Contenu du sommaire : Les Figures de la coordination (1)
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | Vol. 65, no 2, 2015 |
Titre du numéro | Les Figures de la coordination (1) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Études réunies et présentées par Patrice Duran et Emmanuel Lazega
- Introduction : Action collective : pour une combinatoire des mécanismes de coordination - Patrice Duran, Emmanuel Lazega p. 291-304
- Les organisations et leurs marchés du travail : Une comparaison du monde musical et universitaire - Pierre François, Christine Musselin p. 305-332 En s'appuyant sur une comparaison des secteurs musical et universitaire, l'article revient sur une question classique de sociologie des organisations, celle des liens qui s'établissent entre une organisation et son environnement, en s'intéressant plus particulièrement au marché du travail sur lequel elle intervient. L'article met au jour trois modalités d'articulation des organisations et de leurs marchés du travail : les organisations éphémères adossées à des marchés pour des contrats de travail ponctuels ; les quasi-firmes appuyées sur des marchés du travail pour des emplois éphémères mais reconductibles ; les organisations permanentes articulées aux marchés du travail des emplois à durée indéterminée. Il montre que les liens de détermination qui s'établissent entre l'organisation et son environnement dépendent avant tout de la nature du travail qu'abrite l'organisation.
Building on a comparison of the academic and musical worlds, this paper explores a classical issue in the sociology of organizations, i.e. the relationships between an organization and its environment, by focusing on the labor markets on which organizations intervene. It reveals three different types of articulation between organizations and their labor markets: a first one where ephemeral organizations are linked to labor markets of spot contracts; a second one where quasi-firms rely on labor markets of time-limited but renewable contracts, and a third one where permanent organizations build a labor market of tenured positions. The authors conclude that the links that develop between an organization and its environment first of all depend on the very nature of the type work achieved within this organization. - La dynamique des dispositifs d'action collective entre firmes : Le cas des méta-organisations dans le secteur pétrolier - Héloïse Berkowitz, Hervé Dumez p. 333-356 L'article étudie l'action collective des entreprises sous l'angle des dispositifs. Pour analyser ces derniers, il utilise les concepts de méta-organisation et d'organisation partielle mis en avant par Ahrne et Brunsson (2008 ; 2010). S'appuyant sur le cas d'un secteur, celui du pétrole, il montre que contrairement à ce qui avait été anticipé en raison de la globalisation et de l'affaiblissement des États et de la négociation collective, ces dispositifs continuent à être utilisés à grande échelle par les entreprises, notamment pour traiter les questions de responsabilité sociale et de développement durable en relation avec les différentes parties-prenantes. En effet, sur le plan stratégique, ces dispositifs d'action collective permettent de gérer les effets de réputation des entreprises, les signaux faibles venant de l'environnement et le désamorçage des conflits avec les parties prenantes. Sur le plan institutionnel, l'invention de nouvelles formes de dispositifs depuis les années 1960 – les méta-organisations corporatives thématiques et multi-parties-prenantes – s'est faite dans une dynamique de complémentarité, les dispositifs s'appuyant les uns sur les autres et se complétant pour permettre aux entreprises une large gamme de stratégies collectives.
Our paper studies collective action between firms from the perspective of devices. To do so, we use the concepts of meta-organizations and partial organizations that were developed by Ahrne and Brunsson (2008, 2010). We conduct a case study of the oil and gas sector and show that while literature has expected these devices to retreat due to globalization and weakening of States and collective negotiations, they actually remain a powerful mean of collective action between firms. Notably, firms widely use these devices to deal with CSR and sustainable development issues, in relation with all the different stakeholders. From a strategic standpoint, these collective action devices allow firms to manage reputational effects and weak signals coming from the environment, as well as to neutralize conflicts with stakeholders. From the institutional standpoint, the invention of new organizational forms since the 1960s – business thematic and multi-stakeholder meta-organizations – occurred in a dynamics of institutional complementarity. Indeed, these devices rely on one another and complete each other, therefore allowing firms to develop a broad range of collective strategies. - De l'espace hybride au monde social : la coordination dans le marché en abyme des transactions d'entreprise - Valérie Boussard p. 357-390 Cet article se propose de comprendre les mécanismes de coordination à l'intérieur d'un marché particulier, celui des intermédiaires en transaction d'entreprise. L'activité de ces derniers se joue dans un espace hybride, constitué de plusieurs professions, organisations, marchés et réglementations. Pour saisir la façon dont ces acteurs multiples et divers peuvent produire le marché des transactions d'entreprise, et sa croissance, l'article analyse ces intermédiaires comme un monde social, au sens proposé par Howard Becker, à la croisée d'équipements matériels communs et de liens interpersonnels. Dans cette perspective, le marché des transactions se donne à voir comme autant de marchés secondaires enchâssés et reliés les uns aux autres par un effet de mise en abyme générateur de coordination.
