Contenu du sommaire : Famille et mobilité sociale en Russie, XVIe - XVIIIe siècles

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 57, no 2-3, avril-septembre 2016
Titre du numéro Famille et mobilité sociale en Russie, XVIe - XVIIIe siècles
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction - André Berelowitch p. 265-274 accès libre
  • Ascensions, déclassements et stabilités

    • Les Strešnev et les Miloslavskij dans la première moitié du XVIIe siècle : Liens de famille et liens sociaux, carrière à la cour, voies d'accès à l'élite dirigeante - Andrei P. Pavlov, André Berelowitch p. 275-310 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article est consacré à l'histoire des StreŠnev et des Miloslavskij pendant la première moitié du xvii e siècle. Il retrace les succès rencontrés à la cour par ces familles et analyse l'influence des liens familiaux et claniques sur leur mobilité sociale. Il démontre aussi que les StreŠnev et les Miloslavskij occupaient déjà une certaine position à la cour avant même que le mariage du tsar Mihail Fedorovi© avec Evdokija Luk´janovna StreŠneva (1626) et celui du tsar Aleksej Mihajlovi© avec Marija Il´ini©na Miloslavskaja (1648) ne fussent conclus, renversant ainsi la représentation historiographique courante selon laquelle, avant les mariages, les StreŠnev et les Miloslavskij étaient des familles pauvres et inconnues. L'auteur suit le processus d'intégration de ces deux familles dans le milieu des bojare et des courtisans.
      The article studies the history of the Streshnev and Miloslavskii families in the first half of the seventeenth century. It shows the successful careers of these families at court and the influence of family and clan ties on their social mobility. The author concludes that the confirmation of the Streshnev and Miloslavskii families at the court had begun long before the marriages of Tsar Mikhail Fëdorovich with Evdokiia Streshneva (1626) and of Tsar Aleksei Mikhailovich with Mariia Miloslavskaia (1648). The Streshnev and Miloslavskii families were not obscure and powerless before the royal weddings of 1626 and 1648 as earlier studies have suggested. The author traces the process of integration of these families as royal relatives in the boyar and court elite.
    • K ISTORII BOIARSKOI SEM´I XVII v. : Sem´ia kniazia Nikity Ivanovicha Odoevskogo - Pavel Sedov p. 311-342 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au xvii e siècle, les princes Odoevskij appartenaient à la crème de l'élite moscovite. Tirant parti de documents inédits, l'auteur reconstruit l'histoire de quatre générations de cette famille, à commencer par le prince Nikita Ivanovič Odoevskij, l'un des plus célèbres bojare de l'époque d'avant Pierre le Grand. L'auteur montre comment chacune des générations successives s'efforçait de maintenir la tradition familiale, reproduisant autant que possible la carrière de ses pères. C'est ainsi que les princes Odoevskij s'affirmèrent durablement dans les premiers rangs de la Duma et dans le cercle intime du tsar. En ce sens, le règne de Pierre le Grand marque une rupture : le modèle comportemental dans lequel l'autorité des aïeux dictait les objectifs des descendants n'y a pas survécu. Durant la première moitié du xviii e siècle, les princes Odoevskij édifièrent leurs carrières en suivant leurs goûts et préférences personnels pour finalement ne laisser d'eux que l'image de gens « médiocres », « serviles » et « tricheurs aux cartes ».
      In the seventeenth century, the Odoevskii princes belonged to the upper crust of the Muscovite elite. On the basis of unpublished documents, the article reconstructs the history of four generations of the family starting with Nikita Ivanovich Odoevskii, one of the most notorious boyars of the pre‑Petrine era. The author shows how each generation strove to maintain family traditions by reproducing, as much as possible, their father's and grand‑father's careers. They thus secured their position in the top Duma ranks and the tsar's close circle. In that respect, Peter's reign marked a breaking point in a behavioral pattern in which younger generations were inspired by their forebears. During the first half of the eighteenth century, the Odoevskii princes built their careers following their personal tastes and preferences and were remembered as “mediocre” people, notorious for “fawning” and “cheating at cards.”
