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Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 253, octobre-décembre 2015 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Fragilités psychiatriques et crise politique
- Vers un désenclavement de l'histoire de la psychiatrie - Isabelle von Bueltzingsloewen p. 3-11
- Éliminer ou récupérer ? L'armée française face aux fous du début du XXe siècle à la Grande Guerre - Marie Derrien p. 13-29 Entre 1914 et 1918, l'armée française a mobilisé plus de huit millions d'hommes. Persuadée que la question des effectifs était cruciale, elle s'est efforcée d'incorporer le plus de combattants possible, rendant les conseils de révision moins sélectifs, récupérant des individus exemptés ou réformés, et renvoyant des soldats au front après une blessure ou une maladie. Elle s'est alors trouvée confrontée à un problème auquel elle s'était peu préparée, mais qui avait pris de l'ampleur avec l'universalisation du service militaire au début du XXe siècle : que faire des hommes atteints de troubles mentaux ? Fallait-il les éliminer des rangs ? Cet article présente les différentes réponses apportées à ces questions par l'armée et les psychiatres depuis le début du XXe siècle et, en particulier, au cours de la guerre.Between 1914 and 1918, the French army mobilised more than eight million men. Persuaded that the number of soldiers was decisive, the army attempted to incorporate as many combatants as possible. Hence it made review committees less selective, bringing back in individuals who had been exempt from service or discharged, and sending soldiers back to the front lines after they had been wounded or ill. The army was then faced with a problem that it was ill prepared to handle, but which grew in magnitude when military service became universal in the early 20th century: what should be done with the men who were mentally ill? Should they be eliminated from the ranks? This article presents the various answers given to these questions by the army and by psychiatrists from the early 20th century and, in particular, during the First World War.
- « Le Mur lui est monté à la tête ». Construction du mur de Berlin et basculement dans la maladie (Berlin-Est, 1961-1968) - Fanny Le Bonhomme p. 31-47 Si plusieurs auteurs évoquent l'expression « maladie du Mur » (Mauerkrankheit) afin de désigner les réactions pathologiques survenues à la suite de la construction du mur de Berlin, aucune étude ne s'est encore penchée sur ses manifestations concrètes, ainsi que sur l'interprétation qui a pu en être faite par le savoir psychiatrique. C'est cette lacune que le présent article se propose de combler, en s'appuyant principalement sur l'analyse de dossiers psychiatriques et psychothérapeutiques de l'époque. Contenant les traces des expériences des patients, ces sources permettent d'interroger les modalités selon lesquelles le Mur est « entré dans les têtes », faisant basculer certains individus dans la sphère de la dépression, de l'angoisse ou de la folie. Dès les années 1960, le Mur se fait source de tristesse, de désarroi ou de peur, au point de donner naissance à l'expression de « maladie du Mur » qui en fait un élément pathogène, contredisant totalement la propagande menée par les autorités communistes. Si, dans le cadre de l'échange avec le thérapeute, les patients peuvent évoquer un sujet aussi sensible, leurs mots restent enfermés dans une logique de « circularité diagnostique ». Paradoxalement, c'est justement parce qu'ils sont perçus comme autant de signes d'une maladie mentale que les mots de ces individus – quelle que soit la dimension politique qu'ils renferment – peuvent laisser des traces dans le dossier médical. Grâce à cette source qui, tout en réduisant le sujet à son statut de malade, laisse entendre sa voix, l'historien peut avoir accès à des expériences personnelles d'ordinaire passées sous silence.Although several authors have used the expression “Wall Sickness” (Mauerkrankheit) to designate the pathological reactions to the construction of the Berlin Wall, no study has focused yet on the actual symptoms, nor on the psychiatric interpretation that could be made of these symptoms. This article aims to fill in the missing pieces by focusing mainly on an analysis of psychiatric and psychotherapy records of the era. These sources contain traces of patients' experiences and enable us to investigate the ways in which the Wall “got into their heads”, pushing some individuals into depression, anxiety or madness. Beginning in the 1960s, the Wall became a source of sadness, confusion or fear, to such a degree that the expression “Wall Sickness” was born. Thus the wall was considered to be a pathogen, in total contradiction with propaganda from the Communist authorities. Although patients could speak of such a sensitive subject as part of their discussions with their therapists, their words were locked in a rationale of “diagnostic circularity”. Paradoxically, the words of these individuals were able to leave traces in their medical records precisely because they were considered to be signs of mental illness – regardless of their political dimension. Through these sources, which record the subject's voice while reducing him or her to the status of a mentally ill person, historians can gain access to personal experiences that were ordinarily kept silent.
