Contenu du sommaire : Inventer les sciences sociales postoccidentales

Revue Socio Mir@bel
Numéro n°5, novembre 2015
Titre du numéro Inventer les sciences sociales postoccidentales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • EDITORIAL

    - Michel Wieviorka p. 5 accès libre
  • DOSSIER

    • Sciences sociales "postoccidentales" : de l'Asie à l'Europe - Laurence Roulleau-Berger p. 9 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article l'auteur propose un programme scientifique fondé sur l'invention d'un espace « post-occidental » en sciences sociales dans le cadre d'un dialogue avec des chercheurs de différents pays d'Asie. Dans un moment de dépassement du tournant global se produisent simultanément des injustices et des autonomies épistémiques qui peuvent favoriser l'émergence de sciences sociales « post-occidentales ». Les connexions, les enchevêtrements, les écarts, les disjonctions entre des savoirs situés laissent apparaître des discontinuités continues et des continuités discontinues susceptibles de créer des espaces théoriques communs et des espaces propres entre sciences sociales occidentales et non occidentales.
      In this paper the author is purposing a scientific program based on the invention of a “post-Western” space in social sciences through a dialogue with scholars from different Asian countries. After the global turn, epistemic injustices and autonomies simultaneously are produced and “post-Western” social sciences could emerge. Because of connections, assemblages, disjunctions and distances between located knowledge in Europe and in Asia, continuous discontinuities and discontinuous continuities could create common and proper theoretical spaces between Eastern and non-Western social sciences.
    • La modernisation orientale de l'expérience chinoise - Li Peilin p. 25 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans l'ancienne logique de la théorie de la modernisation, la modernisation s'est toujours vue associée à la société occidentale. En se fondant sur l'« expérience chinoise », c'est-à-dire sur la transformation et les changements profonds qui ont affecté la Chine contemporaine, cet article introduit la notion de « modernisation orientale » en vue d'établir une sociologie post-occidentale. La discussion de cette modernisation orientale veut contribuer au développement de la théorie de la modernisation dans le contexte de la mondialisation.
      In the past logic of modernization theory, modernization has always been associated with Western society. Based on the ”China experience”, the deep change and transformation of contemporary China, this paper proposes the topic of “Oriental modernization” for the establishment of the post-Western sociology. The discussion of “Oriental modernization” will contribute to the development of modernization theory under the background of the globalization.
    • Second-modern tansformation in East Asia - An Active Dialogue with Ulrich Beck - Han Sang-Jin p. 45 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à entamer un dialogue ouvert avec Ulrich Beck sur la question de la seconde modernité. À un dialogue « passif » et « faible », je préfère un dialogue « actif », et donc potentiellement « fort ». Je considère que l'approche est active si l'on prend véritablement en compte les caractéristiques généalogiques de la culture et de l'histoire asiatiques. Cette approche, qui se veut critique des présupposés hégémoniques des théories sociales occidentales, est une réponse à l'appel au cosmopolitisme lancé par Beck mais elle souhaite aussi se démarquer des présupposés euro-centriques qui demeurent présents dans la théorie de Beck. Cette approche ouvre un dialogue avec l'Occident tout en restant fidèle à l'identité asiatique et en accordant toute leur importance à l'existence de voies de développement spécifiques et à leurs conséquences. Afin de savoir si une multiplicité de voies de développement, en dépit de leurs différences, peut donner naissance à des potentialités susceptibles d'orienter le changement historique, j'examine ici cinq questions théoriques : la dimension normative de la seconde modernité ; la réflexion historique ; la tradition ; le changement cosmopolitique ; et l'individualisation.
      This paper is an attempt to explore an open-ended dialogue with Ulrich Beck with respect to second-modern transformation. The aim is at an “active,” and thus perhaps “strong,” dialogue, which is more penetrating than a “passive” and “weak” dialogue. I define an approach to be “active” if one takes full consideration of the genealogical traits of Asian culture and history. Critical of the hegemonic assumptions of Western social theories, this approach is intended to respond to Beck's cosmopolitan appeal, while breaking away from the Euro-centric assumptions still kept alive in his theory. This approach opens up a dialogue with the West, while being faithful to Asian identity and paying close attention to the specific developmental pathways and their consequences. In order to explore whether multiple pathways of development, despite their fundamental differences, give rise to certain potentials shaping the basic direction of historical change, I discuss five theoretical issues: the normative dimension of second modernity, historical reflection, tradition, cosmopolitan change, and individualization.
