Contenu du sommaire : Fin de monde : analyses économiques du déclin et de la stagnation (1870-1950)
Revue | Revue économique |
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Numéro | vol. 66, no 5, septembre 2015 |
Titre du numéro | Fin de monde : analyses économiques du déclin et de la stagnation (1870-1950) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Déclin et stagnation, entre histoire cyclique et histoire fléchée - Pierre Dockès, Marion Gaspard, Rebeca Gomez Betancourt p. 813-823
- La peur du déclin économique face à l'épuisement des ressources naturelles, de W. Stanley Jevons à Herbert S. Jevons (1865-1915) - Antoine Missemer p. 825-842 La prospérité inédite de la Grande-Bretagne au XIXe siècle se trouve, dans les années 1860, sous une menace restée longtemps invisible : l'épuisement des mines de charbon. C'est W. Stanley Jevons qui, le premier, souligne avec vigueur les risques que présente cet épuisement pour l'avenir économique de son pays. Cinquante ans plus tard, en 1915 exactement, son fils, Herbert S. Jevons, prolonge son analyse dans des directions multiples. Si ces deux auteurs s'accordent pour indiquer que l'épuisement des ressources pose un problème de coût de production plus que de pénurie, tous deux ne mettent pas en évidence les mêmes voies de sortie pour éviter le déclin industriel. Cette peur du déclin reste néanmoins une caractéristique forte de la pensée économique britannique du tournant du XXe siècle.The fear of economic decline facing natural resources depletion, from W. Stanley Jevons to Herbert S. Jevons (1865–1915)From the 1860s, the unprecedent prosperity state of Great Britain faced a new threat : the exhaustion of coal resources. W. Stanley Jevons is the first to clearly emphasize the risks of coal depletion for the economic future of his country. Fifty years after him (in 1915), his son, Herbert S. Jevons, extended his father's analysis in multiple ways. If these two authors share the same idea that resource depletion is a matter of production costs more than physical shortage, both do not indicate the same channels to avoid industrial decline, a fear that remains a strong feature of the late-19th century British economic thought. Classification JEL : B13, N13, N53, Q32
- L'analyse du déclin dans la seconde moitié du xixe siècle : Le point de vue des économistes français - Alain Clément p. 843-872 Les économistes français de la seconde moitié du XIXe siècle ont abordé la question du déclin de la France dans une approche démographique et comparative avec l'Europe. Il ressort de leurs analyses un lien très fort entre déclin démographique et déclin économique. Paradoxalement, une des solutions privilégiées pour lutter contre ce déclin, toujours dans une approche comparative, est de lier les conditions du dynamisme économique et du dynamisme démo graphique aux projets d'expansion coloniale. Le Royaume-Uni représente à leurs yeux un exemple type de cette interprétation du déclin économique et des solutions retenues.The decline analysis in the second part of the nineteenth century
The decline of France is analysed by French economists of the second part of the 19th century in a European comparison of demographic data. We find in these analysis a strong link between demographic decline and economic decline. Paradoxically, they propose as a solution, the colonial expansion of France to stop economic and demographic decline. uk is the symbol of this approach. Classification JEL : B12 - Compete vs. Protect, Idealism vs. Pragmatism : Debates on the Crisis of the End of the 19th Century in Spain - Javier San-Julián-Arrupe p. 873-900 La crise agraire des décennies 1870 et 1880 ont frappé un secteur primaire espagnol incapable de soutenir la concurrence internationale sur les marchés agricoles. La récession, vite devenue générale, a déclenché plusieurs controverses parmi les économistes et d'autres intellectuels espagnols quant à ses causes et effets potentiels, quant aux mesures qu'il fallait adopter afin d'y faire face, mais aussi quant à la validité des principes libéraux radicaux qui avaient jusqu'alors inspiré la politique économique et dominé le panorama de la pensée économique espagnole. La crise est devenue un sujet de discussion majeur, préoccupant fortement l'opinion publique. Des discussions se sont tenues dans une grande diversité d'institutions : journaux, associations économiques et intellectuelles, conférences publiques, Parlement, etc. À travers l'analyse de plusieurs de ces débats, cet article cherche à montrer comment le déclin économique de la fin du XIXe siècle n'a pas seulement