Contenu du sommaire : Pèlerinages
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 20, no 77, mars 2007 |
Titre du numéro | Pèlerinages |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Pèlerinages
- Coordonné par Romain Bertrand- Hommage aux siens et retours aux sources. Les pèlerinages des présidents dans leur ancien fief électoral - Nicolas Mariot p. 11 L'article analyse un type bien particulier de déplacement présidentiel : les retours des chefs de l'État dans leur ancien fief électoral. Ils peuvent être assimilés à des pèlerinages répétés au sens où le président vient se recueillir et rendre hommage en un lieu objet de dévotion parce qu'il est celui des origines, celui où il a pu, à force de travail et de fidélité, devenir ce qu'il est. L'intérêt de ces pérégrinations tient au rôle qu'elles jouent dans l'endossement du costume présidentiel : le chef de l'État peut s'y montrer tout à la fois proche, chaleureux et attentif « au naturel » auprès de ceux qu'il connaît bien et, en même temps, il y déploie un strict respect des prescriptions protocolaires pour signifier que, désormais, rien ne sera plus comme avant.
- Economie morale du pèlerinage et société civile en Iran. Les voyages religieux, commerciaux et touristiques à Damas - Fariba Adelkhah p. 39 Le pèlerinage est une pratique religieuse centrale dans l'islam. Mais sous ce constat banal se cache une grande complexité sociale et historique. D'une part, le pèlerinage n'est pas un phénomène atemporel. Il est situé dans le temps et bien sûr dans l'espace. D'autre part, il comporte des aspects extra-religieux, mondains ou profanes. Cette complexité fait du pèlerinage une pratique politique notable. L'observation participante d'un voyage de pèlerins téhéranais aux lieux saints chiites de Damas et Alep, en juillet 2003, permet de dégager le rôle que les femmes y exercent désormais, à la fois sur les plans de la religiosité et du commerce à la valise, et les conséquences sociales qui en découlent du point de vue des relations de genre, de l'autonomisation des rapports marchands eu égard au pouvoir politique et des processus d'individuation. L'expérience religieuse, tout en gardant sa transcendance et son irréductibilité, va de pair avec l'omniprésence du calcul économique rationnel : le pèlerinage est moins l'actualisation d'une communitas de croyants que la constitution d'un champ de pratiques et de luttes sociales, dans le double contexte de la nation et de la globalisation.
- Butovo. La création d'un lieu de pèlerinages sur une terre de massacres - Kathy Rousselet p. 55 À Butovo, dans la banlieue de Moscou, 20 761 personnes furent fusillées entre août 1937 et octobre 1938 par le pouvoir stalinien. Parmi elles, 304 ont été canonisées. Après la découverte dans les archives des noms des victimes et de leur lieu d'exécution, l'Église orthodoxe russe investit le Polygone et lui donne un sens sacral. Butovo acquiert ainsi à la fois une signification politique, au sens où le lieu permet la critique d'un système politique, et une dimension religieuse, l'histoire locale étant intégrée dans l'histoire du Salut. Au statut de lieu de mémoire s'ajoute ainsi celui de lieu sacré, et la coexistence des logiques mémorielle et religieuse devient parfois source de conflits. Des pèlerins apparaissent, même si la mobilisation tant politique que religieuse reste faible : peu nombreux sont ceux qui désirent briser le silence.
- Pèlerinage et nationalisme hindou. Les limites de l'interprétation instrumentaliste - Christophe Jaffrelot p. 79 La lecture anthropologique du pèlerinage que Victor Turner a énoncée en termes de communitas se révèle des plus pertinentes dans le cas de l'hindouisme : le pèlerinage hindou se traduit en effet par un effacement relatif et temporaire des clivages sociaux – et notamment des divisions entre castes –, permettant l'émergence d'un sentiment de groupe. La géographie des lieux de pèlerinage dessine en outre une carte de la terre sacrée inscrivant dans l'espace l'aire d'extension de la civilisation hindoue. Les nationalistes hindous ont cherché à exploiter cette alchimie particulière pour offrir une définition ethnique de la nation (et de son territoire) et mobiliser à leur suite en donnant à certaines de leurs manifestations des allures de pèlerinage. Cette démarche s'est affirmée au début des années 1980 avec la Ekatmata Yatra (Pèlerinage de l'unité) de 1983 et s'est confirmée en 1990 avec la Rath Yatra (Pèlerinage avec char). Mais l'interprétation instrumentaliste qui a été donnée de ces mouvements achoppe sur un point déjà au cœur de l'historiographie des « subaltern studies », à savoir que les masses ne se mobilisent pas forcément pour les mobiles que les leaders politiques mettent en avant. En l'occurrence, les femmes sont descendues dans la rue en grand nombre, autant parce qu'elles se sentaient concernées par l'objet des manifestations que parce que celles-ci légitimaient leur entrée dans un espace public qui leur est encore relativement fermé.