    • Après le tremblement de terre au Japon ; la mission transnationale de la sociologie - Kazuhisa Nishihara p. 65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis peu, l'Asie orientale connaît une mobilité croissante impliquant plusieurs types de populations : travailleurs migrants, migrants matrimoniaux, étudiants étrangers et touristes. Cependant, les relations diplomatiques entre les pays d'Asie du Nord-Est (en particulier la République populaire de Chine, la République de Corée et le Japon) sont rendues difficiles par l'existence de différends territoriaux et autres conflits. En tant que sociologue japonais vivant au sein de la société japonaise, je souhaite examiner ici le caractère transnational des échanges et des relations entre ces pays, avant d'explorer les possibilités futures qu'auraient les peuples d'Asie du nord-est de mieux se comprendre. Ce ne sont pourtant pas les conflits économiques et politiques qui retiendront mon attention, mais la question des échanges et des communications socioculturelles après le grand tremblement de terre et le tsunami de 2011.Cet article se donne trois objectifs : (1) saisir la société japonaise contemporaine au travers du prisme des communications transnationales, en particulier les liens socioculturels avec les peuples d'Asie du nord-est ; (2) proposer un point de vue méthodologique permettant de dessiner, sur la base de mes recherches de terrain, ce que pourrait être une meilleure compréhension mutuelle, entre peuples asiatiques mais aussi à l'échelle transpacifique et globale ; (3) enfin, à partir de ce travail, interroger la sociologie japonaise et ses relations à la tradition sociologique occidentale.
      East Asia has recently seen increased mobility among various groups of people, including foreign workers, intermarried migrants, international students, and tourists. However, political relations among Northeast Asian countries (especially, the People's Republic of China, Republic of Korea, and Japan) have been strained due to actually territorial disputes and other conflicts. As a Japanese theoretical sociologist living in Japanese society, I want to examine the transnational communications or exchanges among these nations and to explore future directions for achieving mutual understanding among the people of Northeast Asia. However, in this paper, the political and economic conflicts themselves will not be my main theme. Instead, I will focus on the problem of socio-cultural communications and exchanges around the great earth quake and tsunami of 2011.This paper has the following 3 aims: (1) to grasp contemporary Japanese society from a viewpoint of transnational communications, especially socio-cultural exchanges among Northeast Asian people, (2) to present a methodological standpoint to sketch the future image of mutual understanding among Asian/Transpacific/global areas on the basis of my field research, and (3) to re-examine Japanese sociology and its relationship with the Western sociological tradition through these investigations.
    • Social sciences and public debates : The case oh India - Veena Das et Shalini Randeria p. 84
    • Colonial governmentality ans the political thinking through "1931" in the Crown colony of Ceylon/Sri Lanka - Nira Wickramasinghe p. 99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur la notion arendtienne du « politique » pour soutenir que le cadre colonial et la modernité ont pendant longtemps surdéterminé la manière dont les historiens ont analysé le « politique » en Asie du Sud. En utilisant comme point d'entrée l'année 1931 – celle où le suffrage universel fut introduit dans la colonie de la Couronne du Sri Lanka –, il interroge de manière critique mais constructive l'adaptation créative que l'école des subaltern studies a faite de la notion foucaldienne de gouvernementalité, ainsi que le travail séminal de David Scott sur la gouvernementalité coloniale au Sri Lanka. Il identifie également la nécessité d'explorer de nouvelles stratégies afin de rendre compte de l'échec des techno­logies disciplinaires et des technologies modernes gouvernementalisées à produire des sujets modernes rationnels. La solution consiste-t-elle, comme le suggère Fred Cooper, « à faire de l'histoire historiquement », et, de là, à simplement échanger des notions comme celles de « modernité coloniale » et de « gouvernementalité coloniale » contre celles de processus, forces, actions et agents multiples des explications historiques ?
      This paper uses the Arendtian notion of the “political” to argue that the colonial framework and modernity have for long overdetermined the way historians have analyzed the “political” in South Asia. Using 1931—the year universal suffrage was introduced to the Crown colony of Sri Lanka—as an entry point, it engages critically yet constructively with the subaltern studies school's creative adaptation of Foucault's notion of governmentality, as well as the seminal work of David Scott on colonial governmentality in Sri Lanka. It identifies a real need for seeking new strategies to understand the failure of the disciplinary technologies and governmentalized modern technologies to produce modern rational subjects. Is the solution then as Fred Cooper suggests“ to do history historically” and simply trade notions such as “colonial modernity” and “colonial governmentality” for multiple agents, actions, forces and processes of historical explanations?
