Contenu du sommaire : Parler aux dieux. Essais de pragmatique religieuse.

La comparaison de deux ouvrages contemporains, l'essai sur "La prière" de M. Mauss et la monographie "De Romanorum precationibus" de G. Appel, permet de constater que la démarche suivie par le premier nommé se caractérise par sa rupture avec les conceptions sémantiques antérieures. Le sociologue contribue à jeter les fondements d'une théorie de l'énonciation religieuse qui anticipe sur les développements récents des sciences du discours, en affirmant notamment que la prière est un acte et que cet acte possède une dimension sui-référentielle. C'est à la mise en application de ces deux postulats méthodologiques que la présente étude prétend s'attacher, dans le champ particulier de la prière romaine et, plus précisément encore, des "carmina" archaïques.

La prière chrétienne regroupe un ensemble de paradoxes. Dans son acte de communication, la prière invoque un interlocuteur invisible et convoque une communauté virtuelle ; toute sa rhétorique habilite l'orant à recevoir un don qui lui est proposé ; par son aspect pragmatique, elle ouvre une béance dans l'orant et accroît sa capacité à recevoir le don. Parole sauvée, elle demande le salut qui lui est déjà donné.

Dans l'espace chrétien, la prière, considérée comme acte de langage, énonciation humaine s'obligeant à des règles, a été très tôt confrontée à la rhétorique gréco-romaine et analysée avec les méthodes et les concepts de cette dernière. Comme pour le discours profane, on s'est efforcé d'élucider la nature de l'"oratio" religieuse, d'en dresser une typologie, d'en chercher les lois de composition en vue du meilleur effet de persuasion possible. Après avoir rappelé les éléments principaux de la justification théologique de la prière, conçue comme demande adressée à Dieu, la présente étude s'attache à montrer, à travers l'exemple le plus achevé d'"ars orandi" médiéval, la "Rhetorica divina" de Guillaume d'Auvergne (v. 1240), combien la technique rhétorique cicéronienne a exercé son influence sur la façon de prier.

Comment les hommes sont-ils parvenus à créer leurs dieux, à croire en leur existence, en leurs pouvoirs et comment ont-ils pu, sans se décourager, dialoguer, parfois pendant des siècles, avec ses instances fictives et muettes ? Pour répondre à ces questions, il est indispensable d'analyser un ensemble complexe de mécanismes énonciatifs tel celui que présentent les hymnes védiques à Agni.