Contenu du sommaire : Terres, sols et peuples : expertise agricole et pouvoir (XIXe ‒ XXe siècles)

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 57, no 1, janvier-mars 2016
Titre du numéro Terres, sols et peuples : expertise agricole et pouvoir (XIXe ‒ XXe siècles)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Pages de début - p. 1-6 accès libre
  • Expertise and the quest for rural modernization in the Russian empire and the Soviet Union - Katja Bruisch, Klaus Gestwa, Bill Templer p. 7-30 accès libre
  • Blurred lines : Land surveying and the creation of landed property in nineteenth-century Russia - Igor Khristoforov, Christopher Gilley p. 31-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article étudie le problème de la création et de la mise en place de limites à la propriété foncière privée dans l'Empire russe au xixe siècle. C'est par le biais d'une analyse de l'arpentage, du cadastrage et de la représentation de l'arpenteur dans la littérature, dans l'opinion publique et dans la perception paysanne, que l'auteur propose une nouvelle approche de la relation qui unit les différents acteurs – propriétaires, paysans et bureaucrates – au cours des réformes agraires en Russie. L'article s'appuie notamment sur des archives conservées au RGIA à Saint-Pétersbourg. Il aborde aussi les thèmes de l'anthropologie des frontières et de la propriété, ou de l'histoire du cadastre en Europe.
    This article examines the establishment of boundary lines on private landed property in the nineteenth-century Russian Empire. By analysing historical land surveying, the land cadastre, the figure of the land surveyor in literature, public opinion and peasant perceptions, the author reaches a new view on the relationship between different actors (landowners, peasants, and bureaucrats) during the Russian agrarian reforms. The article is based upon material of the Russian State Historical Archive in St. Petersburg and other sources. It also touches upon such themes as the anthropology of boundaries and property and history of the land cadastre in Europe.
  • Agrarian experts and social justice : Land allotment norms in revolution and Civil War, 1917-1920 - David Darrow p. 55-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Entre 1861 et 1917, le développement, chez les représentants du gouvernement, les activistes publics et les paysans eux-mêmes, d'une sorte de « mentalité de l'attribution des terres » façonna les discussions relatives à la réforme agraire, en 1917 et les années suivantes. Elle rassemblait un large consensus sur la façon dont la justice sociale, telle qu'appliquée à la réforme, pouvait être évaluée et mesurée. S'appuyant sur des sources publiées et des archives du Comité central agraire, des publications issues des congrès paysans et du fonds d'archives Wrangel de l'Institution Hoover, cet article étudie les discussions sur la réforme agraire pendant la période révolutionnaire. Il montre que dans toutes les strates – Comité central agraire du gouvernement provisoire, assemblées paysannes, ou belligérants de la guerre civile – la « norme » se comprenait comme le fondement moral et économique essentiel de tout nouvel ordre.
    Between 1861 and 1917 a “land allotment mentalité” developed among government officials, public activists and peasants themselves that shaped discussions of land reform in 1917 and the following years, representing a broad consensus on how social justice as it applied to land reform might be judged and measured. Based on the published and archival materials of the Main Land Committee, peasant congress publications, and the Hoover Institution Archive's Wrangel Collection this article examines discussions of land reform in the revolutionary period. It shows that from the Provisional Government's Main Land Committee down to peasant assemblies and ultimately both sides of the post-October Civil War the “norm” was understood as a fundamental moral and economic foundation for any new order.
  • The soviet village revisited : Household farming and the changing image of socialism in the late Soviet period - Katja Bruisch, Bill Templer p. 81-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La reconnaissance des fermes familiales et des coopératives agricoles comme catalyseurs de la relance de l'agriculture pendant la perestroïka alla de pair avec la redécouverte d'Aleksandr V. ¢ajanov, théoricien mondialement connu de l'économie paysanne et de son organisation. La réhabilitation de l'économiste faisait suite à l'évolution du discours public vers la fin de la période soviétique. Toutefois, le retour de ¢ajanov est aussi nécessairement lié à l'image officielle de l'économie rurale au cours de la décennie précédente quand, dans les débats politiques et académiques sur les exploitations auxiliaires privées, le village socialiste avait pris de nouvelles formes. L'exploitation familiale, autrefois condamnée parce que synonyme de mode de production « petit-bourgeois », ou révélatrice d'une transition inachevée vers le socialisme, avait été acceptée comme une composante de l'agriculture socialiste. Ce changement de paradigme, qui reflétait une nouvelle conception du socialisme, constituait une condition préalable importante à la réponse du public à la réhabilitation de ¢ajanov. Finalement, le virage opéré vers l'exploitation familiale et les coopératives resta un épiphénomène politique et intellectuel quasiment dénué d'impact sur l'ordre agraire lui-même. L'héritage économique de la période soviétique et les pouvoirs locaux empêchèrent tout changement fondamental dans l'ordre rural en faveur d'une agriculture basée sur l'exploitation privée.
