Contenu du sommaire : Géographies de la Première Guerre mondiale

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 71, no 1, janvier 2016
Titre du numéro Géographies de la Première Guerre mondiale
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Guerre et État au XVIIIe siècle

    • Faire la guerre et faire l'État : Nouvelles perspectives sur l'essor de l'État développementaliste - Steve Pincus, James Robinson, Élodie Grossi p. 5-36 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une critique de la pertinence de la notion d'État fiscal-militaire, en se penchant plus particulièrement sur le cas exemplaire de la Grande-Bretagne qui consacra une part significativement moindre des revenus du gouvernement au domaine militaire que tout autre État européen. En outre, il met en lumière d'autres sources de dépenses civiles importantes, notamment l'investissement massif de l'État britannique dans le développement colonial, dont les travaux existants ne tiennent pas compte, de même que l'historiographie fiscale ignore de larges pans de l'activité étatique. Finalement, nous défendons la thèse que l'État britannique – ainsi que d'autres États modernes, de manière très probable – n'a pas été forgé par les guerres. La guerre n'a pas fait l'État britannique, et c'est pour cette raison qu'il fut peu enclin à s'engager dans des conflits armés.
      This article argues that the term “fiscal-military state” is a misnomer, particularly when applied to one of the paradigmatic cases of early modern state formation, Britain. Britain devoted a significantly smaller proportion of government revenues to military expenses than any other European state. Moreover, its overall expenditure included important non-military elements and massive investment in colonial development, a fact that standard historiographical accounts fail to take into consideration. The existing fiscal historiography also ignores large swathes of other types of state activity. Finally, the article argues that the British state—and quite probably other early modern states—was not forged in warfare. If war did not make the British state, this would explain why the British state was less narrowly focused on making war.
  • Géographies de la Première Guerre mondiale

