Contenu du sommaire : Carl Einstein et les primitivismes

Revue Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie Mir@bel
Numéro no 14, 2011
Titre du numéro Carl Einstein et les primitivismes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier Carl Einstein et les primitivismes

    • Introduction - Isabelle Kalinowski, Maria Stavrinaki p. 4-29 accès libre
    • À la recherche de l'Afrique dans Negerplastik de Carl Einstein - Z.S. Strother p. 30-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La publication de Negerplastik de Carl Einstein constitua, pour le meilleur ou pour le pire, l'acte fondateur de l'histoire de l'art africain. Ce texte, qui proposait 119 photographies habilement présentées afin de permettre des comparaisons formelles, contribua à légitimer les catégories de « sculpture nègre » ou d'« art africain ». Einstein ne citait pourtant aucune étude contemporaine sur l'Afrique. Il s'appuyait plutôt sur un mélange de différentes sources évoquant « la mentalité primitive ». Dans l'un des passages les plus originaux de ce texte, il transférait le modèle du « totémisme » aux tatouages et aux masques. En faisant l'hypothèse que le porteur du masque, en passant de la danse à l'« extase », connaissait une expérience transformationnelle, Einstein préfigurait une évolution importante de la recherche sur les cérémonies avec masques. Son intérêt pour les textes traitant de la « mentalité archaïque » répondait à la tâche qu'il s'était fixée et qu'il concevait comme un projet aussi bien psychologique que formaliste : recouvrer « les modes de vision et les lois de perception » de l'art africain.
      For good or ill, the publication of Negerplastik constitutes a founding act of African art history. The presentation of 119 photographs in skillful formal comparisons made credible categories such as “Negro sculpture” or “African art.” Nevertheless, Einstein did not cite any contemporary scholarship on Africa and instead drew upon a mixture of sources on the “primitive mind.” In one of the most original passages, he transfers models for “totemism” onto tattoos and masks. In this respect, Einstein foreshadows an important shift in the literature on masquerade by hypothesizing a transformational experience for the performer who is led by dance into “ecstasy.” Einstein's attraction to the literature on the “archaic mind” emerged from his mission to recover “ways of seeing and the laws of perception” for African art, a project he conceived as much psychological as it was formalistic.
    • Apocalypse primitive - Maria Stavrinaki p. 56-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quels étaient les régimes politiques et temporels de Negerplastik ? Démocratie parlementaire et évolutionnisme volaient en éclats par l'impact sensible des sculptures africaines, arrachées à leur histoire. Leur autonomie formelle s'opposait aux foules démocratiques et leur identité spatiale, resserrée dans le présent, contrastait avec la temporalisation de la sculpture moderne et de l'histoire elle-même. Le temps de l'art démagogue, de la répétition propre au capitalisme et à l'historicisme, de l'attentisme socialiste aussi était brisé. L'idée sorélienne de la motricité du mythe social se transposait dans les artefacts africains, incarnations paradoxales de la révolution. L'emprise de l'art sur l'histoire s'effectuait pour Einstein par les suggestions inscrites dans sa nature sensible. De la légalité universelle de la vision humaine, il déduisait l'efficacité politique de l'art moderne attentif à l'art « primitif ». La sculpture africaine changeait ainsi de régime ontologique et temporel : d'instrument conservateur, elle se transformait en outil révolutionnaire. Mais une aporie irrésolue, une asynchronie radicale, déterminait le rapport entre l'art et la politique chez Einstein.
      Of what kind were the political and temporal regimes in Negerplastik ? Parliamentary democracy and evolutionism were shattered by the sensory impact of african sculptures, torn from their own history. Their formal autonomy was opposed to democratic crowds and their spatial identity, tightened within the present, was in contrast with the temporalisation of modern sculpture and of history itself. The time of demagogic art, of repetition characteristic of capitalism and historicism, but also the one of socialist expectations was broken. The sorelian idea of social myth's motricity was transposed to african artefacts, these paradoxical incarnations of the revolution. The influence of art on history was taking place according to Einstein through the suggestions inherent in its sensory nature. From the universal legality of human vision he deduced the political efficiency of modern art attentive to “primitive” art. African sculpture was thus changing ontological and temporal regime : from a conservative instrument it turned into a revolutionary one. And yet an unresolved aporia, a radical asyncrhonicity, determined the relation between art and politics in Einstein's thought.
