Contenu du sommaire : Ma cité a craqué
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 83, automne 205 |
Titre du numéro | Ma cité a craqué |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Ma cité a craqué. Dix ans après les révoltes urbaines de 2005
- Éditorial - Marie-Hélène Bacqué, Renaud Epstein, Samira Ouardi, Patrick Simon, Sylvia Zappi p. 7-10
- Jusqu'ici tout va bien... - Rachid Santaki p. 12-16 Rachid Santaki est un écrivain de polars qui ont comme principal terrain la banlieue. Écrits avec un langage des quartiers, il y décrit une réalité sociale très noire. Fils d'un père manutentionnaire et d'une mère caissière, ayant connu une scolarité très chaotique, ce passionné de hip-hop et de boxe thaï fait ses premiers pas dans la presse avec la revue 5 Styles. Il va se faire connaître avec son premier roman Les Anges s'habillent en caillera. Ce sera le premier de ses quatre romans. Il écrit actuellement des fictions pour la télévision et le cinéma. Il raconte ici les souvenirs de son premier « vrai job » à la Délégation interministérielle à la ville et les journées des émeutes de 2005.
- Les révoltes de 2005, une prise de conscience politique : Entretien avec Mohamed Mechmache - Marie-Hélène Bacqué p. 17-21 Mohamed Mechmache a été l'un des fondateurs du collectif ACLEFEU constitué à Clichy-sous-Bois après les révoltes sociales de 2005. Il en a ensuite été le président. Il a été le coauteur avec la sociologue Marie-Hélène Bacqué du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d'agir dans les quartiers populaires, remis en juillet 2013 au ministre de la Ville, François Lamy. Il est aujourd'hui coprésident de la coordination des quartiers populaires « Pas sans nous » créée en septembre 2014 1.
- L'autonomie des minorités comme préalable et objectif politique : Entretien avec Houria Bouteldja, Parti des Indigènes de la République (PIR) - Patrick Simon p. 22-28 Houria Bouteldja est porte-parole du Parti des Indigènes depuis sa création. Militante pour une société décoloniale, elle articule la lutte contre les discriminations et la racialisation à une nécessaire autonomisation politique des minorités racisées, regroupées sous la catégorie d'indigènes. Bien que l'appel des Indigènes ait été lancé avant les émeutes de 2005, il existe un parallélisme entre l'évolution du mouvement et les suites données aux émeutes. Houria Bouteldja revient pour Mouvements sur le rôle joué par l'événement dans la construction du PIR et livre son analyse stratégique de la mobilisation pour une société décoloniale.
- Médias en banlieue, de l'autre côté du miroir - Faïza Zerouala p. 29-34 À travers son parcours de jeune femme issue d'un quartier populaire de Paris, Faïza Zerouala, journaliste du Bondy blog, met en exergue la relation pleine de défiance des médias avec les banlieues. Faisant le constat que leur représentation relève toujours des mêmes vieux clichés, la journaliste montre que même s'il y a quelques timides avancées, elles sont loin d'endiguer le mépris social qu'ont les médias dominants pour les banlieues et leurs habitants.
- Le cœur de la révolte : Tous les jeunes de banlieues sont des hommes, toutes les femmes sont... amoureuses - Elsa Dorlin p. 35-41 Où sont les filles ? Lors des révoltes de 2005, en dépit de leur mobilisation, elles ont été laissées hors-champ dans le traitement médiatique des événements. L'engagement de filles dans un conflit violent reste en effet largement impensable. Cependant, Elsa Dorlin montre qu'au cours de la dernière décennie les « filles des quartiers » font peu à peu craquer les cadres de représentation des « jeunes de banlieue », même si on continue à leur dénier une capacité d'agir réellement politique.
