Contenu du sommaire : Robots étrangement humains

Revue Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie Mir@bel
Numéro no 15, 2012
Titre du numéro Robots étrangement humains
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier Robots étrangement humains

    • Aux frontières de l'humain - Emmanuel Grimaud, Denis Vidal p. 4-25 accès libre
    • La vallée de l'étrange - Masahiro Mori p. 26-33 accès libre
    • Aux origines de l'anthropomorphisme - Gabriella Airenti p. 34-53 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dès la première enfance, les humains attribuent des traits de comportement anthropomorphe, tels des intentions, des perceptions et même des sentiments, aux artefacts. Pourquoi cette attitude est-elle si répandue ? Dans le champ de la psychologie, on a longtemps attribué ces comportements à l'exercice d'une forme primitive de la pensée, et notamment à l'incapacité prêtée aux jeunes enfants de distinguer entre le niveau physique et le niveau mental de la réalité. On admettait aussi que cette incapacité, propre aux enfants, pouvait, dans des situations affectivement chargées ou difficiles, affecter le comportement des adultes.Des recherches récentes ont montré, toutefois, que les très jeunes enfants sont parfaitement en mesure de distinguer entre ce qui relève du physique et ce qui relève du mental. Nous proposons donc dans cet article l'hypothèse qu'à l'origine de l'anthropomorphisme l'on ne trouve pas une modalité spécifique de la pensée, mais plutôt des modalités d'interaction précocement apprises. Plusieurs études consacrées au développement social de l'enfant montrent en effet que ce qu'on appelle « anthropomorphisme » est une extension aux non-humains de modalités interactionnelles propres au dialogue entre humains.
      Since a very young age humans attribute anthropomorphic features like intentions, perceptions and even feelings to artifacts. Why is this behavior so common? In the past developmental psychologists have considered this attitude as a primitive form of thinking. They maintained that young children where unable to distinguish between physical and mental events. Adults would adopt a similar attitude only when facing affectively charged or difficult situations. However, recent research has shown that also young children make distinctions between the “physical” and the “mental”. In this article I argue that anthropomorphism is not a primitive form of thinking but has its origins in interaction modalities acquired during infancy. A number of studies devoted to social development show that what we call “anthropomorphism” is an extension to non-humans of forms of interactions typical of human dialogue.
    • Vers un nouveau pacte anthropomorphique ! - Denis Vidal p. 54-75 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Partant d'un exemple ethnographique issu d'un terrain en cours auprès de roboticiens à Paris, l'auteur propose de contraster les notions de « piège » et de « pacte » anthropomorphiques pour tenter de mieux saisir la façon dont est conçue aujourd'hui l'interaction entre des robots humanoïdes et leurs utilisateurs ;et, plus généralement, pour faire ainsi ressortir ce qui peut distinguer les diverses attitudes qu'il est possible d'adopter vis-à-vis de l'anthropomorphisme, avec les implications méthodologiques mais aussi éthiques qui pourront en résulter, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies.
      The author proposes to contrast the notions of anthropomorphic “trap” and “pact” in an ethnographic case study conducted during on-going fieldwork with roboticists based in Paris. The aim is to shed light on how the interaction is conceived between humanoid robots and their users today and, more generally, to isolate what may distinguish the various attitudes we adopt toward anthropomorphism, with their methodological and ethical implications, particularly in the field of new technologies.
    • Androïde cherche humain pour contact électrique - Emmanuel Grimaud p. 76-101 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Toute interaction avec un robot gagne à être étudiée à l'échelle où l'observe Masahiro Mori, c'est-à-dire comme une cinétique de l'attachement qui peut être suivie en temps réel dans ses fluctuations d'intensité. Mais une interaction avec un robot anthropomorphe n'est-elle réussie qu'à la condition que nous oubliions, à un moment ou à un autre du processus, qu'il s'agit d'une machine ? La question se pose de manière accrue à la robotique lorsque celle-ci se situe sur le terrain des passions. On prendra ici plusieurs exemples (humanoïdes, animaux artificiels, machines érotiques), qui montrent que des liens d'attachement, des jeux communicationnels et parfois même des relations passionnelles peuvent se développer avec des robots, sans qu'il soit nécessaire de les ranger à tout prix et définitivement dans la catégorie « humains » ou « machines ». Et si les échelles de traitement des objets, des êtres, des machines et de leurs hybrides peuvent être très variées selon le contexte où l'on se situe, elles sont souvent bien plus souples, graduées et prêtes à s'ouvrir à des relations troublantes que la vieille opposition de l'humain et de la machine ne le laisserait penser. Aussi la robotique nous invite-t-elle à repenser ce que s'attacher veut dire, avant tout débat sur l'apparence même de ses créatures.