This article aims at understanding the mechanisms of coordination inside a particular market, that of the intermediaries in companies' deals, whose activity takes place in a field made up of several occupations, organizations, markets and regulations. To seize the way these multiple and diversified actors can produce the market of companies' deals, and its growth, the article analyses these intermediaries as a social world, in the sense proposed by Howard Becker, at the crossroad of common material equipments and interpersonal links. In this perspective, the market of the companies' deals shows as a set of many entwined secondary markets coordinated by a mise en abyme effect. - Mobilités, turnover relationnel et coûts de synchronisation : Comprendre l'action collective par ses infrastructures relationnelles dynamiques et multi-niveaux - Emmanuel Lazega p. 391-424 Au cours des deux dernières décennies, la sociologie néo-structurale a développé une théorie de l'action collective basée sur l'observation et la modélisation des infrastructures relationnelles et des processus sociaux génériques (solidarités et exclusions, apprentissages et socialisations, régulation et institutionnalisation, contrôle social et résolution de conflits) qui aident les membres des collectifs organisés à gérer les dilemmes de leur action commune. Cette approche a laissé ouverte la question des déterminants macrosociaux de ces formes de coordination et de discipline sociale que les membres considèrent comme légitimes. Dans cet article nous abordons la question de ces déterminants en théorisant les mécanismes de co-constitution des niveaux macro et méso. Nous proposons ici de partir des phénomènes de mobilité et de turnover relationnel comme analyseurs de l'articulation ou de la co-évolution entre stratification et organisation, entre positions et processus, pour aboutir à une approche sociologique des coûts sociaux associés à chaque forme d'action collective. Nous appelons ces coûts sociaux, pour rester cohérents avec ce point de départ marqué par la temporalité, des « coûts de synchronisation » entre dynamiques propres aux niveaux d'action collective superposés qui se co-constituent en co-évoluant. Cette approche est associée de près aux récents travaux sur l'analyse dynamique des réseaux multi-niveaux, i.e. des systèmes articulant des niveaux d'action collective distincts et superposés, qui permettent d'envisager des mesures de ces coûts de synchronisation et les inégalités de leur distribution, notamment en identifiant et en reconnaissant l'importance des formes sociales de niveaux intermédiaires, entre réseaux interpersonnels et réseaux inter-organisationnels, qui sont transformées en organisations formelles par les acteurs sociaux en quête de pouvoir et d'« outils ayant une vie propre » (Selznick). Cette exploration aboutit à des suggestions concernant l'émergence de nouvelles formes de coordination dans divers domaines d'action collective (entreprises, associations, administrations publiques, marchés, industries).
