Contenu du sommaire : Paroles en actes

Revue Cahiers d'anthropologie sociale Mir@bel
Numéro No 5, 2009
Titre du numéro Paroles en actes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Paroles en actes. Dirigé par Carlo Severi et Julien Bonhomme

    • Introduction. Anthropologie et pragmatique - Severi C., Bonhomme J. p. 9-10 accès libre
    • La parole prêtée. Comment parlent les images - Severi C. p. 11-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Chacun de nous a l'expérience d'une parole adressée à des objets inanimés, auxquels nous attribuons, presque sans le vouloir, une personnalité humaine. Alfred Gell a fait de ce phénomène quotidien la base de sa théorie de l'attribution de subjectivité aux artefacts. L'anthropomorphisme ne se limite cependant pas toujours à une telle forme superficielle. Au sein de l'action rituelle, où se construit un univers de vérité distinct de celui de la vie quotidienne, la pensée anthropomorphique peut engendrer des croyances durables. On passe alors de la parole adressée à la parole prêtée aux artefacts. Dans cette perspective, l'article analyse la parole attribuée aux statues funéraires dans la Grèce ancienne. Plutôt que de s'en tenir aux seuls enjeux formels, l'article propose de saisir le statut de la représentation iconique à travers l'analyse de son contexte d'usage. Il identifie ainsi les transformations de l'acte verbal – ses prémisses comme ses effets – lorsque celui-ci est attribué à un artefact.
      It is a general human fact that we tend to attribute, in many social contexts, a status of living beings to inanimate objects. As Alfred Gell has shown, the analysis of this fact can provide for radically new perspectives in the field of the anthropology of art. This article deals with this attribution of subjectivity as it appears within a ritual context. Exploring the role played by the utterance of words, as it was virtually attributed to kouroi and korai in ancient Greek funerary rituals, this paper raises two questions : How aesthetic values relate to the ritual uses of an image ? How the virtual attribution of the faculty of speaking to an inanimate object can acquire an influence on the form and effects of a verbal act ? Finally, the article suggests that the answers offered to these questions could lead to a new way, inspired by pragmatics, to understand both ritual action and artifacts.
    • L'anthropologie a-t-elle besoin de sa propre pragmatique ? - Rumsey A., Berthomé F. (Trad.) p. 43-62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour rendre compte de manière adéquate du rôle du langage dans la vie sociale, l'anthropologie a besoin d'une pragmatique qui permette de décrire de façon systématique et rigoureuse les espaces d'interaction parmi les locuteurs en présence, c'est-à-dire d'analyser les actions qui se déploient dans ces espaces et de montrer comment ces contextes d'interaction sont à leur tour reproduits et transformés. L'anthropologie linguistique a élaboré une telle pragmatique, en s'inspirant entre autres du concept d'« indexicalité » développé par C.S. Peirce. L'article s'appuie sur des exemples tirés du discours oratoire et de la conversation ordinaire dans les hautes terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée, et les compare aux usages rituels du langage dans d'autres sociétés. Il montre alors comment une telle conception de la pragmatique permet de rendre compte de certains aspects de l'usage du langage qui restent habituellement hors de portée des analyses pragmatiques des linguistes et des philosophes, qui mettent l'accent sur les dimensions propositionnelles et intentionnelles de la communication.
      For an anthropologically adequate account of the role of language in human social life, we need a pragmatics which allows us to map the spaces of interaction among speech-act participants in a systematic and rigorous way, grounding the analysis of action within those spaces, and in turn revealing how the grounds for action are themselves reproduced and transformed. A pragmatics of this kind has been developing within linguistic anthropology, based in part on C. S. Peirce's understanding of indexicality and its relation to other sign modalities. Drawing on examples from oratorical speech and everyday conversation with children in Highland New Guinea, and comparing them with ritual uses of language elsewhere, I show how such a pragmatics can account for aspects of language use which are beyond the scope of the more propositionally and intentionally based varieties of pragmatics that have been developed by linguists and philosophers.
