Contenu du sommaire : Gouverner les hommes et les ressources : légitimités et citoyennetés

Revue Cahiers des Amériques Latines Mir@bel
Numéro no 81, 2016
Titre du numéro Gouverner les hommes et les ressources : légitimités et citoyennetés
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Chronique

  • Dossier. Gouverner les hommes et les ressources : légitimités et citoyennetés

    • Introduction - Éric Léonard, Emilia Velázquez p. 19-33 accès libre
    • Le droit, la violence et la terre : le rôle de l'État dans l'accaparement foncier en Colombie - Jacobo Grajales p. 35-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le phénomène d'accaparement de terres a souvent été imputé à la faiblesse de l'État dans les pays du Sud. Or il est souvent impossible de le comprendre sans porter un regard sur les politiques foncières, sur les paradigmes du développement agricole et sur les visions du territoire produites par l'État. Le marché des terres est structuré par les liens qu'entretiennent des acteurs économiques – légaux comme illégaux – avec la sphère étatique. Cette contribution explore, à partir du cas de l'accaparement violent de terres en Colombie, le rôle de l'État à la fois dans sa composante institutionnelle et dans les réseaux politiques qui participent à l'exercice du pouvoir. Or, elle montre également que, malgré la place centrale de l'État dans la spoliation des ressources foncières, celui-ci demeure un lieu de dénonciation et de mobilisation, ce qui illustre la puissance du référentiel étatique et l'importance de l'État comme espace central du jeu politique.
      Land grabbing has often been analytically related to the weakness of the state in countries of the global South. Yet it is impossible to fully understand this phenomenon without taking into consideration land policies, the paradigms of agrarian development and state-produced visions of the territory. We must acknowledge that the land market is structured by the relations between economic actors – both legal and illegal – and the state. This article seeks to assess, in the case of violent land grabbing in Colombia, the role of the state both as an administrative apparatus and as the place were political power is produced. We will argue that, in spite of the central role played by the state in stripping people from their land, state institutions remain a space of denunciation and mobilization; this conclusion illustrates the power of the state as a reference and its positioning as the central field of the political game.
    • Transformation de l'espace et privatisation des ressources communautaires au Pérou - María Luisa Burneo p. 53-72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article présente une analyse de la manière dont a pris forme la relation entre l'État péruvien et les communautés paysannes tout au long d'une histoire de reconnaissance, de protectionnisme et de spoliation. Il se concentre sur les changements qui se sont produits à partir des réformes néolibérales des années 1990, notamment la libéralisation du marché des terres communautaires pour faciliter l'expansion des investissements privés sur leurs territoires. En se focalisant sur les communautés du bosque seco de la côte péruvienne, l'article utilise trois études de cas pour montrer la façon dont la confluence des actions étatiques, des entreprises privées et les réponses des communautés, donne lieu à la transformation de l'espace et ses règles d'appropriation et contrôle, mais aussi à une transformation des lieux vécus et produits tout au long d'une histoire collective qui sous-tend la légitimité de l'institution communale même.
      This paper analyzes the relationship between the Peruvian state and indigenous peasant communities through a long history of recognition, protectionism and dispossession. It focuses on the changes produced by the neoliberal reforms of the nineties and the subsequent economic liberalization of the communal land market that resulted on private investments. By studying different cases of peasant communities from ‘Bosque Seco' in the Peruvian north coast, we show how the convergence of state action, private enterprises and the response of communal governments not only has transformed the social space by changing property and control regulations, but also how the space has been reshaped as an inhabited place, product of an historical process that gives sense and legitimates the communal institution.
    • Négocier dans une marge criminalisée : l'application de la loi agraire de 1992 dans la sierra de Badiraguato (Sinaloa, Mexique) - Adèle Blazquez p. 73-91 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge les rapports sociaux liés à la régulation de la terre dans un contexte marqué par l'économie politique de la drogue et sa répression. L'application locale du Programme national de certification des droits fonciers relevant du régime de l'ejido (« Procede ») constitue un révélateur des interactions entre les enjeux locaux et les stratégies individuelles. À partir des récits des habitants, d'archives locales et d'observations, j'articule les transformations les plus prégnantes dans l'économie de la sierra, les relations de pouvoir dans le cadre d'un régime d'usage commun de la terre et une situation marquée par la répression militaire. Cet article fait ainsi la thèse que l'économie politique de la drogue qui produit Badiraguato comme marge est indissociable des pratiques étatiques de criminalisation. Ce travail est issu d'une ethnographie de 18 mois réalisée entre novembre 2013 et juin 2015 dans la municipalité de Badiraguato (Sinaloa, Mexique).
