Contenu du sommaire : Politiques de la concurrence : une trajectoire française
Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | no 4, octobre-novembre 2016 |
Titre du numéro | Politiques de la concurrence : une trajectoire française |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Politiques de la concurrence : une trajectoire française
- La fin de l'État stratège ? : La concurrence dans les politiques économiques françaises (1945-2015) - Sebastian Billows, Scott Viallet-Thévenin p. 9-22 Cette introduction au dossier évalue les origines et le rôle des politiques de concurrence mises en place en France depuis les années 1950. Loin d'être le fruit d'une contrainte européenne supranationale, l'adoption des politiques de concurrence par la France obéit à des logiques nationales qui, de temps à autre, prennent appui sur le droit et la politique de la concurrence européens. L'étude de ces politiques permet de dessiner en creux la trajectoire d'évolution des politiques économiques françaises. Jusque dans les années 1980, les politiques de concurrence restent subordonnées aux objectifs de l'État stratège, mis en place pour coordonner les grands acteurs économiques nationaux. À partir des années 1980, se multiplient les signes d'un passage à un État régulateur, plus éloigné de la gestion quotidienne de l'économie, mais qui fait de l'efficacité des marchés sa priorité. Les politiques de concurrence contribuent à cette évolution, bien que leur portée soit freinée par la permanence de logiques sectorielles, nées de décennies d'imbrication politique entre entreprises et administrations.The end of the strategic State ?
This introduction to the special issue discusses the origins and the role of competition policy in France since the 1950s. Far from being the result of a European or supranational imposition, the adoption of competition policy obeys national dynamics which, from time to time, mobilise European law and competition policy. The study of these policies reflects the trajectory of the inflexions of French economic policies. Until the 1980s, competition policy remained inscribed within the objectives of the strategic State, a policy which sought to coordinate the actions of large national economic entities. Starting in the 1980s, the signs of a move to a regulatory State increased, resulting in a retreat from a direct management of the economy and a move to a policy aimed primarily at increasing the efficiency of markets. Competition policy contributed to this evolution even if its effects were constantly limited by the inertia of sectoral logics based on decades of sectoral interpenetrations between industry and the administrations. - La politique de concurrence comme levier de la politique industrielle dans la France de l'après-guerre - Claude Didry, Frédéric Marty p. 23-45 Avec la création en 1953 de la Commission technique des ententes, la politique de concurrence française précède la loi sur la concurrence allemande et le traité de Rome. Cependant, la principale préoccupation ne tenait pas, à l'inverse de celle des ordo-libéraux allemands, dans la préservation d'un ordre concurrentiel mais aux défis posés par des comportements collusifs horizontaux, notamment dans les marchés publics liés au plan de reconstruction et d'équipement. Si cette politique contrastait avec les traditions dirigistes héritées des expériences des économies de guerre ou avec les approches planistes, favorables aux ententes entre firmes au nom de l'efficience productive, elle était motivée par une conception d'une politique industrielle fondée sur une étroite coopération entre les administrations et les futurs champions nationaux.Competition policy as a lever for industrial policy : some reflections on horizontal cartels prosecution in the post-war FranceThe establishment of the cartels technical commission in 1953, seems to prefigure the German competition law and the Treaty of Rome four years later. However some differences have to be put into relief. First, it does not participate to a defence of competition law based order as the German ordo-liberals promoted at that time. Second, the collusive practices targeted mainly concerned bid-rigging practices in public procurement in the reconstruction and modernisation plans. If this competition policy contrasts with war experiences and the interwar period arguments for a regulated competition, sanctioning horizontal collusion makes sense within an industrial policy model based on a close co-operation between Government and some national champions.
- Refus de vente interdit ! : Quand la politique de la concurrence œuvre à la réforme de la distribution - Tristan Jacques p. 47-67 Cet article étudie la mise en place d'une politique de concurrence en France entre 1945 et 1960, à travers l'étude de l'interdiction du refus de vente d'un fournisseur à un commerçant. À cette fin, cette recherche s'intéresse expressément à l'histoire du commerce intérieur français et à la politique de l'État pour ce secteur, car l'interdiction du refus de vente n'a pas découlé d'une politique globale de la concurrence, mais a constitué d'emblée un instrument de réforme de la distribution. En retraçant la genèse des réglementations visant à interdire le refus de vente, nous étudions le travail de l'Administration, les motivations économiques et politiques ayant justifié les textes, ainsi que le travail de lobby des commerçants, notamment d'Édouard Leclerc.Refusal to sell is prohibited ! When competition policy serves
This article examines the implementation of competition policies in France from 1945 to 1960 through a case study of the prohibition of refusal to sell between suppliers and retailers. This research looks closely at the history of French retailing. It finds that the prohibition of refusal to sell was not the result of a comprehensive, national competition policy, rather this policy was designed solely as an instrument for reforming the retail trade. By retracing the genesis of sale refusal regulation, this article documents the work of the civil service and the economic and political motivations behind it, as well as the role played by entrepreneurs, notably Édouard Leclerc, the founder of what subsequently became a major chain of supermarkets. - À qui profite la « concurrence » ? : Modèles de concurrence et régulation de la grande distribution française (1949-1986) - Sebastian Billows p. 69-91 L'État n'a cessé d'intervenir dans la grande distribution, ce qui a contribué à la période de trente années de croissance qu'a connues ce secteur entre 1950 et 1980. Cette intervention a souvent été justifiée au nom de la promotion de la « concurrence ». Pourtant, les modèles de concurrence suivis par l'administration ont varié au cours de la période étudiée. Le premier modèle voit dans la concurrence un moyen de moderniser les structures commerciales de la France, en la débarrassant d'un petit commerce réputé archaïque. Un second modèle, qui émerge au cours des années 1970, voit dans la concurrence un moyen de servir les intérêts du consommateur. Un troisième modèle, qui voit le jour au début des années 1980, entend défendre les fournisseurs contre des pratiques « déloyales » de la part des distributeurs. Pour défendre leurs intérêts et prendre position dans l'espace public, les grandes entreprises du marché (distributeurs et fournisseurs) ont mobilisé et contribué à façonner ces modèles de concurrence. La notion de « concurrence » apparaît ainsi comme une notion flexible, permettant de défendre des configurations marchandes différentes.Who benefits from “competition” ?