- De la sainte pèlerine au juge martyr - Les parcours de l'Antimafia en Sicile - Debora Puccio-Den p. 105 Ce travail s'interroge sur la nature d'un dispositif cultuel qui pivote sur deux dates : le 14 juillet, jour de la fête urbaine de sainte Rosalie, et le 4 septembre, jour du pèlerinage voué à la même patronne. Ces deux actes dévotionnels relèvent, à première vue, de deux univers distincts : la vie civique et la recherche de communion avec le divin. Pourtant, ces deux dimensions s'agencent aussi bien dans la fabrication hagiographique du patronage de sainte Rosalie, au début du XVIIe siècle, que dans sa réactivation à la fin du XXe siècle par le maire antimafia de Palerme, L. Orlando. Cet article explore l'hypothèse que l'expérience du pèlerinage, élément constitutif du profil hagiographique de sainte Rosalie, fonde la possibilité de son intercession comme libératrice de la peste au XVIIe siècle. Transposée dans le contexte contemporain de la lutte contre le « fléau mafieux », cette hypothèse amène à se demander si l'isolement forcé des juges antimafia, leurs vies érémitiques, ne créditent pas ces derniers du pouvoir de sauver la cité, créant les conditions de leur sacralisation. L'on examinera le parcours singulier du juge Rosario Livatino, victime d'un attentat mafieux en septembre 1990, pour lequel est en cours un procès en béatification comme « martyr de la Justice ». À travers cette figure paradigmatique, surgit la dimension politique du pèlerinage comme témoignage qui authentifie, au moyen d'une épreuve personnelle, un parcours de sainteté.
- Hommage aux siens et retours aux sources. Les pèlerinages des présidents dans leur ancien fief électoral - Nicolas Mariot p. 11
Varia
- L'espace des mouvements sociaux - Lilian Mathieu p. 131 Le concept d'espace des mouvements sociaux désigne l'univers de pratique et de sens, relativement autonome à l'intérieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sont unies par des relations d'interdépendance. Localiser ainsi l'activité contestataire permet de saisir la dynamique interne des relations qui unissent entre eux les différents mouvements, ainsi que, sur un plan externe, les relations que cette sphère d'activité entretient avec d'autres univers sociaux, tels le champ politique ou le monde syndical. Une attention à la dimension pratique de l'activité contestataire amène à envisager l'espace des mouvements sociaux comme un univers de compétence, exigeant de ceux qui en font partie la maîtrise d'un ensemble de savoirs et savoir-faire spécialisés. La présentation du concept apporte un éclairage sur les recompositions des mouvements sociaux contemporains dans le même temps qu'elle engage une discussion des principaux concepts de la sociologie de l'action collective.
- Importer Berlusconi. Le déchiffrement de l'expérience politique de Bernard Tapie à la lumière du "populisme" italien - Philippe Riutort p. 153 Les résultats des élections européennes de 1994, marquées en France par le succès relatif de la « liste Tapie » et en Italie par la consécration de Forza Italia de Silvio Berlusconi ont donné lieu à une avalanche de commentaires inquiets. Un parallèle entre ces deux entreprises politiques « atypiques » a immédiatement surgi sous la plume des analystes politiques les plus divers, manifestant par ce rapprochement inopiné leur désarroi interprétatif face à des phénomènes politiques qui leur semblaient, sur le moment, largement inexplicables. L'amalgame entre ces deux outsiders du jeu politique a également facilité l'émergence d'une entreprise de disqualification conjointe reposant sur l'invocation du « populisme », érigé en explication des deux phénomènes. Ce rapprochement singulier met toutefois en évidence que l'opération de stigmatisation, loin de produire tous les effets escomptés par ses promoteurs, est susceptible d'octroyer paradoxalement des ressources aux acteurs politiques émergents, en leur permettant notamment de s'inventer une forme de virginité politique ou, à l'inverse, en inscrivant une « marque » politique émergente dans une tradition bien établie. Les aléas de la qualification « populiste » paraissent, au vu de ces deux cas exemplaires, renseigner moins sur les caractéristiques des entreprises politiques elles-mêmes que sur leur degré d'insertion et de reconnaissance au sein du jeu politique.
- Le concept de police médicale. D'une aspiration militante à la production d'une objectivité adminitrative - Virginie Tournay p. 173 Cette contribution interroge le passage d'une revendication militante préconisant l'intervention publique dans les affaires de santé à l'établissement d'une objectivité administrative stabilisée, c'est-à-dire extensible à différents contextes historiques et institutionnels. L'approche pragmatique utilisée permet de montrer que l'émergence d'une pratique administrative rationalisée durable en matière de santé est indissociable des enquêtes territoriales mises en place au sein de la Société Royale de Médecine à la fin des Lumières. La production de cette objectivité est étudiée en suivant la transformation des standards, des instruments liés à la collecte des données médicales. L'introduction d'un « opérateur de standardisation » dans les enquêtes administratives conduit à consolider la Société Royale de médecine et à (re)produire dans le temps une objectivité administrative en matière de santé. Plus généralement, il s'agit de réfléchir aux passages d'une forme de standardisation à une autre et aux types d'objectivité que cette variété génère à partir de l'entreprise de collecte. Cette démarche est susceptible d'intéresser les sciences camérales, l'histoire des dispositifs publics et des politiques du risque.
- L'espace des mouvements sociaux - Lilian Mathieu p. 131
Notes de lecture
- Actes de la recherche en sciences sociales, no 159 (septembre 2005) et no 160 (décembre 2005) : "Penser, classer, administrer la pauvreté - Jérémie Nollet p. 201
- Annales, Histoire, sciences sociales, no 4, Paris, EHESS, juillet-août 2006 : "Penser la crise des banlieues" - Victor Collet p. 204
- Offenstadt (Nicolas), dir., Le Chemin des Dames. De l'évènement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, 494 pages. - Mathieu Providence p. 206
- Dorlin (Elsa), La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, préface de Joan W. Scott, Paris, La Découverte, coll. "Textes à l'appui - genre et sexualité", 2006, 308 pages - Delphine Dulong p. 208
- Mariot (Nicolas), Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, Belin, coll. "Socio-histoires", 2006, 351 pages - Pierre-Yves Baudot p. 210
- Ruffin (François), Quartier Nord, Paris, Fayard, 2006, 528 pages - Julien Beaugé p. 214