    The recognition of family farms and agricultural cooperatives as catalysts for agricultural recovery during the perestroika years went along with the rediscovery of the world-famous theoretician of the peasant farm Aleksandr V. Chaianov. The economist's rehabilitation resulted from the changing conventions of public discourse towards the end of the Soviet era. Yet, Chaianov's return needs to be linked also with the official image of the rural economy in the preceding decade when in academic and political debates on private subsidiary farms the socialist village took on new contours. Household farming which had previously been condemned as either a ‘petty-bourgeois' mode of production or an indicator of the incomplete transition to socialism, was accepted as a component of socialist agriculture. Mirroring a new understanding of socialism, this paradigm shift was an important precondition for the broad public response to Chaianov's rehabilitation. In the end, the turn towards family farming and co-operation remained an intellectual and political phenomenon with barely any impact on the agrarian order itself. The economic legacy of the Soviet era and local power constellations prevented a fundamental change of the rural order in favor of household-based agriculture.
  • Sweet development : The sugar beet industry, agricultural societies and agrarian transformations in the Russian empire 1818-1913 - Susan Smith Peter p. 101-124 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article étudie comment, au XIXe siècle, des sociétés agricoles, qui étaient des associations bénévoles engagées dans l'amélioration de l'agriculture, travaillèrent avec l'État et les agriculteurs à favoriser l'expansion d'une nouvelle industrie de la betterave sucrière. Prenant la Société agricole de Moscou (fondée en 1818) comme point focal, il démontre que celle-ci, bien qu'elle eût réussi à changer les pratiques et à étendre la culture de la betterave sucrière avant même l'abolition du servage en 1861, n'avait pas obtenu le résultat escompté. Alors que la Société agricole de Moscou avait initialement imaginé une Russie européenne dotée de petits producteurs éparpillés cultivant de la betterave qui aurait été transformée par de grands propriétaires fonciers, elle constata l'augmentation d'une production de masse à intégration verticale en Ukraine centrale et méridionale, dont la qualité des terres était plus adaptée à cette culture et qui disposait plus largement d'une main d'œuvre gratuite. L'article démontre ainsi le pouvoir des experts, et ses limites, à changer l'environnement.
    This article explores how agricultural societies, which were voluntary associations dedicated to improving agriculture, worked with the state and agriculturalists to foster the growth of a new sugar beet industry during the nineteenth century. Using the Moscow Agricultural Society (est. 1818) as the focal point, it argues that although the Society was successful in changing agricultural practices and spreading the cultivation of sugar beets even before the end of serfdom in 1861, the end result was not what the Society had expected. While they had originally envisioned a European Russia dotted with small producers growing sugar beet processed by larger landowners, what resulted was the rise of massive vertically integrated beet sugar production in central and southern Ukraine, which had more suitable soil and wider use of free labor. It thus shows the power of experts to change the environment and the limits of that power.
  • Engineering empire : Russian and foreign hydraulic experts in Central Asia, 1887-1917 - Maya K. Peterson p. 125-146 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article étudie la participation des ingénieurs en hydraulique en Asie centrale à l'époque impériale dans les processus d'expansion agricole et de renforcement de l'empire dans la province du Turkestan. A priori, cette province rassemblait tous les critères pour que les Russes, qui déploraient constamment leur « retard » vis-à-vis de l'Europe, puissent y faire la preuve de leur capacité à être un pouvoir colonial au même titre que les empires européens, mais leur méconnaissance de l'ingénierie en irrigation et les difficultés à irriguer des régions arides menaçaient de compromettre les efforts de la Russie dans sa « mission civilisatrice ». Pourtant, on comptait toujours davantage de techniciens russes capables de participer au dialogue scientifique et aux échanges technologiques transnationaux avec les ingénieurs en hydraulique étrangers, eux-mêmes tout aussi enthousiastes sur le potentiel de la science et de la technologie à créer un avenir plus moderne en Asie centrale russe. Finalement, cependant, même si le zèle de ces Russes et des experts hydrauliques étrangers coïncidait avec les ambitions politiques russes au Turkestan, les réalités politiques de la position du gouvernement impérial dans la région déterminèrent le destin de leurs grandes visions transformatrices.
