Contenu du sommaire : Espaces des politiques mémorielles. Enjeux de mémoire

Revue Droit et cultures Mir@bel
Numéro no 66, décembre 2013
Titre du numéro Espaces des politiques mémorielles. Enjeux de mémoire
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier : Espaces des politiques mémorielles. Enjeux de mémoire

    • Présentation - Jacqueline Lahmani p. 11-24 accès libre
    • La mémoire est-elle soluble dans le droit ? Des incertitudes nées de la décision n°2012-647 DC du Conseil constitutionnel français - Sévane Garibian p. 25-56 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Contrairement à ce que l'on a pu lire, le débat français sur les lois dites mémorielles n'est pas clos. Pour preuve, le nombre de commentaires suscités par le dernier épisode d'un feuilleton qui divise l'opinion depuis une décennie : la censure, par le Conseil constitutionnel, de la loi Boyer de 2011 visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, dans une décision très attendue du 28 février 2012 laquelle, au risque de décevoir, brouille les termes du débat. Celle-ci ne nous éclaire, en effet, ni sur la constitutionnalité de lois considérées comme non normatives (telles que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens) ; ni sur celle de la pénalisation du négationnisme en son principe (opérée à ce jour par la seule loi Gayssot). Plus que cela : l'analyse de la décision confuse du Conseil constitutionnel révèle un évitement de statuer sur ces deux points – évitement dont on questionnera le caractère stratégique –, renouvelant ainsi les interrogations, y compris sur la loi Gayssot que les Sages mettent paradoxalement en danger.
      Despite reports to the contrary, the debate in France over the so-called «memory» laws has yet to be resolved. The proof of this is to be found in the volume of comments generated by the latest episode in a soap opera that has been dividing opinion for more than a decade: the striking down of the 2011 Boyer law, which sought to sanction the denial of the existence of genocides recognized as such by the law, in an eagerly awaited ruling pronounced on 28 February 2012 which, at the risk of disappointing some parties, blurred the terms of the debate. For this ruling clarifies neither the constitutionality of laws considered as non-binding (such as the law of 29 January 2001 recognizing the Armenian genocide) nor that of the principle of sanctioning genocide denial (which is still only covered by the Gayssot law). And that is not all: an analysis of the Constitutional Council's confused decision reveals an active avoidance of making a ruling on these two points – an  avoidance which looks suspiciously like being strategic in nature – thus bringing a whole range of issues into question, including the Gayssot law itself, which France's lawgivers have, paradoxically, placed in jeopardy.
    • Le problème des lois dites « mémorielles » sera-t-il résolu par les résolutions ? La référence à l'article 34-1 de la Constitution dans le discours contemporain sur les relations entre le Parlement et l'histoire - Thomas Hochmann p. 57-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Il est aujourd'hui convenu, dans le discours relatif aux relations entre le Parlement et l'histoire, de soutenir que si la loi est à bannir, la résolution constitue un instrument adéquat d'expression sur l'histoire. Néanmoins, la résolution semble vulnérable à l'essentiel des reproches adressés aux « lois mémorielles ». La surprenante popularité de cet argument s'explique par l'effort de donner l'apparence d'un simple constat juridique à des opinions essentiellement politiques.
      A majority of authors argue today that the Parliament should refrain from enacting laws dealing with the historical past, but that it is perfectly acting in its role when it adopts resolutions with the same object. This is surprising because resolutions do not evade many of the reproaches adressed to «memorial laws». The astonishing success of the resolutions can be explained by an effort to give a strictly legal appearance to a political point of view.
    • L'esclavage dans la mémoire nationale française : cadres et enjeux d'une politique mémorielle en mutation - Renaud Hourcade p. 71-86 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Après des décennies de gêne et de silence, dans les DOM, et de désintérêt en métropole, l'esclavage s'est inscrit en tête des politiques de mémoire menées par l'État, à l'occasion de la commémoration de 1998 et du vote de la loi Taubira en 2001. Cet article s'interroge sur les raisons de cette mutation, en s'intéressant aux changements de paradigmes mémoriels et identitaires qui sous-tendent les nouveaux usages politiques du passé. La reconnaissance des « victimes » et celle de la « diversité culturelle » sont au cœur de ces évolutions. Elles s'associent à un autre paramètre important, le développement d'une conscience identitaire militante de « descendant d'esclave » parmi les originaires des départements d'outre-mer. L'article propose une analyse de ce processus, tout en cherchant parallèlement à dégager les principes structurants des usages contemporains de ce passé par l'État.
      In the recent decades, France has seen a dramatic development of the politics of the memory of slavery, as well as a change of direction. Shame and silence used to dominate in the former colonies, while in continental France, official public policies where scarce and always geared toward the glorification of white abolitionism. This started to change at the end of the 20th century, as the state implemented new memory policies, through official commemorations in 1998 and an unusual «memory law» in 2001, the «Loi Taubira». This article maps the factors, both in metropolitan France and in the overseas departments that led to this change of policy. It also analyses the main frames that structure the political uses of this difficult past in contemporary France.
