tensions, bien au contraire. La fracture sociale et ethnique qui oppose l'ancienne ville coloniale (à l'est) et le quartier indigène (à l'ouest) reste très forte. Elle a un impact à la fois sur les paysages urbains et sur les pratiques sociales des habitants. Notre objectif est ici d'analyser les mécanismes de différentiation sociospatiale qui s'expriment de chaque côté de la ville et qui alimentent les revendications identitaires des populations locales afin de mettre à l'épreuve deux notions clefs des sciences sociales contemporaines : la justice spatiale et la gouvernance urbaine.The duo formed by the Spanish city of León and the Indian community of Sutiaba was created as a result of the relocation of the provincial capital that occurred after the earthquake of 1610. Interethnic relations have been difficult ever since. The annexation of the lands of San Juan Bautista Subtiava by the “Spanish” municipe in 1902 did not help to reduce tensions, on the contrary. The social and ethnic cleaving contrasting the old colonial city (the eastern part) and the Indian quarter (the western) remains very strong. This has an impact on the urban landscapes and on the social practices of the inhabitants. Our objective here is to analyse the mechanisms of sociospatial differentiation at work on each side of the city contributing to the identity claims of the local populations. We also critically discuss two key notions in contemporary social science : spatial justice and urban governance.
- Les justices de l'État en Éthiopie. Lieux, époques et institutions du juste et de l'injuste - Solène de Poix, Sabine Planel p. 138-156 Depuis le milieu des années 1970, les gouvernements éthiopiens successifs s'imposent comme les garants d'une justice nouvelle, censée réparer les injustices du passé. En fixant institutionnellement le cadre du juste et de l'injuste, l'État fige des inégalités jusque-là mouvantes. Et c'est à travers des institutions spatialisées, échelons locaux de l'État, que la justice s'impose. Ainsi spatialisée, la justice d'État devient plurielle dans le cadre du récent État fédéral. Cette étude de cas permet de poser la question, à l'échelle d'un État, du choix entre justice dite procédurale et justice redistributive.Since the mid-1970's, Ethiopian governments have tried to act as the guarantors of a renewed justice in reparation for the injustices of the past. In providing a new official definition of justness and injustice, the State has actually rigidified formerly fluctuating inequalities through its local political institutions. Today, this new spatial justice is becoming more and more diverse within the political context of the Federal State. This case study is an opportunity to confront, at country scale, the effects of distributive and so-called procedural justice.
- Justice... spatiale ! - Philippe Gervais-Lambony, Frédéric Dufaux p. 3-15
Notes
- Les chercheur-es face aux injustices : l'enquête de terrain comme épreuve éthique - Marie Morelle, Fabrice Ripoll p. 157-168
- Comptes rendus - p. 169-176