    • Au service du couvent : La correspondance Belin - André Berelowitch p. 343-370 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'analyse de la correspondance (mars 1673 ‑ janvier 1674) entre un père et son fils, Vasilij et Ivan Belin, tous deux chargés d'affaires (strjapčij) du monastère de l'Intercession de la Vierge (Pokrovskij) à Suzdal´, révèle les moyens mis en œuvre par ces serviteurs laïcs de l'Église pour traiter les dossiers que leur confie le couvent. Ils vont du pot‑de‑vin coutumier (« payer ce qu'il faut ») à la mobilisation générale des parents, amis et obligés pour amadouer un adversaire haut placé. Les 166 personnes mentionnées dans les 68 lettres du corpus dessinent les contours d'une image de la société moscovite telle que les Belin la voient. Une bonne part d'entre eux appartiennent à ce qu'on pourrait appeler le réseau Belin, qui, soigneusement entretenu par des présents et des échanges de services, constitue leur capital le plus précieux.
      The 68 letters received by Ivan Belin, solicitor (striapchii) for the Intercession of the Virgin (Pokrovskii) Monastery in Suzdal´, from March 1673 to January 1674, especially among them 30 letters from his father, Vasilii Belin, a much more experienced solicitor for the same convent, help to understand how these lay servants of the Church dealt with the secular business of their employer. Available tools ranged from the ordinary, matter‑of‑course bribe (“pay what it takes”) to the overall mobilization of relatives, friends and well‑wishers to placate a senior, out‑of‑reach official and adversary. In all, 166 individuals, including the authors, addressees and bearers of the letters, are mentioned in the correspondence, thus providing a fair sample of Muscovite society, as seen by the solicitors. Quite a number of them belong to the Belin network, carefully kept in working order by mutual favours and occasional presents – to be sure, the most valuable of the family's possessions.
    • Une famille d'entrepreneurs : Les Pankrat´ev (milieu du xvi e ‑ milieu du xviii e siècle) - Liudmila A Timoshina, Wladimir Berelowitch p. 371-400 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article étudie l'histoire d'une famille de marchands et entrepreneurs, les Pankrat´ev, depuis le milieu du xvi e jusqu'au milieu du xviii e siècle. S'appuyant sur l'analyse de diverses sources d'origines officielle et privée, l'auteur reconstruit les processus de mobilité sociale particulièrement actifs au sein de cette famille. En moins de deux cents ans, nombre de Pankrat´ev, de petits marchands de province sont devenus membres de la haute noblesse de Saint‑Pétersbourg, passant par plusieurs statuts sociojuridiques : marchands de la centaine (gostinaja sotnja), marchands privilégiés (gosti), fonctionnaires de l'administration centrale. Dans cette ascension, leurs stratégies familiales d'établissement de liens de famille dans les milieux de riches marchands, de serviteurs administratifs de haut vol et de l'élite militaire de l'époque postpétrine, jouèrent un rôle essentiel. Elles leur permirent d'accroître leurs activités marchandes et entrepreneuriales et d'atteindre une position sociale privilégiée. En conclusion, l'auteur souligne la nécessité de poursuivre les études prosopographiques sur les familles de la classe des marchands prospères au xvii e siècle afin de déterminer si le cas des Pankrat´ev est représentatif de la société russe de cette période.
      The paper studies the history of the Pankrat´evs, a family of merchants and entrepreneurs, from the second half of the sixteenth to the middle of the eighteenth centuries. Analysis of various official and private sources (administrative and chancery documents, commemoration books, private correspondence) shows the family's fast social mobility.
      In less than two centuries, a number of representatives of the Pankrat´ev house ascended from simple residents dwelling in Galich to the highest nobility of St. Petersburg, going through several social‑juridical statuses, from the traders of the “merchant hundred” corporation to gosti to representatives of the chancellery administration and functionaries of various state institutions of the first half of the eighteenth century. Their well‑thought family strategies permitting to establish relations with other families of rich merchants, as well as with the members of the highest chancellery bureaucracy and military nobility of the post‑Petrine era were essential for the expansion of their prosperous trade and manufacturing activities, as well as for the improvement of their social position in Russian society.