- Des révoltes sociales aux élections : Quelques questions à partir de la Seine-Saint-Denis - Marie-Hélène Bacqué, Anne D'Orazio p. 42-49 Les révoltes sociales de 2005, tour à tour qualifiées de proto, supra ou post-politiques 1 ont témoigné d'un véritable enjeu de reconnaissance de groupes marginalisés. Pour certains acteurs, elles ont représenté un moment de prise de conscience, interrogeant notamment la question de la citoyenneté et de la représentation politique. Après les révoltes, plusieurs collectifs et organisations se sont engagés dans une campagne pour l'inscription sur les listes électorales, qui n'a pas été sans effets sur la mobilisation électorale lors des présidentielles de 2007, puis localement ont présenté des candidats lors de différentes échéances électorales. De différentes façons, et parfois dans des perspectives divergentes, ces collectifs et réseaux ont exprimé une aspiration à la citoyenneté, à la reconnaissance et à la représentation politique des habitants des quartiers populaires et/ou des minorités visibles.Marie-Hélène Bacqué et Anne D'Orazio discutent ici les effets électoraux potentiels des révoltes de 2005 à partir d'une analyse centrée sur le département de la Seine-Saint-Denis.
- 2005, pour rien ? Analyses d'acteurs : Table ronde avec Almamy Kanouté, Mohamed Mechmache, Zouina Meddour et Azzedine Taibi - Samira Ouardi, Sylvia Zappi p. 50-62 Les événements de Clichy-sous-Bois ont donné lieu à de vifs débats dans les sphères politiques et intellectuelles autour de leur nature politique. S'agissait-il de violences désordonnées ou bien d'une véritable révolte populaire ? Assistait-on à un soulèvement politique ?On a peu entendu à l'époque (et toujours aussi peu aujourd'hui) la voix des acteurs associatifs, élus et habitants des quartiers populaires qui se sont mobilisés sans relâche avant, pendant et après 2005, pour lutter contre la relégation territoriale, la minoration politique et les discriminations. Mouvements leur donne la parole afin qu'une autre histoire de 2005, la leur, émerge. Nous avons réuni autour de cette table ronde : Almamy Kanouté, éducateur spécialisé, militant associatif à Fresnes et fondateur du parti « Émergence » ; Mohamed Mechmache, porte-parole du collectif ACLEFEU créé à la suite des événements, aujourd'hui coprésident de la coordination nationale « Pas sans nous » ; Zouina Meddour, militante associative du Blanc-Mesnil, directrice d'un centre social en 2005 et aujourd'hui chargée de mission ; et Azzedine Taibi, maire PCF de Stains depuis mars 2014.
- Dix ans après, l'incapacité d'agir ? - Michel Kokoreff p. 64-74 Qu'est-ce qui a changé dans les « quartiers impopulaires » depuis dix ans ? C'est cette question que pose le sociologue Michel Kokoreff. Partant du constat que personne ne relaye la parole des habitants et que le chômage et la précarité sévissent toujours dans ces quartiers, l'auteur fait le bilan amer que peu de changements sont à constater. Toutefois quelques initiatives peu médiatisées sont nées de ces quartiers, elles existent, même si elles peinent à faire « bouger les choses ».
- La police en banlieue après les émeutes de 2005 - Fabien Jobard p. 75-86 « On ne change pas une équipe qui gagne » : telle semble être la leçon tirée des émeutes de 2005 par les responsables policiers. La conception française du maintien de l'ordre est sortie renforcée de ces trois semaines d'affrontements cantonnés dans les quartiers périphériques, dont tous les flottements et incidents n'ont jamais retenu l'attention de la presse. L'utilisation d'armes à feu par les protestataires en 2005 et plus encore en 2007, à Villiers-le-Bel, a néanmoins suscité des évolutions des modes d'organisation et de l'arsenal policier. La militarisation accrue de la police de nos banlieues en est une des conséquences, dont la réalité est cependant plurielle et contradictoire, et ouvre à de nombreuses pistes d'interprétation. Aucune ne conclut à un état de guerre en banlieue.