The active regulation of mass retail by the French state contributed to three decades of growth between 1950 and 1980. The state justified intervention in the name of “competition”. However, over the time period covered in this article, competition models implemented by bureaucracies varied. The first model viewed competition as a means of modernizing the French retail sector, and aimed at reducing the role of small shopkeepers considered to be archaic. A second model emerged in the 1970s. It viewed competition as a means to protect the interests of the abstract figure of the consumer. A third model, that emerged in the 1980s, sought to defend suppliers against the “disloyal” practices of retailers. To defend their interests and win the support of public opinion, economic actors (both retailors and the suppliers) used these various competition models, and in doing so helped to shape and transform them. Therefore, the notion of “competition” appears to be a flexible signifier in different market configurations. - Restructurer le secteur de l'énergie : Le contrôle des concentrations entre Paris et Bruxelles - Scott Viallet-Thévenin p. 93-118 Les fusions d'entreprises sont des événements qui ont marqué l'industrie de l'énergie française – et européenne – durant la décennie 2000. Ces opérations financières et industrielles font l'objet d'une régulation de la part de l'État français et de la Commission européenne. Étudier le processus que suit un projet de fusion, montrera que ces deux institutions structurent – par la négative – l'organisation du secteur de l'énergie. Cet encadrement prend place dans des contextes et repose sur des processus très différents, l'un politisé et l'autre technicisé. Ces leviers procurent des ressources différentes, qui donnent aux acteurs étatiques de l'influence sur les projets de fusion.Restructuring the energy industry : the regulation of mergers between Paris and Brussels
This article studies the process undergone by merger projects. Firms' mergers deeply changed the French and European energy industry during the 2000s. These operations served the interests of dominant economic actors, but they were also affected by a set of representations and constraints specific to the French State and the European Commission. These two organizations have thereby negatively structured the energy industry. Their respective regulation takes place in very different contexts and relies upon different levers. State actors in particular rely upon a specific kind of resource which determines their influence over the process of authorizing mergers. - La politique de concurrence au secours de l'exception culturelle : L'arrivée de Netflix en France depuis le ministère de la Culture - Anne Bellon p. 119-140 En septembre 2014, Netflix ouvre son service de vidéo à la demande par abonnement en France. L'arrivée du géant américain dans un secteur fortement régulé bouleverse les équilibres existants et suscite l'inquiétude des milieux culturels : profitant de l'hétérogénéité réglementaire en Europe, Netflix émet depuis l'étranger sans s'acquitter des nombreuses obligations qui pèsent sur les services audiovisuels français. Face à la remise en cause du modèle de soutien à la création dans l'environnement numérique, le ministère de la Culture cherche alors à le préserver à travers la promotion d'un ordre concurrentiel plus juste sur les marchés de l'audiovisuel en ligne. Mais la définition d'un modèle de concurrence subordonné à la sauvegarde de l'exception culturelle se heurte aux visions antagonistes de nombreux acteurs (autorités de régulations, entreprises privées, Commission européenne) qui soutiennent la dérégulation et la libéralisation de l'économie numérique. L'arrivée de Netflix mobilise donc le ministère en « stratège » pour imposer la prise en compte des enjeux culturels dans les politiques de concurrence. À travers le cas Netflix, l'organisation de la concurrence sur les marchés numériques apparaît comme un enjeu de luttes qui contribuent à redéfinir les logiques de l'action culturelle.When competition policy comes to the rescue of cultural policy
Since September 2014, Netflix's subscriptions for video on demand has been available in France. The arrival of this Internet giant in a highly regulated national sector has disrupted pre-existing equilibria and has caused concern for national audiovisual and film companies : due to heterogeneous tax rules and regulations in Europe, Netflix has entered the French market without taking part in the financing of national creations and has thus challenged the existing regulatory system. The French ministry of culture has sought to preserve this system by promoting fair competition in digital markets. By making competition conditional to a respect for cultural exceptionalism, its approach has been opposed by several actors taking part in the definition of competition policies (regulatory agencies, private firms and the European Commission). On the contrary, they have advocated more deregulation and liberalization in order to implement a “free market” in the digital economy. The arrival of Netflix has therefore prompted strategic action by the Ministry of Culture in order to foster the taking into account of cultural goals in competition policies. This case reveals market competition to be the object of political struggles which have contributed to the redefinition of cultural policies.
- La fin de l'État stratège ? : La concurrence dans les politiques économiques françaises (1945-2015) - Sebastian Billows, Scott Viallet-Thévenin p. 9-22
Lectures
- État des lieux : Les policy feedbacks et le rapport ordinaire à l'État - Alexis Spire p. 141-156
- Comptes rendus - p. 157-167