Contenu du sommaire : Sportifs au travail en Europe (XXe-XXIe siècles)
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 254, janvier-mars 2016 |
Titre du numéro | Sportifs au travail en Europe (XXe-XXIe siècles) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Dépasser l'alternative amateurs/professionnels. Programme pour une histoire sociale des sportifs au travail - Sébastien Fleuriel, Manuel Schotte p. 3-12
Conditions d'emploi des sportifs
- Portrait des boxeurs de métier en France (1905-1914) - Sylvain Ville p. 13-29 En France, le faible nombre des travaux d'histoire sociale sur les sportifs professionnels se traduit par une méconnaissance des propriétés sociales des sportifs de métier ainsi que des conditions d'exercice de leur activité. En prenant appui sur le cas des boxeurs professionnels français avant 1914, cet article décrit leur profil social ainsi que leurs conditions de pratique. Il établit ainsi que les boxeurs professionnels français sont majoritairement d'origine populaire mais qu'ils appartiennent principalement à la catégorie des ouvriers-artisans, c'est-à-dire aux couches les plus stables des classes populaires. Cette contribution montre aussi l'importance numérique et symbolique des boxeurs étrangers en France, notamment à Paris, qui conduit à une relégation des pugilistes nationaux. Enfin, l'analyse du métier de boxeur fait apparaître son caractère faiblement professionnalisé, comme en témoigne le fait qu'une large majorité des boxeurs exercent parallèlement une autre activité professionnelle. L'étude des propriétés sociales et sportives des boxeurs français révèle ainsi que ceux-ci se caractérisent par une position doublement dominée, à la fois socialement et sportivement.In France, due to the small quantity of social history research about professional athletes, the social properties and working conditions of professional athletes are not well known. By focusing on French professional boxers before 1914, this article describes their social profile as well as their working conditions. Thus, it establishes the fact that most French professional boxers had working class origins, but they belonged to the category of skilled workers/craftsmen, i.e. the most stable segments of the working class. This research also shows the importance of foreign boxers in France and especially in Paris, in both numerical and symbolic terms. This situation led to native French boxers being sidelined. Lastly, an analysis of the boxing profession reveals its low level of professionalisation, as reflected in the fact that a large majority of boxers also held another occupation at the same time. The study of the social and athletic properties of French boxers thus reveals that they were under two kinds of domination : social and athletic.
- Gagner sa vie au volant au risque de la perdre. Les pilotes automobiles européens (années 1920-1930) - Sébastien Moreau p. 31-45 Cet article traite de l'émergence du groupe professionnel des pilotes automobiles en Europe durant l'entre-deux-guerres. Cette période est celle de l'institutionnalisation et de la médiatisation jusqu'alors inédite des compétitions automobiles, sous la houlette coordonnée des Automobile-Clubs, des industriels et des journalistes européens. Dans ce contexte sont étudiées les conditions d'exercice de cette pratique sportive et mondaine à travers les trajectoires des pilotes. Celles-ci sont avant tout marquées par une grande diversité liée aux origines de ce sport, au carrefour des mutations des loisirs bourgeois et du développement sans précédent de l'industrie automobile. S'affrontent sur les routes et autodromes d'Europe des pilotes d'écurie salariés et des indépendants fortunés, formant une population stratifiée et un spectre large de pratiquants aux origines, mobilités, motivations et rémunérations variées. En devenant, dans les représentations de l'époque, les icônes du triomphe de la voiture, les pilotes n'en sont pas moins les faire-valoir des industriels qui les embauchent ou les équipent. Ce qui fait poindre dans cet espace européen parcouru et approprié, derrière la compétition sportive qui en est le support, des concurrences et stratégies industrielles de grande envergure, dont le sportif est à la fois bénéficiaire et captif.This article deals with the emergence of a group of professional automobile pilots in Europe during the Interwar period. During the time, automobile racing was institutionalised and commercialised to a previously unknown extent, under the supervision of European automobile clubs, industrial groups and journalists. In this context, by following the trajectories of pilots, we study the conditions for exercising this practice – part sport, part social activity. These trajectories are mainly marked by a wide diversity due to the sport's origins, at the crossroads of changes in bourgeois leisure activities and the unprecedented development of the automobile industry. On the roads and race tracks of Europe, racing team pilots came up against wealthy independent racers, forming a stratified population and a wide range of participants with diverse origins, mobility, motivations and compensation. In the representations of the period, the pilots became the icons of the triumph of the automobile, but they nevertheless took second stage to the industrial groups that employed and equipped them. In this European space that was driven across and appropriated, behind the sports competition that acted as a support, this situation gave rise to large-scale industrial competitions and strategies that benefited the sportsmen but also held them captive.
