Contenu du sommaire : L'intelligence des corps

Dès lors qu'on accepte qu'il n'y a pas de différence entre le corps et l'esprit, qu'il n'y a pas de pensée sans corps ni de corps sans pensée, une réflexion devient possible sur l'intelligence des corps. Le programme génétique du corps laisse une liberté aux détails de sa construction. En effet, le corps et son système nerveux central se modulent l'un l'autre dans une interaction continue avec le monde. Ce processus vital d'adaptation parachève chaque être humain dans sa singularité.

En examinant la création artistique, principalement la sculpture et la peinture, les auteurs dégagent un continuum de conduites sublimatoires basé sur la genèse du psychisme, psychisme qui se développe à partir du corps pulsionnel. Si l'excitation corporelle attise le passage à l'acte dans l'anti-sublimation de certaines œuvres dominées par les pulsions prégénitales, plusieurs niveaux de sublimation, de plus en plus symboliques et élaborés mentalement, peuvent être repérés sur ce continuum. On voit donc à travers celui-ci comment le corps pulsionnel, mis en représentation, intervient sur la scène mentale des sublimations participant ainsi à l'intelligence du corps.

Le potentiel expressif du corps, en jeu dans la communication, dans les relations, dans certaines disciplines artistiques et dans les phénomènes de conversion hystérique, lui confère une certaine « intelligence ». Mais de nombreux auteurs ont tendance à étendre sans limite cette notion d'intelligence du corps, et à assimiler les maladies organiques à un langage corporel symbolique. Cette « hystérisation » abusive du corporel, qui ne tient pas compte des développements de la pensée psychosomatique, semble en partie tributaire de l'histoire de la psychanalyse et des représentations sociales actuelles.

A partir de l'analyse de textes de Heinrich Von Kleist et de Louis Jouvet, l'auteur s'attache à montrer comment il existe chez l'acteur une activité psychique qui ne relève pas seulement des représentations de choses et de mots mais qui prendrait appui sur l'activité du sentir, impliquant une intelligence du corps.

Dans cet article, l'auteur montre comment la rupture épistémologique qui consiste à dépasser le cadre de la pensée dualiste pour adopter celui de la pensée dynamique et auto-organisationnelle permet de modéliser le pouvoir fondateur du corps-en-mouvement pour le processus du devenir sujet ; pouvoir que la clinique ne cessait pourtant de pointer depuis longtemps.Il rapporte deux expériences cliniques, l'une tirée de la vie mormale, l'autre de la vie pathologique, pour illustrer son propos.

On présente souvent le corps comme théâtre des maux du psychisme : Joyce Mac Dougall (1989) utilise, notamment, l'expression « le corps comme jouet de l'esprit ». L'auteur du présent article tentera, au décours de sa clinique auprès de patients tétraplégiques, de considérer comment, parfois, l'esprit devient « le jouet du corps ». Il apparaîtra que la sidération engendrée par l'événement traumatique se complexifie par l'immobilisme soudain du corps réel. C'est à travers les concepts d'» image du corps » et d'» entre-deux » que l'auteur pensera la possibilité d'accompagner le sujet vers une re-mobilisation psychique et un repositionnement subjectif ; une vie psychique qui peut reprendre toute son ampleur à travers l'optimalisation des capacités de création et de symbolisation du sujet.

Les auteurs s'intéressent à la manière dont un deuil traumatique peut venir marquer, affecter le psychosoma de l'individu. L'expression somatique est-elle toujours révélatrice d'un impossible travail de deuil, d'une impensable élaboration de la perte ? Deux cas cliniques vont ici permettre d'illustrer et de discuter l'hypothèse selon laquelle l'expression somatique chez le sujet endeuillé actualise la figure de l'objet perdu et vient pré-figurer en quelque sorte l'advenue du travail psychique du deuil.

La demande de réassignation de genre de sujets dits transsexuels implique les psys dans le circuit de la candidature à la modification médicochirurgicale des corps, de l'hormonothérapie et de la castration. Ceci donne l'occasion de repenser la notion d'identité sexuelle comme un fait psychique bien plus qu'un donné naturel et de réévaluer la part du discours du sujet sur son corps. La critique virulente adressée au discours psychanalytique par la militance transsexuelle et féministe oblige à concevoir autrement les concepts freudiens de la différence des sexes au-delà de l'angoisse de notre castration. Les développements récents concernant la psychose ordinaire offrent des outils permettant de rafraîchir l'écoute et l'accompagnement d'un certain nombre de ces sujets d'un nouveau genre.

Cet article aborde la question du corps sous l'emprise du traumatisme dans la clinique des survivants du génocide des Tutsis au Rwanda. Il est divisé en quatre parties. On part d'une situation clinique pour interroger la place du corps et les rapports corps-psyché chez une survivante qui a subi des violences sexuelles pendant le génocide. La seconde situe cette problématique du corps dans le contexte de l'après-génocide au Rwanda et des « crises traumatiques » d'allure collective qui accompagnent les commémorations annuelles du génocide. Dans la troisième, on présente les appellations créées au Rwanda pour dénommer ces crises traumatiques comme une façon singulière d'y reconnaître ce qui s'y joue. La dernière partie propose quelques pistes d'analyse de la place et du sens du corps dans ce contexte clinique et social spécifique.

Dans des contextes de conflit, de guerre, de catastrophe, et plus généralement de toutes situations traumatisantes, les conditions à l'existence sont malmenées, le psychisme et le corporel ébranlés. Dans ces temps générateurs d'angoisse, d'effroi, de ruptures des liens, l'individu en revient nécessairement à des processus de défenses archaïques. A partir d'une expérience singulière dans les territoires palestiniens et d'une vignette clinique d'un enfant mauritanien rencontré à l'hôpital universitaire de Dakar, nous questionnerons l'impact des bruits dans ses aspects les plus déstabilisateurs. Nous analyserons les effets du traumatisme sur les enveloppes psychiques et sensorielles, les manières d'y résister. Nous terminerons en abordant les ressources de l'individu pour traiter les traces laissées par l'expérience effractante, les possibilités de créer ou re-créer du lien autour du traumatisme, notamment à travers un travail de mémoire et de création à soi comme maillage transitionnel.