      In conclusion, the author points out the necessity to develop prosopographical studies of the families of the prosperous merchant class of the seventeenth century in order to find out if the destinies of the Pankrat´ev family were typical for the Russian society of the period.
    • BEZHETSKIE KUPTSY REVIAKINY : Semeinyi portret v inter´ere rossiiskoi provintsii XVIII veka - Aleksandr Kamenskii p. 401-422 avec résumé avec résumé en anglais
      L'article reconstruit l'histoire d'une famille marchande de province en Russie au XVIIIe siècle. Il révèle ainsi, d'une part, l'importance de la position sociale et du réseau familial dans le choix des stratégies vitales et l'utilisation des possibilités de mobilité sociale, et d'autre part, l'influence de certaines circonstances fondamentales. Par ailleurs, l'histoire familiale des Revjakin témoigne que les différentes possibilités de mobilité sociale dépendaient pour beaucoup de la situation économique initiale des membres de la famille, de leur propre activité et de la répartition des ressources matérielles familiales. Enfin, l'auteur évoque les facteurs qui contribuaient à la stabilité d'une famille sur plusieurs générations.
      The essay aims at reconstructing the story of a family of eighteenth‑century Russian provincial merchants. It reveals the meaning of social status in the local society and family network for choosing vital strategies, and the use of social mobility possibilities on the one hand, and the influence of certain vital circumstances on the other. The Reviakin family story also demonstrates that the different variants of social mobility greatly depended on the initial financial position and economic activity of family members, and on the distribution of the family's resources. The factors that supported the stability of the family through several generations are also mentioned.
    • The Tomilovs, siberian petty noblemen : Career, social connections and lifestyle at the age of transition from tsardom to empire - Viktor E. Borisov, Deniza Mansurova p. 423-456 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article reconstruit les biographies des frères Fedor et Ivan Tomilov, cadets de province (deti bojarskie) sibériens, et de leurs descendants immédiats, dans le contexte de la discussion historiographique actuelle sur les principes de description de la société russe de l'époque moderne. Sur la période étudiée (milieu du xvii e ‑ années 20 du xviii e siècle), les deux frères spécialisés dans la gestion de faubourgs paysans (slobody) surent se créer une sorte de sphère d'influence : d'ailleurs, le plus souvent, ils étaient nommés là où se trouvaient leurs propres intérêts économiques. Cependant, ce type de carrière ne concernait qu'une partie des cadets de province sibériens, ce qui amène à s'interroger sur les autres modes de vie et de service au sein de cette catégorie statutaire. Les situations de conflits que l'auteur saisit à travers la documentation du secrétariat de Sibérie et des bureaux de gouverneur de Verhotur´e montrent que les Tomilov jouissaient du soutien de représentants de groupes sociaux très variés, et ceux de leurs adversaires locaux qui appartenaient à des groupes de statut inférieur (cosaques, paysans) tenaient visiblement compte de leur position subalterne dans la hiérarchie officielle. Grâce à leur réseau local, les deux frères surent s'adapter aux conditions changeantes, parfois défavorables, de la politique sociale du gouvernement central. Quant à la réussite de leurs descendants, elle fut inégale. Les fils d'Ivan, qui choisirent le service militaire dans un régiment de Tobol´sk, réussirent bien mieux à s'adapter aux réformes du règne de Pierre le Grand et à conserver un statut social privilégié que les fils de Fedor, qui cherchaient à conserver le mode de vie traditionnel de cadets de province gérants de faubourgs. Les approches biographiques et micro‑historiques permettent ici de problématiser et de confirmer les « grands narratifs » de l'histoire sociale fondés sur la terminologie traditionnelle et centrés sur la politique de l'État.
      The article reconstructs the lives of Siberian deti boiarskie Ivan and Fëdor Tomilov and their immediate descendants within the framework of the current historiographical debate on the descriptive principles of Russian society in the early modern era. From the mid seventeenth century to the early 1720s, the Tomilov brothers specialized in running peasant settlements (slobody). They very often got appointed in settlements where they had vested economic interests. Their careers are characteristic of only part of Siberian deti boiarskie: this points to the existence of variations in the types of service and in lifestyles within this social category.