été un objet de préoccupation pour les économistes contemporains, mais a aussi été un vecteur fondamental de changement des politiques et des idées économiques en Espagne. Il a été un facteur déterminant dans l'apparition d'un nouveau positionnement de la politique économique, ayant contribué à remplacer les politiques de libre-échange en vigueur depuis 1868 par des politiques protectionnistes ; il a aussi permis d'expliquer la décadence du libéralisme doctrinaire et le surgissement d'un libéralisme pragmatique alternatif, qui acceptait une certaine intervention gouvernementale au nom de la protection des intérêts nationaux.Classification jel : A14, B10, F13The big agrarian crisis of the 1870s and 1880s hit the Spanish primary sector, unable to compete with overseas production. The slump triggered discussions among Spanish economists and other intellectuals on its causes and potential effects, on the measures of economic policy that the government should adopt to face it, and on the validity of radical liberal tenets which had inspired the economic policy and dominated the panorama of economic thought in Spain until that moment. The crisis became a global topic for discussion, permeating the Spanish public opinion; debates were held in a vast range of institutions (journals, economic and cultural associations, public conferences, the Parliament, etc.). Through an analysis of some of these debates, this paper shows how the economic crisis not only prompted outstanding intertwining controversies on many issues, but also acted as an agent of change in policies and ideas. It significantly contributed to a shift in economic policies, replacing free trade policies established since 1868 with protectionist policies to preserve domestic markets, but also to the definitive decline of doctrinal economic liberalism in Spain and the emergence of an alternative pragmatic liberalism, which accepted some sort of government intervention allegedly to protect social and national interests.
- Du libéralisme historique à la crise sociale du xxe siècle : La lecture de Wilhelm Röpke - Raphaël Fèvre p. 901-931 Les traits qui caractérisent la crise de civilisation dont Wilhelm Röpke (1899-1966) se fait le témoin peuvent être ramenés à une attaque en règle contre le collectivisme et la planification. La massification généralisée de la société trouve un aboutissement particulièrement nuisible dans le champ de l'économie, avec la concentration de la grande industrie et l'asservissement du travailleur. Néanmoins, dans ses travaux, Wilhelm Röpke rejette dos à dos libéralisme historique et socialisme planificateur. L'objet de cet article est de montrer que ce rejet passe chez lui par une lecture historique particulière, celle d'un enchaînement causal de l'un à l'autre eu égard à l'intensification des mêmes tendances délétères. En ce sens, la crise sociale du XXe siècle est le fruit du déclin interne du libéralisme : la période contemporaine devient intelligible seulement par une analyse des causes premières, lesquelles prennent racine au siècle précédent. L'étude ambitionne de reconstruire cette analyse dans sa complexité, c'est-à-dire de mêler les différents niveaux de discours employés par Röpke : principalement sur le plan culturel, sociologique et économique.On Röpke's view of the twentieth century social crisis
The characteristic features of the civilization crisis described by Wilhelm Röpke (1899-1966) could be understood as an attack against collectivism and planning. Massification in all spheres of society reaches an apex in the economic field, mainly through big business' concentration and the enslavement of workers. Nevertheless, Wilhelm Röpke dismisses both historical liberalism and socialist planning. This article shows that his refusal is grounded in a specific historical interpretation : that of a causal pathway from one (liberalism) to the other (planning), with respect to the intensification of the same harmful trends. Therefore, the social crisis of the twentieth century follows from the inner decline of liberalism. We can understand the contemporary period solely by the analysis of primary causes, which are rooted in the previous century. The study reconstructs this complex discourse by linking Röpke's cultural, sociological and economical fields of inquiry. Classification JEL : B25, B31 - Péril chinois et déclin de l'Europe : Analyses économiques en France au tournant du xxe siècle - Marion Gaspard p. 933-966 L'article étudie la façon dont est envisagée, au tournant du xxe siècle français, la question des conséquences économiques du traité de Shimonoseki (1895). Dans le contexte d'incertitude sur l'issue de la Grande Dépression, d'interrogations sur un supposé « déclin des races blanches » et de tentations impérialistes, les économistes sont interpellés sur la question de savoir s'il peut exister un « péril chinois » pour l'Europe. Le débat, exigeant des protagonistes à la fois une réflexion d'économie appliquée et un exercice périlleux de prospective, mêle raisonnements théoriques a priori, innovations conceptuelles et méthodologiques, et usage racialiste des indicateurs économiques clés.Chinese peril and european decay