    • Le "dépassement de la modernité" et la sociologie japonaise - Kazuhiko Yatabe p. 115 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le dialogue entre les mondes intellectuels occidentaux et japonais a fait l'objet de débats intenses au Japon autour de l'opposition entre « Occident » et « Orient », « Occident et Japon », « modernité occidentale » et « modernité » japonaise. Pour appréhender la sociologie japonaise l'auteur développe les idées d'oscillation pendulaire et de dépassement de la modernité de la guerre du Pacifique à nos jours. Si aucun dépassement de la modernité occidentale et/ou japonaise n'a été effectué après 1945, de 1970 à 1995 les valeurs occidentales vont être convoquées, et à partir de 1995 la société japonaise émerge comme modernité non occidentale : c'est la fin de l'oscillation pendulaire.
      The dialogue between the Western and Japanese intellectual worlds has been the subject of intense discussion in Japan, the focus being on the opposition between “West” and “East', “the West and Japan”, “Western modernity” and Japanese “modernity”. To address the issue of Japanese sociology from the Pacific war to present times, the author develops the ideas of “oscillation to and fro” and ”going beyond modernity”. After 1945 there was no noticeable change in Western and/or Japanese modernity; however between 1970 and 1995 Western values were appealed to and, as from 1995, Japanese society emerged as a non-Western modernity. This marked the end of the period of “oscillation to and fro”.
    • Penser les individus du monde - Emmanuel Lozerand p. 139 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Penser l'individualisme de l'Occident amène souvent à considérer le Reste-du-monde comme communautaire ou holiste. Mais cette manière de penser, qui joue un rôle essentiel dans l'auto-définition de cet « Occident » par lui-même, travestit la réalité et pèse lourdement sur les relations entre les peuples. Pour approcher la pluralité des constellations individu-société à travers le monde, on se propose dans cet article d'esquisser une archéologie de ce discours binaire, de critiquer l'opposition holisme/individualisme exposée par Louis Dumont ; d'avancer quelques notions utiles pour approcher la variété des modes de reconnaissance de la singularité individuelle ; de présenter enfin quelques analyses de cas.
      Consideration of individuals in the West often leads to considering the rest-of-the-world as communitarian or holistic. But this mode of thought, which plays a significant role in the self-definition of this “West” is a travesty of reality and weighs heavily on the relations between peoples. Our intention here is to give an idea of the variety of the individual-society constellations by outlining an archaeology of this binary discourse, in a critique of the holism/individualism opposition set out by Louis Dumont; we suggest a few useful concepts in approaching the variety of modes of recognition of individual singularity; we end by presenting some case studies.
    • Une science politique non occidentale existe-t-elle ? - Yves Schemeil p. 163 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour qu'il y ait une sociologie politique post-occidentale il faut que la politique soit prise au sens large, ni comme un objet d'intérêt né en Europe au XVe siècle, voire au XIXe siècle, ni comme la politique des seules élites décisionnelles. En lisant les auteurs post-occidentaux on comprend que les questions du lien social, des institutions sociales, des rapports à autrui et à la modernité, des conditions de succès et d'échec des entreprises partisanes, sont toutes politiques, au même titre que celles de l'État et de la citoyenneté. L'article examine des auteurs proche-orientaux et extrême-orientaux, en effectuant diverses coupes dans le temps (Antiquité, XVIIIe XIXe siècle et période contemporaine). Il s'interroge sur le caractère fondamental donc universel des énoncés théoriques (que penser ?), et sur leur place dans des raisonnements, voire des œuvres, qui sont souvent orientés vers la décision politique immédiate (que faire ?). Il montre que les conclusions de nombre de ces auteurs ne contredisent pas celles des politistes occidentaux, sociologues ou philosophes, au point que l'on peut vraiment parler de contributions post-occidentales à un savoir universel.Il montre que les conclusions de nombre de ces auteurs ne contredisent pas celles des politistes occidentaux, sociologues ou philosophes, au point que l'on peut vraiment parler de contributions post-occidentales à un savoir universel.
      If there were to be a post-Western political sociology, politics would have to be understood in the broad meaning of the term and not as an subject of interest originating in Europe in the 15th  century or indeed, perhaps, even in the 19th  century, nor as the politics of decision-making elites alone. When reading the post-Western authors, one understands that questions of the social bond, social institutions, the relationship with others and with modernity, conditions for the success and failure of business ventures are all political, as are also the issues of the State and of citizenship. This article examines authors from both the Near East and the Far East by taking various periods in time (Antiquity, 18th century, 19th  century and the present period). It questions the fundamental and therefore universal nature of the theoretical statements (what to think about?) and of their place in the arguments, or even in the writings which are often orientated toward immediate political decisions (what is to be done?). The article shows that the conclusions of many of these authors in no way contradict those of Western political scientists, sociologists or philosophers, with the result that one can really speak of post-Western contributions to what is universal knowledge
  • DEBAT

