Contenu du sommaire : Regard extérieur

Revue Extrême-Orient, Extrême-Occident Mir@bel
Numéro no 39, 2015
Titre du numéro Regard extérieur
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • ‪Les épreuves du corps en littérature. Les cas de la Chine et du Japon‪ - Cécile Sakai, Gérard Siary, Victor Vuilleumier p. 5-20 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article analyse le dispositif pictural tel qu'il a été élaboré par Jean-François Lyotard dans sa communication en 1972, «  La peinture comme dispositif libidinal » et décrit les mécanismes de l'objectivation de la psychanalyse pour sa pensée concernant la peinture.

    The article analyzes the pictorial dispositif developped by Jean-François Lyotard in his communication in 1972, “Painting as a libidinal dispositif” and describes the objectification mechanisms of the psychoanalysis for his thinking about painting.
  • ‪Corps, maladie, écriture chez trois auteurs japonais du début du xx e siècle : Nakae Chômin, Masaoka Shiki, Natsume Sôseki‪ - Emmanuel Lozerand p. 21-46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'étude s'attache à trois œuvres singulières publiées entre 1901 et 1911, élaborées à partir d'une situation de maladie. Nakae Chômin, atteint d'une tumeur cancéreuse à la gorge, se lance en toute hâte dans Un an et demi, la durée même du temps que les médecins lui accordent à vivre ; Masaoka Shiki, souffrant d'une tuberculose osseuse douloureuse et invalidante, donne jour après jour, au quotidien Nihon, Une goutte d'encre depuis son Lit de malade [de] six pieds de long ; Natsume Sôseki, rescapé d'une hémorragie gastrique, publie en feuilleton, dans le journal Asahi, Choses dont je me souviens pour garder la mémoire des sensations complexes qui furent les siennes dans les semaines écoulées. Tous trois refusent la métaphorisation de la douleur, qu'elle soit stigmatisation ou esthétisation, et inventent des écritures quasi humorales, pour ouvrir depuis leurs corps malades des fenêtres sur le monde.

    This study focuses on three singular works, all published between 1901 and 1911, and developed from the author's disease state. Nakae Chômin, stricken with a throat cancerous tumor, hastily embarked in One Year and a Half, the very same length of time that doctors left him to live. Masaoka Shiki, suffering from a painful bone tuberculosis, day after day sent from his Six Feet Long Bed of Illness short essays entitled A Drop of Ink to the Nihon Shinbun. Natsume Sôseki, just after surviving a stomach bleeding, published in the Asahi Shinbun serial essays under the title Things I Remember, as he wanted to keep a memory of the complex sensations he went through during this period. All three refused to resort to metaphors as a means to stigmatize or prettify. They invented a kind of “humoral” writing that was likely to open up to the world from the point of view of their sick bodies.
  • ‪Le corps souffrant chez Lu Xun : allégorie muette de l'obstacle et appropriation de la modernité‪ - Victor Vuilleumier p. 47-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le corps chez Lu Xun est peu décrit. Cette absence permet de dire indirectement une souffrance multiple : la honte ressentie devant la crise historique de la Chine dont la nature nationale est tenue pour responsable ; la mélancolie existentielle. En revanche, le corps est allégorisé comme signe de la tradition, qui fait obstacle à l'émancipation de l'individu. Libérer la voix de la nation chinoise impose de détruire symboliquement le corps reçu en héritage, de subvertir l'esthétique et les paradigmes scientistes de la corporalité et de la puissance élaborés par la modernité chinoise mondialisée. Le vrai médecin agit par l'écrit sur l'esprit, non sur le corps ou la civilisation matérielle. Accorder la primauté au cœur sur le corps permet de fonder un projet de modernité, en métaphorisant la médecine importée.

    The body in Lu Xun's writings is rarely depicted. This absence allows the text to indirectly express the meaning of suffering in its multiple dimension (the shame felt in the face of China's historical crisis, which the national nature is held liable for, and the existential melancholy). However, the body is allegorized, and embodies the sign of a tradition that limits the emancipation of the individual. The liberation of the Chinese national voice requires symbolically destroying the inherited body, as well as subverting the sublime aesthetics of corporeality and the scientist paradigm of the body defined by the Chinese globalized modernity. The real physician impacts on the spirit by means of the writing, and not on the body or the material civilization. To ensure a greatest value to the heart rather than to the body is regarded by Lu Xun as a way to establish a project of modernity, by the metaphorization of the imported medicine.
  • ‪Cadavre vivant et pantin désarticulé : souffrance et reconfiguration des corps dans l'œuvre d'Edogawa Ranpo‪ - Gérald Peloux p. 85-118 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les récits policiers d'Edogawa Ranpo sont caractérisés par une abondance de corps, surtout féminins, démembrés, reconfigurés, s'appropriant certains canons esthétiques des années 1920 et 1930 basés sur le grotesque, l'érotisme et l'absurde. Malgré la violence qui traverse ces histoires, la description du corps souffrant y est étonnamment absente, trait qui signale le désir auctorial de détourner les techniques et stéréotypes du genre policier pour proposer, là même où l'on attendrait une souffrance exhibée, une approche originale, quasi interactive, du rapport entre auteur, texte et lecteur – comme le montre l'examen de « La chenille »(1929), clé d'une œuvre ambivalente au regard de la souffrance physique.