    • Les savoirs et leurs modes de transmission dans le chamanisme sharanahua - Déléage P. p. 63-85 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est de présenter les logiques de transmission de savoir qui rendent possible le rituel thérapeutique des chamanes sharanahua (Amazonie occidentale). Ce rituel ne met en présence que deux participants : le chamane et le malade. Chacun d'eux entretient un savoir qui lui est propre sur les entités surnaturelles, sur leur rapport à la maladie et sur la nature des relations et des interactions qui les unissent au chamane. Notre hypothèse est que la différence entre ces deux savoirs ne peut être comprise qu'à partir de la prise en compte de l'hétérogénéité de leur mode de transmission. Le malade, comme d'ailleurs le chamane avant son initiation, acquiert ses représentations de l'action rituelle thérapeutique dans le cadre d'une transmission ordinaire de savoir ; le chamane quant à lui n'a accès à son savoir ésotérique que dans le cadre d'une transmission rituelle. Nous souhaitons présenter ici un modèle descriptif de la différence entre transmission ordinaire et transmission rituelle du savoir.
      This paper describes the logics of the transmission of knowledge allowing the performance of Sharanahua therapeutic rituals. These rituals involve two participants : the shaman and his patient. Both possess a distinct and specific knowledge about supernatural entities, their relation to disease and the nature of their relations with the shaman. We show that the difference between these two kinds of knowledge can only be understood if one takes into account their heterogeneous modes of transmission. The patient acquires a representation of the therapeutic action thanks to an ordinary transmission of knowledge, while the shaman acquires an esoteric knowledge in the context of a ritual transmission.
    • Comment établir un terrain d'entente dans un rituel ? - Hanks W.F., Bonhomme J. (Trad.) p. 87-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article analyse l'articulation entre savoir partagé et coopération dans une séquence interactionnelle au cours d'une séance divinatoire maya au Yucatan (Mexique) : un homme, accompagné de sa femme, s'adresse à un chamane pour qu'il fasse le diagnostic de sa maladie. Le chamane établit ce diagnostic à l'aide de cristaux divinatoires devant son autel. Il y a une forte asymétrie entre ce que le chamane et le patient savent et perçoivent respectivement. Le chamane utilise ce hiatus pour inciter le patient à s'impliquer dans un processus divinatoire qu'il ne peut pourtant ni comprendre ni vérifier par lui-même. L'implication réciproque commence ainsi là où le savoir partagé s'arrête. Alors qu'on présume généralement qu'un terrain d'entente préalable est une condition de félicité de l'interaction, l'article montre que dans certains types de discours, des hiatus dans l'espace partagé peuvent s'avérer productifs : ils constituent une ressource essentielle pour induire l'implication des protagonistes bien au-delà de leurs savoirs effectifs.
      This paper examines the interplay between shared knowledge and joint commitments in a single episode of interaction during a divinatory session in Yucatec Maya : an adult man, accompanied by his wife, has come to a shaman requesting a diagnosis of his illness. The diagnosis takes place at the shaman's altar and with the aid of divining crystals. There are critical gaps between the shaman and the patient in terms of what they know and can perceive. The shaman uses these gaps to induce the patient to commit himself to the validity of a process he can neither understand nor verify. Joint commitment ultimately takes over where shared knowledge leaves off. Thus while it is usually assumed that common ground is a requisite to successful interaction, the paper shows that in some kinds of talk, gaps in common ground are productive : they are a critical resource for inducing commitments far beyond what interactants can know.
    • Alerte aux voleurs de sexe ! Anthropologie pragmatique d'une rumeur africaine - Bonhomme J. p. 115-138 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article est consacré au « vol de sexe », une rumeur de sorcellerie qui a touché à plusieurs reprises une vingtaine de pays d'Afrique subsaharienne depuis les années 1970. Il montre que la rumeur est moins une anecdote prêtant à rire qu'une affaire exemplaire permettant de comprendre l'Afrique urbaine contemporaine, les formes de sociabilité et les modes de communication qu'elle suppose. L'article met en valeur ce qui en fait une histoire particulièrement « bonne à penser » et « bonne à raconter » et peut ainsi expliquer sa diffusion géographique à une si vaste échelle et sa récurrence sur plusieurs décennies. En jouant sur des sauts d'échelle, l'analyse articule vue d'ensemble et vue de détail afin de rendre compte tant de la propagation internationale de la rumeur que des conditions singulières des accusations au niveau local. En étant attentif aux détails des situations, de ce que les gens font et disent, l'article s'attache ainsi à dégager de l'intérieur les enjeux autour desquels se focalisent les rumeurs de vol de sexe.