- La lutte contre les discriminations n'a pas eu lieu : La France multiculturelle et ses adversaires - Patrick Simon p. 87-96 Les émeutes ont remis la lutte contre les discriminations à l'ordre du jour politique. Pour autant, il ne s'est pas passé grand-chose sur ce dossier, nous dit Patrick Simon. Revenant sur dix ans de non-politique anti-discrimination, il relie l'inaction publique au backlash contre la dimension multiculturelle de la société française. Entre l'assimilation et la lutte contre les discriminations, les élites françaises ont choisi de rendre les minorités responsables des ratés de l'intégration. Les réactions aux attentats de janvier 2015 renforcent cette dynamique de guerre culturelle contre les minorités.
- La démolition contre la révolution : Réactualisation d'un vieux couple - Renaud Epstein p. 97-104 Des grands travaux d'Haussmann au Programme national de rénovation urbaine (PNRU) de Borloo en passant par la rénovation gaulliste, un même projet serait à l'œuvre visant à prévenir et contenir, par l'aménagement urbain, les révoltes populaires. Cette analyse de la rénovation urbaine comme projet contre-révolutionnaire, inaugurée par Henri Lefebvre en 1968, a inspiré les critiques radicales de la politique de démolition-reconstruction des grands ensembles engagée en 2003. La transposition de l'analyse lefebvrienne au PNRU apparaît pourtant hasardeuse, en ce qu'elle conduit à surestimer les objectifs de maintien de l'ordre de ce programme et à occulter son échec au regard de son objectif central de renouvellement de la population des quartiers populaires.
- Fafet (Amiens Nord), chronique d'une mort annoncée - Ixchel Delaporte p. 105-110 Théâtre d'émeutes récurrentes, dont la dernière est survenue trois mois après l'élection de François Hollande, Fafet-Brossolette-Calmette meurt à petits feux, transformé en quartier fantôme par la rénovation urbaine. Entamée en 2008, la démolition de ce foyer de contestation ne fait que déplacer les problèmes vers d'autres quartiers d'Amiens Nord, sans résoudre les difficultés sociales de ses habitants.
- Une ville après l'émeute - Valérie Sala Pala p. 111-119 Nombreux sont les chercheurs qui ont cherché à faire parler les émeutes, pour en révéler le sens politique. L'enquête réalisée par Valérie Sala Pala à Firminy, ville moyenne de l'agglomération stéphanoise qui a connu trois nuits d'émeutes en juillet 2009 après le décès d'un habitant du quartier de Firminy-Vert à la suite d'une garde à vue, s'inscrit dans une autre perspective. En mettant au jour les lectures contrastées de ces émeutes par les jeunes habitants et en les confrontant aux réactions des acteurs politiques locaux, cette enquête permet de prendre la mesure du fossé séparant les quartiers populaires et les élites politiques locales, y compris dans une ville ancrée à gauche.
- Économie morale de la protestation : De Ferguson à Clichy-sous-Bois, repenser les émeutes - Didier Fassin p. 122-129 Après une intense période d'émeutes urbaines dans les années 1960 et 1970, puis les émeutes de Los Angeles en 1992, les États-Unis n'en ont pratiquement plus connu jusqu'en 2014 après la mort d'un jeune homme tué par la police à Ferguson. À l'inverse c'est à partir des années 1980 que les troubles urbains se sont multipliés en France à la suite d'interactions mortelles avec les forces de l'ordre, culminant à l'automne 2005 après le décès de Zyed et Bouna. Que peut-on apprendre de ce parallèle historique ? Didier Fassin montre ici qu'au-delà des différences, les protestations populaires liées à ces accidents tragiques ont un fondement moral commun qui leur donne une signification politique profonde – ce que les commentateurs français ont trop souvent tenté de leur dénier.
- Los Angeles, de l'émeute à l'auto-organisation des quartiers populaires - Julien Talpin p. 130-137 Le 13 juillet 2013, Georges Zimmerman est acquitté du meurtre de Trayvon Martin, un Africain américain de 17 ans, qu'il a tué par balle en Floride. Des manifestations sont organisées un peu partout aux États-Unis pour protester contre un verdict qui illustre le fonctionnement d'une justice racialisée. Alors que dans les principales villes du pays les manifestations demeurent pacifiques, à Los Angeles elles dégénèrent en émeute. Il n'en fallait pas plus pour rappeler à la mémoire les images des émeutes de 1992 consécutives à l'acquittement des policiers ayant passé à tabac Rodney King.À partir de l'analyse de la gestion des émeutes de 2013, Julien Talpin revient ici sur ce qui a changé après les émeutes de 1992 et sur le développement des formes d'auto-organisation dans les quartiers de Los Angeles.