- Les joueurs de football sont-ils des esclaves ? Conditions d'emploi dans le milieu du football professionnel en Angleterre et au Pays de Galles (1945-1961) - Matthew Taylor p. 47-68 Les représentations populaires des conditions d'emploi des footballeurs professionnels en Angleterre avant les années 1970 sont habituellement résumées par une série de phrases interchangeables : « esclaves », « serfs », « domestiques » et « travailleurs contraints ». Les lectures nostalgiques ou misérabilistes, opposant souvent l'ancien système du salaire maximal et de la retenue-et-transfert à la relative liberté des ouvriers « normaux » de l'industrie, et du football après 1961, surtout après l'arrêt Bosman, se sont rarement fondées sur des analyses scientifiques précises.Consacré aux quatre décennies qui précèdent l'abolition du salaire maximal en 1961, cet article s'appuie sur les archives de la Ligue de football, des clubs, du syndicat des joueurs professionnels et celles du ministère du Travail, pour montrer que les conditions d'emploi des footballeurs étaient plus complexes et que le traitement des employés était plus varié qu'on ne l'admet en général. En regardant au-delà de la relation directe club-joueur et en reconnaissant que le marché de l'emploi du football et ses conditions d'emploi étaient en réalité le résultat d'un ensemble d'interactions entre l'association patronale, la fédération nationale, l'employeur, le syndicat et la main-d'œuvre du « vestiaire », il cherche à proposer de nouvelles interprétations de la façon dont les joueurs de football était réellement traités « sur le terrain ». Dans le pire des cas, on pouvait assimiler les conditions d'emploi des joueurs à de l'« esclavage » et à du « féodalisme » ; mais les réglementations, restrictives sur le papier, étaient souvent interprétées de façon telle qu'elles permettaient, en pratique, des libertés et des récompenses plus grandes.Popular representations of the employment conditions of professional footballers in England before the 1970s are normally summarised by a collection of interchangeable phrases : ‘slaves', ‘serfs' ‘servants' and ‘bonded men'. Commonly contrasted with the relative freedom of ‘normal' industrial workers, and with football's post-1960, and more particularly post-Bosman, eras, the ‘good old bad old days' of the maximum wage and the retain-and-transfer have rarely been subjected to detailed scholarly analysis. Focusing on the four decades prior to the abolition of the maximum wage in 1961, this paper draws on the archives of the Football League, clubs, the football players' union and the records of the Ministry of Labour to argue that the employment conditions of professional footballers were more complex, and the treatment of football employees more varied, than is normally recognised. By looking beyond the straightforward club-player relationship, and recognising that football's employment and labour market was in fact the outcome of a range of interconnections between the employers' association, the national federation, the employer, the trade union and the ‘dressing room' workforce, it seeks to propose new understandings of how footballers were actually treated ‘on the ground'. At its most extreme, football employment could indeed be equated with ‘slavery' and ‘feudalism' ; but regulations which were restrictive on paper could be interpreted in ways which allowed greater freedoms and rewards in practice.
- Pour qui roulent les cyclistes ? Un marché du travail en mutation (1950-1990) - Nicolas Lefèvre p. 69-85 Le marché du travail cycliste se construit dès la fin du XIXe siècle dans une relation d'intérêts entre l'univers industriel et celui de la presse. Jusqu'au second conflit mondial, les conditions de travail et de rémunération des coureurs cyclistes sont largement soumises aux logiques imposées par ces deux univers. La transformation de la conjoncture économique d'après-guerre modifie les relations d'emploi, en participant à une libéralisation du cyclisme professionnel. Dès les années 1950, l'arrivée de sponsors issus de secteurs économiques étrangers au secteur du cycle accentue la concurrence entre les organisateurs et déréglemente les pratiques du marché, générant une inflation des grilles de prix et des contrats proposés aux coureurs. Puis, dans les années 1980, c'est l'arrivée massive de capitaux injectés par des patrons d'industrie à la recherche d'une visibilité médiatique importante qui transforme les pratiques salariales et la morphologie du marché du travail. Si les coureurs ont tiré profit de cette libéralisation de l'emploi, celle-ci impose dans le même temps de nouvelles contraintes. L'article montre ainsi que les pratiques économiques des nouveaux acteurs du cyclisme à partir des années 1950 n'ont pas réellement amélioré les conditions d'emploi (statut, contrat, etc.) des coureurs cyclistes, substituant même d'autres formes de domination et de précarité à celles qui préexistaient jusqu'alors.The professional cycling market began to take shape in the late nineteenth century within a network of interests between the industrial world and the press. Until the Second World War, the working conditions and pay of bicycle racers were largely subject to the rationales imposed by these two sectors. The post-War economic transformation changed employment conditions by contributing to a liberalisation of professional cycling. Beginning in the 1950s, the arrival of sponsors from business sectors outside the bicycle sector increased the competition between organisers and deregulated market practices. This led to inflation in the pricing framework and the contracts offered to racers. Then, in the 1980s, the massive capital inflows from industrial bosses seeking high media visibility transformed the pay practices and configuration of the employment market. Although racers benefited from this liberalisation of employment, it also brought to bear new constraints. Thus, this article shows that the business practices of the new players in cycling beginning in the 1950s did not really improve professional cyclists' employment conditions (i.e. employment status, contracts, etc.), and even introduced new forms of domination and precariousness.
