Contenu du sommaire : Race et citoyenneté

Revue Le Mouvement social Mir@bel
Numéro no 252, juillet-septembre 2015
Titre du numéro Race et citoyenneté
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • In memoriam Christopher Schmidt-Nowara (1966-2015) - p. 3 accès libre
  • Race et citoyenneté dans les Amériques (1770-1910) - Clément Thibaud p. 5-19 accès libre
  • Héritages coloniaux ou innovations révolutionnaires ? Nouvelles recherches sur la race, l'esclavage et la citoyenneté dans les indépendances d'Amérique latine - Christopher Schmidt-Nowara p. 21-32 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le mouvement d'indépendance du début du XIXe siècle en Amérique latine, jadis considéré comme très conservateur, apparaît aujourd'hui comme profondément démocratique et radical, en particulier dans les sociétés où l'esclavage occupait une place importante. La démocratie politique, la suppression de la discrimination raciale officielle et l'abolition de l'esclavage font partie des avancées dont les historiens parlent aujourd'hui lorsqu'ils traitent des changements révolutionnaires de cette période. Cet article examine comment se sont construites ces toutes nouvelles relectures et la manière dont les historiens ont étudié le rôle des structures coloniales à partir des aspirations révolutionnaires.
    Once seen as deeply conservative, Latin American independence in the early 19th century now appears to have been deeply democratic and radical, especially in societies where slavery figured prominently. Political democracy, the removal of formal racial discrimination, and the abolition of slavery are among the accomplishments that historians now point to when positing the revolutionary changes of the period. This article discusses how these profound revisions have come about and explores how historians have treated the role of colonial structures in shaping revolutionary expectations.
  • La pureté de sang en révolution. Race et républicanisme en Amérique bolivarienne (1790-1830) - Clément Thibaud p. 33-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Si la genèse de la notion de pureté de sang a été bien étudiée dans le monde ibérique, sa disparition comme principe juridique ordonnateur du social n'a pas fait l'objet, pour l'instant, d'études spécifiques. La pureza de sangre apparaît dans l'Espagne du XVIe siècle pour exclure tous les Nouveaux Chrétiens des offices publics. Avec la conquête de l'Amérique, ce principe prend une importance cruciale au sein des nouvelles sociétés qui y naissent, après la destruction des polités amérindiennes ; il devient l'un des cadres ordonnateurs de hiérarchies sociales qui distinguent les individus et les groupes. La pureté de sang définit ainsi la race, entendue comme la transmission généalogique de la dignité et de l'indignité par le sang. À la fin du XVIIIe siècle, suivant un mouvement européen, toutes les institutions publiques accordent une attention renouvelée à la pureté du sang de leurs membres. Pourtant, à cette fermeture succède, après 1810, alors que les guerres d'indépendance commencent dans le sous-continent, un consensus général parmi les combattants patriotes sur l'abolition de la clause de pureté. Comment expliquer un renversement si brutal ? L'article essaie de montrer que l'abrogation de la pureté de sang, dont l'importance est demeurée inaperçue aux yeux de l'historiographie, a constitué un enjeu fondamental du premier républicanisme en Amérique hispanique. La décision répond à un ensemble de causes entremêlées, parmi lesquelles l'action de certains libres de couleur et d'Indiens, la logique constitutionnelle et le souvenir des révolutions de Saint-Domingue.
    While the origins of the concept of purity of blood have been considerably studied in the Iberian world, the disappearance of this concept as a legal principle of the social order has not yet been specifically researched. The pureza de sangre originated in 16th century Spain to exclude all New Christians from public office. With the conquest of America, this principle took on crucial importance in the new societies born after the destruction of Native American polities. It became one of the frameworks for organising social hierarchies, distinguishing between individuals and groups. Purity of blood thus defined race, understood as the genealogical transmission of dignity or indignity through blood. In the late 18th century, following a European movement, all public institutions gave renewed attention to the purity of blood of their members. However, after 1810, as wars of independence began in Latin America, this restrictive period was followed by a general consensus among patriotic fighters that the purity clause should be abolished. How can we explain such a sharp reversal ? This paper endeavours to show that the repeal of purity of blood, the importance of which has remained unnoticed in historiographic terms, was in fact a fundamental issue for early republicanism in Hispanic America. The decision was a reaction to a set of interconnected causes, including the actions of certain coloured freedmen and Indians, a constitutional rationale, and the memory of the revolutions of Santo Domingo.