    • Art, agentivité et collectivité - Charles W. Haxthausen p. 78-99 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dès le début des années 1930, Carl Einstein crut passionnément que l'art moderne avait le pouvoir de changer radicalement le monde visuel de l'homme et, par là même, de transformer la subjectivité humaine et notre construction de la réalité. Pourtant, tout en invoquant de manière récurrente la « collectivité », il demeurait vague quant à la nature précise de « l'utopie révolutionnaire » à laquelle la forme artistique était appelée à donner le jour. Comment, au juste, la forme artistique pouvait-elle réaliser une telle utopie ? Comment pouvait-elle générer – puisque c'est là ce qu'Einstein semblait croire – des formes sociales et politiques particulières ? Un monde visuel collectif informé par l'art et manifesté dans un style unifié pouvait-il mener à une société égalitaire ? Einstein ne clarifia ce point qu'en abandonnant sa croyance dans l'agentivité sociale de l'art moderne, ce qui eut pour corrélat une révision radicale de son attitude vis-à-vis de l'avant-garde. L'article résume les étapes majeures de cette odyssée intellectuelle et insiste sur la place centrale de l'art africain dans l'élaboration des conceptions d'Einstein.
      Until the early 1930s Carl Einstein believed passionately in modern art's potential to radically alter human visuality and in so doing to alter human subjectivity and our construction of reality. Yet, beyond recurrent references to “collectivity”, he was vague about the precise nature of the “revolutionary utopia” that artistic form was to bring about. How exactly might artistic form achieve that utopia ? How could it generate — for that is what Einstein had apparently believed — particular social and political forms ? Would a collective visuality, shaped by art and manifest in a unified style, lead to an egalitarian collective society ? Clarity in these matters came only with Einstein's abandonment of his belief in modern art's social agency, resulting in a radical revision of his attitude toward the avant-garde. This article plots the major stages of this intellectual odyssey and argues for the centrality of African art in shaping Einstein's views.
    • Les trois moments de Carl Einstein - Isabelle Kalinowski p. 100-121 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En accordant une place nouvelle à des textes encore mal connus de Carl Einstein, traduits dans ce numéro, qui font le lien entre sa réflexion sur les arts primitifs et son intérêt pour des styles « archaïques », comme « L'art des nomades d'Asie centrale » (1931) ou « Exposition de statuettes de bronze antiques » (1933), l'article reconstitue une tripartition cyclique qui ponctue la vision einsteinienne des arts, des sociétés et du psychisme humain. Einstein oppose à un moment « tectonique » de stabilisation provisoire et collective d'un sens un moment « classique » dans lequel celui-ci se routinise et un moment « nomade » qui recueille l'héritage de classicismes oubliés, sur un mode conservateur, mais aussi novateur, car il les réinvente en les déplaçant. Einstein ne perd jamais de vue la circulation entre ces différents moments, même lorsqu'il semble, à certaines étapes de son parcours personnel, en privilégier un aux dépens des autres.
      This paper sheds a new light on writings by Carl Einstein which are still little known and which are translated in this volume. In these texts, such as “Nomad Art from Central Asia” (1931) and “Exhibition of Bronze Statuettes B.C.” (1933), Einstein's reflection on primitive arts meets his interest for “archaic” styles. This paper restores the cyclic sequence of three moments which characterizes Einstein's understanding of arts, societies and human psyche. Einstein distinguishes between the “tectonic” moment when the sense is temporarily and collectively stabilized, the “classical” moment of its routinization, and the “nomadic” moment when lost classicisms are inherited on a conservative yet innovative mode, for they become reinvented through their displacement. Einstein has always in mind the fact that these moments are interrelated, even though, at some points during his career, he seems to give priority to one or another.
    • Microcosme et macrocosme entre l'académie et l'avant-garde - Spyros Papapetros p. 122-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au début de l'année 1929, Carl Einstein, alors éditeur de la revue Documents, échangea quelques lettres avec Fritz Saxl, directeur de la bibliothèque Warburg, dans lesquelles il se demandait si les intellectuels de Hambourg accepteraient de rédiger de courts articles pour la revue parisienne. La seule contribution qui lui parvint fut le manuscrit du séminaire de Saxl sur l'histoire des représentations « microcosmiques » et « macrocosmiques », qui ne fut jamais publié dans Documents. Cependant, ce texte fantôme semble avoir influencé le contenu du premier numéro de la revue, comme en témoignent les articles de Michel Leiris, d'Einstein et de Georges Bataille, qui s'appliquent tous à retracer la présence du sujet moderne dans des espaces anthropologiques multiples. Les membres de la bibliothèque Warburg et les responsables de Documents avaient des objets d'étude et des méthodes communs, mais ils ne partageaient pas la même orientation idéologique. L'objet de la correspondance éditoriale analysée dans cet article était la correspondance en et pour elle-même : un système épistémologique fondé sur l'analogie, dont les deux correspondants firent la théorie exhaustive dans leurs écrits mais qu'ils échouèrent à mettre en application dans leurs relations institutionnelles.