      This article examines the social relations linked to land regulation in a context marked by a drug-based political economy and repression. The local implementation of the National Certification Program of Land Rights under the Ejido system (Procede) serves to analyze the relationship between local stakes and individual strategies. Using the account of the local population, local archives and direct observations, I analyze the key transformations in the economy of the sierra, the power relations within a regime of communal land use and the experiences of military repression. I argue here that the drug-based political economy which has pushed Badiraguato to the marginality, is inseparable from the state practices of criminalization. This research is based on 18 months of ethnographic studies carried out between November 2013 and June 2015 in the municipality of Badiraguato (Sinaloa, Mexico).
    • La gestion et conservation de ressources naturelles de propriété collective au Mexique : fragmentation bureaucratique et articulation étatique - Ingreet Juliet Cano Castellanos p. 93-111 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article porte sur la recomposition des rapports entre l'État mexicain, les populations locales et divers acteurs non-gouvernementaux, se fondant sur une analyse des transformations enregistrées dans les politiques publiques du secteur de l'environnement au cours des années 1990. Cette étude aborde également les changements de régulation foncière qui ont eu lieu après la modification du régime de la propriété dite « sociale » (eijidal) en 1992. Nous montrons comment la formalisation des droits fonciers, réalisée dans le cadre du Programme de certification des droits ejidales (« Procede »), a favorisé le déploiement de politiques de conservation de la nature valorisant la participation des populations locales. Ces processus sont étudiés à la lumière des expériences des colons agraires établis au sud-est de la Selva Lacandona, au Chiapas. Nous analysons tout d'abord les positions et les stratégies des populations face aux programmes fonciers et environnementaux de l'État mexicain. Nous réfléchissons ensuite à la façon dont au Mexique les actions de conservation et de gestion participative des ressources de propriété collective sont conçues, discutées et mises en pratique à l'échelle locale.
      This article addresses the reshaping of the relationships between the Mexican state, local populations, and the different non-governmental actors, focusing on the transitions that affected environmental policies since the 1990s. The analysis takes into account the legal changes that reformed the social property (eijidal) regime in 1992. We show how the formalization of individual and collective property rights, achieved through the implementation of the Certification Program for Ejido Rights and Land Ownership (Certificación de Derechos Ejidales y Titulación de Solares, PROCEDE), favored the proliferation of ecological conservation policies that promote community participation. These processes are evaluated in the light of the experiences of the colonizing populations in the southeast of the Lacandon Jungle, in Chiapas. The article studies the positions and strategies these populations adopted in response to governmental programs, both in the environmental and the agrarian sectors. This also allows us to understand how actions for conservation and management of common property resources in Mexico are conceived, debated and pushed forward at community level.