      It comes out from the various descriptions of conflicts recorded in the Verkhotur´e governor's office and Siberian Chancellery archives that the Tomilovs enjoyed support from members of various social groups who, for some of them, were relatives. At the same time, opponents from lower rungs (belomestnye cossacks, peasants) did not forget their lower social status. The Tomilovs, thanks to their connections with members of other social groups, successfully adapted to the state's social legislation, which sometimes proved disadvantageous. However, after Peter's reforms, Ivan's descendants, who served in the newly formed Tobol´sk Dragoon Regiment, had less difficulty keeping their privileged status than Fëdor's, who held on to their traditional way of life as deti boiarskie running settlements.
      Thus, biographical and microhistorical approaches permit both to problematize and corroborate the “grand narratives” of social history based on traditional terminology and focusing on state policy.
    • IZ KAZAKOV VO DVORIANE : Shagarovy, mikroistoriia sotsial´noi mobil´nosti v Rossii, XVII‑XVIII v. - Anna Joukovskaïa, Evgenii Akelev p. 457-504 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article retrace, sur quatre générations, l'histoire de l'ascension sociale des Šagarov. Petits serviteurs militaires d'origine cosaque localisés sur une frontière moscovite, puis agents administratifs influents, commerçants prospères, riches propriétaires terriens, ils finiront par acquérir le statut de nobles héréditaires. Outre les questions de mobilité sociale (et géographique), les auteurs examinent les connexions en place entre le service au tsar, les activités entrepreneuriales, les rapports personnalisés avec le gouvernement, les réseaux de patronage et de protection, les particularismes locaux (et les relations avec le centre), le développement de la bureaucratie moscovite (surtout les questions de professionnalisation et de relations entre le service dans les provinces et à Moscou), l'efficacité administrative et la corruption, ainsi que le thème récurrent de la rationalisation du gouvernement. Ils donnent ainsi à voir comment une famille ambitieuse exploitait le « système », comment elle faisait concrètement pour survivre et réussir, comment elle luttait pour défendre les avantages acquis, mais aussi, plus largement, comment fonctionnaient les mécanismes de mobilité sociale, à quel point le succès économique était crucial pour l'évolution de carrière et le processus d'anoblissement, et comment les serviteurs moyens vécurent la débâcle des réformes pétrines. Les auteurs prouvent que la mobilité ascendante n'était pas entièrement contrôlée par le pouvoir. En mettant en lumière les différents mécanismes de mobilité mis en œuvre ou à l'épreuve par les Šagarov, cet article montre comment des individus ou des familles (dans ce cas, la solidarité familiale jouait un grand rôle) pouvaient prendre en charge leur propre destin et tirer avantage des conditions changeantes d'un empire en devenir.
      The article tells the story of the rise of four generations of the Shagarov family from low‑level service status (cossack) in a Muscovite borderland to noble status in eighteenth‑century Russia. The text focuses on key moments and events in the family's rise. In addition to questions of social (and geographical) mobility, the authors discuss the connections between service, economic entrepreneurship, personalized authority relationships, networks of patronage and protection, the salience of local conditions and relationships (and how they related to the center), the development of the Muscovite bureaucracy (especially questions of professionalization and the relationship between provincial and Moscow service), administrative effectiveness and corruption, and finally the ongoing motif of regular government. On the whole, the reader will see how an ambitious family navigated the “system,” what they did to survive and thrive, how they struggled, how social mobility more broadly could be achieved, how crucial economic success was to success in service and to the process of ennoblement, and how servitors experienced the Table of Ranks and other Petrine reforms.
      The authors show that upward mobility did not depend entirely on statist or tsarist mechanisms. By highlighting the multiple mechanisms and pathways to mobility that the Shagarovs worked and experienced, this article demonstrates how individuals and/or families (in this case family solidarity was a critical factor in success) could take charge of their own future and take advantage of the changing conditions and opportunities that arose.
