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Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 71, no 2, avril 2016
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Violences révolutionnaires

    • Plus jamais la même : À propos de quelques interprétations récentes de la Révolution française - Francesco Benigno p. 319-346 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une discussion sur trois publications récentes et importantes consacrées à la Révolution française : le livre de Timothy Tackett, The Coming of the Terror in the French Revolution, celui de Jonathan Israel, Revolutionary Ideas: An Intellectual History of the French Revolution from the Rights of Man to Robespierre et, enfin, celui de Haim Burstin, Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution française. Ces ouvrages se caractérisent notamment par un retour bienvenu à des interprétations générales renouvelées par de nouvelles approches théoriques. Le processus révolutionnaire est donc envisagé sous de multiples points de vue : le premier se fonde sur le courant historiographique connu sous le nom de « nouvelle histoire des émotions » pour expliquer l'obsession de la conspiration et, donc, la Terreur ; le deuxième propose une utilisation nouvelle de l'histoire traditionnelle des idées, considérée comme capable d'expliquer les prétendus « faits concrets » ; le troisième envisage l'expérience révolutionnaire selon une perspective inspirée par l'anthropologie en établissant une typologie afin de la caractériser. Cependant, tous sont unis par leur résistance à analyser la structure politique en tant que telle, c'est-à-dire à étudier comment fonctionnaient concrètement les institutions politiques pendant la Révolution.
      This essay is a discussion of three recent and important books on the French Revolution: Timothy Tackett's The Coming of the Terror in the French Revolution; Jonathan Israel's Revolutionary Ideas: An Intellectual History of the French Revolution from the Rights of Man to Robespierre; and Haim Burstin's Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution française. All three volumes are characterized by a welcome return to general interpretations based on new theoretical approaches and consider the revolutionary process from multiple points of view: the first uses the historiographical tendency known as the “new history of emotions” to explain the contemporary obsession with conspiracies and thence the Terror; the second proposes a new approach based on the traditional history of ideas, considered capable of explaining the so called “hard facts”; the third envisages the revolutionary experience from an anthropological perspective, constructing a typology in order to characterize it. Nevertheless, all three are united by a reluctance to analyze the political structure itself, in other words, to investigate the concrete workings of political institutions during the Revolution.
    • Être immortel à Paris : Violence et prophétie durant la Révolution française - Francisco Javier Ramón Solans p. 347-378 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est de réfléchir à la relation entre événement et prophétie à l'époque de la Révolution française à travers le cas de Catherine Théot et son activité prophétique à Paris dans la seconde moitié du xviii e siècle. Face à une apparente immobilité, nous verrons que ses prophéties étaient en constante transformation et évolution, ce qui eut pour conséquence des discours hybrides et nourris d'influences variées tels que le jansénisme ou les discours révolutionnaires. L'affaire Théot permet de réfléchir à l'interprétation surnaturelle qui a été faite de la Révolution française. Ses prophéties apparaissent dans ce contexte comme une réponse aux besoins émotionnels provoqués par l'instabilité politique, la peur de la guerre, la violence politique et les changements religieux. Finalement, l'article met en évidence l'existence d'un discours religieux en marge de la dialectique entre révolution et contre-révolution bien qu'il y soit intimement lié par le poids des guerres révolutionnaires et de la Terreur.
      This article uses the case of Catherine Théot and her prophetic activity in Paris during the second half of the eighteenth century to reflect on the relationship between event and prophecy in the era of the French Revolution. Despite appearing fixed and immobile, Théot's prophecies were constantly changing and evolving. This gives rise to hybrid discourses influenced by various currents including, among others, both Jansenism and revolutionary discourses. The Théot affair also provides an occasion to reflect on contemporary supernatural interpretations of the French Revolution. In this context, her prophecies can be read as a response to the emotional needs triggered by political instability, the fear of war and political violence, and religious changes. In conclusion, the article points to a religious discourse that existed on the margins of the dialectic between revolution and counter-revolution, but was nevertheless closely linked to it though the effects of the Revolutionary Wars and the Terror.