    This essay examines hydraulic engineers in Central Asia under tsarist rule and their participation in processes of agricultural expansion and empire-building in the imperial province of Turkestan. This province theoretically provided the perfect space in which Russians, who continually worried about their own “backwardness” in relation to Europe, could demonstrate their ability to be a colonial power on par with European empires, yet the lack of an understanding of irrigation engineering and the difficulties of irrigating arid regions threatened to jeopardize Russia's efforts at a “civilizing mission.” Still, a growing group of Russian technical specialists was able to participate in scientific dialogue and transnational technological exchanges with other hydraulic engineers in other parts of the world who were similarly enthusiastic about the potential of science and technology to create a more modern future in the Russian Central Asian borderlands. Ultimately, however, even though the zeal of these Russian and foreign hydraulic experts coincided with Russian political ambitions in Turkestan, the political realities of the tsarist government's position in the region would determine the fate of their grand visions for transformation.
  • Privatiser l'agriculture en URSS : Économistes réformistes et pouvoir politique pendant la perestroïka - Olessia Kirtchik p. 147-172 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les économistes ont joué un rôle de premier plan dans la définition et la diffusion de recettes de réforme économique partout dans le monde. L'URSS n'a pas fait exception, faisant appel à l'expertise d'économistes académiques au moment des réformes économiques de 1965 et 1985. Cependant, le cas soviétique présente des particularités du fait même de sa propre tradition technocratique et de sa pensée réformiste. Cet article se penche sur les modalités de la conception de la dernière réforme agraire soviétique à la fin des années quatre-vingt, coproduite par des bureaucrates et des économistes agraires de courant réformiste. Cette période est particulière en ce qu'elle modifie les rapports entre les experts académiques et le pouvoir politique et, partant, les formes d'action des experts et d'organisation de la recherche. La crise économique et politique introduit une forte polarisation idéologique, voire une fracture, qui aura un impact sur le déroulement de la réforme agraire au cours des années 1990.
    During the second half of the twentieth century, economic experts played a major role in defining and spreading economic reform recipes around the world. The Soviet Union was no exception and called upon academic economists' expertise at the time of economic reforms in 1965 and 1985. However, the Soviet situation presents specific features due to the country's very own technocratic tradition and reformist thought. This article addresses the way in which the last Soviet agrarian reform of the late 1980s was worked out. The reform was produced through the joint efforts of bureaucrats and reform-oriented agricultural economists. These were particular times when changes took place in the relationships between academic experts and political power and in the experts' forms of action and organization of research. The economic and political crisis brought about a sharp ideological polarization, not to say a rupture, which marked the implementation of the agrarian reform in the 1990s.
  • In single file : Russian railroads and the Russian army as environmental protection agencies, 1858-1917 - Stephen Brain p. 173-190 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Tout au long du XIXe et assez avant dans le XXe siècle, les agronomes russes furent tourmentés par un doute profond : l'exploitation de la steppe ne deviendrait durable que lorsque les exploitants agricoles sauraient comment rétablir l'équilibre entre les écosystèmes dans le sud russe. La région semblait riche en possibilités sur le plan agricole si seulement les dommages causés par une exploitation irréfléchie pouvaient être réparés. Mais les scientifiques n'étaient pas d'accord sur les meilleures méthodes à adopter pour rétablir cet équilibre. La reforestation fut la seule des mesures à recueillir l'approbation de l'État et sa mise en œuvre fut confiée à l'armée cosaque et aux chemins de fer de Vladikavkaz, qui avaient des priorités plus importantes. La décision de l'État de rester distant de la paysannerie dans le cadre de l'initiative de la conservation des sols ne fit que maintenir l'existence du fossé, large et profond, qui séparait la société éduquée de la population rurale.