  • Mobilité sociale en chiffres

    • Les carrières des généraux en Russie de 1730 à 1763 : L'influence des réformes de Pierre le Grand sur la mobilité sociale dans la composition des élites* - Sergey Chernikov, Wladimir Berelowitch p. 505-544 avec résumé avec résumé en anglais
      Sur la base d'un large spectre de sources imprimées et manuscrites, l'auteur étudie l'influence de différents facteurs sur les carrières des généraux en Russie entre 1730 et 1763 : origine sociale, liens de famille, éducation, parcours de service, etc. L'analyse statistique de ces facteurs permet de démontrer que, pour la génération de l'élite militaire concernée par les grandes réformes pétrines et la guerre du Nord, les carrières dépendaient surtout de l'origine sociale, des liens familiaux et de patronage. L'influence de facteurs tels que les connaissances, l'expérience ou les qualités professionnelles était alors quasi insignifiante et n'avait guère de poids que pour les étrangers. La réussite de Pierre le Grand consista en la création de conditions nouvelles pour la génération suivante de serviteurs militaires nobles (Table des rangs, service permanent, obligation d'accomplir des études). L'élite russe ne sut s'adapter à ces exigences du pouvoir qu'à partir du deuxième tiers du xviii e siècle.
      Based on a wide‑ranging corpus of published and unpublished sources, the article analyzes the impact of various factors on the careers of Russian generals between 1730 and 1763 (social origin, kinship, education, career path, etc.). Statistical analysis shows that in the generation of the military elite living at the time of Peter the Great's reforms and the Great Northern Wars, careers mainly depended on social origin, family ties and patronage. Such factors as skills, experience, or professionalism played but a small role except for foreigners. The key to the success of Peter's reforms was the creation of new conditions for the upcoming generation of the military‑service gentry (Table of Ranks, lifelong service, compulsory education). The Russian elite did not adapt to the state's new requirements until the second third of the eighteenth century.
  • Valeurs familiales

    • Rodstvennye sviazi v vysshikh krugakh znati XVII stoletiia i zemlevladenie - Olga Kosheleva p. 545-570 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'historiographie existante ne permet pas de connaître les raisons qui guidaient le choix des partenaires de mariage dans les « clans » de bojare. En assumant l'usage de la notion anachronique du « clan », l'auteur ne l'interprète pas comme un synonyme de lignage ou de famille, mais lui confère le sens d'alliance entre plusieurs familles, alliance fondée sur les liens du mariage et le partage de la propriété foncière. L'auteur se base sur l'histoire des familles Šeremet´ev, Odoevskij et Čerkasskij pour étudier les stratégies de mariage. Ces lignages cultivaient des liens de famille forts. Contrairement à ses prédécesseurs, qui attribuaient une place éminente au service et à la faveur du tsar, l'auteur souligne ici l'importance des valeurs familiales : 1) perpétuation du lignage grâce à une progéniture mâle robuste ; 2) soutien économique des successeurs par la transmission des terres ; 3) permanence de commémoration sprirituelle des parents décédés ; 4) maintien de la memoria glorieuse de la famille. L'auteur s'attache à démontrer que ces valeurs constituent les fondements de la stratégie familiale des bojare. L'étude révèle aussi les différences dans les stratégies maritales entre les deux branches des Šeremet´ev. La première (Sheremet´ev – Odoevskij – Čerkasskij) ne concluait pas de mariage en dehors de l'élite des boyare. Les terres étaient étroitement contrôlées. Les filles, grâce à leurs dots, contribuaient à cette stratégie, en transmettant leurs biens à leurs enfants et petits‑enfants. Le clan avait pour tradition et caractéristique de concentrer le gros de ses biens sur un seul héritier. En revanche, l'autre branche des Sheremet´ev, ne se limitait pas à l'élite des bojare, et il était fréquent que les épouses fussent choisies dans des familles nobles. La stratégie était fonction des circonstances. Ainsi, même si cet article ne résout pas entièrement le mystère de la logique maritale chez les bojare, il prouve clairement qu'elle ne fut pas unique ni invariable.