- Portrait des boxeurs de métier en France (1905-1914) - Sylvain Ville p. 13-29
Luttes pour la définition du cadre de pratique
- Suzanne Lenglen et la définition du professionnalisme dans le tennis de l'entre-deux-guerres - Florys Castan-Vicente p. 87-101 En 1926, la championne de tennis Suzanne Lenglen (1899-1938) signe un contrat avec un manager pour jouer des matchs d'exhibition, provoquant des débats houleux sur la question du professionnalisme, dans la presse et au sein de la Fédération française de tennis qui décide de l'exclure. Une analyse de sa carrière avant et après son passage officiel au professionnalisme permet de montrer que dans son cas, malgré les discours de fermeté de la Fédération, les conditions de pratique des deux statuts ne sont pas si différentes. La décision de Suzanne Lenglen de passer professionnelle entraîne de plus une redéfinition du professionnalisme par la Fédération, qui distingue désormais les professeurs des « professionnels exhibition », afin de marginaliser ces derniers. À travers cet exemple, la définition de l'amateurisme et du professionnalisme apparaît davantage comme un enjeu de pouvoir aux mains de la Fédération que comme une catégorisation en accord avec les pratiques.In 1926, tennis champion Suzanne Lenglen (1899-1938) signed a contract with a manager to play exhibition matches, sparking heated debates about the question of professionalism, both within the press and in the Fédération française de tennis, which decided to exclude her. An analysis of her career before and after she turned professional shows that in her case, despite the tennis federation's message of firmness, the conditions for playing under either status (professional or amateur) were not very different. In addition, Lenglen's decision to go professional led the tennis federation to redefine what it meant to be a professional, distinguishing between instructors and ‘exhibition professionals', in order to sideline the latter. Through this example, the definition of amateur or professional athletes appears to be more a power play in the hands of the federation than a category that corresponds to actual practices.
- Contrôler, mettre en ordre et réguler : la réforme des revenus des sportifs soviétiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale - Sylvain Dufraisse p. 103-116 Le terme « athlète d'État » a été fréquemment utilisé pour qualifier le mode soviétique de rémunération des sportifs. Or, cette appellation plaque une interprétation exogène sur la situation en URSS, sans rendre compte des réalités sociales et des luttes entre acteurs. Cet article montre comment, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un système original de rémunération se met en place. Il vise à réguler un monde sportif marqué par la désorganisation et la faible emprise de l'administration de la culture physique sur des sociétés sportives puissantes. Le tournant vers le sport de compétition amorcé au milieu des années 1930 a favorisé l'émergence d'« espaces de liberté » pour les athlètes et les sociétés sportives : adjonction de primes, emplois fictifs, inflation des gratifications. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le sport soviétique se rapproche des fédérations internationales et ces pratiques s'avèrent peu conformes avec leurs règlements. La période est aussi marquée par un grand nombre de réformes sociales économiques. Des bourses, délivrées par le Conseil de Culture physique et les sociétés sportives volontaires, sont distribuées à partir de 1947 pour lutter contre les « excès ». Des directives déterminent les montants et homogénéisent les revenus entre les différents sports. Elles témoignent d'une prise en main affirmée de l'administration centrale sur le mouvement sportif.The term ‘state athlete' has often been used to describe the Soviet approach to paying athletes. Yet this term applies an outside interpretation to the situation within the USSR, without taking into account the social realities and the conflicts between actors. This article shows how, just after the Second World War, a unique compensation system was set up. This system aimed to regulate a sporting world that was characterised by a lack of organisation and a physical culture administration that had little influence over powerful sports clubs. The turning point towards competitive sport began in the mid-1930s. This fostered the emergence of ‘spaces of freedom' for athletes and sports clubs : additional bonuses, fictitious jobs, an inflation in perks. After the Second World War, Soviet sports grew closer to international federations, and these practices proved incompatible with their regulations. The period also saw a large number of socioeconomic reforms. Stipends, awarded by the Supreme Council of Physical Culture and volunteer sports clubs, were distributed beginning in 1947 in order to tackle ‘excesses'. Directives set the amounts of stipends and levelled revenues among different athletes. These stipends showed that the central administration was taking strong control of the sports movement.