Une histoire transnationale du travail social et de la formation
- Un voyage en travail social. Jean Ughetto, éducateur aux États-Unis (1950-1951) - Samuel Boussion p. 49-64 Dans l'histoire du régime des circulations internationales dans le travail social, le voyage d'étude constitue rarement un objet de recherche. C'est ce que nous proposons néanmoins dans cette réflexion, à partir de l'exemple du premier éducateur spécialisé français parti aux États-Unis, Jean Ughetto (1923-2010). Son voyage s'effectue en 1950-1951 dans le cadre d'un programme d'échanges, se présentant comme une aventure personnelle mais aussi professionnelle. Envoyé spécial des éducateurs spécialisés français, il profite de ce long séjour pour étudier le travail social à l'université, prendre le pouls des techniques en travail social dans un pays qui fait office d'étendard de la modernité et mesurer les écarts avec son pays d'origine, grâce à des observations, des conférences, des visites, des rencontres professionnelles, enfin tester sa pratique d'éducateur sous la forme d'une observation participante au cœur d'institutions socio-éducatives, à New York et dans ses alentours. En portant attention aux conditions du voyage autant qu'à ce que celui-ci produit chez Jean Ughetto, on peut mettre en évidence l'élaboration d'une pensée et d'une pratique éducatives et sociales singulières, nourries en permanence d'observations et implications multiples, qui en retour contribuent à irriguer le travail social en France.In the history of international circulations in the field of social work, the study trip is seldom a subject for research. However, we focus on such a study trip in this article about Jean Ughetto (1923-2010), the first French special education teacher to travel to the United States. Ughetto's trip took place in 1950-51 as part of an exchange programme, and was thus a personal and professional adventure. Chosen to represent French special education teachers, Ughetto used his long stay in the US to study social work at the university, to find out the latest techniques in social work in the country that stood out as the most modern, and to measure the gaps with what was happening in France thanks to observations, conferences, visits and professional encounters. Lastly, he had an opportunity to test his skills as an educator during a participant observation in socio-educational institutions in New York City and the surrounding areas. By focusing on the conditions for Jean Ughetto's trip, as well as the impact it had on him, we can cast light on how he developed his thinking and his unique approach to educational and social work. This in turn helped influence social work in France.
- La formation des travailleuses (1950-1968) : une revendication du syndicalisme mondial ? Contribution à une histoire dénationalisée de la formation des adultes - Françoise F. Laot p. 65-87 Cet article propose un nouvel éclairage sur l'histoire de la formation des adultes à partir de l'exemple précis de la formation des travailleuses. Il y étudie la manière dont les organisations syndicales internationales (OSI) s'emparent du thème et participent, à travers leurs revendications, à l'élaboration d'un discours transnational sur la formation professionnelle des jeunes filles et des femmes. Participantes en titre aux grandes conférences internationales de l'Organisation internationale du travail et de l'Unesco, elles y ont favorisé les échanges entre syndicats nationaux, représentants des États et des employeurs, et dès lors permis de faire avancer cette question qui semblait jusqu'alors peu prioritaire. La recherche menée dans plusieurs fonds d'archives a mis au jour le rôle qu'y ont joué cinq militantes, impliquées dans leurs OSI et leurs confédérations nationales respectives, ainsi que dans différents réseaux. Reprises à l'échelle nationale, leurs revendications ont contribué à ébranler les politiques françaises de formation en direction des femmes.This article aims to cast a fresh light on adult education based on the specific example of training for women workers. It studies how organisations in the international labour movement took hold of this topic and, through their demands, contributed to a transnational discourse about the professional training of women and girls. As participants in the major international conferences of the International Labour Organization and UNESCO, these organisations fostered dialogue between national labour organisations, government representatives and employers, thus making progress on this issue which had previously been considered low priority. Our research in several archive collections has shed light on the role played by five women activists, involved in their respective international and national labour movements while belonging to various networks. Their demands, put forth on a national level, helped shake up French training policies aimed at women.
- Un voyage en travail social. Jean Ughetto, éducateur aux États-Unis (1950-1951) - Samuel Boussion p. 49-64
Impérialisme et culture nationale
- Les limites d'un impérialisme culturel : le théâtre français dans l'Europe de Napoléon - Philippe Bourdin p. 89-112 Bonaparte, consul puis empereur, fait du théâtre national un des éléments de la domination française dans les territoires étrangers conquis, annexés ou associés. Les préfets ont la charge de son établissement ou de son développement. Ils mesurent le poids des héritages et des prérogatives culturelles des oligarchies, celui des traditions linguistiques et artistiques (particulièrement en Italie), et enfin les limites des traductions et des adaptations. Comme en France, ils doivent compter avec la diversité et la réactivité des publics.Bonaparte, as First Consul then as Emperor, made the national theatre one of the components of French domination in the foreign territories that he conquered, annexed or associated with the Empire. The prefects were made responsible for establishing or developing the national theatre. They measured the weight of the cultural prerogatives and legacies of oligarchies, the impact of linguistic and artistic traditions (particularly in Italy), and the limitations of translations and adaptations. As in France, they also had to account for the diversity of audiences and their reactions.
- Les limites d'un impérialisme culturel : le théâtre français dans l'Europe de Napoléon - Philippe Bourdin p. 89-112
titre vide à enlevber
- Notes de lecture - p. 113-143
- Informations et initiatives - p. 145-150