      Up to the present, the reasoning behind the choice of marriage partners in boyar clans has remained a historiographical mystery. Re‑thinking the historiographically anachronistic definition of “clan,” the author treats this concept as not being identical to the notion of “lineage” or “family,” but rather as an alliance of several families founded on marriage ties and common landholdings.
      In the article, marriage strategies are examined on the basis of data on the Sheremet´ev, Odoevskii and Cherkasskii families. These lineages created strong family ties. Most research in this area is focused on the importance of government service and the monarch's favor. The author, in contrast, foregrounds the importance of the following family values: (1) the continuation of the family line through healthy male progeny; (2) the support of this progeny through landholdings; (3) the continuous religious commemoration of all the deceased; and (4) the maintenance of the glorious memoria of the family. In the article, the above values are examined as the foundation of boyar family strategy.
      The article also reveals variations in the marriage strategies of two branches of the Sheremet´ev line. One branch, the Sheremet´ev‑Odoevskii‑Cherkasskii, did not have any marriages with persons outside the highest boyar elite. The landholdings of this clan were maintained within its control. Daughters played an important role in this process through their dowries, which were inherited by their children and grandchildren. This clan was characterized by its particular custom of passing on the greater mass of landholdings to one heir, with the smaller parts going to the rest. Looking at another branch of the Sheremet´ev family, the author notes that this branch did not limit their choice of marriage partners to the boyar elite. They often took brides from gentry families. Marriage strategy was defined by circumstance. If the logic of boyar marriage choice is still not totally clarified, we may nonetheless assert that it was not one and the same for all boyar clans.
    • Semeinye raspri : Konflikty vokrug sobstvennosti v srede provintsial´nogo dvorianstva v Rossii XVIII v. i ikh rol´v funktsionirovanii sem´i i roda - Olga E. Glagoleva p. 571-608 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article fondé sur de nouvelles sources d'archives, l'auteur soumet à l'analyse 44 procès sur la propriété et en extrait cinq cas particuliers pour illustrer les spécificités des relations familiales et claniques au sein de la noblesse provinciale des gouvernements d'Orel et de Tula au xviii e siècle. L'objectif de l'article est de souligner l'importance de ces documents dans la reconstruction de l'histoire familiale et, aussi, d'analyser le rôle des litiges fonciers dans le fonctionnement de la famille. L'examen de ces cas montre à quel point les conflits sur la propriété faisaient partie du quotidien des nobles provinciaux au XVIIIe siècle, et quelles sérieuses complications ne manquaient pas de se produire lors des successions, en particulier lorsque les mariages étaient restés sans enfant. La famille nucléaire constituait l'entourage immédiat d'un noble provincial, mais la famille élargie, ou le clan, n'avait pas moins d'importance. Ainsi, en raison des litiges fonciers, les gentilshommes s'attachaient à conserver les documents confirmant leur appartenance au clan, ils suivaient de près les changements dans sa structure et s'y positionnaient comme membres légitimes. Souvent le conflit devenait un aspect important de la construction du clan, tant par les tensions internes que par la cimentation du clan en une unité sociale qu'il engendrait, et concourait ainsi au maintien de sa pertinence et de sa viabilité.
      Based on new archival material, the article analyzes 44 lawsuits over property rights and describes five particular cases which reveal the specifics of intra‑family and intra‑clan relations among the provincial nobility of the Orël and Tula governments in the eighteenth century. The article aims, first, to reveal the importance of documents on property litigations as a source for family history reconstruction and, second, to analyze the role of such litigations in the functioning of the family. The discussed cases show that conflicts over ownership were part of the daily lives of provincial nobles in the eighteenth century – frequent complications in matters of inheritance, especially as a result of childless marriage, being a case in point. The nuclear family constituted a provincial nobleman's immediate surroundings, but the extended family, or clan, did not lose its significance either. The article shows that, due to property litigations, noblemen kept documents confirming their belonging to the clan, closely followed changes in its structure, and positioned themselves as its rightful members. Thus, conflict would oftentimes become an important aspect of the clan's framework, not only creating some tensions within it, but also cementing it as a social unit, maintaining its relevance and viability.