  • La politique abolitionniste dans l'État d'Antioquia, Colombie (1812-1816) - Daniel Gutiérrez Ardila p. 55-70 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les indépendantistes du Royaume de Nouvelle-Grenade, séparé de fait de la couronne de Castille entre 1810 et 1816, étaient pleinement conscients de la contradiction que représentait le maintien de l'esclavage dans le régime de libertés qu'ils tentaient de bâtir. Dans la région d'Antioquia, ce paradoxe fut partiellement corrigé par l'adoption de plusieurs lois cherchant à abolir la servitude, de manière progressive mais sans délai excessif. Il s'agit donc d'analyser les circonstances qui permirent à la question abolitionniste d'être abordée, les actions concrètes menées dans ce sens par les autorités locales, mais également de mettre en lumière un aspect nettement moins connu, l'application de ces mesures et leurs conséquences sociales et politiques.
    The separatists of the Kingdom of New Granada (which enjoyed de facto independence from the Crown of Castile between 1810 and 1816) were well aware of the contradiction of maintaining slavery under the regime of freedom that they sought to build. In the region of Antioquia, this paradox was partially resolved by adopting several laws aimed at abolishing servitude, gradually but without excessive delays. This paper will analyse both the circumstances that allowed for the abolitionist question to be addressed and the actual measures implemented by local authorities, while also casting light on a much less well-known aspect : the enforcement of these measures and their social and political consequences.
  • Liberté et dépendance pendant la révolution du Rio de la Plata. Esclaves et affranchis dans la construction d'une citoyenneté politique (1810-1820) - Gabriel Entin, Magdalena Candioti p. 71-91 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans cet article, nous analysons les rapports entre l'esclavage et la construction de la citoyenneté politique lors de la révolution du Rio de la Plata (1810-1820), à partir de la figure de l'affranchi (liberto). À cette fin, nous mettons à l'épreuve l'hypothèse suivante : la citoyenneté révolutionnaire a créé une liberté comme dépendance. Cet oxymore force à pluraliser la compréhension de la liberté républicaine dans les révolutions du monde atlantique. Loin du binôme homme libre/esclave, nous explorons plusieurs formes de liberté et d'esclavage pendant la première décennie révolutionnaire. L'affranchi (un ancien esclave libéré ou le fils libre d'une esclave) acquiert alors une liberté spécifique qui se traduit par son incapacité à exercer la liberté commune du fait de sa dépendance vis-à-vis d'un patron (soit un individu, soit l'État). Nous combinons une approche diachronique de l'affranchi dans la Rome antique et dans la monarchie hispanique avec une étude synchronique de cette figure dans le cadre de la révolution du Rio de la Plata, à travers l'analyse des mesures de libération contrôlée des esclaves ; des politiques de limitation de la citoyenneté des descendants d'Africains ; de la participation des affranchis à l'armée ; et des recours en justice des esclaves afin d'obtenir leur liberté. Notre objectif consiste à expliquer l'apparente contradiction entre l'omniprésence du discours sur la liberté comme non-domination et le maintien de l'esclavage au Rio de la Plata jusqu'en 1860.
    In this paper, we analyse the relationship between slavery and the construction of political citizenship during the revolution of Rio de la Plata (1810-1820), based on the symbolic figure of the freedman (liberto). Therefore, we test the following hypothesis : revolutionary citizenship created a form of freedom as dependence. This contradiction in terms prompts us to understand republican freedom as a plural concept in the revolutions of the New World. Far from the dual freedman/slave concept, we explore several kinds of freedom and slavery during the first decade of the revolutionary period. The freedman (i.e. a former slave that had been freed or the free-born son of a slave) acquired a different kind of freedom, reflected in his inability to exercise the common kind of freedom due to his dependence on a patron (either an individual or the State). We combine a diachronic approach of the freedman in ancient Rome and under the Spanish monarchy with a synchronic study of this figure under the revolution of Rio de la Plata, seen through the analysis of measures for the controlled liberation of slaves ; policies aimed at limiting citizenship for African descendents ; freedmen serving in the army ; and slaves turning to the courts to obtain freedom. Our aim is to explain the apparent contradiction between the omnipresent discourse on freedom as non-domination and continued slavery in Rio de la Plata until 1860.