      The article deals with « penis snatching », a witchcraft rumor which has been widely circulating among more than twenty African countries since the early 1970s. The paper shows that the rumor is not a laughable tale, but rather an exemplary affair which allows us to grasp the forms of sociability and modes of communication prevalent in contemporary urban Africa. The article emphasizes the reason why the rumor is « good to think » and « good to tell », a feature that can explain its large-scale distribution in space and time. Focusing alternately on local and global scales, it accounts both for the transnational propagation of the rumor and for the specific circumstances of local accusations. The article concentrates on the minute details of situations, on what people do and say, in order to bring out the issues at stake concerning penis-snatching rumors.
    • Démêler, raccommoder. Analyse interactionnelle de quelques dispositifs de conciliation - Berthomé F. p. 139-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article compare trois procédures ritualisées couramment dites de « résolution des disputes » du point de vue des contextes d'interaction qu'elles établissent. Il dégage les propriétés récurrentes de ces dispositifs, en insistant notamment sur la réflexivité : dans ce genre de contexte, les interactions empiriques entre les participants ont pour objet l'explicitation et la redéfinition des relations entre les participants plutôt que le règlement d'un différend substantiel prédéfini (malentendu juridique) ou la libération d'affects réprimés (malentendu psychologique). Cette hypothèse permet de préciser l'enjeu de ce type de réunions (la gestion de problèmes de coordination au sein de petits groupes d'interconnaissance), d'éclairer d'une même lumière leurs propriétés récurrentes (publicité, abondance d'énoncés méta-communicatifs, recours aux monologues alternés, registre métaphorique des nœuds et du démêlement, etc.) et enfin de comprendre les différences d'un rituel à l'autre comme des variations en fonction de paramètres formels identiques.
      This article offers to compare three so-called « dispute settlement » ritualized procedures by focusing on the context of interaction they set up. Such a contextual analysis uncovers a number of formal properties shared by these conciliation devices, starting with reflexivity. The empirical interactions take as an object the relationships between the participants, aiming at clarifying and redefining these relationships, rather than settling a pre-defined substantial disagreement (legal misunderstanding) or releasing repressed feelings (psychological misunderstanding). This hypothesis accounts for what is specifically at stake in this kind of meeting (managing coordination problems in groups based on mutual acquaintance), sheds some light on some collateral properties (publicity, meta-communication, use of alternate monologues, metaphors of knots and disentangling, and so on) and shows differences between cases to be variations contingent on the same formal parameters.
    • L'inquiétude sur ce qui est. Pratique, confirmation et critique comme modalités du traitement social de l'incertitude - Boltanski L. p. 163-179 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article présente les principaux concepts de la sociologie pragmatique à partir d'une réflexion sur l'incertitude inhérente à la vie sociale et d'une opposition entre moments pratiques et moments réflexifs. Les moments pratiques désignent les situations où les acteurs sont immergés dans l'action collective et agissent comme si tout allait de soi en fermant les yeux sur les éventuels écarts de conduite. Par contraste, les moments réflexifs (ou méta-pragmatiques) correspondent aux situations où ce que les acteurs sont en train de faire ne va plus de soi, ce qui ouvre un espace d'incertitude. Ces moments réflexifs peuvent alors déboucher sur deux types d'opération : la confirmation (qui vise à apaiser l'inquiétude en confirmant ce qui est) ou bien la critique (qui vise à mettre en doute les évidences communes en les mettant à l'épreuve de la réalité). Par exemple, une cérémonie met en scène une opération de confirmation, alors qu'un scandale constitue une opération critique.
      Starting with a reflection on the uncertainty inherent to social life, the article sets out the main concepts of pragmatic sociology. It draws an opposition between practical and reflexive situations. Practical situations designate situations in which protagonists are fully involved in what they are collectively doing : they act as if everything were taken for granted, and they agree not to disagree. On the opposite, reflexive (or meta-pragmatics) situations correspond to occasions when protagonists could not rely on shared beliefs anymore. Reflexive situations therefore open a space of uncertainty and can lead to two distinct kinds of operation : confirmation (which aims at curbing uncertainty and confirming what is) or critique (which aims at undermining common truths by putting them to the test of reality). For instance, a ceremony is an operation of confirmation, while a scandal offers a good example of what critique is.