    • Avraam Stepanovich Sverchkov and “embezzlers” : Family connections within Russian bureaucracy in the first half of the 18th century - Galina O. Babkova, Denise Mansurova, Iryna Bickle p. 609-640 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Avraam Stepanovi© Sver©kov fut un personnage clé des commissions législatives chargées de la compilation des lois (1720‑1740). En 1755, il légua une part considérable de ses biens à la toute jeune université de Moscou. Reconstruite sur la base du dossier judiciaire constitué pour le procès dont a fait l'objet ce legs, l'histoire de la famille de Sver©kov et de ses relations laisse à penser que, pour les serviteurs de son type, seule la famille nucléaire avait une importance capitale. Venant de classes non privilégiées, ces bureaucrates ne devaient leur ascension sociale qu'à leurs compétences professionnelles et construisaient de façon indépendante leurs carrières, leurs amitiés, leurs stratégies matrimoniales ou autres, progressant grâce à leurs contacts personnels, leurs connaissances et leur expérience. Participants actifs à la mise en place des réformes de l'État dans la première moitié du xviii e siècle, Sver©kov et d'autres comme lui constituaient le niveau supérieur des employés de bureau dans une multitude de services de l'administration centrale et assuraient le fonctionnement sans faille de toutes les unités de la machine de l'État. Acquérant le statut de noble héréditaire par leurs services, ces serviteurs limitaient le champ de leur interaction familiale et sociale à la famille nucléaire. Le « capital social » d'une telle famille se fondait sur les succès de carrière et le bien‑être matériel de deux générations (parents et enfants), dans une articulation complexe de contacts sociaux (amicaux, professionnels).
      State Councillor Avraam Stepanovich Sverchkov was a key figure in the legislative commissions between the 1720s and early 1740s. In 1755, he bequeathed a considerable part of his property to the newly established Moscow University. Reconstructed on the basis of a lawsuit over this legacy, the history of Sverchkov's family and kinship relations suggests that the category of bureaucrats he belonged to gave precedence to and valued the nuclear family. Coming from unprivileged estates and not being members of chancellery service families, these bureaucrats climbed the hierarchy ladder thanks to their professional skills, and independently built their careers, friendships, matrimonial and other strategies, advancing in service through personal contacts, knowledge and experience. Active participants in the actual implementation of state reforms in the first half of the eighteenth century, Sverchkov and officials like him formed the higher level of office employees in a variety of central institutions and ensured undisturbed operation of all the units of the state machine. Acquiring hereditary nobility through their service, these collegiate officials reduced the field of social and family interaction to the nuclear family to the exclusion of vertical kinship relations. Their social capital, career progress, material well‑being and security were interrelated and depended on two generations (parents and children) integrated in a complex system of social contacts.
    • Desirable ubiquity? : Family strategies of donation and commemoration in Muscovy - Ludwig Steindorff p. 641-666 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'étude s'applique à vérifier l'hypothèse selon laquelle ceux qui faisaient des donations aux monastères le faisaient dans l'optique d'être présents « au côté des saints » dans le plus grand nombre d'endroits possible afin de garantir l'avantage spirituel de commémoration pour leurs parents. L'étude comparative de documents provenant de différents monastères apparaît comme la meilleure méthode pour découvrir la logique de distribution des donations. L'analyse part d'une liste se trouvant dans un appendice à l'édition du pitancier (kormovaja kniga) du monastère Saint‑Joseph de Volokolamsk et énumérant les noms de 216 personnes bénéficiant alors d'un repas commémoratif (korm) annuel. La comparaison avec les livres des dons et les pitanciers des monastères de la Trinité Saint‑Serge, Saint‑Cyrille et Saint‑Simon montre que 72 de ces personnes étaient parallèlement commémorées dans un ou plusieurs de ces trois autres monastères. Les résultats de classement par état et par sexe corroborent les conclusions des études précédentes conduites sur la base d'autres sources. Au fur et à mesure que l'on monte dans l'échelle sociale, la proportion de femmes augmente, ainsi que la probabilité de présence dans plusieurs monastères, tandis que la part des moines diminue. La répartition des commémorations démontre la position dominante du monastère de la Trinité Saint‑Serge. Les donateurs préfèraient concentrer le gros de leurs donations dans un monastère prestigieux et évitaient de disperser leur fortune. Enfin, on remarque que le réseau des lieux de commémoration pour les sujets moscovites était presque exclusivement limité à la Moscovie.