During the last two decades, neo-structural sociology has developed a theory of collective action based on observation and modeling of generic social processes (solidarities and exclusions, collective learning and socialization, regulation and institutionalization, social control and conflict resolution) and relational infrastructures that help members in managing the dilemmas of their collective action. This approach has neglected the macrosocial determinants of such forms of coordination and social discipline that members consider legitimate. In this paper, we frame this issue by theorizing the co-constitution of meso and macro levels. To do this, we start with mobility and relational turnover as analyzers of the articulation of stratification and organization and suggest that a sociological approach should build on the observation of these phenomena to measure social costs of synchronization between the dynamics and coevolution of both superposed levels of agency. This approach is closely related to recent work on dynamics of multilevel networks that suggest the possibility of measuring these social costs of synchronization, and inequalities that come attached. This can be done by identifying and recognizing the importance of social forms at intermediary levels of action, between interpersonal and inter-organizational networks, that are transformed into formal organizations by actors seeking power and « tools with a life of their own » (Selznick). We end by suggesting how such an approach could help understand the emergence of new forms of coordination in various domains of organized collective action (companies, non profit organizations, public administration, markets). - Salons et définition de normes marchandes : Le cas de la distribution de programmes de télévision en Afrique sub-saharienne - Guillaume Favre, Julien Brailly p. 425-456 En dépit du développement des nouvelles technologies de communication, de places de marché sur internet et de la dématérialisation des flux monétaires, les acteurs des marchés internationaux se rencontrent toujours dans des espaces concrets et temporaires tels que des salons de professionnels ou des foires commerciales. Alors que nombre d'études insistent sur le rôle de ces évènements pour la conclusion de partenariats internationaux entre entreprises, nous montrons dans cet article qu'ils constituent surtout des lieux importants pour l'organisation des marchés. À travers l'étude d'un salon en Afrique sub-saharienne où se rencontrent acheteurs et vendeurs de programmes de télévision, nous cherchons à comprendre comment il entraîne la formation d'un milieu social et participe à changer les règles de la distribution de programmes en Afrique. À partir de l'analyse du réseau social qui se forme entre ces participants, nous montrons comment ces différents acteurs forment des groupes autour de logiques nationales mais aussi autour d'enjeux communs. Plus qu'un ensemble de rencontres entre acheteurs et vendeurs, l'analyse de réseaux révèle un marché segmenté en plusieurs groupes aux enjeux divergents qui proposent différentes « visions » de régulation de ce marché. Nous décrivons chacun de ces groupes en précisant leurs intérêts et positions dans la structure relationnelle et montrons que les acteurs dominants sont à même d'influencer l'évolution de ce marché en contrôlant les conférences du salon1.
Despite of the development of communication technologies and dematerialization of cash flows, companies still need concrete meeting places such as trade fairs. We show in this paper that trade fairs are more than tools to initiate international partnerships between firms, they are places for the organization of markets. Through the study of a fair in sub-Saharan Africa where buyers and sellers of television programs can meet, we seek to understand how this event leads to the emergence of a social milieu and participates in changing the rules for the TV programs distribution industry in Africa. Through a social network analysis of information exchanges between the fairs' participants, we show how these actors group with each other following national logics but also common stakes. More than a set of contact between buyers and sellers, the network analysis reveals a segmented market into groups with divergent stakes and different ‘visions' of how this market should be ruled. We describe each of these groups stating their interests and positions in the relational structure and show that the dominant actors are able to influence the evolution of this market by controlling the trade fair's conferences. - La gouvernance territoriale : une affaire d'État La dimension verticale de la construction de l'action collective dans les territoires - Renaud Epstein p. 457-482 Forgée dans les années 1990, la notion de gouvernance urbaine a permis de rendre compte de la transformation des enjeux et des modes de conduite des politiques urbaines dans un contexte de pluralisation des systèmes d'acteurs et de fragmentation des ressources. En y recourant, les politistes et sociologues ont insisté sur l'importance des relations horizontales entre les multiples acteurs, groupes sociaux et institutions intervenant dans les politiques urbaines, à rebours de leurs prédécesseurs qui se concentraient sur les relations verticales entre l'État et les villes. Ce changement d'axe analytique, de la coordination verticale à la coopération horizontale, a probablement été excessif, occultant le maintien d'une forme de centralité étatique et le rôle spécifique qu'a pu continuer à jouer l'État dans la fa- brique des politiques territoriales après les lois de décentralisation. Il parait donc nécessaire de réintroduire l'État dans le chantier de recherche de la gouvernance urbaine, d'autant plus que les réformes néomanagériales des années 2000 ont profondément recomposé l'organisation et l'instrumentation étatique. En même temps qu'elles parachevaient l'autonomisation des villes vis-à-vis de l'État local, ces réformes ont doté le pouvoir central de nouveaux instruments d'intervention territoriale (appels à projets, indicateurs de performance, trophées et labels) qui lui permettent de piloter à distance l'action collective développée dans les villes.