    • La politique de mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda : enjeux et évolutions - Rémi Korman p. 87-101 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Avec la création en 2008 de la Commission nationale de lutte contre le génocide, l'État rwandais s'est doté d'une institution autonome en charge de la mémoire du génocide. Cet article se penche sur l'évolution des actions mémorielles développées à partir de 2003, année du vote de la troisième Constitution de la République rwandaise, ainsi que sur la réalisation d'une politique publique de la mémoire du génocide. En se concentrant sur les acteurs et le cadre légal, l'article propose une analyse des enjeux de l'après-génocide, entre mémoire et réconciliation.
      Since its establishment in 2008, Rwanda's National Commission for the Fight against Genocide has held the task of managing the memory of the 1994 genocide. This article focuses on the evolution of memory practices since the adoption of the new Rwandan Constitution in 2003, as well as on the inception of a public policy of memory. With a focus on actors and the legal framework, this article analyses what is at stake in post-genocide Rwanda as the country aims to move toward reconciliation.
    • (Re)jouer l'histoire de la guerre, revivre le massacre. Performance carnavalesque et processus mémoriels dans les Andes d'Ayacucho (Pérou) - Valérie Robin Azevedo p. 103-124 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le recueil de témoignages mené par la Commission de la Vérité et Réconciliation, au lendemain du conflit armé qui opposa la guérilla du Sentier lumineux à l'État péruvien, a suscité des dynamiques socioculturelles inédites autour des histoires locales de la guerre. On s'attachera ici à un « numéro » carnavalesque, réalisé dans le district andin d'Ocros (Ayacucho), qui met en scène les massacres perpétrés par le Sentier lumineux et la lutte des paysans organisés en milice d'autodéfense. Au-delà de la commémoration de cet épisode, quels enjeux et quels objectifs sous-tendent la réalisation de cette performance ? Que donnent à voir et que passent sous silence les acteurs dans ce type d'« écriture » du passé de violence, nécessairement fragmentaire ? En revenant sur les productions chorégraphiques et narratives sur la guerre, on s'intéressera aux usages stratégiques auxquels celles-ci donnent lieu. Enfin, on reviendra sur la façon dont les diverses mémoires en présence s'affrontent et s'articulent entre elles afin de dégager les mécanismes de légitimation et les logiques concurrentielles qui se jouent dans ces projections de l'histoire récente.
      The gathering of testimonials by the Truth and Reconciliation Commission in the aftermath of the armed conflict opposing the Shining Path guerrilla and the Peruvian state has led to original socio-cultural dynamics around the local histories of the war. This article will focus on a carnival performance carried out in the Andean district of Ocros, staging the massacres committed by the Shining Path and the struggle of the peasant militias. Beyond the commemoration of this episode, what are the issues and the objectives that underlie the performance? What view is given and what is left unsaid by the actors in this type of unavoidably fragmentary «writing» of a history of violence? Analyzing both the choreographic and the narrative production concerning the war, we will address the strategic uses they give rise to. Finally, we will focus on the way in which different memories compete and articulate to one another, so as to determine the mechanisms of legitimation and the competitive logics at play in these projections of recent history.
    • Mettre en scène le passé. Ethnographie de l'instrumentation de l'œuvre d'art dans les politiques de la mémoire - Sarah Gensburger p. 129-145 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Inscrit dans une recherche au long cours sur la genèse de la « mémoire » comme catégorie d'action publique, cet article se propose de prendre la notion de mise en scène du passé au pied de la lettre pour s'interroger sur l'épaisseur sociale du recours, aujourd'hui quasi systématique, à l'œuvre artistique dans la conduite de ces politiques. Pourquoi une telle mobilisation de l'œuvre artistique mais aussi de la personne qui en est l'auteur ? Que semblent en attendre ces initiateurs et quel(s) statut(s) donnent-ils à cette parole et aux œuvres en question ? Le choix de s'intéresser aux politiques mémorielles à travers leur utilisation de l'art et des artistes permet en effet de poser différemment la question des rapports entre normes, propagande et politiques dites de la « mémoire ». Si plusieurs travaux se sont intéressés au lien entre art et mémoire, ils prennent le plus souvent en compte la création comme une donnée pour en analyser la signification symbolique selon une grille de lecture postmoderne. Ici l'approche est sensiblement différente. Les sources sur lesquelles s'appuie cet article sont en effet principalement constituées des notes de terrain récoltées en tant qu'observatrice participante. Elles permettent ainsi de poser la focale d'analyse en amont de l'acte artistique afin de saisir les mécanismes et processus qui président aux recours à l'œuvre par les pouvoirs publics comme les logiques des acteurs de ces politiques.