    • Mobilisations foncières et logiques d'autonomie des communautés paysannes de l'Urabá colombien (1997-2010) - Stellio Rolland p. 113-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Sur la longue période, l'Urabá colombien s'est constitué en tant qu'espace de colonisation agricole et d'exploitation des ressources naturelles : la réserve de terres disponibles (« baldíos de la Nación ») semblait illimitée. Depuis la fin des années 1950, l'État central a été absent de toute forme de régulation socio-politique et économique dans cette région de marge touchée par un contexte de forte conflictualité sociale et guerrière et par une présence considérable du trafic de drogue et de la criminalité organisée. L'Urabá était avant tout perçu comme un espace dévalorisé, voué à la relégation et à la stigmatisation des communautés paysannes locales, souvent accusées de soutenir la guérilla.Au cours des deux dernières décennies, la tendance à la dévalorisation symbolique de la région s'est progressivement inversée et l'État central a multiplié les tentatives d'ancrage social et de légitimation à l'échelon local. Peu à peu, l'Urabá a émergé en tant qu'espace de développement, de modernisation socio-économique et de protection de l'environnement. L'identité ethnique et culturelle des communautés afro-colombiennes locales s'est progressivement construite avant d'être finalement reconnue par la législation étatique (loi 70 de 1993).À partir de 1997, dans un contexte d'intensification du conflit armé, plusieurs initiatives locales de résistance à la violence et de regroupement communautaire de petits paysans déplacés ont été soutenues par l'Église et par des ONG. Ces stratégies de survie et de retour collectif sur les terres d'origine ont abouti à la mise en place de projets territoriaux et politiques alternatifs dans des espaces interstitiels. Certaines communautés paysannes ont accédé à la propriété de leurs terres en nom collectif, tout en valorisant la polyculture de subsistance et en contestant l'emprise territoriale détenue par de puissantes entreprises agro-industrielles (plantations de palmier à huile, élevage bovin extensif). À l'échelon local, une société civile s'est peu à peu constituée et plusieurs organisations communautaires ont réussi à exercer des formes d'autonomie tant vis-à-vis des groupes armés irréguliers (guérillas, paramilitaires) que de l'État central.
      Historically, the Colombian region of Urabá had been considered an area of agricultural colonization and exploitation of natural resources: the reserve of land seemed unlimited (“baldíos de la Nación”). Since the late 1950s, the central State has been absent from all forms of socio-political and economic regulation in this marginal area, affected by an intense armed and social conflict and a considerable presence of drug trafficking and organized crime. Moreover, Urabá was perceived as a devalued space, doomed to social relegation, while the local peasant population was often stigmatized and accused of supporting guerrillas and drug mafias.Over the past two decades, however, the trend towards the symbolic devaluation of the region was gradually reversed as the central government increased its social anchoring strategies in order to consolidate its legitimacy at the local level. Gradually, Urabá emerged as an area of development, socio-economic modernization and environmental protection. The ethnic and cultural identity of local Afro-Colombian communities has also been gradually rebuilt before being officially recognized in 1993 by the State legislation with the Law 70.From 1997, when the armed conflict went through a particular intense period, several initiatives of resistance to violence emerged. Small farmers who had been internally displaced settled in several protected areas, an initiative thoroughly supported by the Church and by different NGOs. These local strategies of survival and attempts of collective return to the original land led to the development of territorial and political projects located in interstitial spaces. As a result, some local communities have accessed the collective ownership of their land while enhancing traditional methods of agriculture based on mixed-farming and self-sufficiency. They thoroughly challenged the territorial expansion of powerful agribusiness companies (mostly oil palm plantations and cattle-ranching). At the local level, civil society has been gradually constituted and several local community organizations have exercised forms of autonomy, away from local irregular armed groups (guerrillas and paramilitaries) and from the central State.
    • La lutte pour l'autonomie de la communauté de Cherán : reconfiguration territoriale et subjective - Renaud Lariagon, Mónica Piceno p. 133-151 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article a pour objectif de relier le processus de subjectivation politique et la dynamique territoriale de la lutte de la communauté de Cherán. La coupe illégale et le harcèlement par le crime organisé ont amené la communauté à identifier une perte de contrôle de son territoire (subalternité), pour ensuite assumer le conflit (antagonisme). Le territoire communautaire a été mobilisé comme un outil de lutte, ce qui a conduit à entrevoir l'émancipation possible (autonomie) par la mise en place d'un gouvernement d'us et coutumes. Ce travail met aussi en évidence la façon dont la communauté se reterritorialise, valorise sa mémoire historique et reconstruit ses liens avec la nature, produisant un espace désiré collectivement.
      The objective of this article is to link the political subjectification process with the territorial dynamics of the struggle led by the community of Cherán. Illegal logging and harassment by organized crime led the community to identify a loss of control on its own territory (subalternity) and subsequently to assume the conflict (antagonism). Communal territory was thus turned into a tool for struggle, which offered glimpses of a possible emancipation (autonomy) through the implementation of a government of uses and customs. This work highlights how the community reshapes its own territory, revaluates its historical memory, and remakes its natural bonds for the production of a common desired space.