The urban governance approach has proved quite fruitful to contribute to the understanding of the transformation of French cities and urban policies in a context of decentralization. In opposition to their predecessors, who focused on vertical relations between the State and local authorities, political scientists and sociologists working on urban governance in the 1990s have emphasized the importance of horizontal coordination between various actors, social groups, and institutions. In doing so, they have tended to overlook the specific role and resources of the State. In this paper, we propose to bring the State back in the scope of urban governance analysis, in order to reconsider the vertical dimension of horizontal coordination processes. Indeed, the central government has delegated to local authorities responsibility for implementing numerous national programs and achieving coherence between the latters. But this devolution doesn't mean further hollowing of the State in urban governance. Quite the reverses, it allows the State to steer at arm's length collective action in the cities through new tools of government such as competitive bidding, performance indicators, and the encouragement of “best practices”. - Gouvernance et sociologie de l'action organisée. Action publique, coordination et théorie de l'État - Gilles Pinson p. 483-516 Cet article défend l'idée d'une forte filiation entre les travaux de sociologie de l'action organisée et les travaux sur la gouvernance. Ces deux approches qui ont largement marqué l'analyse des politiques publiques, notamment en France, ont en commun d'avoir fait des formes de l'action collective, et tout particulièrement des formes de la coordination, non seulement un enjeu d'analyse sociologique mais aussi une dimension du politique. Toutefois, ces deux approches divergent sur un aspect essentiel. En effet, les travaux sur la gouvernance diffèrent des travaux de sociologie de l'action organisée en ce qu'ils esquissent, même si c'est souvent de manière hésitante et incomplète, une théorie historique de l'État et une théorie des transformations des formes de la coordination, construction théorique à laquelle s'est toujours refusée la tradition française de sociologie des organisations. Cet article est donc aussi l'occasion d'avancer des propositions sur cette théorie implicite de l'État et de ses transformations que les chercheurs œuvrant au chantier de la gouvernance rechignent parfois à assumer. Cette théorie, que nous qualifions de « néo- pluraliste » et « pragmatique », donne à voir un État débordé et dé-différencié, mais qui n'en est pas faible pour autant.
This article defends the idea of a strong filiation between two research traditions: the sociology of the organizations and governance studies. Both traditions have deeply influenced the analysis of public policy, in particular in France. They share a common concern for the forms that takes collective action, and more specifically for the forms of coordination, considering that they are not only an issue for sociological analysis but are also a dimension of the political. Yet, these two traditions diverge on a crucial point. In fact, governance studies are distinct from the tradition of the sociology of organizations in that they provide, even if in a fuzzy and hesitating way, an implicit historical theory of the State and a theory of the transformations of the forms of coordination in policymaking, which is something the sociology of organizations has always refused to do. Thus, this article is also the occasion to formulate some propositions about that implicit theory of the State contained in the governance approach. This theory, that we call “neopluralist” and “pragmatic”, depicts a State that tends to be “bypassed” and “de-differentiated” but that is nevertheless far from being weak.
Analyses bibliographiques générales
- Leonardo Parri. – Explanation in the Social Sciences. A Theoretical and Empirical Introduction, Soveria Mannelli, Rubbettino Editore, 2014. 254 p. - Karl-Dieter Opp
- Robert Leroux. – Aux fondements de l'industrialisme – Comte, Dunoyer et la pensée libérale en France, Paris, Hermann, coll. « Société et pensées », 2015, 168 p. - Bernard Valade
- Max Weber Briefe 1903 – 1905. – Herausgegeben von Gangolf Hübinger und M. Rainer Lepsius in Zusammenarbeit mit Thomas Gerhards und Sybille Oßwald-Bargende, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 2015, XXIV, 750 p. = MWG II/4. - Hinnerk Bruhns
- Le Max Weber Handbuch : quelques éléments d'appréciation sur une entreprise collective inédite. - François Chazel