    • Géographies de la mobilisation et territoires de la belligérance durant la Première Guerre mondiale - Olivier Compagnon, Pierre Purseigle p. 37-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Prenant acte du fait que l'histoire globale de la Première Guerre mondiale n'en est encore qu'à ses balbutiements, cet article propose de « déseuropéaniser » l'historiographie du conflit en dépassant la dialectique des « centres » et des « périphéries » et en combinant les échelles spatiales de l'analyse. D'une part, il s'agit de déplacer le regard depuis les théâtres européens de la guerre vers des espaces communément considérés comme marginaux, mais dont l'éloignement de l'épicentre des combats n'empêcha pourtant pas qu'ils soient parcourus de tensions directement liées au conflit et qu'ils connaissent des mutations majeures entre 1914 et 1918. D'autre part, il convient également de placer la focale sur des objets de recherche tels que l'environnement, les ressources naturelles ou les diasporas, qui se prêtent particulièrement bien à des approches émancipées des cadres nationaux de la réflexion et permettent de restituer l'impact global de la Grande Guerre. De cette double démarche émergent ainsi les bases d'une nouvelle géographie des mobilisations et de la belligérance entre 1914 et 1918, susceptible de rendre compte du caractère authentiquement mondial que revêtit la Première Guerre mondiale et de la diversité des expériences vécues du conflit.
      The global history of the First World War is still in its early stages. This article proposes to contribute to its development by “de-Europeanizing” the historiography of the conflict and suggesting some of the ways scholars can move beyond “centers” and “peripheries” to combine different spatial scales of analysis. First, it demonstrates the need to look beyond the European theatres of war and investigate battlefields hitherto deemed to be marginal: distance from—or the absence of—combat did not prevent the manifold impact and legacy of the war from being felt in many regions of the world. Second, it invites scholars to focus on elements such as the environment, natural resources, or diasporas, which make it possible to break out of a national framework of analysis and to do justice to the global impact of the Great War. This twofold approach underlines the value of a new geography of mobilization and belligerence that matches the diversity of experiences and the truly global dimensions of the First World War.
    • Aux marges écologiques de la belligérance : Vers une histoire environnementale globale de la Première Guerre mondiale - Tait Keller, Antoine Heudre p. 65-86 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article est une première exploration de l'histoire environnementale de la Première Guerre mondiale et suggère de nouvelles approches susceptibles de modifier notre compréhension du conflit. Bien que les terres agricoles ravagées, les arbres calcinés et les bourbiers soient des images iconiques de la Première Guerre mondiale, les chercheurs ont souvent eu tendance à négliger la place et le rôle de la nature dans le conflit. Pourtant, ce n'est qu'en prenant en compte l'environnement que nous pouvons pleinement comprendre le traumatisme de la guerre et appréhender la façon dont ce conflit, en particulier, a façonné de manière durable les dimensions les plus élémentaires de l'existence humaine. Les armées de la Première Guerre mondiale étaient des entités à la fois sociales et biologiques qui dépendaient d'une « écologie militaire » de l'extraction, de la production et de l'approvisionnement en vivres et en énergie. Pour nourrir les soldats et faire fonctionner les machines, les États belligérants réquisitionnèrent de la nourriture et du carburant dans l'ensemble de la biosphère, contribuant ainsi à étendre la portée écologique de la guerre bien au-delà du front de l'Ouest. L'étude des différentes façons dont la guerre a transformé la périphérie (modification de l'écologie des maladies en Afrique coloniale, extraction de l'étain en Asie du Sud-Est et production alimentaire en Amérique latine) permet de montrer que les frontières de la belligérance étaient très étendues. Ces trois régions illustrent également les différentes façons dont la préparation et la conduite du conflit ont modifié les sociétés et le milieu naturel. Se pencher sur Première Guerre mondiale en adoptant une perspective environnementale permet de mettre en lumière sa dimension planétaire. La « catastrophe fondatrice » du XXe siècle, pour reprendre l'expression de George Kennan, a accéléré des changements environnementaux amorcés au siècle précédent et fait apparaître certaines tendances – production militaro-industrielle, persécutions et exploitation de l'environnement – qui définiront le XXe siècle.
      This article represents an initial foray into the global environmental history of the First World War and suggests new approaches that can change our understanding of the conflict. With ravaged farmlands, charred trees, and muddy quagmires as iconic images of the First World War, scholars have generally tended to overlook the place and role of nature. Yet only by taking the environment into account can we fully understand the trauma of war and how this conflict in particular shaped the most basic levels of human existence for years to come. Armies in the First World War were both social and biological entities, which depended on a “military ecology” of energy extraction, production, and supply. To keep soldiers and machines in action, belligerent states commandeered food and fuel throughout the biosphere, extending the war's environmental reach far beyond the western front. Examining a number of the ways that war shaped the periphery—evolving disease ecologies in colonial Africa, tin extraction in Southeast Asia, and food production in Latin America—will show that the boundaries of belligerency were vast. These three regions also illustrate the different ways in which the preparation and pursuit of war transformed societies and the natural world. Seeing what George Kennan called the twentieth century's “seminal catastrophe” from an environmental perspective illuminates the global dimensions of the First World War. The conflict accelerated environmental change that had begun in the previous century, and established the patterns of military-industrial production, human victimization, and environmental exploitation that defined the twentieth century.
    • Centralité des marges : Les campagnes britanniques au Moyen-Orient pendant la Grande Guerre - Priya Satia, Christophe Jaquet p. 87-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'auteure soutient dans cet article que l'impact culturel de la Première Guerre mondiale en Grande-Bretagne ne peut être compris que si l'on donne aux campagnes du Moyen-Orient la place centrale qui est la leur. Il montre qu'un des effets généralement attribués au front de l'Ouest – une totale perte de foi dans la technique et dans l'héroïsme individuel – a été compensé, à bien des égards, par les leçons tirées de la guerre en Palestine et en Mésopotamie, où cette même foi a connu chez les Britanniques un formidable regain. Si l'on prend en compte cet héritage culturel, on comprend mieux pourquoi ce peuple est resté engagé dans la guerre et a continué de croire dans le développement industriel et la guerre impérialiste une fois le conflit mondial terminé. L'aura héroïque de Thomas Edward Lawrence (Lawrence d'Arabie) et l'image du développement des infrastructures entrepris par l'armée britannique en Mésopotamie ont en effet donné un nouvel essor à la foi dans la technique et dans l'empire, tandis que le front de l'Ouest en révélait un visage autrement plus terrible. Le texte s'ouvre sur l'étude des tactiques militaires originales que les Britanniques, influencés par une vision singulière d'une « Arabie » largement imaginaire, ont adoptées à un degré sans précédent dans la région : la ruse, la guerre irrégulière et la force aérienne. L'auteur montre ensuite comment le gouvernement, à mesure que les succès se multipliaient, s'est efforcé de capitaliser sur la propagande entourant ces « théâtres secondaires » de guerre. Il s'agissait notamment de mettre en avant l'idée que l'empire trouverait une rédemption dans la restauration de l'antique « berceau de la civilisation », entretenant ainsi des notions d'un idéalisme achevé, quand, sur le front de l'Ouest, un nouveau type de cynisme faisait rage.
      This article places campaigns in the Middle East at the heart of the effort to understand the First World War's cultural impact in Britain. By doing so, it shows that the effects typically attributed to the western front—loss of faith in technology and heroism—were mediated in important ways by lessons emerging from the Middle Eastern fronts in Palestine and Mesopotamia, where the British found their faith in technology strengthened. By incorporating that cultural legacy, we can better understand why Britons remained committed to the war and why they maintained their faith in industrial development and warfare empire after the war had ended. The heroic image of T. E. Lawrence and of the infrastructural development undertaken by the British military in Mesopotamia together bolstered faith in technology and imperialism just when the western front was revealing their darker side. The article begins with a study of the unique military tactics the British adopted in the region, shaped by particular cultural notions about “Arabia”: deception, irregular warfare, and airpower were used to an unprecedented degree in these campaigns. It goes on to show how the British government strove to capitalize on the propaganda effects of these “sideshows” as they became successful. In particular, they stressed the notion that the empire could find redemption in the restoration of the ancient “cradle of civilization.” Such ideas sustained idealistic notions even as the western front unleashed a new kind of cynicism.
  • Crédit et souveraineté