      The study is designed to check an assumption according to which donors to monasteries were interested in being present “with the saints” at as many places as possible in order to secure the spiritual advantage of commemoration for their relatives. Comparison of documents from different monasteries appears to be the most promising methodology to learn more about the distribution of donations.
      The author starts with the table in the appendix to the edition of the book of feasts (Kormovaia kniga) of the Iosifo‑Volokolamskii monastery that dates from 1581. The table contains 216 entries of persons who were commemorated by an annual korm at that time. According to the donation books and feast books of the Troitse‑Sergiev, Kirillov, and Simonov monasteries, 72 of these persons were commemorated in one or more of these cloisters. The results of the differentiation of the data by “estates,” gender, by lay persons and by monks fit with the results of former research on the basis of other source groups. The higher the estate, the higher the share of women, the lower the share of monks, and the more probable the presence at different monasteries. The distribution of commemorations at other monasteries reflects the dominating position of the Troitse‑Sergiev monastery. Donors tended to concentrate their large donations on one monastery and avoid scattering their fortunes. Last, the author argues that in general the network of places at which people from Muscovy were used to being commemorated is contained within the territory of Muscovy.
  • Quand il n'y a plus de famille

    • Rapatriement, genre et mobilité sociale : La liste des captifs rapatriés de Crimée par Timofej Hotunskij (1649) - Aleksandr Lavrov p. 667-685 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article est consacré à une nouvelle source concernant les relations entre la Russie et la Crimée : une liste de captifs russes rapatriés de Crimée par les soins de l'envoyé du tsar Timofej Hotunskij. Elle se caractérise par une nette prédominance des femmes sur les hommes (554 contre 169). Ces captives, qui n'avaient pas pris part à des combats, permettent de reconstituer le tableau des pertes démographiques subies par la population civile et de localiser les régions qui avaient le plus souffert des incursions tatares. Cette recherche permet de comprendre la logique des autorités moscovites et criméennes. Pour ces dernières, la prise de captifs et l'esclavage étaient une source de revenu, de sorte qu'elles ne s'opposaient pas, dans le principe, à l'affranchissement d'esclaves déjà âgés qui devenaient une charge improductive pour leurs propriétaires. Au lieu que les autorités moscovites étaient prêtes à reprendre tous leurs anciens sujets, même s'il leur en coûtait des dépenses supplémentaires. Il en était ainsi lorsqu'il s'agissait d'hommes âgés et de femmes qui revenaient avec des enfants nés en captivité. Il y avait donc là deux politiques démographiques opposées : tandis que les Criméens concoururent à expulser du Khanat des groupes entiers de population, les Moscovites préféraient pratiquer la politique des « portes ouvertes ».
      The article analyzes a new source on the relations between Muscovy and the Khanate of Crimea – a list of names of Muscovite captives who returned home with the help of the Muscovite envoy Timofei Khotunskii. The particularity of this list is the predominance of female captives (554 female versus 169 male captives). The female captives, as classical non‑combatants, give a representative picture of the losses of the Muscovite civil population from incursions by the Tatars of Crimea and permit to locate the regions that were the most damaged by these incursions.
      The study helps to understand the logic of the Muscovite and Tatar authorities. The Crimean policy makers viewed captivity and slavery as a profitable matter and were not opposed to releasing old captives, who were useless to their owners. The Muscovite policy makers present the opposite logic: they proceeded to the repatriation of any Muscovite captives, including the elderly and young mothers with children, even though this population group needed social assistance from the state. The demographic policies of these early modern states thus seem to be opposite to one another – the Crimean policy makers systematically proceeded to expulse people, while the Muscovite policy makers practiced an “open‑door” policy.