  • CHANTIERS

    • Sortir de la violence - Un chantier pour les sciences humaines et sociales - Michel Wieviorka p. 221 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La sortie de la violence est un enjeu crucial, et jusqu'ici peu étudié par les sciences humaines et sociales. Ce domaine est davantage celui des experts, des ONG ou des responsables politiques. Il s'agit ici de délimiter ce champ d'analyse à construire et à défricher, et d'indiquer les principaux questionnements qui pourraient animer la recherche, à des niveaux distincts, et articulés puisque visant à couvrir un vaste espace de problèmes individuels (ceux relatifs aux victimes et aux coupables notamment) et collectifs, voire globaux.
      Exiting violence is a crucial issue and to date little studied by the humanities and social sciences. This sphere tends to be that of the experts, the NGOs or political leaders. My aim here is to define the scope of this field of analysis to be constructed and cleared and to indicate the main questions which could guide and stimulate research at different levels; these would be articulated since the aim is to cover a vast sphere of individual (in particular those concerning victims and perpetrators) and collective, even global, problems.
    • Enjeu et fondation des études exiliques ou Portrait de l'exilé - Alexis Nouss p. 241 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le champ des « études exiliques » est inexistant dans la francophonie alors que sa constitution s'avère indispensable devant l'ampleur et la nature des phénomènes migratoires contemporains, notamment en Europe. Le trajet de plus de 230 millions de migrants déclarés dans le monde occasionne des rencontres de cultures et de langues plus intensifiées qu'auparavant mais aussi des tensions sociales préoccupantes. L'expérience exilique, à désigner comme exiliance, déploie une potentialité heuristique unique face à ces nouvelles réalités et catégories migratoires extrêmement variées qu'il importe cependant de penser ensemble. Penser l'exil, travailler sur ses diverses manifestations en tant qu'expérience, c'est-à-dire dans une dimension à la fois individuelle et collective, recentre sur le réel les approches de la migration qui, à coup de statistiques et d'analyses économiques, effacent le sujet migrant ou le neutralisent dans ses potentialités d'acteur politique. Avancer un trait existentiel commun entre les diverses catégories exiliques équivaut à brosser un portrait de l'exilé. L'emploi du terme « portrait » cherche à déplacer la perspective habituelle et à insister sur la différence entre un migrant et un exilé : le premier correspond à une réalité faite de chiffres et de statistiques, le second renvoie à une expérience humaine. Une méthodologie du portrait trouvera ses fondements dans les pensées d'Albert Memmi, de Frantz Fanon, d'Albert Camus et de Zygmunt Bauman. Savoir ce que représente, dans les termes de Lévinas, ne pas être-chez-soi, dépasse l'enjeu épistémologique pour permettre de réfléchir à une société plus inclusive dans une perspective tant éthique que politique.
      The field of “exile studies” is non-existent in the French-speaking world, whereas, given the extent and nature of present-day migratory phenomena, in particular in Europe, its constitution would appear to be essential. The journeys of over 230 million recorded migrants at world level gives rise to more intensified encounters of cultures and languages than previously but also to social tensions which are a cause for concern. The experience of exile, to be referred to as exiliance, is a source of a unique heuristic potential with these new realities and extremely varied categories of migrants which it is however important to consider together. A consideration of exile, working on its various manifestations as an experience, that is in a dimension which is both individual and collective, means refocusing approaches to migration on the real world; the effect of statistics and economic analyses tends to erase the subject/migrant or to reduce the subject/migrant to its potential of political actor. To suggest that there is an existential feature shared by the various categories of exiles amounts to painting a portrait of the exile. The use of the word “portrait” is an endeavour to shift the usual perspective and to insist on the difference between a migrant and an exile. A migrant corresponds to a reality made up of figures and statistics, the second refers to a human experience. A portrait methodology would have its roots in the thoughts of Albert Memmi, Frantz Fanon, Albert Camus and Zygmunt Bauman. Understanding what Lévinas means by not “being-at-home” (ne pas être-chez-soi) goes beyond the epistemological issue to enable consideration of a more inclusive society in both an ethical and political perspective.
  • RESUME / ABSTRACTS

    - p. 269
  • AUTEURS

    - p. 279