  • Sociologie et histoire

    • Sociologie de l'antisémitisme allemand - Norbert Elias p. 379-384 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour comprendre la montée de l'antisémitisme en Allemagne, il convient de saisir ce phénomène dans des termes sociologiques. Les causes de l'antisémitisme ont toujours été structurelles bien qu'il ait pris des formes différentes selon les époques. L'article retrace la manière dont l'hostilité à l'égard des juifs est un effet des luttes de pouvoir entre groupes, produisant à chaque fois des constellations singulières et des visions du monde où le groupe particulier des juifs apparaît parfois comme le support d'une revendication d'émancipation générale, mais figure aussi comme une extériorité dont la proximité et la concurrence sont redoutées. Revenant sur la conjoncture actuelle de 1929, marquée par une crise économique et politique aiguë, le sociologue constate que l'antisémitisme ne peut que croître, de sorte qu'il ne demeure aux juifs que l'option d'une émigration en Palestine ou, à défaut, de faire face à la situation avec lucidité.
      In order to understand the rise of anti-Semitism in Germany, the phenomenon must be understood in sociological terms. Although it has assumed different forms in different periods, the causes of anti-Semitism have always been structural. This article traces the ways in which hostility toward Jews results from power struggles between groups. Each struggle produces unique circumstances and worldviews: while the particular group of the Jews sometimes appears to offer a framework for general revindications of freedom, they also represent an Other whose proximity and antagonism are feared. Considering the contemporary context of 1929, marked by acute economic and political crisis, the sociologist observes that anti-Semitism will only become more widespread. He concludes that the only option left to Jews is to emigrate to Palestine. Failing that, they must face the situation with lucidity.
    • Elias sur l'antisémitisme : le sionisme ou la sociologie - Danny Trom p. 385-420 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Appuyé sur une lecture du texte d'intervention de Norbert Elias « Sociologie de l'antisémitisme allemand », paru en 1929 dans une revue israélite communautaire, cet article se propose de reconsidérer la trajectoire intellectuelle du sociologue. Il soutient que dans ce texte aux allures circonstancielles Elias thématise le choix qu'il fait en faveur de la sociologie. Cette option vient se substituer à et recouvrir son engagement sioniste dans le mouvement de jeunesse Blau-Weiss, comme le laisse entendre, malgré son ambiguïté, la phrase conclusive de son texte où il présente aux juifs d'Allemagne une alternative : l'émigration collective vers la Palestine ou la lucidité tirée du diagnostic sociologique de la situation. L'article situe d'abord ce texte d'intervention dans la palette des analyses de l'antisémitisme en Allemagne durant les années 1920, en particulier celles de Franz Oppenheimer, dans son rapport au sionisme. Il le situe ensuite dans ce courant de la sociologie mené par Karl Mannheim, dont Elias sera l'assistant à Francfort, dans son contraste avec la perspective développée à la même époque par l'École de Francfort. Enfin, il montre que le geste de distanciation sociologique opéré par Elias viendra imperceptiblement se substituer à la distanciation politique qui avait le sionisme pour pivot, un geste scientifique qui supposait d'effacer définitivement de sa mémoire l'option politique sioniste en faveur de laquelle il avait pourtant longtemps milité.
      This paper proposes to revisit the intellectual trajectory of Norbert Elias, based on an article published by the sociologist in a local Jewish newspaper in 1929: “On the Sociology of German Anti-Semitism.” It argues that in this seemingly circumstantial article, Elias asserts his decision to favor sociology, which seems to replace and envelop his engagement in the Zionist youth movement Blau-Weiss. This is evident in the article's somewhat ambiguous final sentence, where Elias presents German Jews with an alternative: collective emigration to Palestine or a lucid vision drawn from a sociological diagnosis of the situation. The present paper also situates this text within the range of analyses of anti-Semitism in 1920s Germany, comparing its approach to Zionism with that of Franz Oppenheimer and contextualizing its relationship to the sociology of Karl Mannheim: Elias was Mannheim's assistant in Frankfurt and his approach contrasted with the perspective developed in the same period and place by the Frankfurt school. Finally, the paper shows that Elias' sociological detachment would imperceptibly take the place of the political detachment that had centered on Zionism—a scientific move that implied erasing the political Zionism he had long supported from his memory.