  • Marin et citoyen : être noir et libre à bord des navires états-uniens avant la Guerre civile - Martha S. Jones p. 93-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les hommes de couleur libres ont utilisé l'engagement sur les navires des États-Unis pour se doter de droits dont ils ne disposaient pas hors de ces situations. Cela a été notamment le cas pour les libres de couleur de Baltimore. Après avoir exposé la situation de la communauté des hommes et des femmes noirs libres de cette ville, cet article évoquera les expériences juridiques diversifiées que le futur leader noir George Hackett eut l'occasion de faire lors du voyage qui le conduisit, comme steward de l'USS Constitution, de Baltimore à Valparaiso entre 1839 et 1841.
    Freedmen of colour served aboard US ships as a means to gain rights that they did not enjoy in other situations. This was notably the case for free blacks from Baltimore. After describing the situation of the community of free black men and women in that city, this paper will detail the various legal experiences that future black leader George Hackett went through during his trip, as steward of the USS Constitution, from Baltimore to Valparaiso between 1839 and 1841.
  • Les Noirs libres et la citoyenneté américaine dans le Nord-Ouest des États-Unis (1787-1830) - Marie-Jeanne Rossignol p. 113-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article se penche sur le territoire du Nord-Ouest des États-Unis où l'esclavage fut interdit avant même que le territoire ne soit organisé en États et ouvert au peuplement euro-américain à compter de 1787. L'interdiction de l'esclavage n'en fit pas un refuge pour les Noirs libres ou les esclaves en fuite : au contraire la région se dota de discriminations légales, et un républicanisme blanc exclusif s'y développa. Situé à l'Ouest, proche des Grands lacs et du Canada comme d'États esclavagistes, le Nord-Ouest constitua pourtant un creuset où se renouvelèrent les méthodes des antiesclavagistes au contact des Noirs libres et des esclaves fugitifs auxquels Noirs et Blancs portaient secours. Leurs combats annoncent ceux des abolitionnistes après 1830, et l'émergence d'une république plus inclusive.
    This paper focuses on the Northwest Territory of the United States, where slavery was prohibited even before the territory was organised into states and opened up to European and American settlers beginning in 1787. The prohibition of slavery did not make the region a refuge for free blacks or runaway slaves ; on the contrary, the region implemented legal discrimination, and an exclusively white form of republicanism developed there. Located to the west of the initial thirteen states, near the Great Lakes and Canada but not far from slave states, the Northwest was nevertheless a melting pot where antislavery activists adopted new methods after coming into contact with free blacks and runaway slaves, who received aid from both blacks and whites. Their struggles were a prelude to the abolitionist movement after 1830, with the emergence of a more inclusive republic.
  • L'égalité divisée. La race au cœur de la ségrégation juridique entre citoyens de la métropole et citoyens des « vieilles colonies » après 1848 - Silyane Larcher p. 137-158 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Si conformément au principe révolutionnaire d'universalité des droits du citoyen, l'abolition de l'esclavage par la Seconde République en 1848 a institué la pleine égalité civile et politique entre citoyens (masculins) de la métropole et ex-esclaves des « vieilles colonies » de plantation, l'égalité civique n'a pas pour autant impliqué la pleine inclusion de ces derniers dans la « communauté des citoyens ». En effet, la pleine citoyenneté française s'est accompagnée aux Antilles (mais aussi en Guyane et à la Réunion) d'un régime législatif dérogatoire au droit commun. Ces « colonies de citoyens » furent régies par un système juridique les plaçant en dehors des lois applicables en métropole. Quelle « pensée d'État » permit, au long de plusieurs régimes politiques distincts, de faire tenir ensemble l'articulation improbable entre égalité civique et exception ? La division de l'égalité qui fonda une mise à l'écart des égaux ou une « altérisation » des citoyens des colonies post-esclavagistes s'est articulée dans la longue durée à une politisation des héritages historiques et anthropologiques des personnes originaires des îles à sucre. En abordant l'histoire de la citoyenneté française à partir de sa marge coloniale caribéenne, on observe ainsi qu'elle ne fut pas toujours unitaire ni abstraite : elle s'est articulée à une fabrique spécifique de la race. La logique de racisation par laquelle s'opéra la coupure entre Français de la métropole et Français des « vieilles colonies » anciennement esclavagistes ne se comprend pas simplement en termes coloristes, mais plutôt en termes « civilisationnels » – en termes « culturels » dirions-nous aujourd'hui.
