Contenu du sommaire : La santé des soldats entre guerre et paix
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 257, octobre-décembre 2016 |
Titre du numéro | La santé des soldats entre guerre et paix |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
La santé des soldats entre guerre et paix, 1830-1930
- Soigner les soldats : pratiques et expertises à l'ère des masses - Jean-François Chanet, Claire Fredj, Anne Rasmussen p. 3-19
- Soigner une colonie naissante : les médecins de l'armée d'Afrique, les fièvres et la quinine, 1830-1870 - Claire Fredj p. 21-45 En Algérie, au début de la conquête, les soldats français sont confrontés à une forte mortalité due aux fièvres paludéennes. Le remède contre le paludisme, le sulfate de quinine, est mis au point en 1820 et sa consommation s'accroît considérablement avec l'occupation de la colonie. Il devient un produit couramment utilisé par la population militaire, voire au-delà puisque les médecins militaires ont à traiter des civils européens et algériens, urbains et ruraux. Comment et sous quelle forme la quinine entre-t-elle dans l'arsenal thérapeutique des médecins de l'armée, distributeurs majoritaires de ce médicament et comment se diffuse-t-elle en Algérie au sein des populations militaires et civiles ? Cet article explore les voies par lesquelles l'administration militaire approvisionne l'armée d'Afrique et les questions économiques qui s'y rapportent – l'administration militaire s'inquiétant régulièrement des coûts élevés provoqués par l'usage massif d'un produit cher. Il s'intéresse ensuite à la manière dont les populations concernées ont adopté ce médicament et à ce que cela peut signifier en termes de demande sociale de soins.Treating a Young Colony: Doctors in the French Army of Africa, Fevers and Quinine, 1830-1870In Algeria, in the beginning of the colonial conquest, French soldiers were faced with high mortality due to malarial fevers. The treatment for malaria, quinine sulphate, was perfected in 1820 ; its consumption increased substantially with the occupation of Algeria. Quinine became a commonly-used product for the military population, and even beyond, as military doctors had to treat European and Algerian civilians in urban and rural areas. How, and in what form, did quinine enter the therapeutic arsenal of army doctors, the main distributors of this medicine, and how did it spread in Algeria through the military and civilian populations? This paper explores the paths whereby the military administration supplied the Army of Africa, as well as the related economic issues – the military administration frequently expressed concern about the high costs of using this expensive product on a massive scale. The paper then focuses on how the populations in question adopted this medicine, and what it could mean in terms of social demand for treatment.
- « Notre devoir envers la science ». Médecines humaine et animale dans la guerre de Sécession, 1861-1865 - Kathryn Shively Meier p. 47-69 La guerre de Sécession américaine transforma la communauté médicale américaine du Nord, celle du Sud en proie à la pénurie, ainsi que la médecine vétérinaire à l'époque sous-développée. Elles adoptèrent des approches communes associées à « l'école de Paris » de médecine clinique. Les circonstances de la guerre firent s'élargir le champ d'intervention des médecins et des vétérinaires (élites diplômées ou ruraux ayant été formés sur le terrain), pour y intégrer des approches scientifiques et sanitaires alternatives qu'ils avaient été nombreux à refuser catégoriquement avant la guerre. Ces évolutions furent à la fois délibérées et fruits des circonstances, tout en étant facilitées par le contexte militaire. Les médecins les plus influents, formés à l'étranger avant la guerre et déjà acculturés aux pratiques scientifiques, obligèrent les chirurgiens du rang à adopter de nouvelles techniques. Par ailleurs, l'urgence et l'ampleur des problèmes, ainsi que les privations causées par la crise sanitaire de guerre, les encouragèrent à improviser et accepter de nouvelles méthodes. Les officiers chirurgiens et vétérinaires bénéficiaient d'une protection professionnelle due à leur rang et d'une population de patients captive et obéissante. La guerre a donné le jour à un ensemble