      Part of a long-term research on the genesis of « memory » as a category of State intervention, this article takes the concept of « staging the past » literally to analyze the social mechanisms which lead to the use of artistic works in so-called « memory » policies. Why such a mobilization of artistic works but also of the artist? What do the State and its administration  expect of such a use and what status do they give to these works? The choice to focus on memory policies through their use of art and artists enable to consider differently the issue of the relationship between standards, propaganda and « memory » policies. If, up to now, several studies have looked into the relationship between art and memory, they most often take the art productions as a given to analyze their symbolic meaning in a post-modern perspective. Here the angle is quite different. The sources on which relied this article consist mainly of field notes collected as participant observer. They enable to put the focus upstream of the artistic act to understand the social mechanisms that govern the use of art works by the public administration.
  • Études

    • « Le droit des minorités et des peuples autochtones au Cameroun »: une lecture actuelle et éventuelle - Rodrigue Ngando Sandjè p. 149-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Un peu plus de 17 ans après sa proclamation, le droit des minorités et autochtones n'a toujours pas étanché la soif de ceux qui pensaient y trouver une revanche sur l'histoire. Les Kirdi dans le septentrion demeurent sous l'hégémonie des Peuls ; les Mbo dans le littoral n'ont plus qu'un vaste souvenir des immenses terres ancestrales qui constituent pourtant leur identité. Les exemples sont légion. Il n'est jamais assez tôt, dans de telles circonstances, pour repenser l'ordre social. Il est même grand temps pour que de nouvelles synthèses soient formulées afin que les souverains naturels des terroirs et les nouveaux propriétaires terriens aient, par exemple, une lisibilité sur leur devenir. Le présent article propose une double autochtonie : une de droit et l'autre de fait. Mauvaise ou bonne solution, il est plus question de tirer la sonnette d'alarme ; afin que l'histoire n'engloutisse la culture ou qu'elle ne s'anéantisse sous le coup de sa propre négation. Le droit des minorités et autochtones au Cameroun ne saurait, il convient de le souligner, n'être qu' « une preuve gratuite d'érudition ». Il y va de la survie même de l'État.
      17 years after its proclamation, the right of minorities and autochthonous has not watered the thirst of those who thought they would find a revenge on history. The Kirdi in the North remained under the hegemony of the Fulani, the Mbo in the Coast, no longer have a large memory of immense ancestral lands that constitute their identity. The examples are legion. They could ultimately be taken stock zero sum. Balance sheet which requires new policy briefs to suit current events on the matter. The present article proposes a conceptual upgrading that would consider the qualitative criteria of the definition of minority since the policy of regional balance, for example, came to constitute discrimination in favor of certain communities to the detriment of others. It has also been proposed that a double autochthony: the factual one and legal one; for the various land tenure policies which followed one another in Cameroon since the colonial night have imposed new reports to the earth that presaged in one or two centuries, a «subversive» sedentary lifestyle. It follows that this is the categorization of rights proclaimed that deserves a recapitalization in the light of new issues of pluralist democracy.
    • La conception de la famille à travers le droit pénal des mineurs au XIXe siècle - Catherine Audéoud p. 179-201 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au XIXe siècle, la famille apparaît comme un sanctuaire placé sous l'autorité du père. Le droit civil comme le droit pénal attestent la volonté de l'État de soutenir le chef de famille. Toutefois, une autre approche se manifeste plus nettement chez les pénalistes : elle tend à faire de l'État le protecteur de l'enfance à l'intérieur de la famille.
      In the nineteenth century, the family appears as a sanctuary under the authority of the father.  Civil law as well ascriminal law attest the will of the State to support the head of the family. However, another approach is appearing more clearly with the criminal lawyers: it tends to assign the State as protector of children within the family.
    • Des « estoires vraies ». Réflexions sur l'institution royale au miroir de quelques Romans de la seconde moitié du XIIe siècle - Françoise Pont-Bournez p. 203-227 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En cette brillante Renaissance du XIIe siècle, des « clercs Lettrés » se sont emparé des trois matières de « France, de Bretagne, de Rome la Grande ». Forts de la certitude que « personne ne doit dissimuler son Savoir », ils entendent les transmettre à un large auditoire et s'expriment pour cela en « roman ». Ce faisant, ces « écrivains romanciers » savent aussi retenir l'attention des dames et des chevaliers lorsqu'ils proposent à leur réflexion un certain « modèle royal » en ses différentes composantes. Et ce public curial ne s'y trompe pas qui reconnaît et accueille le schéma institutionnel ici proposé du gouvernement capétien.
      During that brilliant period of the Renaissance, «erudite clerks» took possession of the tree sources from «France, Bretagne and Rome the Great». Fortified by the certainty that «no one should conceal his Knowledge» they intend to make it available to a wide audience, and thus, they use «Romance language». Doing that, those «Roman-writers» are able to attract the attention of Dames and Knights, when they offer them different aspects of a particular «Royal Model»; And that court audience does not fail recognize and accept the institutional structure of the Capetian Government, proposed in that way.
  • Lectures : notes et compte rendus