Contenu du sommaire : Une tendance évolutive du français : la spécialisation de la catégorisation morphosyntaxique
Revue | Langue française |
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Numéro | no 187, juin 2015 |
Titre du numéro | Une tendance évolutive du français : la spécialisation de la catégorisation morphosyntaxique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Bernard Combettes, Anne Carlier p. 5-14
- Typologie et catégorisation morphosyntaxique : du latin au français moderne - Anne Carlier, Bernard Combettes p. 15-58 Cet article esquisse les changements typologiques majeurs qui transforment la langue au cours de l'évolution du latin au français. Un premier paramètre a trait à l'ordre linéaire des constituants : de l'ordre SOV du latin, le français évolue progressivement vers SVO ainsi que vers une rigidification de l'ordre des mots. Un second paramètre concerne la nature du marquage morphologique des relations syntaxiques : sont abordés notamment le recul de la morphologie suffixale, dans le domaine nominal (flexion en cas, genre et nombre) comme dans le domaine verbal, ainsi que le passage d'un système de `dependent-marking' vers un système mixte avec `head-marking' (Nichols 1986), sous forme de pronoms clitiques se rapportant au verbe et exprimant la fonction syntaxique des constituants nominaux arguments du verbe. La troisième évolution consiste en une hiérarchisation progressive des relations syntaxiques et un renforcement de la cohésion syntaxique. Il est montré comment la tendance à la spécialisation catégorielle, thématique de ce recueil, s'articule avec ces différents changements typologiques. Par rapport aux différentes évolutions typologiques, le français est comparé non seulement avec d'autres langues romanes mais aussi avec des langues d'autres familles linguistiques. Mots-clés : typologie, catégories morphosyntaxiques, ordre des mots, flexion, latin, françaisThis article outlines the major typological changes restructuring the grammar from Latin to French. A first parameter is the linear order of the constituents: whereas Latin is SOV, French is gradually moving towards a SVO order. Moreover, word order is becoming less flexible. A second parameter concerns the nature of morphological marking of syntactic relations. We consider especially the decline of suffix morphology with respect to both nouns (case, gender and number inflection) and verbs, as well as the shift from a system of “dependent-marking” towards a partial “head-marking” (Nichols 1986), with clitic pronouns attached to the verb expressing the syntactic function of the verb arguments. The third parameter is the tendency towards more hierarchical syntactic relationships and an increased degree of syntactic cohesion. It is shown how the shift towards more specialized grammatical categories, which is the central topic of this thematic issue, is linked to these typological changes. With respect to these different typological evolutions, French is compared not only to other Romance languages, but also to languages belonging to other language families. Keywords: typology, morphosyntactic categorization, word order, Latin, French
- L'évolution de divers du moyen français au français contemporain : aperçu(s) - Catherine Schnedecker p. 59-78 Cet article retrace l'évolution de divers, du moyen français au français contemporain, sur la base d'un corpus constitué des occurrences de divers(es) dans la BFM et celles des genres indexés « correspondance » et « récit de voyage » dans Frantext. On distingue ainsi trois phases dans l'évolution de divers : une première phase, qui englobe les XIVe et XVIe s. où divers connaît sa plus grande latitude syntaxique, voire une instabilité catégorielle, et se montre sous son jour le plus polysémique. Dans une seconde période, qui va du XVIe au XVIIIe s., les emplois au singulier disparaissent et divers s'antépose au N, avec une prédisposition pour des N induisant une lecture « typante » du SN. Durant la dernière période, du XICe s. à nos jours, on assiste au retour d'emplois adjectivaux post-nominaux, ce qui fait que divers donne lieu à deux emplois nettement distincts : l'un grammaticalisé où il fait office de déterminant, l'autre où son rôle d'adjectif est très contraint, notamment par des expressions figées. Mots-clés : indéfini, pronom, déterminant, grammaticalisationThis article traces the evolution of divers `various', from Middle French until contemporary French, on the basis of two corpora: the Medieval French Corpus (BFM) and the Frantext corpus (only travelogues and letters have been considered in the latter corpus). Three evolutionary stages can be distinguished. From the 14th to the 16th C., divers is characterized by a high degree of syntactic flexibility and is even categorically instable. Moreover, it is highly polysemous. In the second period, from the 16th to the 18th C., divers is no longer used in the singular and occupies the prenominal position. It shows a propensity for nouns entailing a typifying interpretation of the NP. During the last period, from the 19th C. on, there is a comeback of divers in postnominal position. As a result, divers develops two distinct uses: on the one hand, it grammaticalizes into a determiner; on the other hand, it is used as an adjective, but this use is highly constrained and occurs for instance in idioms. Keywords: indefinites, determiners, pronouns, grammaticalization