de pratiques médicales, sous l'enseigne de la science, et a contribué à la revendication d'une nouvelle identité professionnelle. Ces évolutions de la médecine humaine et vétérinaire ont survécu à la guerre, dont témoignent des publications, des associations professionnelles et des instituts de formation.Our Duty to Science. Human and Animal Medicine in the American Civil War, 1861-1865The American Civil War transformed that nation's medical community to the extent that the North, the resource-deprived South, and the underdeveloped field of veterinary medicine adopted common approaches associated with the Paris Clinical School. The circumstances of war expanded the practices of doctors and veterinarians, from the elite educated to the rural apprenticed, to include scientific, sanitarian, and alternative therapeutic approaches, which many had vigorously rejected in the antebellum period. These changes were both deliberate and accidental, as well as facilitated by the military context. The most influential physicians, who had either trained abroad before the war or already associated themselves with scientific practices, mandated that surgeons in the ranks adopt certain techniques. Additionally, the urgency, magnitude, and privation of the wartime health crisis prompted improvisation and acceptance of new methods. Surgeons and veterinarians of the officer class benefited from the professional protection of rank and the captive patient populations obedient to them. The result was a diverse set of medical practices, which could be folded under the umbrella of science as part of a claim to new professional identity. These changes to human and animal medicine outlasted the war, apparent in new publications, professional associations, and institutions of learning.
- Expérimenter la santé des grands nombres : les hygiénistes militaires et l'armée française, 1850-1914 - Anne Rasmussen p. 71-91 Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, sous le nom d'hygiène militaire, un ensemble de savoirs ont gagné le statut de « science » et leurs praticiens – médecins et hygiénistes – conquis un statut professionnel qui leur confère la charge de la préservation de la santé des troupes. Cet article s'attache à mettre en valeur la diversité des enjeux auxquels les hygiénistes militaires sont confrontés en France, au cours de cette séquence temporelle : enjeux médico-militaires, après le désastre sanitaire de la guerre de Crimée ; politiques, sous l'effet de la progressive universalisation de la conscription qui pose la question des droits et des devoirs réciproques de l'État et de la nation armée ; cognitifs, avec l'introduction des statistiques et de la théorie des germes pour comprendre les spécificités de la surmortalité militaire et de la morbidité infectieuse en temps de paix. Il montre que la nouvelle discipline constitue un front pionnier du mouvement hygiéniste, où le collectif militaire est théorisé comme un laboratoire pour la médecine des populations et les dispositifs sanitaires de lutte contre les maladies infectieuses.Health Experimentation for Large Numbers: Military Hygiene Experts and the French Army, 1850-1914Over the second half of the nineteenth century, a body of knowledge grouped under the term ‘military hygiene' was promoted to the status of a ‘science'. The practitioners – doctors and hygiene experts – became recognised as professionals in charge of preserving the health of the troops. This paper endeavours to highlight the various challenges that military hygiene experts faced in France over this time period: medical/military issues, after the sanitary disaster of the Crimean War; political issues, due to the gradual implementation of universal conscription, which raised the question of the reciprocal rights and duties of the state and the armed nation; scientific issues, with the introduction of statistics and germ theory in order to understand the specific aspects of the higher mortality rate in the military and infectious morbidity in peacetime. The paper shows that the new discipline formed a pioneering frontline in the hygiene movement, in which the military, as a collective, was theorised as a laboratory for medicine for populations and sanitary programmes to tackle infectious diseases.