      Every interaction with a robot calls for a study in terms expressed by Mori, that is, as a kinetic of binding that sudden ontological reversals affect in real time. The same succession of observations informs it consistently, starting with a stage approach and a moment of deep confusion between man and the machine (“this may well be human”), followed by a disassociation phase (“this is just a machine”). The interaction succeeds if it prompts a variety of communicational games where the robot is never classified once and for all in the category of “human” or “machine” in order for a relationship to be established. In this way, interaction with a robot amounts to entering incidentally a small metaphysical theatre characterized by a certain ontological flexibility. Viewed through this perspective, the humanoids examined in this text and their by-products conceived to generate attachment (pets, erotic robots) are never creatures like any other.
    • Le corps humain et ses doubles - Joffrey Becker p. 102-119 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les robots participent sans doute d'une des formes d'anthropomorphisme parmi les plus récentes et les mieux assumées au sein de notre environnement culturel. Ils apparaissent également comme des objets assez peu étudiés par les anthropologues. Ils sont pourtant mobilisés par leurs créateurs au titre d'une réflexion sur notre condition, et ce dans des contextes qui semblent bien distincts  : la science et la fiction. Nous proposons ici d'explorer quelques éléments constitutifs des relations entre humains et machines. Il s'agit de voir comment le mouvement conjoint d'imitation et de compréhension du corps favorise la création d'un espace relationnel permettant de penser notre humanité et ses transformations. Nous verrons que cette perspective anthropologique traverse la robotique comme les arts.
      Robots belong to one of the most recent forms of anthropomorphism that is widely accepted in our cultural environment. Yet, anthropologists have tended to understudy them. Robots, however, provide a means for their creators to reflect on our condition in very distinctive contexts: science and fiction. Here, we propose to explore some constitutive aspects of the relationships between humans and machines. The article shows how the combined movement of body imitation and body understanding induces the creation of a relational space in which to think about our humanity and its transformations. This anthropological perspective applies as much to robotics as to the arts.
    • Esthétiques de la manipulation - Zaven Paré p. 120-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Certains robots japonais imitent singulièrement les poses des marionnettes du théâtre de bunraku. Le roboticien Masahiro Mori avait évoqué ce possible parallèle, lui qui accorde plus de vie au visage sculpté d'une marionnette ou du Bouddha qu'à un robot. Cette étude propose d'analyser successivement les manipulations des marionnettes et la mécanique des karakuri. Au Japon, l'opposition entre le naturel et l'artificiel est amoindrie par une sorte de continuité entre l'homme et ses créations. La perfection du théâtre du vivant s'y substitue à la précision des manipulations techniques des marionnettistes et des fabricants d'automates.
      Certain Japanese robots imitate the postures of bunraku theatre puppets in a singular way. Roboticist Masahiro Mori, who credits more liveliness to the sculpted face of a puppet or Buddha than that of a robot, has evoked this possible parallel. This study proposes to analyse successively the manipulation of puppets and the mechanisms of karakuri. In Japan, a form of continuity between man and his creations reduces the opposition between nature and artifice. As a result, the technical preciseness of puppeteers and the virtuosity of automata manufacturers give way to the perfection of live performance.
    • Machines, magie, miracles - Charles Malamoud p. 144-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le terme sanscrit yantra signifie « machine ». Étymologiquement, le yantra est un instrument pour contenir, capter, diriger en la contrôlant telle ou telle forme d'énergie. Une simple barrière peut être conçue comme un yantra. De même des armes comme l'arc et les catapultes, et des dispositifs tels que la noria. Par extension, ces machines mentales que sont les diagrammes grâce auxquels nous pouvons canaliser et diriger notre attention ou notre imagination sont aussi des yantra. Très tôt on a associé le yantra à la magie et aux arts de l'illusionniste. Jouer de la crédulité du public, lui faire prendre pour des réalités ce qui est le produit d'un truquage, c'est là un des aspects de la guerre psychologique. L'Arthaçâstra, traité de la science du gouvernement, donne des listes détaillées des machines et machinations que le roi utilise pour éblouir et affoler ses adversaires.