    • La force des dispositifs - Nicolas Dodier, Janine Barbot p. 421-450 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les sciences sociales peuvent tirer parti d'une attention particulière à la place qu'occupent les dispositifs dans la vie sociale. L'intérêt d'une telle perspective transparaît de l'examen des recherches qui, depuis la fin des années 1970, ont recouru à cette notion. Mais la lecture de ces travaux fait apparaître également, outre la grande variété des définitions et des objectifs associés au concept de dispositif, certaines des difficultés rencontrées en chemin. Elle incite à un effort de clarification et de renouvellement, autant sur le plan conceptuel que méthodologique, auquel cet article souhaite contribuer. Dans la première partie de l'article, nous présentons les résultats d'une enquête conceptuelle sur la notion de dispositif. Dans la deuxième partie, nous développons une série de propositions qui visent à élaborer une approche « processuelle » des dispositifs. Nous revenons enfin sur plusieurs enquêtes que nous avons conduites dans cette perspective autour de dispositifs de réparation : étude du travail doctrinal des juristes autour du procès pénal, des pratiques d'avocats à l'audience d'un procès, des réactions de victimes d'une catastrophe sanitaire face à un fonds d'indemnisation, des transformations historiques des dispositifs de réparation des accidents médicaux depuis le début du xixe siècle. Il s'agit ainsi de préciser l'approche proposée et d'en suggérer des prolongements possibles.
      Social sciences have much to gain by paying particular attention to the place that dispositifs occupy in social life. The utility of such a perspective is evident from an examination of the research that has made use of this notion since the end of the 1970s. Yet in addition to the wide variety of definitions and objectives relating to the concept of dispositif, a reading of these works also reveals some of the difficulties that have been encountered along the way. An effort to clarify and renew the discussion on both conceptual and methodological levels is thus worthwhile, and this article is a contribution to this end. The first section sets out a conceptual inquiry into the notion of dispositif. The second puts forward a series of propositions designed to develop a “processual” approach to dispositifs. Finally, we return to several studies that we have conducted from this perspective relating to the dispositifs of redress, looking at the doctrinal work of jurists involved in a criminal trial, the practices of lawyers in the courtroom, the reactions of victims of a disaster to a compensation fund, and the historical transformations of dispositifs of redress for medical accidents since the beginning of the nineteenth century. This enables us to specify the approach we propose and to suggest new avenues for the future.
  • Écrire l'histoire des sciences

    • Sciences et savoirs - Roger Chartier p. 451-464 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette note critique pose trois questions, formulées essentiellement à partir des deux premiers tomes de l'Histoire des sciences et des savoirs, entreprise dirigée par Dominique Pestre. Tout d'abord, elle examine les relations entre « sciences » et « savoirs ». Est-il possible de tracer une nette frontière entre les unes et les autres ? Ou faut-il considérer les savoirs « scientifiques » (avec ou sans guillemets) comme une classe particulière de savoirs ? Et, dans ce cas, doit-on les définir à partir d'un certain nombre d'opérations spécifiques ? Ensuite, l'interrogation porte sur l'acceptation, la critique ou le refus de la définition classique de la « révolution scientifique », datée du xvii e siècle et caractérisée par la rencontre entre la mathématisation de la nature et la pratique expérimentale. Faut-il lui substituer d'autres perspectives, qui portent l'attention sur les reconfigurations des champs de la connaissance ou sur la pluralité des révolutions ? Enfin, est discutée l'attention portée aux histoires connectées des savoirs, qui rompent avec l'européocentrisme et introduisent de nouveaux acteurs. Mais ces circulations n'effacent pas l'asymétrie des échanges, les stigmatisations des savoirs indigènes ou l'imposition impérialiste de la science occidentale.
      This critical note poses three questions, essentially based on the first two volumes of Histoire des sciences et des savoirs, a collective undertaking edited by Dominique Pestre. First, it considers the relationships between “science” and “knowledge.” Can a clear line be drawn between them? Or should “scientific” knowledge (with or without quotation marks) be considered a particular class of knowledge? And, if this is the case, must we define it according to a certain number of specific operations? Second, the article turns to the acceptance, criticism, or rejection of the traditional definition of the “scientific revolution,” dated to the seventeenth century and characterized by the mathematization of nature and the introduction of experimental practices. Should this be replaced by other perspectives, highlighting the previous reconfigurations of fields of knowledge or the plurality of “revolutions”? Finally, the article considers the attention paid to connected histories of knowledge, which move away from Eurocentricism and introduce new actors. Awareness of these circulations does not however efface the asymmetry of exchanges, the stigmatization of indigenous knowledge, or the imperialistic imposition of Western science.
  • Comptes rendus