    In keeping with the revolutionary principle of universal civil rights, the abolition of slavery by the Second French Republic in 1848 instituted full civil and legal equality for all (male) citizens of Metropolitan France and former slaves from the “Old Plantation Colonies”. However, civil equality did not entail the former slaves being fully included in the “community of citizens”. Indeed, full French citizenship in the French West Indies (as well as in French Guiana and on Reunion Island) came hand in hand with a special legislative regime. These “colonies of citizens” were governed by a legal system that kept them outside the laws applicable in Metropolitan France. What “conception of the State” enabled the unlikely reconciliation of civil equality and legal segregation, across several different political regimes ? Over the long term, the divided equality at the basis of a system whereby equals were excluded or the citizens of former slave colonies were regarded as separate or “other” was combined with a politisation of the historical and anthropological heritage of people from the sugar islands. By looking at the history of French citizenship from the standpoint of its colonial Caribbean margin, we thus note that it was not always unified or abstract : it was articulated around a specific fabrication of race. The rationale of racialisation whereby Metropolitan French citizens were cut off from the French of the former slave “Old Colonies” cannot be understood simply in terms of skin colour, but rather in terms of “civilisation” – or nowadays, we might say “culture”.
  • Race, révolte, république : les marins brésiliens dans le contexte post-abolitionniste - Silvia Capanema p. 159-176 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article propose d'étudier les relations entre la circulation des idées républicaines, les expériences raciales et la condition des matelots subalternes de la marine de guerre dans le contexte post-abolitionniste du début de la République, à travers l'analyse de la plus importante mutinerie de marins qui a eu lieu au Brésil : la révolte de 1910 contre les châtiments corporels à Rio de Janeiro. Le texte discute, dans un premier temps, le processus de racialisation au Brésil à la lumière des deux plus profondes transformations de la fin du XIXe siècle : l'abolition de l'esclavage (1888) et la proclamation de la République (1889). Dans un deuxième temps, l'article démontre comment les jeunes rebelles de 1910, en majorité Noirs, métis et originaires du nord et du nord-est du pays – régions considérées comme périphériques et « en retard » – ont construit leur mouvement en s'appuyant sur une identité commune : celle de marins et citoyens républicains. Cette identité se montrait incompatible avec les pratiques et les héritages esclavagistes toujours présents dans la société brésilienne, et en particulier dans la marine.
    This paper studies the relationships between the circulation of republican ideas, racial experiences, and the condition of subordinate sailors in the navy in the post-abolitionist context of the early Republic, by analysing the largest naval mutiny in the history of Brazil : the 1910 revolt against corporal punishment in Rio de Janeiro. Divided into two main parts, the text begins by discussing the racialisation process in Brazil in light of the two main transformations in the late nineteenth century : the abolition of slavery in 1888 and the proclamation of the Republic in 1889. The second part illustrates how the young rebels of 1910, mainly black or mixed race and from the north and north-east of the country – regions regarded as being on the outskirts and “backward” – built their movement by focusing on a shared identity as sailors and citizens of the republic. This identity proved to be incompatible with the practices and the slaveholding legacy still present in Brazilian society, particularly in the navy.
  • Notes de lecture - p. 177-211 accès libre
  • Informations et initiatives - p. 213-219 accès libre