- Spécialisation morpho-syntaxique et changement sémantique : le cas du démonstratif français - Céline Guillot-Barbance, Christiane Marchello-Nizia p. 79-110 La réorganisation complète du système des démonstratifs est l'un des exemples les plus frappants et les plus connus de la spécialisation morphosyntaxique qui caractérise l'histoire du français. L'article rappelle les principales étapes de cette évolution, longue de six siècles environ et désormais assez bien décrite. Son apport tient surtout à la perspective relativement large dans laquelle l'évolution morphosyntaxique est replacée, cette évolution étant abordée dans le cadre d'une diachronie étendue (du latin classique au français moderne en passant par le français médiéval), dans la perspective romane (s'intéressant aux facteurs qui distinguent le français des autres langues romanes) et dans ses relations avec les changements sémantiques qui accompagnent la spécialisation morphosyntaxique. Mots-clés : sphère personnelle, token-réflexivité, analogie, démonstratif latinThe complete reorganization of demonstrative system is a central and well known example of morphosyntactic specialization which characterizes the history of French. This article summarizes the main stages of this evolution, which lasted about six centuries and is now fairly well described. The main contribution of the paper is based on the relatively broad perspective in which morphosyntactic evolution is replaced, the evolution being addressed as part of a large scale diachrony (from classical Latin to modern French through medieval French), in a Romance perspective (focusing on the factors that distinguish French from other Romance languages) and through its relations with semantic changes parallel to morphosyntactic specialization. Keywords: personal sphere, token-reflexivity, analogy, Latin demonstrative
- Indéfinis et interrogatifs : le cas du français - Pierre Le Goffic p. 111-136 Interrogatifs et indéfinis ont en commun de reposer sur la mise en œuvre d'une variable, dont certains termes (par exemple les mots en kw- de l'indo-européen) sont la manifestation : l'interrogatif invite à substituer une constante à cette variable, l'indéfini utilise la variable, sans la quantifier (dans des contextes irrealis), ou avec un quantificateur (existentiel, universel, de « libre choix » ou négatif). Le latin est une illustration typique de ce fonctionnement : au centre du système, les emplois indéfinis de « l'interrogatif nu » (si quis… `si quelqu'un…'). Mais le français n'a que très partiellement conservé ce système : il n'a pas de marqueur spécialisé dans les valeurs d'irrealis, et les liens entre interrogatifs et indéfinis sont, en apparence au moins, complètement distendus. Les liens entre interrogatifs et indéfinis sont donc naturels, mais non contraignants, d'où des possiblités d'évolutions très différentes dans les langues. Mots-clés : interrogatifs, indéfinis, variable, quantification, irrealisInterrogatives and indefinites both involve a variable, as is the case, e.g., in Indo-European kw- words (English wh- words). Used interrogatively, they invite to substitute an appropriate constant to the variable; used indefinitely, they either retain the variable not quantified (in irrealis contexts), or combine it with a quantifier (existential, universal, “free choice”, or negative). Latin typically illustrates this state of affairs: it crucially involves indefinite uses of the so-called “bare interrogatives” as irrealis markers (si quis… `if somebody/anybody…'). French has only partially kept this heritage: it has no irrealis marker, and the links between interrogatives and indefinites are, at least apparently, loosened. On the whole, interrogative and indefinite markers are linked naturally, but not compulsorily: they can develop, at least partially, along different paths, –as in French. Keywords: interrogative, indefinite, variable, quantification, irrealis
- Polycatégorialité et évolution diachronique : les emplois préfixoïdes de après(-) et arrière(-) - Dany Amiot, Walter De Mulder p. 137-155 L'article cherche à établir l'origine des emplois formatifs de arrière- et après-, ainsi que la manière dont ils se sont grammaticalisé, p. ex. dans arrière-cour ou après-match. L'étude de ces deux termes en ancien français montre que l'un et l'autre étaient polycatégoriels, qu'ils assumaient des emplois en tant que préposition, conjonction et particule, mais qu'ils avaient chacun un emploi préférentiel, après était fondamentalement une préposition alors qu'arrière était plutôt employé en tant qu'adverbe ou particule. L'étude montre que c'est bien l'emploi prépositionnel de après qui a permis son emploi en tant que formant, alors que l'émergence de arrière illustre un cas de substitution affixale. L'article permet par ailleurs de se poser la question du degré de grammaticalisation de ces deux éléments, et donc aussi celui de leur statut : sont-ils devenus, en français moderne, de véritables préfixes ou doivent-ils encore être considérés comme des préfixoïdes ? Mots-clés : préposition, préfixe, grammaticalisation, ancien français, français moderneThis article looks into the origin of the uses of arrière- and après- as formatives, as well as into the way they have been grammaticalized, for instance in arrière-cour `backyard' and après-match `after match'. The analysis of the functioning of these two terms in Old French shows that they both were multi-categorial, since they could be used as a preposition, a conjunction or a particle, but that they each also had a preferential use: après was fundamentally a preposition, whereas arrière was rather used as an adverb or a particle. The paper then shows that in the case of après, it was its prepositional use that allowed it to emerge as a formative, whereas the use of arrière as a formative resulted from a substitution of the ancient prefix r(i)ere-. The paper furthermore raises the question of the degree to which both elements have been grammaticalized, and thus also of their status: have they turned into true prefixes in Modern French or should they still be conceived of as prefixoïds? Keywords: preposition, prefix, grammaticalization, Old French, Modern French