  • Études

    • Les villages de frontière dans le processus de territorialisation de la pampa argentine au XIXe siècle - Melina Yuln p. 155-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les villages de frontière ont été construits sur le modèle régulateur du quadrillage. Cependant, on peut observer des variantes liées à leur statut d'enclaves frontalières. Certaines fondations urbaines, issues de la première colonisation, sont nées autour de forts militaires ; d'autres présentent des cas exceptionnels de subdivision des terres rurales avant la promulgation des lois instaurant une grille territoriale régulière ; d'autres encore se sont développées dans le cadre strict du quadrillage, comme c'est le cas des territoires de la Patagonie. Cet article analyse des cas de villages de frontière en Argentine qui ont contribué à définir des formes territoriales réadaptées au quadrillage. L'étude convoque des sources documentaires, cartographiques et planimétriques. L'objectif est de montrer que la production étatique du territoire résulte de pratiques traditionnelles, d'expériences normatives et d'adaptations juridiques qui ont abouti à une construction fragmentaire du territoire, en dépit des efforts d'unification de l'État au cours du long processus de territorialisation du XIXe siècle.
      Border towns were built based on the model of the regular grid or mesh. However, we can identify variations related to their status as border enclaves. Some localities from the first colonization inherited military forts ; others show exceptional cases of subdivision of rural land before the introduction of laws that promoted regular mesh plots ; others were developed in the rigid framework imposed by the territorial grid, as is the case of the territories of Patagonia. This article analyzes cases of border towns in Argentina that show a process of redefinition of territorial forms from the starting regular grid. The study uses mapping and surveying techniques as well as legal documentation. It shows that the production of the territory by the state is the result of traditional practices, normative devices and legal adjustments which together resulted in a fragmentary construction of the territory, despite the unifying effort of the state during the long process of territorialization in the nineteenth century.
    • Le « héros indécis » : Porto Rico et les îles Vierges américaines - Luis Galanes Valldejuli, Jorge Capetillo Ponce p. 179-198 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'idée d'une voix politique fracturée a été amplement débattue dans la littérature anthropologique et dans les débats postcoloniaux. Les chercheurs ont utilisé toute une gamme de termes pour décrire cette voix dissonante, qualifiée le plus souvent d'« indécise ». Bien que de nombreux observateurs aient attribué une connotation négative à ce comportement politique basé sur l'indécision, dans ce travail nous défendons avec Richard Rosa et Doris Sommer qu'il est également possible de comprendre le sujet colonisé en tant que « héros indécis ». Les apports politiques du philosophe et politicien portoricain du XIXe siècle, Eugenio María de Hostos (lui-même un « héros indécis ») peuvent éclairer l'argument que nous voulons présenter ici et qui est le suivant : il existe une dimension productive de l'indécision. Au niveau empirique, l'objectif de l'article est d'analyser le comportement politique des sujets colonisés dans deux territoires des États-Unis de la Caraïbe : Porto Rico et les îles Vierges Nord-américaines, particulièrement dans les plébiscites relatifs aux changements de statut proposés tout au long de leur histoire moderne, dans la deuxième moitié du XXe siècle et jusqu'à ces dernières années.
      The idea of a fractured political voice of post-colonial subjects has been amply debated in the anthropological literature and beyond, and scholars have used a variety of terms to describe this fractured voice, « indecisive » being perhaps the most common. While many observers have assessed this indecisive political behavior in broad negative terms, in this paper we will argue, following the insights of Richard Rosa and Doris Sommer, that it is also possible to reach an interpretation of the colonized subject as an “undecided hero ;” and that the political teachings of 19th century Puerto Rican philosopher/politician Eugenio María de Hostos (himself and “undecided hero”) can help illuminate the argument we wish to put forward : that there is a productive dimension to indecisiveness. At an empirical level, the aim is to shed some light on the political behavior of colonized subjects in two US territorial possessions in the Caribbean, Puerto Rico and the US Virgin Islands (USVI) ; particularly as it is played out it status referendums held in their modern history, during the second half of the twentieth century and onward.
  • Lectures