At the end of the 19th century, in the context of a general concern about the alleged « decay of white races », the Treaty of Shimonoseki (1895) opens the perspective of an industrial revolution in China. The paper studies how economic concepts and theories are used to evaluate the possibility of a « Chinese Peril » for Europe, but also how the debate, while progressing both from conceptual and a methodological viewpoints, relies on racialist representations to estimate the relative value of key economic indicators (wage, productivity, initiative, speeds of capital accumulation and technological transfers, institutional efficiency).Classification JEL : A13, B13, B14, B15 - Les débats sur la stagnation séculaire dans les années 1937-1950 : Hansen-Terborgh et Schumpeter-Sweezy - Pierre Dockès p. 967-992 Le débat actuel sur la stagnation séculaire retrouve celui lancé par Keynes et Hansen en 1938 (avec Full Recovery or Stagnation) lors de la rechute américaine. Il atteint son apogée à la fin de la guerre avec le livre anti-stagnationniste de Terborgh (The Bogey of Economic Maturity), les réponses de Hansen et de ses disciples, et l'intervention de nombreux économistes américains et européens. Quels furent les arguments des uns et des autres ? Le plus fameux des opposants à Hansen et aux new-dealers était Schumpeter. Il va s'opposer publiquement au jeune marxohansénien Paul Sweezy en un débat (1946) que Samuelson célébrera comme un combat de gladiateurs à l'époque « où les géants arpentaient la terre et les jardins d'Harvard ».The debate on secular stagnation in the years 1937-1950The current debate on the secular stagnation finds the one launched by Keynes and Hansen (Full Recovery or Stagnation) during the 1937' double-dip. It reached its peak at the end of the war with an anti-stagnationist book by Terborgh (The Bogey of Economic Maturity), the replies of Hansen and his followers and the intervention of many American and European economists. What were the arguments of each other ? Schumpeter was the most famous opponent to Hansen and new dealers. He will publicly oppose the young marxo-hansénien Paul Sweezy in a debate (1946) that Samuelson celebrated as a tournament at a time « when giants walked the earth and Harvard Yard ».Classification JEL : B2, E2, E3, E6, N1
- Joseph A. Schumpeter et la conjoncture économique des années 1930-1940 : Dépression, stagnation ou signes avant-coureurs du déclin du capitalisme ? - Jean-Pierre Potier p. 993-1019 La Grande Récession, enclenchée par la crise américaine des subprimes et ses conséquences, suscite de nouveaux questionnements dont certains nous conduisent à la problématique de la stagnation et du déclin économique. Il est donc utile de revenir sur l'analyse proposée par Joseph Schumpeter de la conjoncture des années 1930-1940. S'agit-il d'une dépression Kondratiev analogue à celle de la période 1873-1897 ? Ou bien a-t-on affaire à l'arrivée d'une stagnation séculaire, comme le croit Alvin H. Hansen ? Cette étude analyse les différentes critiques de Schumpeter adressées aux arguments défendus par Hansen. C'est aussi l'occasion de rappeler la thèse schumpetérienne du déclin, fondée sur la dégénérescence de l'« ordre capitaliste »Joseph A. Schumpeter and the economic climate of the 1930s-1940s
The Great Recession triggered by the u.s. subprime crisis and its consequences gives rise to new questions which lead us to the problem of stagnation and economic decline. Therefore it is useful to revisit the analysis proposed by Joseph Schumpeter about the economic situation of the 1930s and 1940s. Is it for him a Kondratiev depression analogous to that of the period 1873-1897? Or are we dealing with the coming of a secular stagnation, as it is supported by Alvin H. Hansen? This study analyses the criticisms by Schumpeter of the arguments defended by Hansen. It gives also the opportunity to remind the Schumpeterian decline thesis, based on the degeneration of the capitalist order.Classification JEL : B 15, B 19, O 43