- Entre blessures de guerre et guerre des blessures : la « balle humanitaire » en débat en Europe et au Japon, 1890-1905 - Ken Daimaru p. 93-108 L'histoire de la « balle humanitaire » permet de poser un nouveau regard sur les transformations de la médecine militaire et de la représentation des blessures de guerre à l'orée du XXe siècle. À partir d'une approche croisée, en Europe et au Japon, du débat médical sur l'évolution des propriétés balistiques des nouvelles armes à feu, ce texte analyse l'émergence et le développement d'un groupe de médecins experts en « balistique lésionnelle ». Ces professionnels participent, au sein des appareils militaires, à l'anticipation des atteintes corporelles et à l'optimisation des effets du feu, dans un but à la fois curatif et vulnérant. Ainsi les médecins collaborent aux dégâts qu'ils contribuent par vocation à réparer. Nous explorons dans cet article le caractère problématique du concept de « balle humanitaire » et l'appropriation par les acteurs médicaux européens et japonais des dispositifs militaires produits dans le « monde civilisé ». Enfin, nous discutons de la mise en débat public de ces questions, autour de la controverse des balles dum-dum et de la « guerre des blessures ».Between War Wounds and a War of Wounds: The Humanitarian Bullet Debate in Europe and Japan, 1890-1905The history of the ‘humanitarian bullet' enables us to shed new light on the transformations affecting military medicine and the representation of war wounds at the turn of the twentieth century. Based on a cross-perspective, in Europe and Japan, of the medical debate surrounding the changing ballistic properties of new firearms, this paper analyses the emergence and development of a group of doctors with expertise in ‘wound ballistics'. These professionals, within military formations, took part in anticipating bodily injuries and optimising the effects of firepower, with a twofold aim of curing and wounding. Thus, doctors collaborated in the horrors that, as doctors, they had to help repair. In this paper, we explore the problematic aspect of the ‘humanitarian bullet' concept, as well as the appropriation by European and Japanese medical professionals of military systems produced in the ‘civilised world'. Lastly, we look at how these issues were brought up for public debate, around the controversies of ‘dum-dum' bullets and the ‘war of wounds'.
- La psychiatrie italienne au front : l'expérience fondatrice de la guerre de Libye, 1911-1912 - Marianna Scarfone p. 109-126 Pendant la guerre menée par l'Italie pour la conquête de la Libye (1911-1912), les psychiatres, militaires et civils, sont confrontés pour la première fois aux pathologies qui peuvent affecter les soldats en temps de guerre. Prenant appui sur leur expérience au front ou dans les hôpitaux italiens qui reçoivent les militaires rapatriés, ils réfléchissent à l'étiologie de ces manifestations et à leur classification. Un débat se dessine alors sur le rôle des émotions ou de la prédisposition dans le cadre de la psychopathologie en contexte de guerre, qui s'inspire des auteurs russes et français. Fondé sur les publications des psychiatres impliqués, cet article rend compte de ce débat, mais aussi des interrogations que cette première confrontation aux troubles psychiques de guerre fait émerger, telles que la sélection des combattants ou la formation psychiatrique des médecins. Il s'attache également à l'organisation de l'assistance psychiatrique des hôpitaux de campagne. Grâce à l'exploitation des dossiers médicaux de l'ancien asile de Gênes, l'article présente enfin certains cas cliniques de soldats rapatriés de Tripolitaine et de Cyrénaïque, pour tenter de restituer au plus près l'expérience vécue par les militaires de ces perturbations de leur existence.Italian Psychiatry at the Front: The Formative Experience of the Libyan War, 1911-1912During Italy's war to conquer Libya (1911–1912), psychiatrists – both military and civilian – were faced for the first time with the pathologies that can affect soldiers in war. Based on their experience on the frontlines or in the Italian hospitals that treated repatriated soldiers, they studied the etiology of these symptoms and their classification among known causes. A debate then arose regarding the role of emotions or predisposition within wartime psychopathology, inspired by Russian and French writers. Based on the publications of the psychiatrists involved, this paper describes this debate, as well as the questions prompted by this initial confrontation with wartime psychological disorders, such as the selection of soldiers or the psychiatric training of doctors. It also focuses on the organisation of psychiatric assistance in field hospitals. Lastly, by examining the medical records of the former Genoa asylum, the paper presents clinical cases for certain soldiers repatriated from Tripolitania and Cyrenaica, to attempt as closely as possible to recreate how these soldiers experienced these disruptions in their lives.