      Etymologically speaking, the yantra is an instrument used to contain, captivate or direct a form of energy by controlling it. A simple barrier may be seen as a yantra, as well as weapons like a bow, a catapult or devices such as the noria. By extension, mental machines such as diagrams whereby we may canalise or direct our attention or our imagination are also yantra. From early times, the yantra has been associated with magic and with the art of illusionism. Playing upon the credulity of the audience, making them take frauds for reality are aspects of psychological warfare. The Arthaçâstra, a treatise on statecraft, provides detailed lists of machines and machinations that a king employs to dazzle and frighten his enemies.
  • Entretien

  • Etudes et essais

    • La chorégraphie du bâton divinatoire comme écriture sonore au Burkina Faso - Danouta Liberski-Bagnoud p. 182-201 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers l'analyse d'une pratique divinatoire ouest-africaine, dite « par le bâton », cet article aborde la question de la part respective des gestes techniques et de la parole dans la fabrication d'un énoncé oraculaire. Y a-t-il un rapport d'implication mutuelle entre la main qui produit des perceptions visuelles et sonores et les séquences discursives où sont énoncés les mots de l'oracle ? L'auteur avance l'hypothèse que l'étrange corps-à-corps du devin et du consultant met en œuvre une forme d'écriture en acte, au sens où en parle Roland Barthes, ainsi que des faits de lecture. Ce que permet ce type de technique divinatoire, c'est autant la transposition en langage clair de signes obtus captés au lieu de l'origine que l'acte de construction d'un texte dont ni le devin ni le consultant ne sont à proprement parler l'auteur.
      Through the analysis of a Western African divinatory practice called “divination by the stick”, this paper addresses the question of the respective part of technical gestures and of language in the creation of a prophetic statement. Is there a relationship of mutual implication between the hand which produces visual and acoustic perceptions and the discursive sequences where the words of the oracle are expressed? The author tests the hypothesis that the divinatory practices expressed by the strange hand-to-hand gestures performed together by the soothsayer and the consultant, implement some form of writing through acts, as defined by Roland Barthes, as well as facts of reading. What is accomplished by this kind of divinatory techniques is as much the transposition of obtuse signs that emerge from the place of origin into a clear language, as the construction of a text of which neither the diviner nor the consultant are, properly speaking, the author.
    • L'œil du hautbois - William Tallotte p. 202-223 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le culte hindou, l'image des divinités (statue anthropomorphe, liṅga, diagramme, etc.) est centrale et mobilisatrice : c'est vers elle, en effet, que les officiants, les fidèles et les musiciens portent toute leur attention. La musique, dans cette perspective, est à la fois offrande et accompagnement : offrande adressée à l'image et accompagnement des actions menées autour de l'image. Nous proposons dans cet article, à partir d'une enquête de terrain menée sur plusieurs temples śivaïtes du pays tamoul, d'examiner les rapports entre le son et les images divines. Nous nous focaliserons plus particulièrement sur deux problématiques : les logiques religieuses, sociales et sonores qui déterminent la répartition des musiques au sein de l'espace cultuel ; et les moyens acoustiques mis en œuvre par les instrumentistes, en l'occurrence les joueurs de hautbois nāgasvaram,afin de servir et de satisfaire les dieux. La convergence des questions abordées montrera qu'un examen attentif des situations de performance permet de mieux saisir la fonction du son dans le culte hindou et son lien avec la notion de darśana (vision).
      In the Hindu cult, the image of the divinities (anthropomorphic statue, liṅga, diagram, etc.) is central and all-mobilizing: it is to her that the officiants, the faithful, and the musicians turn all their attention. In that perspective, the music is at once offering and accompaniment: offering addressed to the image and accompaniment of the actions conducted around the image. We propose in this article, from a fieldwork carried out in several śaiva temples of the Tamil country, to examine the relationship between the sound and the divine images. We will focus more specifically on two problems: the religious, social, and sound logics that determine the distribution of the music within the cultual space; and the acoustic means implemented by instrumentalists, in this case nāgasvaram shawm players, in order to serve and to satisfy the gods. The convergence of the issues addressed will show that a close examination of performance's situations helps to understand the function of the sound in the Hindu cult and its link with the notion of darśana (vision).
  • Chronique scientifique