- Les émeutes dans la sociologie américaine - François Bonnet p. 138-144 Les États-Unis ont connu des émeutes massives et meurtrières dans les années 1960, et des épisodes plus dispersés après. Cet article rend compte de la littérature américaine sur les émeutes, et notamment du progressif désintérêt des sociologues pour leur dimension protestataire, au profit d'analyses formalistes. Cette dimension protestataire a pourtant été mise en lumière par les événements de Ferguson en 2014 et Baltimore en 2015, qui sont venus rappeler que les ghettos noirs se soulèvent d'abord, sinon seulement, en réaction à l'intense répression policière qui s'y déploie.
- Les émeutes en Grande-Bretagne, de l'antiracisme au character-building : Histoire d'un renoncement britannique - Olivier Esteves, Romain Garbaye p. 145-152 Les émeutes de Londres d'août 2011 ont marqué par leur ampleur. Pourtant, le gouvernement Cameron s'est contenté d'une réaction a minima. Les émeutes des décennies précédentes avaient fait l'objet de commissions d'enquêtes et de rapports officiels qui, à l'image du célèbre rapport Scarman de 1981, ont attiré l'attention sur les violences policières et la discrimination raciale. Il en a été autrement cette fois, les réactions officielles se limitant à la dénonciation des violences comme autant d'actes de délinquance « pure et simple », niant la dimension ethno raciale des émeutes et préférant mettre l'accent sur le consumérisme et la responsabilité individuelle des émeutiers.
Itinéraire
- Transmettre l'histoire de nos luttes : Entretien avec Saïd Bouamama - Samira Ouardi, Patrick Simon p. 153-165 Originaire des faubourgs ouvriers de Roubaix, Saïd Bouamama, n'a eu de cesse de mettre le savoir au service des luttes. Venu au militantisme par le savoir, ce chercheur, formateur et militant, a développé une sociologie des dominations qui a systématiquement nourri ses engagements politiques. Il nous raconte ici l'intrication intime qui a fait de ses objets de recherche (l'immigration et son histoire, les discriminations raciales et sexistes) ses fronts de lutte : de ses premières rencontres politiques qui furent avant tout des rencontres intellectuelles, à sa participation, dès les années 1970 à différentes luttes syndicales et politiques (marche de l'égalité...) en passant par son engagement de plusieurs décennies pour un « mouvement autonome de l'immigration ». Il dresse, dans cet entretien, le bilan de ces trente années de militantisme intellectuel et de terrain pour mieux esquisser les contours d'une stratégie politique de gauche pour les années à venir.
- Transmettre l'histoire de nos luttes : Entretien avec Saïd Bouamama - Samira Ouardi, Patrick Simon p. 153-165
Thème
- L'ambition démocratique du community organizing : L'exemple de l'Alliance citoyenne de l'agglomération grenobloise - Jérémy Louis p. 168-176 La mise en place, depuis quelques années, des méthodes de community organizing peut-être envisagée comme une tentative de dépassement des limites du système représentatif. Par un rappel des ressorts de leur développement, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et par l'observation de leur mise en pratique au sein de l'Alliance citoyenne de l'agglomération grenobloise, cet article s'attache à montrer ce qui fait l'originalité de ces démarches : rapport pragmatique au pouvoir, mobilisation autour des « colères » des habitants, actions collectives centrées sur le conflit. Un regard sur l'objectif de prise d'autonomie des habitants, formulé par les fondateurs de l'alliance, permet d'inclure une analyse de la structure et des méthodes du community organizing sous l'angle des processus d'émancipation qu'elles sont susceptibles de favoriser.
- L'ambition démocratique du community organizing : L'exemple de l'Alliance citoyenne de l'agglomération grenobloise - Jérémy Louis p. 168-176