- « Ils sont les artistes du spectacle sportif. » Quand la rémunération des footballeurs professionnels français se constitue en enjeu fiscal (années 1970-1980) - Manuel Schotte p. 117-131 En 1983, l'ensemble des représentants du football professionnel français soutient les joueurs qui réclament les mêmes abattements fiscaux que les artistes de scène au motif qu'ils sont, comme eux, des professionnels du spectacle. L'étude de cette revendication fiscale s'avère riche d'enseignements pour qui s'intéresse à la question du statut des sportifs. Elle permet de mettre au jour la diversité des acteurs impliqués dans la définition du cadre légal structurant leur travail : loin d'être cantonnée aux seules instances sportives, la question du statut des joueurs engage différents services de l'État, notamment ceux des ministères de la Jeunesse et des Sports, du Budget, et des Affaires sociales. La discussion met en lumière les frontières dressées entre les différents professionnels de l'excellence corporelle. Alors qu'artistes de scène et footballeurs sont des producteurs de spectacle, les seconds se voient refuser la faveur fiscale accordée aux premiers. Cela traduit la prégnance de cadres de perception différenciés et met plus particulièrement en évidence la contribution de l'État à la fabrique des différences entre les groupes sociaux. Les pouvoirs publics entérinent ainsi la force d'un arbitraire culturel qui conduit à valoriser de façon sélective certaines formes culturelles et certains producteurs culturels.In 1983, all the representatives of French professional football gave their support to players who were demanding the same tax deductions as artists, claiming that they, too, were performers. An analysis of this tax claim is very instructive for anyone interested in the question of athletes' status. It highlights the wide range of participants involved in defining the legal framework that organises athletes' work. Far from involving only sports federations, the question of players' status involves several government departments, including the Ministries of Youth and Sports, of the Budget, and of Social Affairs. The debate highlights the boundaries between the various professionals of bodily excellence. Whereas stage artists and football players both perform for an audience, the footballers are denied the tax advantages given to artists. This reflects the importance of different perceptive frameworks, notably emphasising the state's role in creating differences between social groups. The public authorities thus formalise an arbitrary cultural view that selectively values certain forms of culture and certain cultural producers.
- Le sport professionnel saisi par sa convention collective : genèse d'une définition singulière (France, 1995-2014) - Sébastien Fleuriel p. 133-144 L'adoption de la convention collective du sport en 2005 a permis au monde sportif dans son ensemble de se constituer en branche professionnelle pour encadrer et renforcer les règles de travail dans le secteur des activités sportives. Le texte cristallise dans un de ses chapitres la notion de sport professionnel qui, en vertu de son acception bien mal aisée à contrôler, réveille des querelles de définition lors des négociations collectives. Si le sport professionnel renvoie communément dans ses usages indigènes au couple d'opposition amateur/professionnel, il résiste en effet à toute tentative de définition juridique stable, le législateur se référant le plus souvent au contrat de travail formel caractérisé par une relation de subordination entre un employeur et un employé. Ces écarts de définition entre l'usage et le droit conduisent à s'interroger sur les processus qui débouchent pourtant à son emploi dans le droit conventionnel. L'article analyse les déterminants qui ont amené les négociateurs de la branche, employeurs comme salariés, constitués en groupe d'intérêts, à produire et adopter cette catégorie d'analyse de la réalité sportive, aussi peu fiable que satisfaisante à l'usage. Le raisonnement débouche finalement sur le paradoxe suivant : la convention reconnaît dans son droit une pratique qu'elle n'est jamais parvenue à définir juridiquement.In 2005, a collective bargaining agreement was adopted, enabling the entire French sports sector to be organised as a professional branch for the purposes of supervising and enforcing work regulations in the sports sector. One chapter of the collective bargaining agreement covers the concept of professional sports, but due to the difficulty laying out a definition with clear boundaries, this sparks debates over definitions during collective bargaining. While ‘professional sports' is commonly used in opposition to amateur sports, the term is resistant to any stable legal definition, with legislation in most cases referring to the formal work contract characterised by an employee/employer relationship of subordination. These gaps between the common definition and the legal one prompt questions about the processes that nevertheless result in this term being used in contract law. The article analyses the determining factors that led the negotiating parties within the branch – employers and employees, organised into interest groups – to produce and adopt this analytical category for the sporting world that is unreliable but still suitable in practice. The reasoning eventually leads to a paradox : contract law acknowledges a practice that it has never successfully defined in legal terms.
- Suzanne Lenglen et la définition du professionnalisme dans le tennis de l'entre-deux-guerres - Florys Castan-Vicente p. 87-101
- Notes de lecture - p. 145-165