    As they internalize the aesthetic canons of the twenties and thirties based on grotesque, eroticism and nonsense, Edogawa Ranpo's detective stories are characterized by an abundance of dismembered and reconfigured bodies, especially women. Despite the violence pervading these stories, the description of the suffering body is surprisingly absent. Such a trait signals the author's attempt at twisting the techniques and the stereotypes of the detective fiction and proposing an original and almost interactive approach of the relations between author, text and reader instead of the display of suffering the reader is yearning for. The analysis of “The Caterpillar” (1929) provides us with a key to understand the ambiguity of Edogawa's work as to physical suffering.
  • ‪Corps fort et corps blessé chez Jin Yong et dans quelques romans d'arts martiaux chinois contemporains‪ - Nicolas Zufferey p. 119-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La littérature d'arts martiaux met naturellement en avant le corps fort, nécessaire au héros pour triompher. Le célèbre romancier Jin Yong, cependant, thématise dans certaines de ses œuvres le corps faible et blessé. C'est le cas du corps de Linghu Chong dans Aventurier fier et souriant (Xiao'ao jianghu) : dans ce roman, le corps malade du héros est un champ de bataille symbolisant les conflits entre écoles martiales rivales. Et comme ce roman peut se lire comme une critique de la Révolution culturelle, il est tentant de voir dans le corps de Linghu Chong une métaphore pour la Chine en proie aux divisions politiques et au chaos.

    The martial art novel usually stresses the necessity for the hero to have a strong body in order to defeat his enemies. Such is not the case, however, in The Smiling and Proud Wanderer (Xiao'ao jianghu), one of the works in which the famous novelist Jin Yong emphasizes the weakness of the main character, Linghu Chong, whose body can be interpreted as a symbolic battlefield between rival martial art schools. As far as one can read this novel as a parody of the Cultural Revolution, the hero's sick body turns out to be a metaphor for Chinese politics in a very chaotic period.
  • ‪Le corps souffrant dans la littérature chinoise depuis la Nouvelle période (1979-2015)‪ - Xu Shuang, Ariadna de Oliveira Gomes p. 145-176 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette étude analyse la représentation du corps dans la littérature chinoise depuis 1979. Au lendemain des années Mao, le sujet se découvre un corps brisé, impuissant, menacé. Cette image, loin de s'atténuer avec la prospérité économique du XXIe siècle, s'y révèle persistante. La clef de cette continuité est à chercher dans les rapports complexes qui unissent et déchirent corps individuel et corps social, inscrits dans l'imaginaire comme la source d'une souffrance durable.
    This study scrutinizes the representation of the body in Chinese literature since 1979. In the aftermath of the Cultural Revolution, bodies perceive themselves as broken, impotent, and endangered. Far from fading out with the economic prosperity, such a recurring pattern grows more persistent in the 21st Century. The key to this phenomenon is to be found in the conflicting relation between individual and social body as a cause of long-lasting suffering.
  • ‪Corps sensible et corps pratico-inerte : femme frustrée et kamikaze mutique dans une nouvelle de Kôno Taeko, « Tetsu no uo » (« Poisson de fer »)‪ - Gérard Siary p. 177-202 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    « Poisson de fer » (« Tetsu no uo », 1976), nouvelle de l'écrivaine Kôno Taeko (1926-2015), raconte l'histoire d'une veuve de guerre qui se fait enfermer la nuit dans le musée (le sanctuaire Yasukuni) où son mari est vénéré comme un dieu, et dans la torpille sous-marine (le « poisson ») où il a trouvé la mort. Dans le processus de réappropriation de ce mari kamikaze, qu'elle n'a presque pas connu et qui ne lui a pas laissé la parole, la souffrance alterne avec la jouissance. Le poisson symbolise ici le traumatisme de guerre perçu au féminin et subvertit l'historiographie masculine officielle au profit de la souffrance privée et muette de la femme.

    “Tetsu no uo” (“Iron Fish”, 1976), a short story written by Kôno Taeko (1926-2015), a woman writer, tells the story of a war widow who has herself locked up at night in the museum (Yasukuni shrine) where her husband is revered as a god, and in the man-guided torpedo (the “fish” or kaiten) where he died. In the process by which she manages to take possession of her former late husband, a kamikaze pilot, whom she hardly knew and who didn't let her express herself, suffering alternates with enjoyment. The fish hereby symbolizes the war trauma such as perceived from a feminine point of view and subverts the official masculine historiography in favor of women's private and silent suffering.
  • ‪Quelques aperçus comparatistes sur les représentations du corps souffrant en France et en Chine‪ - Yvan Daniel p. 203-214 accès libre