    A deep suspicion haunted Russian agronomists throughout the nineteenth century, and well into the twentieth: agriculture on the steppe would never be sustainable until farmers learned to restore the balance of nature in the Russian south. The region appeared to offer agricultural plenty if only the damage caused by thoughtless exploitation could be repaired. But scientists did not agree about the best methods for reestablishing the balance, and the one measure that gained state acceptance—afforestation—was routed through the Cossack Army and the Vladikavkaz railroad, agencies with other, higher priorities. The state's decision to remain aloof from the peasantry with the soil conservation initiative ensured that the gap between educated society and the rural citizenry remained deep and wide.
  • Why did the attempt under Stalin to increase agricultural productivity prove to be such a fundamental failure ? : On blocking the implementation of progress in agrarian technology (1929-1941) - Stephan Merl, Bill Templer p. 191-220 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article étudie les raisons pour lesquelles l'Union soviétique a failli dans la concrétisation de deux objectifs qui devaient permettre la transition vers « l'agriculture socialiste », à savoir l'industrialisation de la production agricole et une augmentation rapide des rendements. Dans les années 1930, la direction du parti sous l'égide de Stalin lança quatre grandes campagnes pour mener à bien ces objectifs. Cela incluait le remembrement des terres, l'introduction progressive d'une rotation des cultures et l'utilisation de semences sélectionnées. L'article décrit quels organismes informels entrèrent en action pour dissuader les producteurs agricoles et les officiels responsables concernés – que ce soit au sein du parti ou dans l'administration –, d'introduire la rotation des cultures et pourquoi les producteurs agricoles d'alors perdirent tout intérêt à augmenter le rendement à l'hectare. L'étude révèle le caractère hautement contradictoire de la politique agricole de Stalin et souligne ses conséquences à long terme.
    This article seeks to explore why the Soviet Union failed to achieve the two aims associated with the transition to “Socialist agriculture,” namely the industrialization of agricultural production and a rapid increase in agricultural yields. In the 1930s, the party leadership under Stalin launched four large-scale campaigns for the implementation of these aims. These included land consolidation, the introduction of progressive crop rotation and the use of selected seeds. The paper describes what informal institutions acted to deter the agricultural producers and those officials with relevant responsibility in the Soviet party and state bureaucracy from introducing crop rotations, and why agricultural producers under Stalin lost interest in increasing per hectare yields. The study reveals the contradiction-ridden character of Stalin's agrarian policy and highlights its long-term consequences.
  • Wildscapes in Ballyhooland : Shock construction, Soviet colonization, and Stalinist governance - Christian Teichmann p. 221-254 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Écrire l'histoire d'un autre grand chantier stalinien ne saurait constituer une fin en soi. Aussi l'auteur fait-il le choix de relater l'histoire du Projet de la vallée de la rivière VahÒ, projet exemplaire d'irrigation près de la frontière soviétique avec l'Afghanistan, qui n'est pas seulement un désastre humain, économique et écologique. Alors que la précarité et la peur étaient autant de facteurs majeurs qui entravaient l'exercice des ingénieurs et des responsables compétents dans un cadre naturel incontrôlé, l'article examine comment l'ambition politique stalinienne et le désordre institutionnel soviétique, cumulés à des conditions environnementales défavorables ont, finalement, abouti à la mise en échec du projet d'irrigation et de colonisation. L'imminence de la faillite du Projet VahÒ en 1937 révèle ainsi quelques-unes des limites importantes de la gouvernance stalinienne dans une région frontalière politiquement et écologiquement sensible.
    Writing the history of yet another Stalinist shock construction site cannot be an end in itself. Hence, the article treats the story of the Vakhsh River Valley Project, a showcase irrigation scheme located at the Soviet border with Afghanistan, not merely as a humanitarian, economic and environmental disaster. While deprivation and fear were key factors that hindered knowledgeable engineers and capable managers from reigning in an unruly natural environment, the article scrutinizes how Stalinist political ambition and Soviet institutional disorder intertwined with unfavorable environmental conditions which, ultimately, prevented the irrigation and colonization scheme from succeeding. The imminent collapse of the Vakhsh Project in 1937, thus, revealed some fundamental limitations of Stalinist governance in a politically and ecologically sensitive borderland.
  • Livres reçus - p. 255-256 accès libre
  • Pages de fin - p. 257-263 accès libre