      In early 1929, Carl Einstein, editor of Documents, sent a series of letters to Fritz Saxl, director of the Warburg Library for the Science of Culture, soliciting brief articles by the Hamburg scholars for the French review. The only contribution obtained was the manuscript of Saxl's lecture on the history of “micro-” and “macro-cosmic” representations, which was in fact never published in Documents. Nonetheless, this phantom text appears to have informed the first issue of Documents via a series of articles by Michel Leiris, Einstein, and Georges Bataille, all of which trace the inscription of the modern subject within multiple anthropological circles. While converging on issues of subject and method, the representatives of the Warburg Library and Documents diverged in ideological orientation. Ultimately, the object of this editorial correspondence was correspondence in and of itself : a system of epistemological analogies, which the two parties profusely analyzed in their writings, yet failed to practice in their institutional relations.
    • Georges Braque et l'anthropologie de l'image onirique de Carl Einstein - Joyce Cheng p. 144-163 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans Georges Braque, Carl Einstein a transformé l'entreprise esthétique de la critique d'art en une anthropologie de l'image ou même une anthropologie philosophique de l'imagination. Ce texte incarne un stade avancé de la pensée primitiviste développée par les avant-gardes européennes au début du XXe siècle. Einstein abandonna le primitivisme « tectonique » axé sur la forme qu'il avait déployé dans ses premières études consacrées à la sculpture africaine, et se tourna vers un primitivisme « hallucinatoire » et psychique dont le thème constitutif restait la perte extatique du moi. Le primitivisme hallucinatoire d'Einstein constitue, en fin de compte, une théorie de la passivité psychique et une réponse à la sécularisation de l'art ainsi qu'à la crise du collectif qui marquèrent l'entre-deux-guerres. La posture d'Einstein doit dès lors être replacée dans le contexte de l'épistémologie de l'imaginaire élaborée à la même époque par d'autres intellectuels, en particulier Jacques Lacan et Ludwig Binswanger, qui s'efforcèrent eux aussi de restaurer la valeur épistémologique de l'image en l'identifiant au langage du rêve et du mythe.
      Carl Einstein's Georges Braque is a text that transforms the aesthetic enterprise of art criticism into an anthropology of the image, if not a philosophical anthropology of the imagination. On the one hand, it constitutes an advanced stage of the primitivist thinking of the early twentieth-century European avant-garde. From a form-oriented “tectonic” primitivism in his early study of African sculpture, Einstein evolves into a psychic, “hallucinatory” primitivism while retaining the ecstatic loss of self as a constitutive theme. Einstein's hallucinatory primitivism is ultimately a theory of psychic passivity that responds to the secularization of art as well as the crisis of the collective in the interwar period. It is therefore to be contextualized within the epistemology of the imaginaire of other interwar thinkers, notably Jacques Lacan and Ludwig Binswanger, who not unlike Einstein also tried to redeem the epistemological value of the image by identifying it as the language of dream and myth.
    • Un ensevelissement sous les feuilles - Devin Fore p. 164-183 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article est consacré à Bebuquin II, l'autobiographie inachevée dont Carl Einstein entama la rédaction dans les années 1920. Il s'agit de reprendre l'analyse livrée par Einstein du passage du cubisme analytique au cubisme synthétique et, à partir de là, d'examiner l'économie mnémonique singulière de Bebuquin II. De manière paradoxale, Einstein se donnait pour objectif, dans l'enquête autobiographique, la destruction du moi. Il concevait Bebuquin II comme une œuvre destinée à faire éclater les composantes de la subjectivité au lieu de les relier les unes aux autres, une anamnèse appelée à détruire le contenu de la mémoire par l'acte même de remémoration. L'éradication du noyau psychologique de l'individualité ne devait pas être obtenue par la négation du moi mais par un excès de moi et une surabondance de souvenirs.
      This essay focuses on the unfinished autobiography Bebuquin II, which Einstein began to write in the mid 1920s. Drawing upon Einstein's account of the transition from analytic to synthetic cubism, the essay examines the curious mnemonic economy of Bebuquin II, which seeks, paradoxically, to destroy the ego through autobiographical inquiry. Einstein envisioned Bebuquin II to be a work that would disperse the components of subjectivity rather than suturing them together, an anamnesis that would erase the contents of memory in the very act of their recollection. According to Einstein, the erasure of the psychological core of selfhood would be achieved not through the negation of the self, but through an excess of ego and a superabundance of memory.
  • Textes de Carl Einstein

  • Bibliographie

    • Bibliographie - Isabelle Kalinowski, Maria Stavrinaki p. 257-258 accès libre
  • Chronique scientifique