- Aux fondements introuvables de l'État-providence : la loi du 9 avril 1898 à l'épreuve de la Grande Guerre - Vincent Viet p. 127-147 La loi du 9 avril 1898 est souvent présentée comme le socle fondateur de la législation des accidents du travail, qui aurait défié le temps moyennant des aménagements de pure commodité. Sa pérennisation justifierait qu'on l'étudie isolément. En réalité, ce texte a influencé d'autres législations et produit des excroissances juridiques, garantes de sa longévité. La Grande Guerre en offre une illustration, qui a vu cette loi devenir un élément clé du statut de la main-d'œuvre mobilisée ; servir de ressource juridique au calcul des pensions et gratifications militaires ; enfin, s'hybrider avec l'assistance militaire pour assurer l'indemnisation des mutilés de guerre accidentés du travail. D'où l'intérêt de revenir sur les relations entre la réparation civile des accidents du travail et la réparation militaire des infirmités et des maladies de guerre, qui permettent de comprendre pourquoi l'État-providence n'est pas né de cette loi ni, curieusement, des décombres de la guerre.The Lost Foundations of the Welfare State: The French Law of 9 April 1898 Tested by the Great War
The French Law of 9 April 1898 is often presented as the foundational legislation on work-related accidents, which has defied time with only a few modifications for the sake of convenience. In reality, this text influenced other legislation and generated judicial decisions that ensured its longevity. The Great War gives us one illustration, as this law became a key element of the ‘mobilised worker' status, served as a legal resource for calculating military pensions and benefits, and merged with veteran military assistance to provide compensation for the war disabled who had suffered work accidents. This is why it is interesting to take a new look at the relationship between reparation for civilians who suffered work-related accidents, and reparation for military personnel of war-related disabilities or diseases. This approach reveals why the welfare state did not actually grow out of the Law of 9 April 1898, nor – strangely enough – out of the rubble of the war. - Un droit à la réhabilitation ? Le statut légal des invalides russes de la Grande Guerre, 1912-1927 - Alexandre Sumpf p. 149-166 En Russie tsariste, l'invalidité de guerre bénéficiait d'une reconnaissance avant la Première Guerre mondiale, ce qui n'était le cas d'aucun handicap civil. La loi de 1912, les multiples régulations civiles et militaires, les initiatives privées et le volontarisme collectif ne permettent cependant pas de faire face à l'ampleur des traumas dus à la guerre industrielle qu'est le premier conflit mondial. Les autorités envisagent l'afflux d'hommes « incapacités » non comme un problème social, mais plutôt comme une mosaïque de cas individuels. La situation, critique, fait toutefois émerger la « question des invalides » en tant que cause sociale. Pour les experts qui s'opposent à une administration jugée inefficace, la loi sur l'invalidité devient un programme d'action, une arme politique, le moteur d'une nouvelle conception de la nation russe. Surtout, dès 1915, et plus encore en 1917, les invalides s'adaptent individuellement à la réglementation et s'organisent collectivement afin d'influer sur pensions, logements et emplois.A Right to Rehabilitation? The Legal Status of Russia's War Invalids from the Great War, 1912-1927In Tsarist Russia, the status of war invalid was recognised before the First World War, unlike for any civilian handicap. However, the 1912 law, multiple civilian and military regulations, private initiatives and the community will were not enough to face the magnitude of traumas caused by mechanised warfare. The authorities viewed the influx of ‘incapacitated' men not as a social problem, but instead as a mosaic of individual cases. However, this critical situation triggered the emergence of the ‘war invalid issue' as a social cause. For the experts opposed to an administration that they deemed ineffective, the law on invalidity became a programme for action, a political weapon, and the driver of a new conception of the Russian nation. Especially, as early as 1915 but even more so in 1917, the war invalids adapted to the regulation on an individual level and became organised as a group in order to have an influence on issues of pensions, housing and jobs.
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 167-216