    • Protéger le crédit de l'État : Spéculation, confiance et souveraineté dans la France de l'entre-deux-guerres - Nicolas Delalande p. 127-162 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à la création dans le droit français, en 1924, d'un nouveau délit destiné à poursuivre les « atteintes au crédit de l'État », une notion utilisée pour désigner les discours et les pratiques susceptibles de fragiliser la réputation financière de l'État, dans un contexte de crise budgétaire, d'instabilité monétaire et de fortes tensions politiques. Les autorités policières et judiciaires érigent alors le « crédit de l'État » en attribut de la souveraineté nationale, devant être protégé contre des menaces internes et externes. Une réflexion d'histoire intellectuelle sur les fondements du crédit public, ainsi que l'analyse des archives de la répression de ce nouveau délit, permettent de mesurer la difficulté des pouvoirs publics à délimiter ce qui ressort du libre jeu du marché et de la protection de l'ordre public. L'enquête conduit plus largement à souligner les aspects indissociablement matériels et immatériels qui fondent la confiance des individus dans les papiers – dette et monnaie – émis par l'État.
      This article investigates the creation, in 1924, of a new public offence in French law, aimed at punishing anyone found guilty of “damaging state credit”—that is, of discourses or practices likely to call the soundness of France's public credit into question. In the midst of a destabilizing budgetary and monetary crisis, surrounded by fierce political disputes, state credit” was legally defined as an essential attribute of sovereignty, to be defended against internal and external threats. However, the intellectual history of public credit and the analysis of archival material relating to this new offence show how difficult it was for courts to draw a line between the freedom of the market and the protection of public order. More broadly, this research emphasizes the role of material and immaterial elements in promoting public trust in the value of the papers (bonds and currency) issued by the state.
  • Avocats soviétiques

    • Avocat sous Staline : Profession accessoire, profession témoin (1945-1953) - Juliette Cadiot p. 163-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Fondé sur une recherche dans les archives russes et ukrainiennes, cet article étudie la profession d'avocat en URSS à la fin de la période stalinienne (1945-1953). Les différentes dimensions du métier – trajectoires sociales et pratiques quotidiennes – sont abordées à propos d'une période qui vit le nombre d'affaires traitées par les tribunaux considérablement augmenter et le discours sur la réhabilitation d'une « légalité socialiste » se renforcer. Si leur influence demeura faible et peu fondée sur le maniement du droit, les avocats soviétiques développèrent des compétences économiques et relationnelles leur permettant à la fois de préserver leur autonomie et de participer pleinement aux dynamiques sociales propres à la société soviétique telle qu'elle se dessine au sortir de la guerre. Malgré leur faiblesse et les purges dont ils firent l'objet, les avocats surent aussi s'informer des affaires et certains jouèrent un rôle d'intermédiaire entre l'appareil répressif et les notables soviétiques, notamment en participant au système d'échanges de pots-de-vin et de relations clientélistes. Leur action est exemplaire de la manière dont les Soviétiques se sont accommodés de la dictature stalinienne, en tentant de faire évoluer les règles et de constituer des poches de protection, d'entraide et d'échanges situées au cœur de l'État et du parti.
      Drawing on research in Russian and Ukrainian archives, this article explores the legal profession in the Stalin-era USSR, with a focus on the years following the Second World War. During this period, the number of cases dealt with in the courts grew considerably, and calls to rehabilitate “socialist legality” became more pressing. It is against this backdrop that the article details the different professional aspects—social trajectories and daily practices—of the criminal lawyer's craft. It concludes that while their influence remained relatively weak and was rarely anchored in their legal capabilities, Soviet lawyers did develop economic and networking capacities that enabled them to maintain their autonomy and to fully participate in the dynamics of the Soviet society that emerged in the aftermath of the war. Despite their weak position and the purges they had suffered, lawyers found ways to gain privileged information about ongoing cases and some of them played an intermediary role between the apparatus of repression and Soviet notables—particularly by participating in the system of bribery and clientelism. Their actions exemplified the ways that Soviets maneuvered under Stalinist dictatorship, working to bend and improve the rules while also using mutual assistance and exchange to create safe spaces at the heart of the state and the party.
  • Comptes rendus